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L’objectif de travail est de proposer une analyse de l’impact de la politique de S&T menée par la Région Aquitaine, de l’amont vers l’aval, c'est-à-dire sur les dimensions scientifiques, technologiques et industrielles/emplois. Ainsi, ce travail propose de mobiliser plusieurs méthodes afin d’appréhender les effets de la politique S&T menée par la Région Aquitaine depuis le début des années 2000. S’il est difficile d’isoler le lien entre l’investissement et les performances globales du territoire (Rodriguez-Pose et Crescenzi, 2012), l’objectif est de s’en rapprocher. En effet, la politique régionale est un maillon dans la chaîne de l’innovation, de la croissance et de l’emploi. Par ailleurs, les performances observées dépendent d’une multitude de phénomènes : structure industrielle, dynamique entrepreneuriale, conjoncture nationale et internationale ; sans oublier le nécessaire décalage temporel entre la mise en place d’une politique structurelle de l’innovation et ses effets à long terme sur une économie.

1. Vers un nécessaire besoin d’évaluation des politiques de S&T ?

L’évaluation des politiques publiques n’est pas une démarche nouvelle au niveau central puisqu’elle s’est introduite dans la vie publique depuis près de soixante ans. En revanche, son utilisation au niveau local est bien plus récente et est plus due à la montée en compétences des territoires sur les dimensions économiques et sociales (Le Lidec, 2005 ; Matyjazik, 2010).

En Aquitaine, les pratiques évaluatives apparaissent dès le début des années 2000 mais la formalisation du cadre de l’évaluation des politiques publiques menées est arrivée bien plus tardivement, en 2013. Cela explique d’ailleurs en partir pourquoi ce travail ne s’inscrit pas complètement dans le protocole de l’évaluation exposé. La politique en faveur de la S&T ayant été lancée il y a plus de 15 ans, elle n’a pas bénéficié de cadre analytique clair. C’est pourquoi il

est nécessaire de reconstituer la chaîne entière de l’évaluation. Il s’agit donc du principal enjeu mais aussi de la difficulté la plus grande de ce travail : il est en effet nécessaire de reconstruire tout un processus d’évaluation alors même que la politique est en cours de réalisation. Par ailleurs, il existe également un problème lié à la temporalité d’une action en faveur de la S&T, en particulier les actions structurelles, qui demandent du temps pour avoir des impacts visibles.

Ainsi, il s’agit, dans un premier temps, de formaliser la mise en place de la politique S&T de la Région Aquitaine, afin d’avoir un point de vue global sur l’action régionale. Beaucoup de documents de cadrage politique évoquent cette dernière, mais aucun ne retrace l’histoire en tant que telle, en cherchant à mettre en valeur les différentes phases et trouver les points importants, ni même les montants réellement investis par la Région. Ce travail de thèse a donc pour objectif de « théoriser »29 la politique de S&T mise en place par le Conseil régional d’Aquitaine. Pour cela, il s’agit de fixer le périmètre de la politique régionale d’innovation, de la contextualiser avant d’expliciter ses objectifs et son évolution. De plus, il est question d’aborder les moyens mis en œuvre dans le cadre de cette politique d’innovation.

Dans un second temps, il s’agit d’interroger l’existence du lien entre l’innovation et le territoire. Nous cherchons également à confronter la pertinence du niveau régional pour la mise en place des politiques de S&T. En effet, les politiques régionales sont mises en place sur l’hypothèse que l’innovation des firmes locales implique du développement local. C’est d’ailleurs bien sur cette hypothèse que repose la politique menée par la Région Aquitaine, et plus particulièrement la politique en faveur de la S&T. Si le raisonnement peut sembler logique, une telle hypothèse fonctionne uniquement dans le cadre de la théorie de la croissance endogène. Or, tous les systèmes économiques sont ouverts, et plus particulièrement les économies régionales, si bien que le lien entre innovation locale et croissance locale est complexe (Shearmur, 2011).

L’autre question fondamentale est celle de l’évaluation des politiques publiques. La démarche évaluative est devenue un outil indispensable de la politique publique, plus particulièrement de la politique d’innovation (Le Lidec, 2005). Cela est essentiellement dû à l’horizon temporel des impacts, au-delà du court terme. Alors que la culture de l’évaluation s’est développée et

institutionnalisée depuis les années 1970 au niveau national, elle a pris une place importance au sein des Régions que tardivement, plus particulièrement sur les questions des politiques en faveur de la S&T. Plusieurs raisons expliquent cela (Boekholt, 2003) :

- la collecte ainsi que la disponibilité des données, condition nécessaire de la démarche évaluative, n’est pas toujours optimale dans la plupart des Régions ;

- les mécanismes de contrôle et de gestion ne sont souvent pas bien développés, ni même intégrés en amont de la mise en place des politiques publiques ;

- les programmes et mesures mises en œuvre au niveau régional concernent de nombreux acteurs différent et comptent des objectifs différents30.

2. Une méthode d’évaluation comme fil conducteur de la thèse

Après avoir mis en œuvre une politique S&T volontariste depuis près de 15 ans, la Région Aquitaine se retrouve confrontée à la question traditionnelle de l’efficacité de son action et veut avoir à disposition une analyse complète de la situation afin de savoir si son intervention trouve un retour sur investissement, notamment en termes de développement économique et social. Cela apparaît d’autant plus important que les Régions européennes sont dans une situation de concurrence croissante. L’enjeu de ce travail est donc de proposer une méthode afin de répondre à cette question en mettant en place, au niveau régional, un protocole d’évaluation de politiques en faveur de la S&T.

Le développement de ce travail de thèse suit donc le raisonnement lié au protocole de l’évaluation. Pour cela, nous développons quatre chapitres.

Le premier chapitre répond à la première étape de l’évaluation, à savoir la formalisation des objectifs de la politique en faveur de la S&T par la Région Aquitaine. Afin de savoir ce qu’il faut

30 Plus particulièrement lorsque l’innovation constitue un nouvel élément de la politique régionale, c'est-à-dire

lorsque l’innovation n’est pas encore intégrée à l’action globale de l’institution dans son action en faveur du développement économique. Il s’agit alors de mettre en place une action avec une capacité financière parfois limitée.

ou plutôt ce qu’il est possible d’évaluer, il est nécessaire de formaliser ce que cherche à mettre en œuvre la politique. Cela est d’autant plus important que les objectifs de la politique en faveur de la S&T n’ont pas systématiquement été formalisés. C’est pourquoi la politique en faveur de la S&T mise en place par la Région fait l’objet d’un travail approfondi. Pour cela, nous en abordons dans un premier temps le périmètre, ses objectifs et son évolution. Nous analysons ensuite les moyens mis en œuvre, à travers une analyse des masses financières investies par la Région Aquitaine au cours de la période analysée.

La troisième étape - la question de recherche qui sous-tend l’évaluation - fait l’objet d’un travail théorique dans la seconde partie de ce chapitre. Il s’agit d’interroger la pertinence de l’échelon régional dans la mise en œuvre de politiques publiques, et notamment en termes de légitimité et d’efficacité. Ainsi, nous tentons de montrer l’existence du lien entre l’innovation et les territoires. Il s’agit plus particulièrement de se saisir de l’objet d’étude de ce travail de thèse, à savoir la politique S&T menée par la Région Aquitaine. Pour cela, nous développons la littérature afférente aux retombées territoriales de l’innovation, des systèmes d’innovation et celle de l’école de la proximité.

Les étapes suivantes sont abordées dans les chapitre deux, trois et quatre. Il s’agit, au cours de ces derniers, de développer une approche différente de l’évaluation. En effet, la politique en faveur de la S&T mise en place par la Région Aquitaine permet plusieurs approches en termes de méthode d’évaluation, notamment empiriques et économétriques mais aussi basée sur « la théorie ». Cela implique de fait une identification ainsi qu’une sélection des données qui diffère.

Le second chapitre se caractérise par une approche régionale des performances à l’innovation. Il s’agit plus particulièrement d’adopter une analyse comparative des régions françaises sur quatre dimensions liées à l’innovation : la science, la technologie, l’industrie et la formation/éducation. L’enjeu principal est de mettre en place des profils régionaux de l’innovation. L’étude de l’articulation de ces quatre composantes vise à identifier une typologie des régions innovantes au plan national. Il s’agit de mettre l’ensemble de ces dimensions au regard des performances économiques des régions ainsi que de l’investissement de ces dernières en faveur de l’innovation.

Nous cherchons, à travers cette analyse, à isoler et cerner au mieux les effets de la politique S&T sur les différentes dimensions analysées ainsi que sur les performances globales des régions.

Dans le troisième chapitre, nous développons une approche microéconomique de l’évaluation d’un dispositif particulier utilisé par la Région Aquitaine : le soutien à la R&D en faveur des PME. Cette étude a pour but l’analyse des effets de la politique publique en faveur de l’innovation des entreprises, plus particulièrement des PME. Ainsi, nous cherchons à savoir dans quelle mesure le financement public stimule les activités de R&D des entreprises. Il s’agit alors, en premier lieu, de montrer pourquoi et comment les PME sont arrivées au cœur de la problématique de la politique d’innovation en France. Ensuite, nous développons une première analyse comparative, sous forme de parallèle entre intensité d’intervention des collectivités régionales et potentiel de R&D. L’objectif est de voir si un lien entre l’intervention régionale, le comportement des entreprises et la performance des territoires se dégage. Par ailleurs, évaluer l’efficacité du dispositif d’un soutien à la R&D revient à se demander si les entreprises subventionnées auraient eu un comportement différent en matière de R&D si elles n’avaient pas reçu d’aide.

Le quatrième chapitre permet d’aborder une dernière approche de l’évaluation des impacts d’une politique régionale de S&T. Après avoir adopté deux approches complémentaires (microéconomique et régionale), il est en effet question de compléter le panorama de l’analyse d’impacts de la politique menée par la Région Aquitaine par une entrée sectorielle. Ainsi deux secteurs sont pris en considération : la chimie et les matériaux. Ce choix s’explique notamment par leur nature différente. Il s’agit en effet d’une filière industrielle pour le premier (clairement identifiée dans les nomenclatures d’activité) alors que le second est une technologie plus diffusante (qui n’est pas définit dans les nomenclatures d’activité). De plus, ces deux secteurs sont difficilement dissociables d’un point de vue politique. Il est alors question d’analyser dans un premier temps la stratégie et l’action de la Région Aquitaine en faveur de ces secteurs pour ensuite apprécier les différents impacts que cela a pu avoir sur le territoire.

Premier chapitre

La politique scientifique et

technologique de la Région Aquitaine

Un lien entre innovation et territoire

Introduction du chapitre

Ce travail d’évaluation consiste à démontrer l’existence de retombées économiques sur le territoire de la politique en faveur de la S&T menée par la Région Aquitaine. Ainsi, cela implique un double questionnement sur le lien entre les dépenses de S&T et la croissance économique au niveau territorial dans un premier temps mais aussi celle de la place du territoire et son rôle dans le processus d’innovation en second lieu.

D’un point de vue théorique, l’investissement en faveur de l’innovation impacte positivement la croissance. En effet, certains travaux, en particulier ceux sur la croissance endogène (Romer, 1994), montrent que des investissements accrus en faveur de la S&T favorisent le nombre d'inventions, qui, une fois introduites dans la chaîne de production, deviennent des innovations et entrainent de la croissance (Crescenzi, Rodríguez-Pose, 2008). Dans les faits, « l’innovation prend forme lorsque les dotations en capital humain et physique sont localisées en un endroit particulier » (Crescenzi, Rodríguez-Pose, 2011) et cela tend à la localisation des activités et des connaissances qui sont cumulatives.

Cependant, ce lien entre l’investissement en faveur de la S&T et la croissance ne semble pas toujours direct (Crescenzi, Rodríguez-Pose, 2011) et les approches institutionnalistes insistent sur la cohérence des institutions (Amable, Petit, 2002). Au niveau du territoire, ces dernières mettent en valeur les dynamiques institutionnelles locales dans le processus d’innovation (Crevoisier, 2004 ; Camagni et Capello, 2005 ; Becattini, 1987). Chaque territoire produit un cadre spécifique dans lequel s’inscrivent les relations entre les acteurs territoriaux. Ce cadre, basé sur un ensemble de conventions locales, permet d’appréhender l’évolution des marchés et des technologies (Carrincazeaux et Gashet, 2015). Si le territoire peut apparaître de moins en moins important, du fait d’un processus d’innovation qui tend à se globaliser (Barca, McCann, 2012), il peut devenir source « d’avantage compétitif », en particulier si le contexte social permet une bonne assimilation des connaissances (Crescenzi, Rodríguez-Pose, 2011).

Ainsi, ce travail repose sur l’hypothèse qu’une action politique en faveur de l’innovation menée au niveau local peut entrainer des effets sur le territoire local, son corolaire étant que l’espace compte, notamment la région (au sens administratif). En effet, si la définition de la région ne fait pas consensus dans la littérature, nous constatons que le local compte dans l’application des politiques publiques, et plus particulièrement des politiques d’innovation (Carrincazeaux et Gashet, 2015).

Par ailleurs, l’exercice d’évaluation, très formalisé, reste le fil conducteur de ce travail. Il est donc question de montrer comment la démarche s’est introduite dans la vie publique au niveau national mais aussi au niveau régional. En effet, si elle est aujourd’hui relativement bien intégrée dans l’action publique, elle n’a pas toujours été un outil apprécié des décideurs politiques. Ainsi, après avoir rappelé les fondamentaux de l’évaluation, que ce soit au niveau national ou régional, ainsi que les méthodes sur lesquelles est fondée l’approche, ce premier chapitre suit le raisonnement logique d’une évaluation de politique publique, à savoir la formulation des objectifs de la politique publique analysée ainsi que les questions de recherche sous-jacente à l’évaluation.

L’analyse de la politique en faveur de la S&T menée par la Région Aquitaine révèle une certaine constance dans ses objectifs, à savoir permettre aux entreprises du territoire d’accéder aux connaissances produites localement. Cela est en phase avec les compétences régionales, à savoir le développement économique du territoire. Au-delà des différentes inflexions dues aux évolutions du contexte (notamment supranational), la Région Aquitaine a cherché à mettre en place un cadre cohérent afin de faciliter le lien entre science et industrie. Les masses financières montrent toutefois que l’investissement en faveur du transfert de technologie est relativement faible (en termes de proportion dans le budget), pouvant ainsi expliquer un manque de retombées sur le territoire. Par ailleurs, cela implique un certain décalage entre l’affichage politique qui met en avant depuis près d’une quinzaine d’année cet aspect de transfert de technologie. Ce premier travail de reconstitution, qui permet d’avoir un point de vue global de la politique menée depuis le début des années 2000, révèle la question de recherche sous-jacente, à savoir celle des retombées locales d’une politique en faveur de la S&T menée au niveau local, mais également celle de la pertinence de l’échelon régional dans l’élaboration et la mise en place d’une telle politique

I.

La politique S&T de la Région Aquitaine : périmètre,