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Les profils d’usagers, ainsi que le rappelle Sophie Ranjard (cf. note 16) ne relèvent pas

« d’une réalité fixe et permanente ». S’il est vrai que les pratiques tendent à se banaliser, le contexte particulier de l’entreprise incline néanmoins à distinguer « usages personnels » et

« usages professionnels ». Ces derniers sont doublement dépendants d’un temps disponible et d’habilitations offertes ou refusées.

1.2.5.1. Le temps

« L’indicateur physique du temps (temps de travail et temps de livraison) est, en entreprise, le premier critère d’efficacité de tout dispositif d’information et de communication »33. Lié à des impératifs de productivité, le facteur temps a pu ainsi agir, en un certain sens, en faveur de la convergence de tous les modes d’accès à l’information, y compris le plus ancien qu’est celui de la parole.

31 CHARTRON Ghislaine. Valeurs ajoutées des médiateurs ? La biennale du numérique, 17-18 octobre 2011 [11].

32 W3C. Rapport final du Groupe incubation Bibliothèque et Web de données [61].

33 RALLET Alain. L’efficacité des technologies de l’information et de la communication à l’étape des réseaux. In MONNOYER Marie-Christine. L’entreprise et l’outil informationnel. P. 85-106 [41, p.89].

Aujourd’hui, il semblerait que celui-ci soit redécouvert, par détournement, comme « l’un des moyens les plus rapides et les plus sûrs de communication de la pensée »34 : l’informel réintroduisant de la fluidité là où les systèmes d’information architecturés sont parfois vécus comme des entraves, alors que le « besoin d’information » est difficilement différable. Dans un contexte de travail, « l’usager est confronté à l’exigence d’une information qui lui manque, d’une information qui lui est nécessaire pour poursuivre un travail »35. On peut supposer que le poids de l’usage de la parole s’accroît dès lors que le besoin d’information est associé à l’action.

Figure 2 : Les pratiques de communication. Répartition du temps

Source : LE COADIC Yves-François. La science de l’information [34, figure 7, p. 36]

La maîtrise du temps disponible est un facteur qui influe les stratégies de recherche d’information en milieu professionnel : au-delà de la diversité des profils (autonomes, pressés, novices, experts), les usagers en entreprises sont avant tout à la recherche « d’une information analysée et consolidée ». Au risque parfois, comme le relate Sophie Ranjard, pour la population de jeunes professionnels notamment rompue à la recherche d’information d’être peu critique par rapport à fiabilité des sources.

Selon les résultats d’une enquête pilotée par l’ADBS et Veille Magazine36, la demande d’information de synthèse représente une tendance de fond que l’on peut associer aux difficultés rencontrées pour gérer la surabondance de l’information et capitaliser sur l’information en interne. Ainsi, toujours selon cette enquête les documentalistes se positionneraient au premier rang des « partenaires internes ».

Tableau 1. Usages informationnels dans les organisations

Source : ADBS-Veille Magazine. Enquête MIS, mars 2012 [1].

Les spécialistes de l’information cités

comme partenaires internes Les principales problématiques rencontrées (sur un panel de 250 personnes interrogées)

• Documentaliste : 46 %

• Chargé de veille : 38 %

• Archiviste : 14 %

• Community manager : 12 %

• Evaluer la qualité de l’information : 38,5 %

• Identifier les sources pertinentes : 43,5 %

• Exploiter les informations : 49,5 %

• Gérer l’abondance de l’information : 84 %

• Capitaliser sur l’information en interne : 85,5 %

1.2.5.2. L’organisation

Si Internet a fait éclater les fonctions documentaires prises désormais en charge par les usagers eux-mêmes, la décentralisation des organisations et le développement du travail en réseau sont venus remettre en cause la notion même de « centre de documentation », qui ne subsisterait dans le meilleur des cas que « comme tête de réseau documentaire, animateur des flux d’informations, lieu d’accueil et de renseignement des usagers et point d’accès aux informations et aux documents, quel que soit le lieu de conservation de

ceux-Chercheurs

34 Pour reprendre une expression de S. Briet qualifiant le document.

35 Le COADIC Yves-François. Le besoin d’information. In CACALY Serge (dir). Dictionnaire de l’information [8, p.27-29].

36 ADBS-Veille magazine. Enquête sur les usages informationnels dans les organisations, mars 2012 [1].

ci »37. L’entreprise est aussi le creuset d’écosystèmes info-documentaires38 qui interrogent à leur tour sur l’utilité d’un centre de documentation.

Pour autant, comparé aux pratiques privées, le phénomène de « banalisation » des pratiques documentaires en entreprise est peut-être à relativiser. À la différence de la sphère publique de l’Internet, où les pratiques d’autopublication et d’autodiffusion sont associées à une perte « d’autorité » des acteurs traditionnels de la chaîne de l’information, la légitimité des acteurs reste centrale dans le contexte de l’entreprise où coexistent « rapport aux savoirs » et « rapport salarial »39. Le « présupposé d’égalité » qui domine dans la sphère publique d’Internet a ainsi peu de prise en entreprise. Quelle que soit l’organisation adoptée, la circulation de l’information s’inscrit également dans un schéma de pouvoir décisionnel où

« les efforts, de demandes d’autorisations pour obtenir telle information seront d’autant plus importants que l’organisation est cloisonnée ou fragmentée »40. Enfin, comme l’observe Anne Mayère (cf. note 39), des mutations des relations contractuelles (« passage d’une convention fondée sur le couple “subordination contre sécurité” à une convention fondée sur le couple “adhésion contre autonomie relative” ») accompagnent aujourd’hui les nouveaux enjeux de capitalisation des connaissances.

Ces modalités spécifiques de l’accès à l’information en entreprise peuvent donc plaider en faveur du maintien d’une entité régulatrice et institutionnellement légitime à intervenir pour coordonner la « chaîne documentaire ». C’est d’ailleurs tout l’enjeu de ce que l’on nomme la

« gouvernance documentaire ».

37 POMARD Paul-Dominique. Centre de documentation. In CACALY Serge, dir. Dictionnaire de l’information. P.48-49. [8].

38 Ecosystèmes info-documentaires : « système personnel et partagé de recherche et de fourniture d’informations ». Nous reprenons, ici, la définition donnée par Vincent LIQUÈTE. Des pratiques d’information à la construction de connaissances en contexte : de l’analyse à la modélisation SEPICRI [39].

39 MAYÈRE Anne. Capitalisation des connaissances et nouveaux modèles industriels. In MONNOYER Marie-Christine dir. L’entreprise et l’outil informationnel. Paris, L’Harmattan, 1997. P. 197-217 [41, p. 209].

40 ROW Frantz. Productivité de l’information et design organisationnel, accessibilité aux données et agir communicationnel. In MONNOYER Marie-Christine. L’entreprise et l’outil informationnel. P. 23-40 [41, p.28].