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CONTRÔLE PRAGMATIQUE DE LA GÉNÉRATION 23 produit par la machine, alors les listes d’engagements sont mises à jour avec la sémantique niée

de l’énoncé provenu de la machine, et avec la sémantique de l’énoncé produit par chaque utili-sateur, éventuellement avec la sémantique de la relation rhétorique qui relie ces deux énoncés ; si, pour chaque énoncé produit par ces locuteurs-là (qui ne sont pas les destinataires de l’énoncé produit par la machine), il n’y a aucune relation rhétorique reliant cet énoncé à l’énoncé pro-venu de la machine, alors les listes d’engagements de ces locuteurs sont mises à jour en ajoutant seulement la sémantique de l’énoncé produit par chacun de ces locuteurs ; enfin, s’il n’y a aucun énoncé produit par ces locuteurs, alors leurs listes d’engagements restent non-modifiées.

En ce qui concerne le retour indirect que les destinataires de l’énoncé produit par la ma-chine pourraient produire, cela revient à une réplique que ces interlocuteurs peuvent produire, réplique à un énoncé produit par d’autres locuteurs (qui ne sont pas destinataires de l’énoncé de la machine) ; cette réplique peut être reliée, via une relation rhétorique de contradiction ou de confirmation, à l’énoncé produit par la machine ; à son tour, le retour indirect peut être, lui aussi, relié à cette réplique. Si ces relations rhétoriques sont toutes les deux du même type (soit de confirmation, soit de contradiction), alors nous avons une contradiction indirecte par rapport à l’énoncé produit par la machine. Sinon (donc, s’il y a une confirmation indirecte), alors la liste d’engagements du locuteur en question est mise à jour avec l’énoncé produit par la machine ; sinon, cette liste est mise à jour avec la sémantique niée de l’énoncé produit par la machine et, éventuellement, avec la sémantique de la relation rhétorique qui relie cette réponse à l’énoncé produit par la machine.

Suite à cette discussion, nous pouvons voir que le calcul du degré de force illocutoire d’un énoncé revient à résoudre un problème de satisfaction de contraintes où des contraintes actives et douces sur le contenu (identique) des listes d’engagements des interlocuteurs, pour chaque ensemble de tours de dialogue où la machine est impliquée, pilotent un processus de recherche qui choisit le degré de force approprié, et cela d’une manière active, car la force est calculée suite à la satisfaction des ces contraintes.

Génération des connecteurs discursifs

Dans la plupart des dialogues il y a des tours de parole qui sont composés de plusieurs énoncés. Ici, par « énoncé » nous entendons la réalisation proprement dite d’une proposition (c’est-à-dire, une affirmation, interrogation ou assertion qui contient seulement un prédicat d’ac-tion). La cohésion de ces tours de parole à plusieurs énoncés est parfois assurée via des marques de ponctuation (virgule, point-virgule, points d’interrogation et d’exclamation, etc.) ; cependant, il est souvent besoin de mots particuliers entre ces énoncés, afin que le discours résultant soit cohérent et ait une orientation argumentative [119] appropriée. Dans ce cas, nous utilisons des mots tels que mais, pourtant, bien que, quand même, etc. Ainsi, quand plusieurs formes logiques (avec leurs types d’acte de langage correspondants) sont censées être générées dans le même tour de parole, il est intéressant et utile de pouvoir choisir les mots connecteurs appropriés entre ces formes logiques.

Ainsi, nous adaptons les sémantiques moeschleriennes de ces connecteurs, au sens où nous nous appuyons sur la structure rhétorique afin de dériver leur pertinence. Nous présentons de manière informelle ci-dessous, les contraintes (dures) qui pilotent la recherche dans l’ensemble des connecteurs possibles :

1. Les connecteurs mais et quand même sont définis via un « carré argumentatif » [118] délimité par trois énoncés, dont le troisième et sa forme niée sont les conclusions des pre-miers énoncés : ainsi, mais peut être utilisé de deux manières, selon le fait que le deuxième énoncé (c’est-à-dire, celui précédé par mais) est sous forme niée ou non ; dans le premier cas, mais peut être utilisé si les deux énoncés reliés par ce mot sont ainsi que le premier est un argument (ou prémisse) pour un autre (troisième) énoncé, le deuxième énoncé est un argument pour la forme niée de la conclusion du premier énoncé, et le deuxième énoncé est argumentativement plus fort que le premier ; de l’autre côté, la deuxième utilisation de mais entre deux énoncés est possible lorsqu’il existe un troisième énoncé qui est la conclusion du premier, ainsi que sa forme niée est la conclusion du deuxième énoncé. Quand même peut être utilisé entre deux énoncés lorsqu’il existe un troisième énoncé qui résulte par défaut du premier énoncé, et le deuxième énoncé est un argument pour la forme niée de ce troisième énoncé ;

2. Les connecteurs pourtant et bien que sont définis via un « triangle causal » [118], délimité par deux énoncés : pourtant peut être utilisé entre deux énoncés tels que le premier est la cause (logique) de la forme niée du deuxième ou inversement et, néanmoins, les deux énoncés sont tous les deux contextuellement vrais (c’est-à-dire, vrais dans un contexte (dialogique) particulier). Bien que peut être utilisé dans les mêmes conditions que pour-tant, sauf qu’une contrainte supplémentaire doit être satisfaite : le temps de l’action dé-crite par l’énoncé qui précède ce connecteur doit précéder le temps de l’action dédé-crite par l’autre énoncé.

Ces contraintes sont ensuite couplées avec la structure rhétorique (qui, en fait, les déter-mine) via un ensemble de correspondances entre les opérateurs de Moeschler (tels que « ou exclusif » – entre un énoncé et sa forme niée, la relation causale entre une prémisse et une conclusion, la relation de « norme » pour des implications qui sont vraies par défaut, et la rela-tion argumentative, qui relie deux énoncés tels que le deuxième est un argument pour le premier [118]) et les relations rhétoriques. Ainsi, (i) le « ou exclusif » est mis en correspondance avec la relation rhétorique monologique Contrast, ou avec la relation dialogique de contradiction P-Corr(« Plan Correction »), (ii) la relation causale est mise en correspondance avec l’impli-cation logique classique, (iii) la relation argumentative est calculée séparément (voir ci-dessous et chapitre 8) à partir de la structure rhétorique et des listes d’engagements des locuteurs, et (iv) la relation de « norme » est mise en correspondance avec la relation rhétorique monologique plan Background, ou avec la relation dialogique de question déterminante d’arrière-plan Backgroundq.

Dans ces contraintes, les énoncés qui ne sont pas reliés par ces mots concessifs, mais jouent un rôle dans la sémantique des connecteurs, sont récupérés soit du contexte discursif (c’est-à-dire, déduits à partir de la situation de dialogue, telle qu’elle est exprimée dans les listes d’en-gagements des interlocuteurs), ou du cotexte (c’est-à-dire, s’ils sont présents en tant qu’énoncés antérieurs dans le dialogue courant). Tous les mécanismes pour piloter le choix des connecteurs concessifs appropriés lors de la génération des tours de parole sont décrits dans le chapitre 8.

Un point essentiel pour inférer l’utilisation argumentative de mais consiste à déterminer la relation d’ordonnancement argumentatif entre des paires d’énoncés ; il est donc important que, pour deux énoncés adjacents, nous puissions déterminer lequel d’entre eux est un argument plus

1.3. CONTRÔLE PRAGMATIQUE DE LA GÉNÉRATION 25 fort que l’autre, par rapport à une certaine conclusion (explicite ou implicite). Ainsi, la relation d’ordre argumentatif ne dépend pas seulement des énoncés qui sont comparés, mais aussi des conclusions potentielles que ceux-ci peuvent déterminer. Afin d’accomplir ce desideratum, nous avons formalisé, dans une logique du premier ordre, une partie plus récente de la Théorie de l’argumentation de Anscombre et Ducrot [6], [58]. Le mécanisme conçu consiste essentiellement à prendre deux énoncés en entrée et décider si ces deux énoncés peuvent être comparés (c’est-à-dire, s’il existe un énoncé tel que le premier énoncé en est un argument, et le deuxième énoncé est aussi un argument pour cet énoncé, ou pour sa forme niée), ou non et, si oui, préciser lequel des deux énoncés initiaux est argumentativement plus fort. Ainsi, l’évaluation argumentative des (paires d’)énoncés comprend les étapes suivantes :

1. pour n’importe quelle paire d’énoncés, nous cherchons les topoï non-disjoints qui ont ces énoncés comme prémisses (voir le chapitre 8) ; cela revient à chercher des paires telles que ‘Plus / moins on fait quelque chose, plus / moins on obtient quelque chose’ ; si cela est vrai, alors nous continuons avec l’étape suivante ; sinon, nous décidons que les deux énoncés ne sont pas comparables du point de vue argumentatif ;

2. on choisit la première paire rencontrée de topoï non-disjoints déterminés à l’étape pré-cédente : si les deux topoï sont soit intrinsèques (c’est-à-dire, leur valeur de vérité est déterminée par des connaissances par défaut) ou extrinsèques (c’est-à-dire, leur valeur de vérité est déterminée à partir des connaissances factuelles reliées au dialogue), alors nous regardons davantage (le cas échéant) le type des topoï intrinsèques dont il s’agit et, par conséquent, nous situons les deux énoncés par rapport à leur puissance argumentative (voir chapitre 8 pour une présentation détaillée de ce mécanisme).

Du point de vue de la satisfaction des contraintes, la structure rhétorique impose des con-traintes dures sur la sélection du connecteur ; il n’est est pas moins qu’afin de situer les énon-cés du point de vue argumentatif, nous avons besoin d’informations a posteriori, concernant les conclusions que les énoncés déterminent (ou peuvent déterminer) ; par conséquent, une ap-proche purement à base de contraintes où seulement des informations a priori disponibles soient utilisées, n’est pas applicable directement.

1.3.4 Efficacité des démarches proposées : illustration

Dans ce paragraphe nous allons considérer de manière informelle quelques exemples de dia-logues homme-machine à plusieurs locuteurs, pour illustrer l’effet du cadre proposé dans cette thèse, sur les énoncés que la machine produit en dialogue. Plus précisément, nous allons nous concentrer sur les effets que notre cadre a sur les formes de surface pour les énoncés de la ma-chine. Ainsi, considérons par exemple un dialogue entre une machine (qui joue le rôle d’une bibliothécaire virtuelle) et deux locuteurs humains, autour d’une tâche de réservation de livres dans une bibliothèque8. Tout d’abord nous présenterons le dialogue où les répliques de la ma-chine sont calculées en branchant directement la sortie du contrôleur de dialogue à l’entrée dans un générateur de surface (à base d’expressions figées) ; ensuite, nous présenterons le dialogue 8Cet exemple sera repris dans le chapitre 8 pour une discussion plus approfondie de certains aspects concernant le choix des connecteurs discursifs.

obtenu en appliquant les démarches proposées dans cette thèse. Nous notons par U(1)et U(2)les locuteurs humains (les clients de la bibliothèque), et par M, la machine.

Ainsi, si nous ne faisions qu’une mise en correspondance entre les formules logiques qui expriment les intentions communicationnelles calculées par le contrôleur de dialogue, et des fragments d’énoncés en langue naturelle, les répliques de la machine se présenteraient comme ci-dessous (les indices inférieurs indiquent la succession des tours de parole) :

U1(1): Je voudrais emprunter une tragédie ancienne. U1(2): Moi aussi, de Sophocle.

M1(en parlant aux deux clients) : Je ne peux pas vous prêter une tragédie ancienne de Sophocle ou tout autre livre dans notre bibliothèque, vous avez emprunté cinq livres dans notre bibliothèque.

U2(1): Oui, mais nous avons un examen demain, pourriez-vous faire une exception ? M2(en parlant à U(1)) : Je pourrais vous prêter une tragédie ancienne de Sophocle, vous n’avez jamais eu de retard dans la restitution des livres à la bibliothèque. M2 (en parlant à U(2)) : Je ne pourrais pas vous prêter une tragédie ancienne de Sophocle, il n’existe plus qu’un exemplaire de tragédie ancienne de Sophocle dans la bibliothèque, vous n’avez pas retourné à la bibliothèque les livres que vous avez empruntés à la bibliothèque le 13 mai 2007.

U2(2): Donc, pourrais-je lire le livre dans la bibliothèque, en consultation sur place ? Nous observons que par cette simple approche la machine produit des énoncés lourds et peu naturels, où les répétitions abondent, les anaphores sont presqu’absentes (à l’exception des pronoms personnels qui désignent les locuteurs – ceux-ci sont facilement « calculés » en mettant toujours en correspondance le destinataire d’un énoncé avec le pronom personnel ‘vous’) et les connecteurs discursifs manquent complètement.

Certains de ces problèmes pourraient être résolus strictement au niveau du générateur lin-guistique de surface, via des règles qui spécifient des faits tels que : une deuxième apparition d’un couple (objet, déterminant) dans un même énoncé peut entraîner la suppression du dé-terminant dans cette deuxième apparition. Ces démarches amèneraient la machine à avoir un comportement comme nous le montrons ci-dessous :

U1(1): Je voudrais emprunter une tragédie ancienne. U1(2): Moi aussi, de Sophocle.

M1 (en parlant aux deux clients) : Je ne peux pas vous prêter une tragédie ancienne de Sophocle ou tout autre livre dans notre bibliothèque, vous avez emprunté cinq livres.

U2(1): Oui, mais nous avons un examen demain, pourriez-vous faire une exception ? M2 (en parlant à U(1)) : Je pourrais vous prêter une tragédie, vous n’avez jamais eu de retard dans la restitution des livres à la bibliothèque.

M2 (en parlant à U(2)) : Je ne pourrais pas vous prêter une tragédie, il n’existe plus qu’un exemplaire de tragédie, vous n’avez pas retourné à la bibliothèque les livres que vous avez empruntés le 13 mai 2007.

1.4. DISCUSSION 27