pour lequel les États membres continuent à être compétents à titre principal. En cas de
réponse affirmative, les États membres eux-mêmes peuvent-ils reconnaître ou non un effet
direct à la disposition précitée et la juridiction nationale peut-elle ou non appliquer
directement, dans les conditions prévues par le droit national, ladite disposition ? Un bras de
fer s’est en effet engagé entre les États membres intervenant dans l'affaire et la Commission
européenne. Les premiers ont soutenu que l’article 27 de l’Accord sur les ADPIC couvre un
champ dans lequel les États membres restent compétents à titre principal, de sorte que son
applicabilité directe dépend de ce que dit, au cas par cas, le droit national en cause. Toutefois,
ce point de vue, basé sur la jurisprudence tirée de l’arrêt Merck Genéricos n’était pas partagé
par la Commission, laquelle soutient que le fondement de cette jurisprudence n’est plus
valable depuis l’entrée en vigueur du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
dont l’article 207 dispose que les « aspects commerciaux de la propriété intellectuelle » sont
un des éléments sur lesquels se fonde la politique commerciale commune. L’Union
disposerait donc désormais d’une compétence qu’elle n’avait pas lorsque l’arrêt Merck
Genéricos a été rendu et, par conséquent, ce serait à elle qu’il appartiendrait de répondre à la
question de savoir si l’article 27 de l’Accord sur les ADPIC est directement applicable ou
non. Question à laquelle, selon la Commission, et au regard de la jurisprudence de la Cour
relative à l’Accord sur l’OMC, il conviendrait de répondre par la négative
374. Après examen,
la Cour s’est rangée au côté de la Commission européenne en concluant que les normes
contenues dans l'Accord sur les ADPIC relèvent de la politique commerciale commune et
donc de la compétence exclusive de l'Union européenne. S’agissant de la deuxième partie de
la question portant sur l'effet direct de l'article 27 de l'Accord sur les ADPIC, la Cour a estimé
qu'il n'y a pas lieu de répondre étant donné que l’Union européenne est compétente en la
matière
375.
87.
Ainsi, on peut conclure que la voie de l’invocabilité des Accords de l’OMC
dans l’ordre juridique européen, bien qu’elle se pose en réalité « comme une voie de
contournement du système de règlement des différends de l’OMC pour les particuliers »
376,
est définitivement fermée notamment depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1
erdécembre 2009 et la disparition des compétences partagées au profit de l’exclusivité de la
compétence de l’Union européenne.
374
Voir les conclusions de l’Avocat général M. Pedro Cruz Villalón, Affaire C-414/11, présentées le 31 janvier 2013, point 30, disponible en ligne : http://eur- lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:62011CC0414:FR:HTML (consulté le 16 janvier 2016).
375
Arrêt précité Daiichi Sankyo, points 61-62.
85
88.
Manifestement, face à une violation de l’Accord sur les ADPIC, les
ressortissants (qui sont principalement des entreprises privées détentrices de DPI) lésés ne
peuvent donc pas se prévaloir de leurs droits devant le juge européen
377, ni même directement
devant l’ORD. Mais, l’Union européenne comme certains Membres de l’OMC ne sont pas
pour autant insensibles aux préoccupations de leurs entreprises privées victimes de violation
de l’Accord sur les ADPIC par un Membre de l’OMC. D’ailleurs, une voie d’accès plus ou
moins indirecte leur est spécifiquement ouverte.
§2. L’accès indirect ouvert par certains Membres de l’OMC à leurs entreprises privées
lésées par une violation de l’Accord sur les ADPIC
89.
Bien qu’indirectement, l’accès au système de règlement des différends de
l’OMC est possible aux entreprises privées lorsque l’Accord sur les ADPIC n’est pas respecté
par un Membre de l’OMC. En tant que victime d’un comportement non conforme à l’accord,
il est en effet possible à une entreprise privée détentrice des DPI de demander au Membre
dont elle est ressortissante d’endosser sa plainte
378(A).
90.
Dans le cadre européen, cette voie a été souvent utilisée dans la pratique par le
secteur privé et certaines de ces plaintes privées ont même été endossées par l’Union
européenne. C’est le cas de deux affaires symptomatiques : l’affaire « Havana Club» et
l’affaire « IMRO » qui ont donné lieu à un dépôt de plaintes au titre de l’Accord sur les
ADPIC devant système de règlement des différends de l’OMC (B).
A. La voie d’accès indirect au système de règlement des différends de l’OMC : la
demande d’endossement de la plainte privée
377 Quoiqu’il en soit, ce refus d’invocabilité des Accords de l’OMC dans l’ordre juridique communautaire
n’a pas pour autant découragé les particuliers. Au contraire, plusieurs affaires ont été portées devant les juridictions européennes en s’appuyant, non pas directement sur les Accords de l’OMC, mais sur l’existence d’une condamnation de la Communauté européenne par l’ORD. Voir O. Blin, « Europe et organisation mondiale du commerce (OMC) - Aspects matériels », JurisClasseur Droit international, 15 décembre 2009, fasc. 130-70, §§ 62-65 ; M. Lickova, La Communauté européenne et le système GATT/OMC. Perspectives croisées, op.cit., pp. 161 et s.
378
Cette technique nous fait rappeler celle de la personne privée demandant à son État d’exercer sa « protection diplomatique ». Selon le Professeur Charles-Emmanuel Côté, la théorie de la protection diplomatique est la fiction juridique voulant que le préjudice causé à une personne privée, et découlant de la violation du droit international public, constitue un préjudice causé à son État de nationalité. Voir Ch.E. Côté, « L’accès des particuliers au système de règlement des différends de l’OMC », op.cit., pp. 42-43.