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Contrairement à l’approche déterministe, Oliver (1991) développe l’idée selon laquelle les organisations ne restent pas passives face aux pressions de leur environnement, mais que

celles-ci y répondent de manière stratégique. L’auteur identifie alors cinq stratégies de

réponses aux contraintes institutionnelles : le consentement, le compromis, l’évitement, le défi

et la manipulation (cf. Tableau 6). Ces réponses dépendent de la nature des pressions

institutionnelles, des moyens de leur mise en œuvre et du lieu d’où elles sont exercées. Ainsi,

les règles institutionnelles n’appellent pas des réponses unanimes et homogènes et rendent

souvent nécessaires un comportement discrétionnaire (Huault, 2002). Depuis, les recherches

de Oliver (1991) ont servi de cadre théorique à de nombreuses études empiriques et favorisé

des prolongements théoriques (Seo et Creed, 2002 ; Thornton, 2002 ; Lawrence, 2004 ;

Washington et Zajac, 2005 ; Greenwood et Suddaby, 2006 ; Lawrence et Suddaby, 2006).

Tableau 6 : Stratégies de réponses face aux processus institutionnels (Oliver, 1991, p. 152)

Stratégies Tactiques Exemples

Consentement

S'habituer Suivre des normes invisibles, prises pour acquis. Imiter Mimer les modèles institutionnels.

Se soumettre Obéir aux règles et accepter les normes.

Compromis

Equilibrer Equilibrer les attentes de nombreux intervenants. Pacifier Apaiser les intervenants institutionnels.

Négocier Négocier avec les parties prenantes institutionnelles.

Evitement

Dissimuler Dissimuler la non-conformité. Amortir Relâcher les liens institutionnels.

Fuir Changer d'objectifs, d'activité ou de domaine.

Défi

Ignorer Négliger les normes et les valeurs explicites. Contester Désapprouver les pratiques et les exigences.

Attaquer S'en prendre aux sources de pressions institutionnelles.

Manipulation

Coopter Introduire dans le champ des entités influentes. Influencer Agir sur les valeurs et les critères.

Contrôler Dominer des éléments et des processus institutionnels.

Par ailleurs, d’autres travaux néo-institutionnalistes tentent de comprendre comment les

acteurs influencent les contextes institutionnels. Ces travaux, dont ceux de DiMaggio (1988),

ont réhabilité l’acteur stratégique à la fin des années 1980 grâce à la notion d’entrepreneur

institutionnel (Huault et Leca, 2009). Dans son article de 1988, DiMaggio introduit le concept

d’entrepreneur institutionnel lorsqu’il affirme que « de nouvelles institutions apparaissent

lorsque des acteurs organisés, détenant des ressources suffisantes (les entrepreneurs

institutionnels) y voient une opportunité de concrétiser des intérêts auxquels ils accordent de

l’importance » (p. 14). Ce concept, étant repris et approfondi par d’autres auteurs, renvoie

aujourd’hui à la capacité de certains acteurs disposant de ressources suffisantes de créer de

nouvelles institutions, de transformer ou de maintenir celles qui existent déjà de manière à

réaliser leurs intérêts (Lawrence et Suddaby, 2006 ; Hardy et Maguire, 2008). Pour Saussois

(2007), il désigne un acteur opportuniste qui sait, en utilisant les ressources à sa disposition et

éventuellement en mobilisant des réseaux déjà constitués ou en construction, faire avancer

une innovation institutionnelle dans un contexte à l’origine réticent. Cette innovation peut être

une recette institutionnelle qui s’appliquait ailleurs, dans une autre industrie, une autre

profession, une autre nation. Ainsi, un entrepreneur institutionnel peut façonner

l’environnement en sa faveur et créer des conditions structurelles pour perpétuer un avantage

concurrentiel ou une position de domination sur un marché (Ben Slimane, 2009).

Très schématiquement, les travaux de recherche sur l’entrepreneur institutionnel peuvent

s’articuler autour de trois questions centrales (ibid.). La première s’intéresse aux acteurs

pouvant agir en tant qu’entrepreneurs institutionnels. Selon la littérature, il s’agit des acteurs

capables de remettre en cause les institutions, ceux-ci sont d’ailleurs décrits comme des

« héros » (Levy et Scully, 2007 ; Hardy et Maguire, 2008). La seconde question porte sur les

conditions favorisant l’action d’un entrepreneur institutionnel. Pour certains auteurs, l’action

de ces derniers est facilitée, en situation de crise (Leblebici et al., 1991 ; Greenwood et al.,

2002) et pour d’autres, par l’existence de logiques d’organisation contradictoires (Rao, Monin

et Durand, 2003). Enfin, la dernière interrogation est axée sur les stratégies d’intervention de

l’entrepreneur institutionnel sur l’environnement. Selon la littérature, l’entrepreneur a recours

à l’utilisation stratégique du discours (Lawrence et Suddaby, 2006 ; Philips et al., 2004) mais

aussi aux objets technologiques (Levy et Scully, 2007 ; Hardy et Maguire, 2008 ; Ben

Slimane, 2009). Pour une revue de la littérature plus complète sur l’entrepreneur

institutionnel, il convient de se référer à l’article de Battilana, Boxenbaum et Leca (2008). Ces

auteurs ont recensé tous les articles portant sur le sujet de 1988 à 2008 dans les principales

revues académiques (Quairel et Ngaha, 2009).

Enfin, la question du pouvoir des acteurs est associée aux phases du processus

d’institutionnalisation. Huault et Leca (2009) montrent à ce propos que les acteurs peuvent

manipuler les institutions sauf lorsque celles-ci sont tenues pour acquises. Dans ce cas, les

institutions ne sont plus manipulables par les acteurs de manière stratégique, mais ce sont

elles qui exercent un véritable contrôle. Pour démontrer cette affirmation, Huault et Leca

(2009) associent aux trois étapes du processus d’institutionnalisation de Berger et Luckmann

(extériorisation, objectivation, intériorisation) trois dimensions du pouvoir (inspirées de

Lukes, 2005) : le pouvoir épisodique fondé sur les relations interpersonnelles en l’absence

d’institutions, la domination fondée sur les institutions qui assurent aux dominants un pouvoir

stable, et le contrôle qui correspond au respect par les acteurs des rôles que leur fixent les

institutions et donc au pouvoir de celles-ci. Pour ces auteurs, « la phase d’extériorisation

correspond à une situation d’absence d’institutions, c’est-à-dire de règles et de routines. Les

acteurs exercent un pouvoir mais qui ne repose que sur leurs seules relations épisodiques et

discrétionnaires. La phase d’objectivation correspond à l’émergence d’institutions. Celles-ci

contraignent le comportement des acteurs qui sont tenus de s’y conformer, sous peine de subir

les sanctions sociales ou légales associées à leur non-respect. Ces institutions peuvent être

utilisées par les acteurs pour assurer et stabiliser leur pouvoir. Elles servent des pratiques de

domination par lesquelles des acteurs dominants usent de ces institutions pour maintenir et

exercer leur pouvoir sur les dominés. La phase d’intériorisation correspond à l’appropriation

totale par les acteurs des institutions, c’est-à-dire à celle, lors de laquelle les acteurs n’ont plus

de réflexivité vis-à-vis des institutions. Dans cette phase, la manipulation stratégique des

institutions n’est plus possible ou ne l’est que très marginalement. Non seulement la déviance

entraînerait des sanctions pour violation de l’ordre établi, mais surtout l’acteur ne songe guère

à remettre en cause celui-ci. Ce sont les institutions qui imposent aux acteurs les

modifications des croyances et des comportements. Avec l’institutionnalisation, ce sont des

règles qui se substituent aux rapports inorganisés. Au fur et à mesure que ces règles

impersonnelles deviennent « tenues pour acquises », elles réduisent le pouvoir discrétionnaire

des acteurs jusqu’à le rendre caduque. Les auteurs suggèrent que la montée en puissance du

pouvoir des institutions marque fondamentalement le processus d’institutionnalisation »

(Huault et Leca, 2009, p. 138). Les systèmes comptables constituent l’un des meilleurs

exemples de pratiques institutionnalisées qui exercent un pouvoir sur les acteurs au sein des

entreprises. A ce propos, Scott (2003, p. 139) souligne que « les systèmes comptables sont

parmi les conventions les plus importantes connectant les systèmes de croyance

institutionnellement définis avec les activités techniques ». La question n’est plus celle des

rapports entre les acteurs mais plutôt des dispositifs institutionnalisés en place, et la façon

dont ils influencent le comportement (Huault et Leca, 2009). A ce propos, Hasselbladh et

Kallinikos (2000) nous donnent des pistes intéressantes.

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La seconde critique évoquée à l’encontre du néo-institutionnalisme concerne la question du

changement institutionnel. Contrairement au reproche qui leur est souvent adressé, les

néo-institutionnalistes n’ont pas une vision figée du monde. Pour ces derniers, les institutions

dominantes évoluent et changent dans le temps (Dacin, Goodstein et Scott, 2002) et finissent

par disparaître pour être remplacées par d’autres. Le changement institutionnel peut être

analysé comme un processus jalonné par différentes étapes allant de la

dés-institutionnalisation (Oliver, 1992) à la ré-dés-institutionnalisation. Plus précisément, Greenwood

Suddaby et Hinings (2002) nous expliquent que ce changement apparaît suite à un choc

externe (d’origine sociale, technologique ou réglementaire) et se concrétise tout d’abord par

une phase de dés-institutionnalisation avec l’apparition de nouveaux acteurs et

institutionnelles initiales. Puis, vient la phase de pré-institutionnalisation caractérisée par

l’apparition de nouveaux modes de fonctionnement, l’expérimentation de nouvelles solutions

techniques, et la défense du champ institutionnel par les acteurs en place. Ensuite,

s’enchaînent les phases de théorisation (considération des échecs institutionnels, justification

des nouvelles solutions, légitimation des nouveaux modes de fonctionnement) et de diffusion

(consensus sur le nouveau mode de fonctionnement jugé nécessaire, légitimité pragmatique).

Et enfin, le processus se termine par une étape de ré-institutionnalisation au cours de laquelle

le nouveau mode de fonctionnement devient une règle institutionnelle, et le champ retrouve sa

stabilité (Greenwood, Suddaby et Hinings, 2002).

La dialectique dés-institutionnalisation / ré-institutionnalisation constitue en quelque sorte la

réponse des néo-institutionnalistes à la question du changement institutionnel. Cette question

fait d’ailleurs l’objet de nombreuses études dans des domaines variés tels que la comptabilité

(Greenwood, Suddaby et Hinings, 2002), le budget (Berland, Levant et Joannides, 2009), le

reporting environnemental (Acquier, 2007), les pratiques de ressources humaines de non

discrimination (Edelman, Uggen et Erlanger, 1999), la technologie informatique (Garud, Jain

et Kumaraswamy, 2002), la gastronomie française (Rao, Monin et Durand, 2003), la tradition

universitaire américaine (Dacin et Dacin, 2008), etc. Désormais, l’origine des institutions, les

phénomènes d’institutionnalisation et de dés-institutionnalisation, la variété de leurs

manifestations sont autant de thèmes qui complètent l’agenda de recherche des

néo-institutionnalistes (Desreumaux, 2004).

L’homogénéité des logiques d’action est un autre aspect du courant néo-institutionnaliste qui

est remis en cause. En effet, on reproche aux premières vagues de recherche

néo-institutionnelles le peu d’attention portée aux variations dans l’adoption des structures ou des

pratiques de gestion. Depuis les travaux d’Oliver (1991) sur les stratégies de réponses des

organisations face aux pressions isomorphiques, la littérature néo-institutionnelle reconnaît

l’importance de la diversité pour les organisations (Kondra et Hinings, 1998 ; Lounsbury,

2001 ; Rao, Monin et Durand, 2003). A présent, cet aspect est pris en compte avec le concept

d’hétéromorphisme, qui se présente comme une alternative à l’isomorphisme de DiMaggio et

Powell (1983, 1991) expliquant l’homogénéité des pratiques dans un champ organisationnel.

Pour Szostak-Tapon (2006, p. 58), les institutions peuvent être considérées comme des

soutiens à la différence ou des forces hétéromorphiques : elles encouragent les organisations

d’un champ à être différentes des autres et ne doivent pas être réduites à des « cages de fer »

(Washington et Ventresca, 2004). L’hétéromorphisme peut alors désigner le processus par

lequel des institutions amènent les organisations à être différentes. L’étude de Rao, Monin et

Durand (2003) dans le domaine gastronomique français illustre cet hétéromorphisme. En

effet, ces auteurs montrent que les institutions, en l’occurrence la presse culinaire, ont critiqué

les normes de la cuisine traditionnelle et encouragé le changement culinaire par un esprit

créatif. Ainsi, les chefs de la cuisine initialement assimilés à des « renégats » (Kondra et

Hinings, 1998), c’est-à-dire ceux qui ne respectent pas les normes institutionnelles, ont été

légitimés pour leur innovation. Cet « encouragement institutionnel » (Washington et

Ventresca, 2004) perdure à travers notamment le Guide Michelin qui légitime par des étoiles

la performance créative des chefs. Ainsi, les institutions exercent une pression à la différence

(les chefs doivent proposer de nouveaux plats) qui entraîne l’hétérogénéité des organisations

dans le champ organisationnel (Szostak-Tapon, 2006). De manière générale, il apparaît dans

le courant néo-institutionnaliste que les concepts d’isomorphisme et d’hétéromorphisme sont

en fait les deux faces d’une même réalité. En effet, comme l’affirmait Szostak-Tapon (2006,

p. 56), « l’approche néo-institutionnelle considère actuellement les institutions comme des

sources d’isomorphisme (DiMaggio et Powell, 1983) mais également des soutiens aux

stratégies émergentes (Washington et Ventresca, 2004), et les acteurs du champ

organisationnel comme étant passifs face aux pressions institutionnelles, et actifs dans

l’interprétation des normes (Oliver, 1991) ».

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