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Les corps et confédérations d'États

Les État modernes

A) Les États complexes européens

1) Les corps et confédérations d'États

Il faut distinguer trois cas : l'Allemagne, la Suisse, les Provinces-Unies.

57. LE CORPS GERMANIQUE. - L'expression « Corps germanique » est parfois utilisée pour désigner conjointement l’Allemagne et le Saint Empire Germanique, dont la fondation remonte à Charlemagne. Déroutante pour un Français de notre époque, habitué à l'uniformisation révolutionnaire, cette forme de régime politique est nettement pluraliste, dans la mesure où elle traduit l'évolution de la vieille notion d'Empire, devenu à l'époque moderne un groupe d'États de nature confédérale. Cette évolution s'est faite à partir des structures féodales et urbaines médiévales. À la différence de la France, où le pouvoir royal en a eu raison au terme d'une longue lutte, elles ont imprimé à l'Empire une répartition des pouvoirs originale. Les Membre de l'Empire sont les vassaux de l'Empereur, dans la mesure où ils en détiennent des terres : elle communiquent à leurs titulaires leur qualités et leurs pouvoirs au sein de l'Empire. Ce système dans lequel un bien modifie la qualité des personnes peut nous paraître étrange. Il n'avait pourtant rien d'inhabituel : en France, on distingua longtemps entre terres nobles et roturières, ce qui avait notamment des conséquences sur le plan fiscal.

Ce système de la vassalité pouvait entraîner une forte dépendance du vassal

vis-à-vis du seigneur. Cependant, en Allemagne, l'évolution tendit au relâchement des rapports avec l'Empereur, de sorte que tout en en demeurant des vassaux, les pouvoirs locaux purent devenir des États. Leur titulaires prêtent serment à l'Empereur lors d'une cérémonie d'hommage, comme les seigneurs le font en France au roi, mais dans le cas allemand, ce serment n'entraîne aucune réelle subordination, [141] d'autant plus que l'Empereur ne refuse pratiquement jamais l'allégeance que lui prête l'héritier d'un fief. D'autre part, dans les rapports féodaux classiques, le vassal est la plupart du temps envisagé en tant qu'individu. Dans le système politique de l'Empire, la vassalité porte surtout sur des collectivités. En effet, on peut distinguer trois catégories de Membres. Tout d'abord, la noblesse immédiate, unie par des conventions à l'empire depuis le XIVe siècle. Ensuite et surtout, les États de l'empire (269 au XVIIIe), rassemblés territorialement en

« cercles ». Ils sont en principes égaux, en fait hiérarchisés en trois catégories. Les Électorats (7, puis 9), qui tirent leur nom du pouvoir qu'ont leur titulaires de choisir l'empereur. Puis les Principautés (environ 200), elles-mêmes subdivisées en différente dignités (landgraviats, margraviats, duchés, comtés, bénéfices ecclésiastiques, etc.). Enfin, les villes. En France, celles-ci ont servi de point d'appui à la royauté dans sa lutte contre les seigneurs. Mais les rois ont su les contrôler de manière très efficace afin qu'elles ne deviennent pas une nouvelle féodalité, qui aurait pu les gêner. En Allemagne, les villes conservent beaucoup de puissance. On en distingue deux catégories. D'une part, les villes ordinaires ou sujettes. Mais surtout les villes libres ou Villes impériales, qui font partie des Membres de l'Empire (une soixantaine, dont Cologne, Hambourg, Francfort sur le Main).

Ces trois catégories de Membres détiennent des regalia, c'est-à-dire des pouvoirs de souveraineté. À l'extérieur, droit d'échanger des ambassadeurs, de déclarer la guerre. À l'intérieur, droit de faire la loi, de recruter des troupes, de lever des impôts. Donc une très large autonomie, mais contrebalancée par deux organes communs.

Tout d'abord, l'Empereur. Il dispose de pouvoir de « Réserves », qui lui permettent une certaine activité diplomatique, la création de villes et d'universités, l'octroi de privilèges dispensant de l'application du droit commun. Il possède également des pouvoirs judiciaires en tant que juge suprême, bien qu'il ne puisse agir par évocation, c'est-à-dire en enlevant une cause au juge normalement

compétent en première instance. Sa juridiction est plutôt d'appel, encore que certains États jouissent du privilège de non appel.

Ensuite, la Diète générale de l'Empire. Elle est convoquée par l'Empereur et siège en général à Ratisbonne depuis la fin du XVIe siècle. Chaque catégorie de Membres y envoie des représentants, regroupés en collèges distincts par catégorie.

Il ne s'agit pas d'un Parlement. Tout [142] d'abord les représentants ne peuvent agir que sur l'instruction de leur gouvernement ; d'autre part il n'y a pas de débats, mais uniquement des votes ; enfin, pour qu'une mesure votée soit exécutoire, il faut qu'elle ait été votée à la majorité de chacun des trois collèges et, condition déterminante, acceptée par l'État-Membre. La Diète autorise l'Empereur à faire la guerre et la paix, conclure des alliances, et prendre des Recès, ou loi générales.

Comme on le voit, le local l'emporte sur le centre.

Le XVIIIe siècle et le début du XIXème constituent une phase décisive pour l'histoire de l'Allemagne, dans laquelle les idées de la Révolution française et l'invasion napoléonienne ont exercé une influence certaine. Le règne de Frédéric II (1740-1786) est marqué par les gains territoriaux et politiques du royaume de Prusse. Quand éclate la Révolution française, bien que l'Allemagne soit encore loin de constituer une nation et demeure une mosaïque de pouvoirs locaux, certains milieux intellectuels sont séduits par les idées françaises. Mais la plupart des habitants de l'Empire restent attachés à sa structure confédérale. Cependant, l'invasion française va accélérer en réaction la formation de la conscience nationale allemande, dans le cadre de nouvelles structures, qui ne seront pas pour autant celles de l'État-Nation. Le 6 août 1806, l'Empereur François II se proclame empereur d'Autriche et déclare éteinte la fonction de « chef de l'État impérial » : c'est la fin du Saint Empire. D'abord mise à genoux par l'invasion française, la Prusse prend la tête de la guerre de libération. Le danger français écarté, l'acte final du congrès de Vienne (9 juin 1815) donne une structure nouvelle à l'Allemagne. À la place du Saint Empire, on trouve une Confédération germanique de 39 États dont les plus importants sont l'Autriche et la Prusse.

Négligeant les idées de la bourgeoisie, des milieux étudiants et d'une bonne partie du peuple, leurs souverains tentent de revenir à une organisation dominée par les pouvoirs locaux. Par la suite, la monarchie prussienne change d'attitude et mène une politique d'union économique, prélude à l'unité nationale. En 1848, une

tentative de constitution unitaire échoue. Premier Ministre de Prusse en 1862, Bismarck la mènera à bien.

La progression de l'Allemagne vers des structures unitaires paraît très marquée par l'influence des événements extérieurs : pression des conquêtes napoléoniennes, défaite de la France devant Bismarck, instauration de la République de Weimar après le premier conflit mondial, centralisation de l'État sous le régime hitlérien, retour à des structures [143] fédérales après l'écroulement du IIIe Reich. La Suisse, pays plus modeste et moins impliqué dans les conflits européens, a su garder une structure où les pouvoirs locaux sont toujours restés prédominants.

58. LA CONFÉDÉRATION HELVÉTIQUE. - La Suisse répond en effet plus que l'Allemagne à la forme confédérale. Elle s'est constituée progressivement. Le 1er août 1291, afin de faire front à la menace des Habsbourg, certains pays -ou cantons- s'unissent par un pacte perpétuel, promettant simultanément de défendre les droits et liberté de chaque communauté et de s'opposer à toute intervention extérieure : c'est la naissance de la Confédération suisse (du nom de Schwyz, le principal des cantons associés). Progressivement, le pacte s'est étendu à d'autres cantons au XIVe et XVe siècles. À côté des cantons existe un second groupe de pays dans la Confédération : les alliés, à la périphérie.

L'autonomie est beaucoup plus grande que dans le Corps germanique. Chaque canton et chaque allié se gouvernent librement. Il n'y a pas d'autorités centrales ni d'armée confédérale. On trouve en revanche une Diète, assemblée d'ambassadeurs des cantons et des principaux alliés qui a principalement en charge la sécurité collective. Mais là encore, les idées de la Révolution et l'occupation française de certaines parties du territoire vont avoir des conséquences. En 1798, la France impose aux cantons une constitution unitaire, celle de la République helvétique.

Mais en 1803, Napoléon lâche du lest et revient à l'organisation confédérale.

Après la défaite française, un nouveau pacte confédéral est conclu, le 7 août 1815.

Il ne crée pas de véritable pouvoir confédéral et la Diète reste une simple réunion d'ambassadeurs. En 1848, la poussée qui avait échoué en Allemagne réussit en Suisse. Une nouvelle Constitution crée une véritable union fédérale, dotée d'un gouvernement central siégeant à Berne. La Diète est remplacée par une Assemblée fédérale, divisée en un Conseil national, représentant toute la

population, et un conseil des États, représentant les cantons, coiffés par un exécutif collégial, le Conseil fédéral. Un Tribunal fédéral règle les conflits de compétences entre les cantons. Le pouvoir fédéral a en charge la diplomatie, le commerce et l'armée. En 1874 et 1891 sont adoptés les droits de référendum et d'« initiative » qui permettent au peuple de se prononcer sur l'adoption ou le rejet d'un texte législatif.

Par la suite et jusqu'à nos jours, la Suisse, par ailleurs plurilingue (le français, l'allemand et l'italien sont langues officielles), restera attachée [144] à cette structure confédérale, qui assure aux cantons une large autonomie.

59. LES PROVINCES-UNIES. - L'histoire des Pays-Bas est particulièrement tourmentée. Le XVIe siècle voit la révolte contre l'Espagne. Au XVIIe et au XVIIIe, la partie méridionale des Pays-Bas demeure sous domination espagnole jusqu'en 1718, où les Autrichiens succèdent aux Espagnols. Au nord, les provinces-Unies connaissent un meilleur sort, à partir de 1585. Elles sont dotées d'une structure confédérale très lâche. Les villes et provinces sont largement autonomes et leur solidarité ne se manifeste que sous la contrainte des pressions extérieures. Dans chaque ville on trouve un conseil, des échevins et des bourgmestres. Dans chaque province, l'autorité appartient aux États, formés des députés des villes qui ont reçu un mandat impératif et sont parfois accompagnés des députés de la noblesse ou des campagnes. Au-dessus de ces pouvoirs locaux, on trouve plusieurs organes confédéraux. Tout d'abord, les États Généraux, Assemblée de représentants des provinces réunie à La Haye, dont chacun ne dispose que d'une voix. Elle obéit à la règle très contraignante de l'unanimité. Elle peut décider de la guerre et de la paix, lever des troupes et des impôts ; édicter des lois, mais elles ne sont exécutoires que si les provinces les approuvent et font publier. La puissante bourgeoisie urbaine est très favorable à ce type d'organisation. Ensuite, le Conseil d'État (douze membres), chargé des questions financières et militaires. Un personnage nommé Grand Pensionnaire s'occupe des affaires courantes. Enfin, l'institution la plus importante après les États généraux, le Stadhouder, sorte de Président élu par les diverses provinces. Ses compétences sont multiples : il est commandant des forces armées, reçoit les envoyés des États étrangers auprès de la Confédération, assure l'exécution des lois ainsi que la direction de la justice avec droit de grâce criminelle. Le Stadhouder représente la

tendance centralisatrice, à l'inverse des États généraux et jouit en général de l'appui populaire.

En 1794, les armées françaises occupent le pays. La partie méridionale est découpée en département français ; le reste devient en 1795 une République batave. Dans les deux zones l'administration est uniformisée. Après la défaite française, le Congrès de Vienne décide de réunir la Belgique et la Hollande dans un royaume unique des Pays-Bas. Mais cette uniformisation sera de courte durée, car ces deux entités ont connu [145] une histoire trop différente pour pouvoir s'assembler. En 1830, une émeute éclate à Bruxelles et le 4 octobre de la même année l'indépendance de la Belgique est proclamée, sous le patronage de l'Angleterre et de la France. On sait qu’en 1993 la Belgique s'est transformée en État fédéral.

Ces trois exemples, chacun à sa manière, montrent d'abord le poids de l'histoire. Dans certains cas, les unités d'origine médiévale persistent plus longtemps que dans d'autres. D'autre part, la tendance unitaire est souvent déclenchée par des pressions extérieures, ce qui s'accorde avec les théories mettant l'accent sur l'influence de ce type d'événements dans le passage à des formes plus centralisées d'exercice du pouvoir politique. Enfin, cette tendance unitaire n'est pas irréversible (l'Allemagne est revenue de nos jours à la forme fédérale) et ne débouche pas nécessairement sur l'État unitaire, à l'inverse d' un pays comme la France. Dans sa contingence, l'histoire pèse sur les structures.

Celles des Unions d'États sont plus simples que les précédentes.