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La Cité-État

A. La Cité-État en Occident

La Grèce en reste la meilleure illustration. Mais les Cités-États ont existé en d’autres endroits du pourtour méditerranéen.

51. LES CITÉS-ÉTATS MÉDITERRANÉENNES. - En Mésopotamie, l'archéologie témoigne de l'existence de petits États urbains, en lutte fréquente pour la suprématie. Le régime est monarchique, mais les textes nous indiquent l'existence de deux assemblées, l'une des Anciens, l'autre des « hommes de la cité » dont l'avis est sollicité pour les affaires graves, notamment les activités guerrières. Vers 1810, une dynastie sémitique s'établit à Babylone, qui devient le siège d'un vaste empire. La ville est le centre de la vie politique, dominée par le roi. Au XVe et XIVe siècles, les Phéniciens s'installent sur les côtes de la Syrie actuelle. Ils vivent en villes indépendantes et rivales, avant tout guidées [130] par des préoccupations commerciales. Donc, des villes, centres de pouvoir politique.

Mais peut-on pour autant parler de cités-États ?

En fait, cette dénomination ne convient pleinement qu'à la Grèce. La cité y devient un concept juridique, dans la mesure où elle se réfère avant tout à la notion de communauté de citoyens et ne se confond pas avec la ville. Bien entendu cette dernière en est le centre, mais la cité englobe aussi les zones rurales, ainsi que les agglomérations de taille plus modeste et les villages. La superficie totale est restreinte, en général moins de 1,000 km2. Cette communauté civique doit être autonome, sur le plan économique comme politique. Car elle possède un caractère exclusif : on est citoyen d'une cité déterminée. Les rapports entre cités ne sont pas pour autant toujours d'hostilité. Elles peuvent s'associer sur un plan égalitaire et forment alors un groupement fédéral où chaque cité est représentée dans un organe central (le synedrion dans la confédération athénienne). Cette association peut évoluer en hégémonie : une cité devient prépondérante, mais elle est tenue d'exercer son pouvoir dans l'intérêt commun (les Grecs eux-mêmes la distinguaient de l'impérialisme, où la cité dominante n'agit qu'en fonction de ses propres intérêts) ; le citoyen de chaque cité peut bénéficier de la citoyenneté dans les autres cités.

D'autre part, la communauté civique ne se confond pas avec la population résidant sur le territoire de la cité : au milieu du Ve siècle, Athènes ne compte pas plus de 40,000 citoyens mâles adultes contre environ 200,000 esclaves et 40,000 métèques (étrangers immigrés dans la cité). Le statut de ces derniers varie suivant les cités. Sparte y est hostile. Plus libérale, Athènes les associe volontiers à la vie économique ; ils disposent de la liberté de culte : ils peuvent pratiquer les cultes

de la cité, mais aussi leur propre religion. En revanche, ils ne doivent pas faire de politique, et ont l'obligation de se conformer aux usages de la cité. Périclès, protecteur de la démocratie, fait voter en 451 une loi qui ferme aux métèques une voie royale de l'intégration : les mariages mixtes. Désormais, pour être citoyen et capable de contracter un mariage légitime, il faudra justifier d'une ascendance athénienne en ligne maternelle comme en ligne paternelle. De plus, ils doivent supporter diverses discriminations négatives : ils paient des impôts supplémentaires, il leur est interdit d'acquérir des immeubles. Aristophane fait dire à un de ses personnages : « Les citoyens sont le froment de la cité et les métèques en sont le son ». Si la démocratie athénienne [131] demeure exemplaire par les différents mécanismes qui permettaient le contrôle des citoyens sur le pouvoir, d'autres traits en font donc pour nous un régime très aristocratique, de surcroît fort misogyne. De toute façon, même accommodée au goût du temps, la démocratie ne fut pas le régime prédominant des cités grecques, plutôt aristocratiques. Rome elle-même instaurera une cité-État républicaine qui demeurera toujours aux mains des élites 47, anciennes ou nouvelles (car se forma progressivement une aristocratie plébéienne), ou dans un compromis associant les deux.

52. LA CITÉ RÉPUBLICAINE ROMAINE. - Rome jaillit du fait urbain.

Située à un point de jonction devenu de première importance pour les liaisons entre les cités étrusques de l'Italie, elle se constitue en cité sur le territoire de pasteurs latins. Elle attire beaucoup d'étrangers en raison du dynamisme économique qu'y suscitent les Etrusques. Au début du Ve siècle, la vieille aristocratie parvient à les chasser : elle les jugeait trop favorables à la plèbe, et installe la République : en fait un régime beaucoup plus conservateur que la royauté. Elle inaugure par là une grave crise économique qui va bientôt provoquer la révolte de la plèbe, avec laquelle le patriciat passe le compromis historique de la Loi des XII Tables. Bien qu'affaiblies, les structures urbaines demeurent. Rome va alors se lancer dans une série de guerres, d'abord défensives, puis offensives.

Peu à peu, elle devient une puissance méditerranéenne. A la fin du IIIe siècle elle finit par vaincre Carthage, sa grande rivale. Dès lors, un choix politique majeur s'impose : faut-il ou non continuer les conquêtes ? La grande famille des Scipion

47 Cf. Rouland N., Rome, démocratie impossible ?, Arles, Actes-Sud, 1981.

-à laquelle appartient le vainqueur d'Hannibal- considérée comme le porte-parole des idées nouvelles, soutient que oui : Rome a une mission historique à accomplir.

Mais les conservateurs, menés par Caton l'Ancien, et hostiles à l'expansion en Orient, pensent au contraire qu'elle va y perdre son âme : pour préserver les valeurs traditionnelles, mieux vaut ne pas multiplier les contacts avec l'extérieur.

On connaît la suite... L'Urbs (puisque dans un raccourci symptomatique Rome se désigne par ce terme qui signifie : la Ville) s'étendit sur toutes les rives de la Méditerranée. Elles ne succomba pas à ses conquêtes comme le craignait Caton, mais cette extension démesurée eut raison du régime de la cité, dont les institutions [132] n'étaient plus adaptées à la gestion de ce qui était devenu un Empire. Fort douloureuse, la transition se fit dans les convulsions de l'agonie du régime républicain tout au long du dernier siècle avant notre ère. De ce siècle datent aussi les essais bien tardifs de la conceptualisation du régime politique de la cité, en train de s'écrouler.

Les juristes romains de la République ne se sont en effet guère intéressés à la théorisation de leur régime politique : le meilleur analyste en est un Grec déporté à Rome, l'historien Polybe. D'ailleurs, les auteurs romains qui ont tenté quelques définitions se sont beaucoup inspiré des philosophes grecs. Le peuple -populus-constitue non seulement comme à Athènes une communauté de citoyens, mais aussi une entité juridique. On ne va pas jusqu'à penser la notion juridique abstraite de l'État, mais le peuple constitue un être collectif, une réunion d'individus liés par un accord unanime en vue de leur utilité commune, pour reprendre les termes de Cicéron. Une personnification de la cité. Mais la notion fondamentale demeure la République, res publica. Elle vise la collectivité en tant que sujet de rapports juridiques et implique l'existence d'une organisation politique déterminée par des règles de droit. Contrairement à notre tradition, elle ne désigne pas une forme politique déterminée, notamment pas la démocratie. La cité -civitas (d'où vient notre terme de civilisation, ce qui est significatif)- est une des formes possibles de la République. Des auteurs modernes ont pu la définir comme une communauté juridiquement organisée dont le centre est constitué par une ville. Ce régime disparaît dans l'équivoque du Principat qui conserve l'apparence nominale des institutions républicaines, mais les vide de leur sens pour faire le lit de l'État impérial.