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Dans quel autre contexte le microcèbe utilise sa main ? Le substrat arboricole a-t-il une influence sur les postures locomotrices manuelles du microcèbe ? Ont-elles, à leur

Discussion Générale

II. Dans quel autre contexte le microcèbe utilise sa main ? Le substrat arboricole a-t-il une influence sur les postures locomotrices manuelles du microcèbe ? Ont-elles, à leur

tour, une influence sur l’utilisation de la main dans la préhension de nourriture ?

Nous venons de voir que le microcèbe n’utilise pas sa main pour saisir des nourritures statiques mais pour des proies mobiles. Quel autre contexte permet d’évaluer ses capacités préhensiles ? Les hypothèses sur l’origine des primates considèrent toutes le milieu arboricole comme déterminant dans la mise en place des caractéristiques morphologiques propres aux primates, dont la main préhensile (Cartmill, 1972, 1974a, b; Szalay & Dagosto, 1980; Dagosto, 1988; Rasmussen, 1990; Sussman, 1991; Lemelin, 1999; Preuschoft, 2002; Schmitt & Lemelin, 2002; Godinot, 2007; Lemelin & Jungers, 2007). Dans ce contexte, nous avons évalué les postures locomotrices manuelles du microcèbe encore mal connues. L’étude du chapitre 2 a comme point de départ des hypothèses portant sur les caractéristiques morphologiques des mains des primates en lien avec le substrat. Les résultats permettent de discuter la variabilité des postures locomotrices du microcèbe et de l’influence du substrat arboricole sur celles-ci ainsi que des potentielles convergences avec les premiers primates. Une certaine variabilité de saisies a pu être mise en évidence. Ces saisies dépendent à la fois du diamètre et de l’orientation du substrat et reflète une forme de plasticité propre aux espèces de petites tailles (Byron et al., 2011).

Quel que soit le diamètre (1 et 3 cm), les saisies principalement utilisées sur substrats horizontaux sont les saisies schizaxoniques et mésaxoniques (Cartmill, 1974b; Lemelin & Schmitt, 1998; Reghem et al., 2012). Pour ces saisies, le pouce n’est pas individualisé puisqu’il est accompagné de l’index. Le pouce et l’index sont donc en opposition aux autres doigts pour saisir le substrat. Ces types de saisie sont rarement utilisés chez les primates hormis quelques exceptions chez les platyrhiniens (Chiropotes, Cacajao, Alouatta, Lagothrix) (Pocock 1920, 1925; Haines, 1958; Youlatos, 1999; Hershkovitz, 1977). La grande majorité des primates adopte toujours une saisie télaxonique (i.e. entre le pouce et les autres doigts), pour tous types de substrats arboricoles (Lemelin & Schmitt, 1998). Pour cette saisie, le pouce

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est divergent et opposé aux autres doigts. Par ailleurs, beaucoup d’espèces arboricoles non primates et de petites tailles semblent utiliser fréquemment la saisie schizaxonique tels que les tupaiidés, les soricidés, les marsupiaux (didelphidés et phalangéridés) et les caméléons (Pocock 1920, 1925; Haines, 1958; Youlatos, 2010, Sargis, 2001; Gebo et al., 2004). L’utilisation de la saisie schizaxonique chez le microcèbe, peu répandue chez les primates actuels et fréquente chez nombre d’espèces non-primates arboricoles, suggère qu’elle a pu être une saisie fréquemment adoptée par les premiers primates (Cartmill, 1974b). Si ces postures ont été utilisées chez les premiers primates la question est de savoir quels facteurs ont pu conduire à une utilisation de saisie télaxonique, employée aujourd’hui par la plus grande majorité des primates?

Notre étude nous permet de proposer une hypothèse en lien avec le type de substrat utilisé. En effet, la saisie télaxonique s’observe chez le microcèbe uniquement sur le substrat vertical de large diamètre et suggère ainsi que l’utilisation fréquente de ces types de substrats aurait pu avoir une influence au cours de l’évolution sur les saisies locomotrices des primates. Cartmill (1974b) et Van Horn (1972) avaient déjà proposé que le pouce très divergent des propithèques (Lémuriformes) et des gibbons (Hominoïdes) pouvait être une adaptation à la saisie de supports verticaux de larges diamètres. De plus, les lorisidés connus pour adopter une saisie télaxonique avec une forte déviation ulnaire présente aussi des adaptations cinématiques au grimper vertical (Hanna, 2006). Les déplacements sur substrats verticaux larges engendreraient donc une individualisation du pouce opposé aux autres doigts, conséquence des forces de tension exercées sur le substrat pour lutter contre la gravité (Cartmill, 1974b; Preuschoft, 2002). Cartmill (1974b) parle en effet de "first interdigital cleft" ou "séparation entre pouce-index". Cette saisie pourrait générer une plus forte puissance de maintien. Au cours de l’évolution, l’augmentation de la taille des espèces en lien avec la fréquentation de substrats larges et verticaux a pu être un facteur favorisant l’utilisation de saisies de type télaxonique aujourd’hui largement adopté par les primates actuels.

D’autre part, sur la base de ces résultats, on peut se demander si les saisies télaxoniques favorisant la divergence du pouce ont pu jouer un rôle dans l’émergence de capacités préhensiles impliquées dans la prise d’objet et de nourriture telles que les saisies entre le pouce et l’index. En effet, de nombreux catarhiniens utilisent la saisie dite de précision pour maintenir un objet entre le pouce et l’index (Christel 1993, 1994; Pouydebat 2004a; Pouydebat et al. 2008, 2009; MacFarlane & Graziano, 2009). Toutefois, les

Discussion

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strepsirhiniens préfèrent aussi des saisies locomotrices de type télaxonique (Nieschalk & Demes, 1993; Lemelin & Schmitt, 1998; Lemelin & Jungers, 2007) mais n’utilisent pas de saisies de précision (Bishop, 1964; Reghem et al., 2011). Par conséquent, d’autres facteurs associés à la locomotion auraient pu jouer un rôle dans l’émergence de capacités préhensiles propres aux catarhiniens comme l’épouillage ou l’utilisation d’outils, absent par exemple chez les strepsirhiniens.

Ici encore, un facteur ne peut être le seul déterminant d’une fonction et de caractères morphologiques, comme c’est le cas dans la mise en place du morphotype primate et de l’utilisation fréquente de la main des primates dans des activités autres que locomotrices.

Nous venons de voir l’implication du milieu arboricole et du régime alimentaire sur l’utilisation de la main chez le microcèbe, modèle écologique et comportemental des premiers primates. Ceci nous a permis de discuter et de proposer des hypothèses sur l’émergence des capacités de préhension à l’origine des primates.

Par ailleurs, qu’en est-il de l’évolution des capacités préhensiles chez les primates ? Afin d’apporter des éléments de réponse, un second objectif aborde la question à travers deux analyses comportementales et cinématiques 3D chez plusieurs espèces primates actuelles (chapitres 4 et 5). La première grande fonction abordée par l’analyse cinématique depuis les prémices de la chronophotographie jusqu’à aujourd’hui, est celle de la locomotion humaine et non-humaine (e.g. Marey, 1894; Muybridge, 1887; Aerts, 2000; Isler, 2005; Vereecke et al. 2006). En comparaison, si l’étude cinématique de la préhension chez l’humain s’est largement développée depuis, très peu d’études ont été menées sur la préhension des primates non-humains. Le macaque est ainsi le seul genre à avoir été étudié et comparé avec l’humain (Roy

et al., 2000, 2002, 2006; Christel & Billard, 2002; Scott & Kalasha, 1997). Ces travaux ont

montré l’existence de points communs mais aussi de différences. Les points communs permettent de rendre compte de la continuité (i.e. proximité) des mécanismes de la préhension entre le macaque et l’humain en posture assise. Quant aux différences, elles questionnent la mise en place des capacités et spécificités de chacun. La perte de la fonction locomotrice du membre supérieur de l'humain, à l'inverse, le rôle locomoteur de celui du macaque, la morphologie de ces deux genres, ainsi que les différentes postures corporelles adoptées, ont pu influencer leur préhension et pourrait expliquer les divergences cinématiques mises en

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évidence par Christel & Billard (2002). Toutefois, aucune étude n’a été menée sur la cinématique de la préhension d’autres primates que le macaque et l’humain, et aucune n’a comparé ce mouvement entre plusieurs espèces dans différentes postures corporelles. Or, les précédentes études sur la cinématique de la préhension chez l’humain et le macaque ont soulevé plusieurs questions. Les capacités préhensiles actuelles des humains ont probablement émergé chez un ancêtre arboricole mais lui sont-elles spécifiques? Quelle a pu être l’influence du rôle locomoteur du membre supérieur et de sa morphologie sur celui de la préhension d’objet chez les primates non-humains? Comment le mode locomoteur influence la préhension de nourriture? Quels rôles ont pu jouer les postures corporelles (quadrupède versus assis) dans l’élaboration de certaines capacités préhensiles de la main? Ce second objectif cherche ainsi à déterminer les invariants ainsi que les spécificités cinématiques de la préhension chez cinq espèces primates représentatives de la phylogénie du groupe afin de mieux comprendre son évolution.

Ce mouvement divisé en deux composantes comprend la phase d’approche et la phase de saisie. La première a été abordée par la cinématique de la vitesse du poignet et les amplitudes articulaires du membre supérieur, la seconde par la détermination et la quantification des types de saisie.

III.

Quelles sont les stratégies cinématiques liées à la vitesse du poignet pendant la