• Aucun résultat trouvé

Contexte légal et réglementaire

2 MISE EN CONTEXTE

2.3 Pour mieux comprendre Haïti

2.3.6 Contexte légal et réglementaire

Les gouvernements haïtiens ont, depuis longtemps, essayé de mettre en place différentes mesures légales pour freiner la déforestation. Même si ces mesures ont rarement produit les effets escomptés à

29

cause de l’instabilité politique et de la fragilité des institutions, il est quand même utile de les connaître. En effet, les progrès en termes de gouvernance, que plusieurs pays essaient de soutenir en Haïti, vont éventuellement permettre que les lois visant à protéger l’environnement soient de plus en plus respectées.

Haïti n’est pas un pays novice ou dépourvu en termes de lois protégeant les arbres et l’environnement. Les premières mesures en ce sens remontent même à 1804, l’année de l’indépendance. Le gouvernement de Dessalines interdit alors les coupes de bois, d’ailleurs plus pour éviter de concurrencer l’industrie sucrière en la privant de main d’œuvre que pour des raisons purement environnementales (Bellande, 2010). Mais ce ne sera certainement pas la seule tentative de légiférer pour freiner la déforestation.

Le code rural de 1864 interdit la coupe de bois ou le défrichement non autorisés par le propriétaire ou l’État sur ses domaines. L’abattage est expressément interdit à tous « sur la crête des montagnes, jusqu’à cent pas de leur chute », autour des sources et au bord des rivières. Les propriétaires sont même contraints de planter des bambous ou d’autres arbres qui peuvent protéger adéquatement sources et rivières contre l’érosion ou l’assèchement. (Victor, 1995)

Dès 1926, une loi vient définir la notion d’aires protégées et de « Forêts nationales réservées ». Quelques zones réservées seront ensuite décrétées par arrêtés présidentiels. En 1933, un arrêté du président Vincent Stenio interdit toute coupe de bois non autorisée par le Service national de la production agricole (SNPA), aussi bien sur les terres de l’État que sur celles des particuliers. Les coupes étaient également interdites en bordure des cours d’eau, des routes et chemins ainsi que sur la crête des montagnes. La loi du 28 mai 1936 interdit de toucher à un arbre situé sur un terrain en pente rapide, sur la crête des montagnes jusqu’à 100 m de la ligne de partage des eaux, sur les berges de rivières jusqu’à 50 m et en amont des sources dans un rayon de 100 m. La même interdiction s’applique dans les villes et villages. Sous la même présidence, un autre arrêté, datant de 1938, instituait le Jour de l’arbre chaque année au mois de mai. Cette fête devait être marquée par des plantations d’arbres autour des écoles, le long des routes, sur les places publiques ou sur les collines dénudées, sous la supervision du SNPA. Cet arrêté prévoyait même, la veille du Jour de l’arbre, une journée de sensibilisation dans les écoles sur l’importance de préserver et de propager les arbres et sur les impacts du déboisement et de l’érosion. (Victor, 1995)

30

La Loi du 17 août 1955 vient ajouter l’interdiction de cultiver, de couper du bois ou de brûler la végétation sur les terres dont la pente est égale ou supérieure à 35 degrés. C’est également le cas autour des lacs, étangs et réservoirs naturels d’eau sur une distance de 50 m. La même loi vient définir le statut de « zones sous protection » visant à préserver les ressources en eau, à combattre l’érosion ou à encourager le tourisme.

La Loi du 24 mai 1962 vient préciser les types de forêts et de parcs qui pourront devenir des « zones réservées » sur décret du président à vie François Duvalier. D’autres articles de cette loi ont pour objet la protection des arbres et des forêts. Une autre loi de 1962 interdit l’élevage libre et oblige à installer des clôtures (de pieux ou de haies vives) autour de tous les pâturages. Elle permet l’abattage du petit bétail non contrôlé ou la confiscation des animaux par l’autorité jusqu’au paiement de l’amende. (Victor, 1995)

En 1972, un décret de Jean-Claude Duvalier déclare les travaux de reboisement d’intérêt public et institue l’obligation pour chaque commune de créer des « Forêts communales » où tout élevage et toute culture sont interdits. Le « Fonds spécial de reboisement » est également créé… malheureusement financé par les droits de coupes. Le même président à vie, dans un décret de 1983, déclarera « Parcs nationaux naturels » les aires entourant le Morne La Visite et le Morne Macaya, soit environ 4 000 ha. (Victor, 1995)

Il existe dans le monde rural une importante source de droit oral coutumier qui a des impacts bénéfiques pour l’environnement. On peut citer le fait de protéger des arbres considérés comme sacrés, de marquer la naissance d’un enfant par une plantation d’arbres ou de vénérer les arbres refuges du « maitre de l’eau » près des sources. Mais ces pratiques liées au vodou sont, à présent, combattues par certaines églises protestantes, ce qui favorise le déboisement de zones traditionnellement protégées. Dans le domaine foncier subsistent encore certains modes traditionnels de transmission des héritages qui gèrent efficacement l’indivision et l’usufruit. (Cadet, 2006)

La législation environnementale haïtienne concerne à 80 % les arbres ou les aires protégées. En revanche, elle est inexistante en ce qui concerne, par exemple, la pollution ou la biodiversité. Cette carence est en partie comblée par les conventions internationales sur le sujet, auxquelles Haïti a adhéré. Selon la Constitution de 1987, ces traités internationaux ont force de loi et abrogent même les lois qui leur seraient contraires. Les principaux traités sont la Convention sur la diversité biologique, la

Convention-cadre sur les changements climatiques et la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. (Cadet, 2006)

31

La citation de J.A. Victor, auteur du Code des lois Haïtiennes de l'Environnement, permet de résumer la situation du droit de l'environnement en Haïti : « ... chez nous, la législation de l'environnement est relativement abondante, la doctrine très pauvre, la jurisprudence inexistante, la pratique déficiente et la coutume mal connue. » (Victor, 1995).

Il existe en Haïti, environ deux cents textes de loi à caractère environnemental, parmi lesquels plusieurs visent à freiner la déforestation. Seuls quelques exemples ont été cités ici. Bien sûr, les moyens manquent pour faire appliquer la loi, même si la création ou le renforcement de quelques brigades environnementales, notamment dans les zones protégées, se veut un geste politique dans la bonne direction. Une des difficultés semble être que les bons cadres des administrations nationales quittent rapidement leurs postes pour aller travailler au sein d’ONG qui offrent de meilleures conditions. Il est difficile, dans ces circonstances, de pouvoir assurer un suivi efficace des actions de l’État, et le respect des règlementations environnementales. (Cadet, 2006)

La mise en place de programmes de reforestation pourra quand même s’appuyer sur les lois existantes, notamment en ce qui concerne les interdictions de coupes ou les aires protégées. La relance du Jour de

l’arbre créé en 1938 serait également une façon de sensibiliser les jeunes et les moins jeunes et

redonnerait annuellement plus de visibilité aux programmes de reforestation en cours. On devra finalement utiliser tous les leviers juridiques disponibles afin de protéger les zones restaurées et on évitera ainsi de travailler pour rien.