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dans le contexte culturel ougandais

Dans le document Il était une fois... le livre (Page 39-43)

Goretti Kyomuhendo

Peut-être est-ce parce que le paysage ougandais présente un si magnifique théâtre de hauts plateaux et de collines dans un cadre de hautes montagnes que sir Winston Churchill l’a décrit jadis comme « la perle de l’Afrique ». L’Ouganda est un pays rela-tivement petit et enclavé dans l’extrême partie orientale du continent africain. Près d’un cinquième de son territoire est baigné d’eau, notamment par le lac Victoria, le plus grand du monde, et la source du Nil. Son excellent climat, des températures douces tout au long de l’année et des pluies abondantes en ont fait le lieu d’élection d’une extraordinaire variété de plantes et d’animaux. Avant l’indépendance, en 1962, l’essentiel de la vie sociale tournait autour de l’unité familiale élargie et des institu-tions traditionnelles fondées sur le culte des ancêtres. Pastoralisme, agriculture, chasse, pêche et extraction du fer représentaient les activités économiques majeures.

Ancien protectorat britannique, l’Ouganda d’aujourd’hui a pour langue officielle l’anglais, mais aucune langue nationale. Sa population est estimée à environ 21 mil-lions d’habitants, dont 51 % sont des femmes, 90 % vivent dans les régions rurales et près de 40 % sont illettrés.

Dans ces conditions, que faut-il entendre par littérature ougandaise ? Si nous prenons pour point de départ une hypothèse de travail, nous pourrions dire que c’est une littérature écrite par et pour des Ougandais, dans n’importe laquelle des langues utilisées en Ouganda. Définition qui exclut, cependant, les classiques ougandais traditionnels, qui furent conçus pour une transmission de bouche à oreille. La naissance de l’écriture en Ouganda peut être située au moment de la

publication de la Bible « Biscuit Tin » de Mackay (un missionnaire blanc) en langue luganda, en 1887. Animé essentiellement de visées spirituelles, ce texte — comme les autres publications des missionnaires qui ont suivi — a néanmoins joué un rôle déterminant en sensibilisant les Ougandais au mot écrit. On peut affirmer que le fait de lire et d’écrire, en Ouganda, est historiquement lié à la propagation de la religion.

Ainsi, par exemple, les gens éduqués par le catéchisme de la foi catholique rece-vaient simultanément un enseignement de la lecture et de l’écriture. Il est intéressant de noter que ceux qui se convertissaient à de nouvelles religions étaient appelés les abasomi, un terme qui signifie à la fois « lecteurs » et « ceux qui fréquentent l’Église ».

Dès lors, l’activité littéraire a continué à se développer grâce aux journaux et aux périodiques rédigés dans les langues locales (notamment le luganda) et impri-més par des missionnaires chrétiens, mouvement qui s’accompagna d’un bond considérable dans l’éducation et dans l’alphabétisation. Des instituts d’études supé-rieures furent créés, parmi lesquels le Makerere College, fondé en 1922. Dans ces institutions furent produits des écrits importants et significatifs, et, pour ce qui concerne la production de livres, il existait une politique systématique d’encou-ragement à l’écriture et à la publication dans les langues locales.

Mais le point de repère qui fit date vint en 1966, avec la publication, en anglais, du Chant de Lawino[Song of Lawino] d’Okot p’Bitek, un manifeste culturel resté jusqu’à ce jour l’œuvre littéraire la plus connue d’Ouganda. Son succès n’encouragea pas seulement Okot p’Bitek à écrire d’autres « chants ». Il inspira aussi un grand nombre d’imitateurs du genre et semble avoir été à l’origine d’une florai-son de textes rédigés en anglais, qui perdura jusque dans les années 70. Malheureu-sement, en raison des méfaits du gouvernement d’Idi Amin et d’autres, cette ten-dance s’inversa à la fin des années 70 et au début des années 80 ; les « années du silence » durant lesquelles, selon les termes d’un professeur et écrivain renommé, l’Ouganda fut réduit à un « désert littéraire ». Certains écrivains furent assassinés, beaucoup partirent en exil et d’autres encore furent simplement réduits au silence.

Écrire était une activité « en état de siège » et les éditeurs étrangers fuirent le pays.

Le ciel s’éclaircit dans les années 90. La santé mentale fut restaurée et, depuis, la paix a prévalu en Ouganda. Mais l’un des événements les plus significatifs sur la scène littéraire ougandaise fut la naissance de maisons d’édition locales et d’une nouvelle génération d’écrivains, dont beaucoup étaient des femmes. La littéra-ture créatrice écrite par des femmes demeura pourtant peu visible, fait à imputer aux éditeurs qui sélectionnaient les manuscrits destinés à la publication. C’est la raison qui a conduit à la création, en 1996, de FEMRITE, une association de femmes

ougandaises écrivains se proposant de publier et de promouvoir cette littérature.

FEMRITE a déjà permis la publication de plus d’une dizaine de livres écrits par des femmes et, depuis, se sont créées près de dix autres maisons d’édition locales, ainsi que cinq maisons étrangères.

Lentement mais sûrement émerge une soi-disant « classe moyenne » dont les enfants lisent des livres et les respectent. Mais cela ne veut pas dire pour autant que le livre aurait conquis la place qui lui revient de droit. Dans le contexte culturel ougandais, il est un phénomène plutôt récent. Comme dans nombre de sociétés afri-caines, enracinées dans des traditions orales, le livre, un concept introduit par les missionnaires, est souvent considéré comme une intrusion de l’étranger. Ces socié-tés traditionnelles attachent un prix plus élevé à la vie en commun qu’à l’idée d’ « individualisme » implicite que contient l’activité solitaire de la lecture de livres.

Comme le montrent à l’évidence les enterrements, les mariages et les cérémonies d’initiation, les Africains ont toujours tendance à prêter attention à ce qu’ils font les uns les autres et à faire les choses ensemble, que ce soit en famille, entre amis ou entre collègues. La lecture de livres continue donc d’être considérée comme une activité qui isole, qui menace de détruire ou de déchirer cette culture du partage et de l’être ensemble qui, à la fois, est une composante et fait partie intégrante de la manière de vivre des Africains. Mes parents, par exemple, durant mon éducation, s’inquiétaient de mon trop grand intérêt pour les livres, craignant qu’ils ne fassent de moi une introvertie. De même l’un de mes amis, qui ne vit que pour lire, est ironi-quement surnommé « le Professeur ». En outre, et jusqu’à aujourd’hui, les principa-les sources de distraction et d’information ougandaises précoloniaprincipa-les — récits, réci-tals poétiques, musique, danse, drames et proverbes — continuent de jouer un véritable rôle. S’agissant des moyens de communication, ce sont là, et de très loin, les plus facilement accessibles, même si les livres et les périodiques — compte tenu de l’accès restreint aux techniques récentes — ont pris et continuent de prendre de l’ampleur.

Il va sans dire que l’illettrisme et la pauvreté sont toujours des facteurs parmi d’autres qui contribuent à empêcher le développement de la lecture. En Afrique subsaharienne, le taux d’illettrisme, pour la population âgée de quinze ans et plus, est estimé à 45 %, et ce ne sont pas moins de 80 % de la population qui conti-nuent de subsister en dessous du seuil de pauvreté, avec environ 1 dollar américain par jour. On ne saurait assez souligner la question de la priorité qui s’impose lors-qu’il faut choisir entre l’achat d’un livre ou d’un repas. Mais les barrières langagières constituent également un obstacle décourageant. La plupart des livres que l’on peut

trouver en Afrique sont rédigés dans des langues étrangères comme le portugais, le français et l’anglais, éliminant ainsi une grosse partie des lecteurs potentiels qui ne savent lire que leur langue maternelle. Et comme si ces obstacles ne suffisaient pas, le livre lui-même, dans sa forme traditionnelle, en vient maintenant à être menacé par la concurrence de moyens d’information et de divertissement tels que les publi-cations électroniques, l’Internet, la télévision, etc.

Jusqu’à quel point le livre peut-il alors continuer à contribuer à la cons-truction culturelle ? De mon point de vue, nous ne pouvons pas faire grand-chose contre la technique. Nous ne pouvons pas stopper le « développement ». Ce que nous pouvons faire, c’est populariser le livre. Mais pour le rendre plus attrayant et plus accessible aux peuples africains et autres qu’actuellement, je crois qu’il faut élar-gir la définition de la lecture en y incluant l’écoute et le partage. Si certains livres qui ont été écrits par et pour des Africains, commeSong of Lawino (Ouganda) etThings fall apart, de Chinua Achebe (Nigeria), ont eu un impact sur les peuples d’Afrique et au-delà, c’est parce qu’ils prenaient en compte, promouvaient et popularisaient l’interaction qui est si caractéristique de la culture africaine. Dans Song of Lawino, par exemple, c’est à tout un chacun que l’auteur semble s’adresser lorsqu’il écrit :

« Homme de mon clan, je pleure / Écoute ma voix : / les insultes à mon peuple sont au-delà du supportable [...]. »

L’enjeu de la responsabilité pèse sur chacun de nous. Voulons-nous réins-taurer l’ « oralité » africaine ? Pouvons-nous tous écrire comme Okot p’Bitek et Chi-nua Achebe ? Le livre est-il à même d’imposer un équilibre entre les nouvelles ten-dances techniques et les traditions orales africaines ?

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