• Aucun résultat trouvé

La convergence multimédia

Depuis plus de trente ans, la chaîne de l’édition est soumise à de nombreux bouleversements. Dans les années 1970, l’imprimerie traditionnelle est d’abord ébranlée par l’apparition des machines de photocomposition. Le coût de l’impression continue ensuite de baisser avec les procédés d’impression assistée par ordinateur, les photocopieurs, les photocopieurs couleur et le matériel d’impression numérique. Dans les années 1990, l’impression est souvent assurée à bas prix par des ateliers de PAO (publication assistée par ordinateur). Tout contenu est désormais systématiquement numérisé pour permettre son transfert par voie électronique.

La numérisation permet de créer, d’enregistrer, de combiner, de stocker, de rechercher et de transmettre des textes, des sons et des images par des moyens simples et rapides. Des procédés similaires permettent le traitement de l’écriture, de la musique et du cinéma alors que, par le passé, ce traitement était assuré par des procédés différents sur des supports différents (papier pour l’écriture, bande magnétique pour la musique, celluloïd pour le cinéma). De plus, des secteurs distincts comme l’édition (qui produit des livres) et l’industrie musicale (qui produit des disques) travaillent de concert pour produire des CD-Rom.

La numérisation accélère considérablement le processus matériel de production. Dans la presse, alors qu’auparavant le personnel de production devait dactylographier les textes du personnel de rédaction, les journalistes envoient désormais directement leurs textes pour mise en page. Dans l’édition, le rédacteur, le concepteur artistique et l'infographiste travaillent souvent simultanément sur le même ouvrage. On assiste progressivement à la convergence de tous les secteurs liés à l’information : imprimerie, édition, presse, conception graphique, enregistrements sonores, films, radiodiffusion, etc.

La convergence multimédia peut être définie comme la convergence de l’informatique, du téléphone, de la radio et de la télévision dans une industrie de la communication et de la distribution utilisant les mêmes inforoutes. Si certains secteurs voient l’apparition de nouveaux emplois, par exemple ceux liés à la production audio-visuelle, d’autres secteurs sont soumis à d’inquiétantes restructurations. La convergence multimédia a d’autres revers, à savoir des contrats occasionnels et précaires pour les salariés, l’absence de syndicats pour les télétravailleurs, le droit d’auteur souvent mis à mal pour les auteurs, etc. Et, à l’exception du droit d’auteur, vu l’enjeu financier qu’il représente, il est rare que ces problèmes fassent la Une des journaux.

La convergence multimédia amène-t-elle des emplois nouveaux, comme l’assurent les employeurs, ou bien est-elle source de chômage, comme l’affirment les syndicats ? Ce sujet est débattu dès 1997 lors du Colloque sur la convergence multimédia organisé par le Bureau international du travail (BIT) à Genève.

Si elle accélère le processus de production, l’automatisation des méthodes de travail entraîne une diminution de l’intervention humaine et donc un accroissement du chômage. Dans la presse comme dans l'édition, la mise en page automatique permet de

combiner rédaction et composition. Dans les services publicitaires aussi, la conception graphique et les tâches commerciales sont maintenant intégrées. L’informatique permet à certains professionnels de s’installer à leur compte, une solution choisie par 30% des salariés ayant perdu leur emploi.

Professeur associé d’études sociales à l’Université d’Utrecht (Pays-Bas), Peter Leisink précise que la rédaction des textes et la correction d’épreuves se font désormais à domicile, le plus souvent par des travailleurs ayant pris le statut d’indépendants à la suite de licenciements, délocalisations ou fusions d’entreprises. « Or cette forme d’emploi tient plus du travail précaire que du travail indépendant, car ces personnes n’ont que peu d’autonomie et sont généralement tributaires d’une seule maison d’édition. »

A part quelques cas particuliers mis en avant par les organisations d’employeurs, la convergence multimédia entraîne des suppressions massives d’emplois. Selon Michel Muller, secrétaire général de la FILPAC (Fédération des industries du livre, du papier et de la communication), les industries graphiques françaises perdent 20 000 emplois en dix ans. Entre 1987 et 1996, les effectifs passent de de 110 000 à 90 000 salariés. Les entreprises doivent mettre sur pied des plans sociaux coûteux pour favoriser le reclassement des personnes licenciées, en créant des emplois souvent artificiels, alors qu’il aurait été préférable de financer des études fiables sur la manière d’équilibrer créations et suppressions d’emplois quand il était encore temps.

Partout dans le monde, de nombreux postes à faible qualification technique sont remplacés par des postes exigeant des qualifications techniques élevées. Les personnes peu qualifiées sont licenciées. D’autres suivent une formation professionnelle complémentaire, parfois auto-financée et prise sur leur temps libre, et cette formation professionnelle ne garantit pas pour autant le réemploi.

Directeur de AT&T, géant des télécommunications aux Etats-Unis, Walter Durling insiste sur le fait que les nouvelles technologies ne changeront pas fondamentalement la situation des salariés au sein de l'entreprise. L’invention du film n’a pas tué le théâtre et celle de la télévision n’a pas fait disparaître le cinéma. Les entreprises devraient créer des emplois liés aux nouvelles technologies et les proposer à ceux qui sont obligés de quitter d’autres postes devenus obsolètes. Des arguments bien théoriques alors que le problème est plutôt celui du pourcentage. Combien de créations de postes pour combien de licenciements ?

De leur côté, les syndicats préconisent la création d’emplois par l’investissement, l’innovation, la formation professionnelle aux nouvelles technologies, la reconversion des travailleurs dont les emplois sont supprimés, des conditions équitables pour les contrats et les conventions collectives, la défense du droit d’auteur, une meilleure protection des travailleurs dans le secteur artistique et enfin la défense des télétravailleurs en tant que travailleurs à part entière.

Malgré tous les efforts des syndicats, la situation deviendra-elle aussi dramatique que celle décrite dans une note du rapport de ce colloque, demandant si « les individus

seront forcés de lutter pour survivre dans une jungle électronique avec les mécanismes de survie qui ont été mis au point au cours des précédentes décennies ? »

A ceci s’ajoutent la sous-traitance et la délocalisation. Pour la numérisation de catalogues par exemple, certaines bibliothèques font appel à des sociétés employant un personnel temporaire avec de bas salaires et la rapidité pour seul critère, quand les fichiers papier ne sont pas tout simplement envoyés en Asie et les informations saisies par des opérateurs ne connaissant pas la langue et faisant l’impasse sur les accents. Certains catalogues sont ensuite passés au crible et vérifiés sinon corrigés, d’autres non. La distinction traditionnelle entre maison d’édition, éditeur de presse, librairie, bibliothèque, etc., sera-t-elle encore de mise dans quelques années ? Le développement de l’édition électronique amène des changements substantiels dans les relations entre les auteurs, les éditeurs et les lecteurs. Les catégories professionnelles forgées au fil des siècles - éditeurs, journalistes, bibliothécaires, etc. - s'adapteront-elles à la convergence multimédia, comme c’est le cas avec les premiers cyberéditeurs, cyberjournalistes, cyberthécaires, etc., ou bien toutes ces activités seront-elles progressivement restructurées pour donner naissance à de nouveaux métiers ?

L’internet offre aussi de réels avantages en matière d’emploi, notamment la possibilité de chercher du travail en ligne et de recruter du personnel par le même biais. Changer d’emploi devient plus facile, tout comme le télétravail. Créatrice du site littéraire Zazieweb, Isabelle Aveline raconte en juin 1998 : « Grâce à internet les choses sont plus souples, on peut très facilement passer d’une société à une autre (la concurrence !), le télétravail pointe le bout de son nez (en France c’est encore un peu tabou...), il n’y a plus forcément de grande séparation entre espace pro et personnel. »

Claire Le Parco, de la société Webnet, qui gère le site Poésie française, précise à la même date : « En matière de recrutement, internet a changé radicalement notre façon de travailler, puisque nous passons maintenant toutes nos offres d’emploi (gratuitement) dans le newsgroup "emploi". Nous utilisons un intranet pour échanger nombre d’informations internes à l’entreprise : formulaires de gestion courante, archivage des documents émis, suivi des déplacements, etc. La demande des entreprises est très forte, et je crois que nous avons de beaux jours devant nous ! »

Rédacteur et webmestre du Biblio On Line, un portail destiné aux bibliothèques, Jean- Baptiste Rey relate en juin 1998 : « Personnellement internet a complètement modifié ma vie professionnelle puisque je suis devenu webmestre de site internet et responsable du secteur nouvelles technologies d’une entreprise informatique parisienne (Quick Soft Ingénierie, ndlr). Il semble que l’essor d’internet en France commence (enfin) et que les demandes tant en matière d’informations, de formations que de réalisations soient en grande augmentation. »

Fabrice Lhomme, webmestre d’Une Autre Terre, site consacré à la science-fiction, raconte à la même date : « Une Autre Terre est un serveur personnel hébergé gratuitement par la société dans laquelle je travaille. Je l’ai créé uniquement par passion pour la SF et non dans un but professionnel même si son audience peut laisser envisager des débouchés dans ce sens. Par contre internet a bel et bien changé ma vie

professionnelle. Après une expérience de responsable de service informatique, j’ai connu le chômage et j’ai eu plusieurs expériences dans le commercial. Le poste le plus proche de mon domaine d’activité que j’ai pu trouver était vendeur en micro- informatique en grande surface. Je dois préciser quand même que je suis attaché à ma région (la Bretagne, ndlr) et que je refusais de m’"expatrier". Jusqu’au jour donc où j’ai trouvé le poste que j’occupe depuis deux ans. S’il n’y avait pas eu internet, je travaillerais peut-être encore en grande surface. Actuellement, l’essentiel de mon activité tourne autour d’internet (réalisation de serveurs web, intranet/extranet,...) mais ne se limite pas à cela. Je suis technicien informatique au sens large du terme puisque je m’occupe aussi de maintenance, d’installation de matériel, de réseaux, d’audits, de formations, de programmation... (...) J’ai trouvé dans internet un domaine de travail très attrayant et j’espère fortement continuer dans ce segment de marché. La société dans laquelle je travaille est une petite société en cours de développement. Pour l’instant je suis seul à la technique (ce qui explique mes nombreuses casquettes) mais nous devrions à moyen terme embaucher d’autres personnes qui seront sous ma responsabilité. »

Des professionnels du livre décident de rejoindre des sociétés informatiques ou alors de se spécialiser au sein de la structure dans laquelle ils travaillent, en devenant par exemple les webmestres de leur librairie, de leur maison d’édition ou de leur bibliothèque. Malgré cela, de nombreux postes disparaissent avec l’introduction des nouvelles technologies. Ces salariés peuvent-ils vraiment tous se recycler grâce à des formations professionnelles adaptées ?

A ceci s’ajoutent les contrats précaires et les salaires au rabais. Pour ne prendre que l’exemple le plus connu, en 2000, cinq ans après son lancement, la librairie en ligne Amazon ne fait plus seulement la Une pour son modèle économique mais aussi pour les conditions de travail de son personnel. Malgré la discrétion d’Amazon sur le sujet et les courriers internes adressés aux salariés sur l’inutilité des syndicats au sein de l’entreprise, les problèmes commencent à filtrer. Ils attirent l’attention de l’organisation internationale Prewitt Organizing Fund et du syndicat français SUD PTT Loire Atlantique (SUD signifiant : solidaires unitaires démocratiques, et PTT signifiant : poste, télégraphe et téléphone). En novembre 2000, ces deux organisations débutent une action de sensibilisation commune auprès du personnel d’Amazon France pour les inciter à demander de meilleures conditions de travail et des salaires plus élevés. Des représentants des deux organisations rencontrent une cinquantaine de salariés du centre de distribution de Boigny-sur-Bionne, situé dans la banlieue d’Orléans, au sud de Paris. Dans le communiqué qui suit cette rencontre, SUD PTT dénonce chez Amazon France « des conditions de travail dégradées, la flexibilité des horaires, le recours aux contrats précaires dans les périodes de flux, des salaires au rabais, et des garanties sociales minimales ». Le Prewitt Organizing Fund mène ensuite une action similaire dans les deux autres filiales européennes d’Amazon, en Allemagne et au Royaume-Uni.

Les problèmes auxquels la nouvelle économie est confrontée dans les années 2000 n’arrangent rien. On assiste à l’effondrement des valeurs internet en bourse. Les recettes publicitaires sont moins importantes que prévu, alors qu’elles représentent souvent la principale source de revenus. Dans tous les secteurs, y compris l’industrie du livre, le ralentissement de l’économie entraîne la fermeture d’entreprises ou bien le licenciement

d’une partie de leur personnel. C’est le cas par exemple de Britannica.com en 2000, d’Amazon.com et BOL.fr en 2001, de Cytale, Vivendi et Bertelsmann en 2002, et enfin de Gemstar et 00h00 en 2003.

En novembre 2000, la société Britannica.com, qui gère la version web de l’Encyclopædia Britannica, annonce sa restructuration dans l’optique d’une meilleure rentabilité. 25% du personnel est licencié, soit 75 personnes. L’équipe de la version imprimée n’est pas affectée.

En janvier 2001, la librairie Amazon.com, qui emploie 1 800 personnes en Europe, annonce une réduction de 15% de ses effectifs et la restructuration du service clientèle européen, qui était basé à La Haye (Pays-Bas). Les 240 personnes qu’emploie ce service sont transférées dans les centres de Slough (Royaume-Uni) et Regensberg (Allemagne). Aux Etats-Unis, dans la maison-mère, suite à un quatrième trimestre 2000 déficitaire, les effectifs sont eux aussi réduits de 15%, ce qui entraîne 1 300 licenciements.

En juillet 2001, après deux ans d’activité, la librairie en ligne française BOL.fr ferme définitivement ses portes. Créée par deux géants des médias, l’allemand Bertelsmann et le français Vivendi, BOL.fr faisait partie du réseau de librairies BOL.com (BOL : Bertelsmann on line).

En avril 2002, la société française Cytale, qui avait lancé en janvier 2001 le Cybook, une tablette électronique de lecture, doit se déclarer en cessation de paiement, suite à des ventes très inférieures aux pronostics. L’administrateur ne parvenant pas à trouver un repreneur, Cytale est mis en liquidation judiciaire en juillet 2002 et cesse ses activités.

En juillet 2002, la démission forcée de Jean-Marie Messier, PDG de Vivendi Universal, une multinationale basée à Paris et à New York, marque l’arrêt des activités fortement déficitaires de Vivendi liées à l’internet et au multimédia, et la restructuration de la société vers des activités plus traditionnelles.

En août 2002, la multinationale allemande Bertelsmann décide de mettre un frein à ses activités internet et multimédias afin de réduire son endettement. Bertelsmann se recentre lui aussi sur le développement de ses activités traditionnelles, notamment sa maison d’édition Random House et l’opérateur européen de télévision RTL.

En juin 2003, Gemstar, une société américaine spécialisée dans les produits et services numériques pour les médias, décide de cesser son activité eBook, à savoir la vente de ses tablettes de lecture Gemstar eBook, puis celle des livres numériques le mois suivant. Cette cessation d’activité sonne également le glas de 00h00, pionnier de l’édition en ligne commerciale, fondé à Paris en mai 1998 et racheté par Gemstar en septembre 2000.

Toutefois, pendant la même période, les ventes d’assistants personnels (PDA) sont en forte progression, tout comme le nombre de livres numériques disponibles pour PDA. Un beau démenti au scepticisme de certains professionnels du livre qui jugent leur écran

beaucoup trop petit et voient mal l’activité noble qu’est la lecture voisiner avec l’utilisation d’un agenda, d’un dictaphone ou d’un lecteur de MP3.