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Contribution empirique : savoirs implicites et savoirs explicites

Partie 2. Modèles, outils pour comprendre l’apprentissage en situation

4.2. Savoir, connaissance

4.2.2. Contribution empirique : savoirs implicites et savoirs explicites

Dans le cadre d’une codirection de thèse sur les difficultés rencontrées par les apprenants dans l’apprentissage de l‘algorithmique (Ovono, 2018), j’ai été amené à proposer une définition pour les notions de savoirs « implicites » et de savoirs « explicites ».

Toute tâche d’apprentissage prescrite par un∙e enseignant∙e est porteuse d’un ou de plusieurs savoirs à enseigner qui, du point de vue de l’enseignant∙e, deviennent alors des savoirs que l’on peut qualifier d’explicites dans la mesure où l’enseignant∙e en a pleinement conscience puisque ces savoirs sont l’objet des séances d’enseignement mises en œuvre (savoirs à enseigner). En réalisant les tâches prescrites par son enseignant∙e, l’élève est censé élaborer, ou activer, en mémoire les connaissances associées à ce/ces savoir(s) enseigné(s). Mais, très souvent, les tâches d’apprentissage proposées par les enseignants à leurs élèves sont aussi porteuses de savoirs que l’on peut qualifier d’implicites.

Des propositions de définition d’un « savoir implicite » énoncées par Savoyant (2008), j’ai retenu l’idée du savoir d’expérience en adoptant un point de vue centré sur l’enseignant∙e. Ce savoir d’expérience fait « la différence entre débutants et expérimentés, et c’est en ce sens qu’ils contribuent à caractériser et fonder la compétence et la professionnalité des travailleurs experts » (p. 93).

Le savoir d’expérience va donc être « implicite » pour l’enseignant∙e de par son expertise du domaine. Ainsi, dans bien des situations d’enseignement où l’enseignant∙e va prescrire des tâches à ces élèves, l’enseignant∙e prendra difficilement conscience de la présence de ces savoirs implicites dans la tâche qu’il aura prescrite. Et ces savoirs n’auront pas forcément une correspondance avec des connaissances construites en mémoire de l’élève ou avec des connaissances susceptibles d’être mobilisées par le système cognitif de l’élève dans le contexte de la tâche prescrite.

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Dans le cadre de ce travail de recherche sur la problématique de l’enseignement-apprentissage de l’algorithmique à l’ENSET14 de Libreville (Gabon), une étude sur la présence des savoirs implicites liés à la tâche prescrite a été effectuée (Ovono, 2018).

A partir du constat où, effectivement, traditionnellement, l’enseignement de l’algorithmique s’appuie sur des tâches d’apprentissage qui, en fait, impose à l’apprenant deux tâches à accomplir, une tâche de résolution de problème et une tâche d’élaboration de l’algorithme correspondant à la procédure de résolution du problème, il a été mis en évidence que, dans bien des cas, si l’apprenant échoue dans la tâche prescrite, cela était dû, en fait, à un déficit de connaissances (non acquises ou non mobilisables) relatives aux savoirs implicites présents dans la tâche d’apprentissage.

Pour cela, une analyse des traces écrites de 17 étudiants de 1° année de l’ENSET de Libreville a été effectuée, suite à un test comprenant quatre tâches d’élaboration d’un algorithme. Le test s’est déroulé une semaine avant les examens de semestre. Les étudiants avaient donc suivi les différents enseignements du module algorithmique de leur formation. La durée du test a été de deux heures. Les étudiants avaient le droit de consulter leurs cours, leurs notes, et pouvaient échanger entre pairs. Une observation directe non participante a complété le recueil de données. L’analyse des quatre tâches a mis en évidence vingt-neuf savoirs/savoir-faire qui ont été qualifiés de « savoirs explicites » (comme le fait de devoir faire une déclaration de variable dans un algorithme), et quinze savoirs/savoir-faire qui ont donc été qualifiés de « savoirs implicites » (comme le fait de connaitre la notion de PGCD15).

Les résultats de cette étude montrent alors qu’une grande partie des difficultés rencontrées par les étudiants dans la réalisation des tâches prescrites étaient précisément liées au fait qu’ils ne mobilisaient que très peu les connaissances liées à ces savoirs implicites (pour le cas du PGCD, tous les étudiants testés sont en échec pour cette tâche avec, pour beaucoup, aucune proposition de solution ; et bon nombre d’étudiants ont verbalisé à haute voix « Au fait, c’est quoi déjà le PGCD ? », « Comment on calcule le PGCD ? »). Globalement, pour les quinze

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savoirs/savoir-faire qualifiés d’implicites, seulement quatre ont amenés l’ensemble des étudiants à mobiliser leurs connaissances associées à ces savoirs/savoir-faire. On peut alors supposer que la charge cognitive, imposée par la présence de ces savoirs implicites, a fortement pénalisé les étudiants pour la mise en œuvre de leurs connaissances relatives aux savoirs/savoir-faire explicites (sur les vingt-neuf savoirs/savoir-faire identifiés lors de l’analyse des tâches prescrites, seuls cinq ont amenés l’ensemble des étudiants à mobiliser leurs connaissances associées à ces savoirs/savoir-faire), ce qui a nui à la qualité de leurs productions lors du test, mais, aussi, probablement à leur apprentissage pendant les enseignements de ce module. En effet, traditionnellement, en début d’apprentissage de l’algorithmique, on propose aux apprenants des exercices souvent à base mathématiques comme, par exemple, « écrire l’algorithme qui calcule le PGCD » ou encore « écrire l’algorithme qui donne les racines d’une équation du 2° degré », on impose au système cognitif de l’élève une charge cognitive qui va limiter l’apprentissage de nouvelles connaissances, notamment celles, dans notre étude, relatives aux savoirs dits « explicites », comme le montrent les résultats (beaucoup de connaissances très peu mobilisées).

Aussi, le dispositif didactique qui a été élaboré dans le cadre de cette thèse, outre le fait de s’appuyer sur un éditeur d’algorithmes (« AlgoBox ») afin de réduire la charge cognitive imposée par la tâche d’élaboration de l’algorithme en apportant une aide au formalisme de l’écriture des algorithmes (Ovono, Hérold et Ginestié, 2014), a également proposé un apport d’informations par rapport aux savoirs implicites concernés par la tâche, au moment où l’étudiant commençait la tâche (principe du « supportive information » proposé par van Merrienboër dans son modèle « 4C/ID » de design pédagogique pour les apprentissages complexes). Les résultats montrent alors une meilleure performance, lors du posttest, du groupe d’étudiants qui a bénéficié du dispositif didactique élaboré par rapport au groupe-test (Ovono, 2018).

J’avais effectué un travail similaire, mais qui ne visait pas seulement les savoirs implicites, dans le cadre de ma codirection de thèse de Carla El Hader, thèse dont l’objet de recherche portait sur les problèmes de démonstration en géométrie dans l’environnement GeoGebra, classe de 6° de Collège au Liban.

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Nous avons alors élaboré un dispositif didactique permettant de mettre en œuvre un guidage « guidé » pour aider l’élève à mobiliser les connaissances nécessaires à la résolution d’un problème de démonstration en géométrie. Ce dispositif didactique a été construit à partir de l’analyse du fonctionnement cognitif de l’élève (connaissance non mobilisée, connaissance inadéquate mobilisée, connaissance adéquate partiellement mobilisée, connaissance adéquate mobilisée) pour des tâches de démonstration en géométrie dans un environnement papier-crayon (analyse de traces écrites), associée à une mesure de la charge cognitive (mesure subjective effectuée par le sujet par auto-évaluation de l’effort mental ressenti en faisant la tâche, technique introduite par Paas [1992]). Le dispositif didactique s’appuyait, d’une part, sur le logiciel GeoGebra pour soulager la charge cognitive liée à la construction des figures géométriques et à la mise en œuvre des raisonnements déductifs (en permettant, notamment à l’élève de développer des stratégies de type « essai-erreur »), d’autre part sur un document-élève d’aide à l’élaboration de démonstrations en géométrie qui s’appuie sur le schéma de structuration du raisonnement déductif (schéma de l’ATS16 proposé par Duval). Ce document-élève proposait un guidage du raisonnement à travers des consignes, des tâches précises à accomplir (aides à la mobilisation des connaissances procédurales adéquates à la tâche prescrite), des explicitations sémantiques sur les relations géométriques …

Les résultats montrent alors une meilleure mobilisation des connaissances adéquates pour la mise en œuvre des raisonnements déductifs, et notamment une meilleure mobilisation des connaissances procédurales. La stratégie de guidage mise en place au sein du dispositif didactique conçu a permis une charge cognitive ressentie plus faible, ce qui s’est traduit, dans l’analyse des traces écrites des élèves, par une meilleure mobilisation des connaissances procédurales adéquates pour la réalisation des tâches prescrites (El Hader, 2016).

Ce problème de la non prise en compte des savoirs implicites dans la prescription de tâches d’apprentissage s’est également présenté dans une autre de mes recherches qui consistait à analyser l’activité d’élèves de 2° Professionnelle

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Bureautique mettant en œuvre des tâches prescrites avec le progiciel Excel de Microsoft © (Hérold et Montuori, 2018 ; Hérold, 2014b).

Ainsi, pour une des tâches que les élèves avaient à faire, les élèves avaient été amenés à devoir interpréter l’écriture des nombres relationnels. En effet, dans l’environnement papier-crayon (bien plus familier aux élèves), la représentation d’un nombre relationnel (fraction) a recours à une barre horizontale (-) pour séparer numérateur et dénominateur, alors que dans l’environnement Excel, la représentation utilise une barre oblique (/). De ce fait, certains élèves ont eu des difficultés à interpréter l’aide contextuelle du progiciel lorsqu’ils ont été amenés à devoir choisir le format de représentation de la donnée dans la cellule (aide qui utilise, bien évidemment, la barre oblique), comme le montre l’extrait d’enregistrement audio d’un échange entre deux élèves : « Et ‘2/3’, ç’est quoi ? ». Ainsi, en faisant abstraction de la difficulté que certains élèves pouvaient rencontrer en étant confrontés à un système d’écriture des nombres relationnels pour lequel ils étaient peu familiers, alors qu’ils étaient très familiers avec un autre système d’écriture, le prescripteur de la tâche, par une non prise en compte de ce savoir implicite présent dans la tâche prescrite, a induit une charge cognitive extrinsèque qui, pour certains élèves, a généré, a priori, une surcharge cognitive qui les a effectivement pénalisés dans la mise en œuvre de cette tâche (Gunther, Hérold et Zarouf, 2020).

4.3. Proposition d’un modèle de la situation