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CHAPITRE V DISCUSSION

5.1 Les contributions théoriques

5.1.1 Perception de la représentativité de l’outil NAS

Selon la recension de littérature précédemment citée, l’expérience des infirmières lors de l’utilisation d’outils de quantification de charge de travail ne semble pas avoir été explorée. De plus, aucune étude portant sur l’utilisation du NAS spécifiquement ne semble s’être intéressée à ses retombées potentielles ainsi qu’à la pertinence de son utilisation. Un de nos objectifs de recherche était de valider la perception de la représentativité de l’outil NAS par les infirmières. En se basant sur le volet quantitatif, nous pouvons conclure que le score généré est majoritairement perçu comme étant représentatif de la charge de travail des infirmières. En ce qui a trait à ce qui influence cette perception de représentativité du score généré, le modèle développé dans le cadre de l’étude n’était pas concluant. Les seuls facteurs significatifs, mais faibles, ont été identifiés comme étant le sexe, l’âge ainsi que le nombre de patients assignés. Cela laisse donc présager qu’il y a autre chose que les facteurs sociodémographiques qui influence la perception de représentativité de que le volet quantitatif n’a pas pu identifier. Heureusement, le volet qualitatif a su voir plus loin au niveau des facteurs influençant la représentativité de l’outil NAS. En ce qui a trait aux données sociodémographiques, le volet qualitatif n’a pas pu permettre de déterminer si le sexe, l’âge ou le nombre de patients affectait la perception de la représentativité de l’outil NAS.

Par contre, nous observé que la représentativité de l’outil au niveau de sa composition a été évoquée à plusieurs reprises. Bien que l’outil et sa composition semble majoritairement être perçu comme étant représentatif des tâches entreprises par les infirmières sur une base quotidienne, beaucoup de participants ont fait constat du fait

que la totalité de la charge de travail des infirmières ne puisse pas être reflétée par un outil en raison de la nature même du travail d’une infirmière. Cela va du même sens que ce que Ross et al. (2019) ont identifié dans leur étude sur la charge de travail, soulignant que le contenu de la charge de travail n’est souvent pas pris en considération. Ross et al. (2019) ont identifié neuf thèmes récurrents chez les infirmières au niveau du contenu dit « invisible » de leur charge de travail. Ce qui ressort de cette étude est que les procédures visant à minimiser les risques, notamment au niveau de la sécurité des patients, imposées par l’organisation et n’étant pas considérées comme étant des soins directement attribuables à ces derniers, ne sont souvent pas prises en considération dans les méthodes et les outils de quantification de charge de travail (Ross et al., 2019). Cela fait donc en sorte que les charges de travail calculées sont souvent conséquemment erronées, et que les infirmières finissent par faire face à une surcharge de travail liée à un manque de temps et à une mauvaise attribution des ressources (Ross et al., 2019). Le tout supporte également les constats de l’étude de Morris et al. (2007) qui laisse supposer un manque de consensus au niveau de la définition du travail des infirmières et des tâches qui le composent.

Outre la composition de l’outil, ce sont les facteurs influençant le score et donc sa représentativité qui ont été les plus fréquemment mentionnés par les participants. Le plus gros constat observé au sein de la présente étude est le niveau important de subjectivité associé à l’utilisation de l’outil, tant au niveau de l’expérience et de l’âge de la personne qui en fait l’utilisation que des circonstances dans lesquelles il est utilisé. Somme toute, l’outil au niveau de sa composition semble être représentatif; d’un autre côté, les scores générés ne le sont pas toujours. La difficulté à comprendre l’outil et ses composantes, ou de tout simplement les percevoir, a été évoquée. Cela pourrait donc potentiellement représenter une problématique et un défi de taille pour les unités où le taux de roulement est élevé en ce qui a trait à la maîtrise de l’outil. Visiblement, les

efforts nécessaires ainsi que déployés pour assurer la compréhension de l’outil risquent d’être plus élevés que les bienfaits en ressortant, ce qui fait en sorte que l’utilisation de l’outil est questionnable.

Le volet qualitatif a permis de comprendre les raisons pour lesquelles les participants considèrent l’outil ainsi que les scores générés par ce dernier comme étant représentatifs ou non-représentatifs, ce que le volet quantitatif n’a pas permis de faire. Somme toute, il est raisonnable de conclure que l’outil NAS est dans son ensemble représentatif de la charge de travail des infirmières. Les participants ayant identifié la charge de travail comme étant représentative selon l’outil NAS à environ 70-80%, cela concorde grossièrement avec les résultats obtenus par Miranda (2003), qui affirment que 81 % du temps de travail des infirmières était explicable par l’outil NAS. Par contre, les résultats générés au moyen de son utilisation ne le sont pas toujours. Basé sur les entretiens et les résultats quantitatifs recueillis et analysés, il serait raisonnable pour les USI d’utiliser l’outil NAS pour quantifier la charge de travail des infirmières et ainsi assigner les ratios patients-infirmières. Toutefois, il faut faire preuve de jugement puisque tel qu’évoqué lors des entretiens, il y a un bon nombre de situations où le score généré n’était pas représentatif de la charge de travail ; de ce fait, si l’on se basait uniquement sur ces scores, le ratio ne serait pas approprié et il en résulterait un manque d’effectifs sur l’unité. Comme évoqué précédemment, un ratio respecté et adéquat est à prioriser puisqu’il est associé à une plus grande satisfaction au travail, à un moins grand nombre de cas d’épuisement professionnel ainsi qu’à une meilleure qualité des soins prodigués aux patients (Aiken et al., 2010).

5.1.2 Les retombées liées à l’utilisation de l’outil NAS

Plusieurs retombées liées à l’utilisation de l’outil NAS ont été identifiées par les participants. Nous avons été surpris de constater le nombre élevé de participants qui

ont fait mention des craintes ressenties quant à l’utilisation réelle de l’outil NAS comme outil de quantification de charge de travail. Tel qu’évoqué par Twigg et McCullough (2014), l’environnement de travail a une influence sur l’intention de rester ou de quitter d’une infirmière. Il en est de même pour le climat organisationnel (Stone et al., 2007). Ce qui est ressorti de la présente étude est qu’un manque de communication et de clarification sur l’intention réelle associée à l’utilisation d’un outil de quantification de charge de travail peut venir affecter négativement le climat organisationnel et l’environnement de travail. Bien que la relation n’ait pu être directement observée, le fait que plusieurs participants ont dit craindre des coupures éventuelles au niveau de l’effectif infirmier depuis l’utilisation de l’outil NAS est à considérer. La résistance au changement a également été évoquée par plusieurs participants plus âgés, ou à propos de leurs collègues infirmiers plus âgés.

Au niveau de l’utilité dans le cadre d’une initiative de réajustement de la charge des soins prodigués dans une USI, ce qui est ressorti de la présente étude est qu’il serait raisonnable d’utiliser l’outil NAS de manière complémentaire, mais non pas comme outil primaire. La raison qui a été donnée de manière unanime est le fait que le jumelage de patients constitue une tâche subjective qui est exposée à des changements constants en lien avec la condition du patient et des tâches à effectuer. Cette constatation rappelle également les concepts de travail prescrit et réel évoqués dans le premier chapitre du présent mémoire (Dejours, 2010 ; Dujarier, 2015 ; Gomez, 2013), soulignant la variabilité souvent observée entre le travail qui est prévu et le travail qui est au final effectué. Cette variabilité n’est pas captée par l’outil NAS, ce qui fait en sorte que son utilisation seule pour le jumelage de patients ne serait pas appropriée. Les procédures connues à venir ne sont pas captées par l’outil, et constituent un élément important à considérer lors du jumelage de patients, notamment. Ces résultats ont été obtenus presqu’unanimement, tant de la part des membres de l’équipe de leadership que des

infirmières ayant directement complété l’outil NAS. Les résultats issus de nos entretiens viennent partiellement contredire certaines études quantitatives qui ont été menées au sujet de l’outil NAS, quoi qu’elles ne soient pas nombreuses. Les études de Ducci et Padilha (2008) et de Marques et al. (2013) ont conclu en comparant les scores NAS associés à la complétion de l’outil de manière prospective ainsi que rétrospective qu’aucune différence ne pouvait être notée, concluant ainsi que l’outil pouvait être utilisé de manière prospective afin de planifier l’effectif infirmier requis.

Outre les résultats obtenus étant liés directement aux soucis de performance associés à l’utilisation de l’outil NAS, ce qui a pu ressortir de cette étude sont les effets pervers associés aux outils de quantification de charge de travail, et par conséquent aux outils de gestion en général. Tel que mentionné précédemment, l’adoption de l’outil sur l’unité en question ne s’est pas faite sans résistance et sans impact résiduel sur celle-ci. La crainte qui s’est dite instaurée sur l’unité ainsi que les modifications de scores générés par l’outil qui nous ont été avouées témoignent d’une possible dérive associée à l’utilisation d’outils de quantification de charge de travail. Notamment, tel que mentionné dans les résultats, plusieurs participants nous ont fait part de préoccupations par rapport à la réelle utilité de l’outil étant donné que ce n’était pas la première fois qu’un outil administratif fut adopté sur l’unité. Une introduction répétée d’outils de gestion peut représenter une problématique pour les employés, tel qu’évoqué par De Vaujany (2006) : « l’arrivée récurrente de nouveaux objets ou outils peut faire perdre de sa cohérence au dispositif quand il existe du point de vue des acteurs » (De Vaujany, 2006, p.114).

Bien que les études explorant le phénomène au niveau des soins de santé se font rares, certaines études témoignent des effets paradoxaux associés aux outils de gestion, en s’attardant à ces effets plutôt qu’en étudiant simplement l’efficacité et la performance des outils (Aggeri et Labatut, 2010). Tel qu’évoqué par Grimand (2012) en lien avec

l’appropriation d’outils de gestion, la question se pose à savoir s’il est légitime de considérer « un outil de gestion comme étant efficace s’il n’est pas reconnu simultanément comme légitime ou faisant sens pour les acteurs » (Grimand, 2012, p.245). Conséquemment, la question se pose à savoir si les bienfaits associés à leur déploiement compensent pour les effets pervers observés, surtout dans un contexte aussi humain qu’un établissement de santé.

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