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Le contrôle de l’image au cœur de la mise en scène

Pour les influenceurs (et les personnalités publiques), l’un des facteurs les plus importants de la mise en scène de soi par la photographie sur Instagram est, bien entendu, le contrôle de l’image. Les téléphones intelligents, maintenant équipés d’appareils photo haute performance, leur ont permis de développer la photographie (et la vidéo) amateur (d’où l’importance du choix des images et de leurs manipulations esthétique), de créer du contenu original et de le faire partager sur Instagram. Ces derniers veulent a priori communiquer une image d’eux-mêmes qui leur plait et plait à leur communauté, avec généralement le souci de ne jamais vraiment perdre la face. Ils se doivent ainsi de rester fidèles à leur rôle, en s’assurant de ne pas commettre de fautes, à défaut d’être alors confrontés par les internautes. On constate, notamment, sur la page de Camille Dg, que

l’on accorde une grande place au sentiment de bonheur. Notre recherche nous a donc permis de voir que Camille Dg jongle avec ce genre d’enjeu tous les jours.

5.3.1 L’omniprésence du bonheur à l’écran

Les réseaux sociaux, dont fait partie Instagram, ont dramatiquement changé nos manières d’interagir entre nous (Verduyn & al., 2017). Suite à l’analyse du profil de Camille Dg, force est d’admettre que le bonheur prend une très grande place dans son utilisation de la photographie, jusqu’à donner l’impression que sa vie est beaucoup plus passionnante que la nôtre. La question de la mise en scène du bonheur sur sa page instagram semble ainsi omniprésente. La vie que l’on fait partager sur Instagram est cependant parfois bien loin d’être celle que l’on vit (vidéo 7 et 8). Le phénomène a pris tellement d’ampleur qu’on s’est même amusé à le nommer : Are you Insta life or Insta lie? Ce phénomène en dit long sur notre société, mais qu’en est-il chez les influenceurs? Ont-ils réellement une

Insta life parfaite? Selon Camille Dg, il semblerait que oui, si on se fie, en tout cas, à ses

propos lors de la deuxième entrevue : « (…) c’est pas parce que je ne veux pas partager des affaires tristes, c’est que ma vie, en général, va bien ».

Comme nous l’avons vu avec l’épisode de la prise de sang à l’hôpital, Camille Dg décide parfois de dévoiler une situation qui n’est pas dans « l’angle Camille Dg », c’est-à- dire qui n’est pas en cohérence avec son contenu « léché » auquel est habitué sa communauté. Elle nous a mentionné, lors de la deuxième entrevue, qu’elle avait eu une réflexion à savoir si oui ou non elle allait publier ce contenu, car « ce n’était pas quelque chose de positif ». Cette hésitation démontre qu’elle prendre soin de son image et qu’elle ne veut pas, en général, faire partager de contenu négatif sur elle. Elle a finalement décidé d’afficher ce contenu en story (présent sur sa page pour seulement 24 heures), et elle s’est

déclarée émue par la réponse de sa communauté. Elle a senti une sorte de ralliement autour de son drame.

Évidemment, si l’on regarde son mur de publications, qui est très léché, on note qu’il n’y a aucune photographie qui renvoie à cet événement. Elle a donc utilisé un espace qui lui a permis de faire partager ce contenu sans nécessairement affecter son image à long terme, et ainsi maintenir une certaine cohérence de son image et de sa mise en scène de soi sur son mur de publications.

5.3.2 L’importance de la façade d’un influenceur

Comme nous l’avons vu plus tôt, selon la théorie de Goffman, la face et le rôle de l’acteur sont deux notions très importantes du concept de mise en scène de soi. Sur Instagram, on note que Camille Dg a une couleur propre à elle, c’est-à-dire celle d’une femme d’affaires qui semble avoir réussi dans la vie, qui se veut toujours bien mise et qui fréquente les endroits les plus trendy en ville. Cette image, elle doit constamment y correspondre pour « bien paraître » face à sa communauté. À la recherche de reconnaissance, à travers les mentions « j’aime » et de commentaires, les influenceurs et les influenceuses mettent de l’avant des aspects de leur personnalité susceptibles d’attirer la sympathie, camouflant ainsi certaines facettes de leur identité comme, par exemple, dans le cas qui nous concerne, l’écriture et la politique (comme elle le mentionne lors de la première entrevue).

Dans le cas de Camille, ses rôles se définissent principalement à travers ceux d’une femme qui aime les voyages, la mode et le sport. Elle adopte ainsi différentes façades, selon le rôle qui lui est conféré à un moment donné. Lorsqu’elle est dans son rôle de voyageuse, les dipositifs symboliques le plus importants semblent être son corps et le décor qui

l’entoure. On y retrouve beaucoup de photos en maillot de bain deux pièces et des paysages à couper le souffle, tout pour faire rêver et avoir envie d’y être. Lorsqu’elle est dans son rôle de mode, le dispositif symbolique le plus important est, bien entendu, le vêtement. Ses #lookdujour sont maintenant devenu une tradition sur sa page ; ils font partie de sa routine hebdomadaire. Elle fait confiance à des designers d’ici pour se mettre en scène dans des vêtements très « tendance ». Finalement, en ce qui concerne le sport, le dispositif symbolique le plus important est sa pose. Elle se doit d’avoir l’air en contrôle de tous les sports qu’elle pratique afin de maintenir son rôle de conseillère d’entraînement.

On a pu constater, lors de nos observations sur le terrain, que tous les éléments nécessaires à sa mise en scène (sa représentation) font l’objet d’une grande minutie. À travers sa conception de la mise en scène de soi, Goffman pense que la façade de l’acteur représente une certaine forme d’idéalisation. Force est d’admettre qu’il existe une certaine volonté chez Camille Dg de vouloir « se faire passer pour quelqu’un », en ce sens qu’elle semble vouloir être en contrôle de chacune des mises en scène qu’elle fait partager sur son mur de publication. Suite à mon expérience avec elle, je pense qu’il n’y a rien de frauduleux dans sa représentation, mais il y a cependant un énorme souci de ne pas perdre la face et de contrôler son image.

5.3.3 Le souci de ne pas perdre la face

Suite à notre recherche, nous avons pu constater que, dans le cas de Camille Dg, l’un des facteurs les plus importants dans l’utilisation de la photographie à travers le processus de mise en scène de soi sur Instagram est motivé par un souci de ne pas perdre

la face. Qu’elle soit motivée par le lien qui l’unit à sa communauté, par son contrat avec

son mur de publication qui pourrait lui risquer une gêne ou humiliation publique. Ce souci se traduit souvent par une tension entre une pression de conformité sociale (communauté des influenceurs) et une volonté de se présenter comme originale devant sa propre communauté (Coutant et Stenger, 2010). Instagram offre, comme on l’a vu, des potentialités originales en termes de présentation de soi (biographie, mur de publication,

stories et IGTV) et de protection de la face (filtres et outils de retouches), mais Camille a aussi ses propres critères, afin d’assurer une certaine conformité et cohérence dans sa mise en scène.

Nous pourrions donc être tenté de penser que, dans le cas de Camille, malgré tous ses efforts d’authenticité, son souci d’apparence est plus important que la situation qu’elle a vécue dans sa réalité, c’est-à-dire qu’une situation vécue qui semble géniale doit avoir l’air extraordinaire sur les réseaux sociaux numériques ; il faut que cette situation se démarque.

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