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La construction de l’environnement comme domaine d’intervention de l’État 15

d’intervention de l’État 

Ce premier chapitre se centre sur la construction de l’environnement comme secteur d’intervention étatique et comme question sociétale. Notre travail s’appuie notamment sur

l’ouvrage L’éco-pouvoir du juriste et sociologue Pierre Lascoumes qui débute ainsi :

« L’« environnement » et « ses problèmes » sont devenus, en quelques années, un enjeu politique entouré d’une telle force d’évidence qu’il paraît presque impossible d’apporter la

contradiction à ce projet, devenu impératif médiatique : « Il faut protéger

l’environnement ! » »27. Cette interpellation marque le début de notre réflexion. Notre objectif

est similaire à celui des politologues Pierre Valarié et Mohamed Djouldem qui, dans leur chapitre d’ouvrage, reviennent entre-autres sur « la constitution historique et la structuration du champ de l’environnement » dans l’objectif « de retracer comment l’environnement est

devenu une préoccupation publique »28. Notre approche tient son originalité dans l’étude de

cette construction de l’environnement mise en relations avec l’évolution du pouvoir politique. Il s’agit de montrer comment l’État intervient et gouverne la nature, au travers du ministère de l’Écologie et des politiques publiques qu’il met en place. Nous utiliserons ainsi plusieurs disciplines, principalement l’histoire environnementale, la sociologie des politiques publiques, la science politique et la philosophie.

27

LASCOUMES Pierre (1994), L’éco-pouvoir. Environnements et politiques, Paris : La Découverte, p. 7

28

VALARIE Pierre et DJOULDEM Mohamed (1996), « Les politiques publiques d’environnement. De la science militante à l’écologie urbaine », in GAUDIN Jean-Pierre (coord.), La négociation des politiques contractuelles, Paris : L’Harmattan, p. 88

16

1. L’émergence de l’environnement 

1.1. L’évolution de la protection de la nature à l’environnement 

Dans cette partie, nous retraçons d’une façon large l’histoire environnementale afin de comprendre comment a émergé la question environnementale à l’échelon international. Le commencement de l’histoire environnementale est difficilement discernable. Ainsi, il ne s’agit pas ici de retracer la chronologie précise des événements, mais de relever des éléments clés de compréhension. Les questions de pollution atmosphérique, de pollution de l’eau, le lien entre santé et environnement ou encore entre industrie et environnement seront mis de côté. Nous ne sous-estimons pas l’importance des politiques liées à ces domaines. Nous préférons développer les questions liées à la nature et aux paysages naturels plus en lien avec la politique des parcs nationaux.

Certaines périodes et certains événements remarquables sont à prendre en compte. Les années 1800 ont été marquées par l’utilisation des énergies fossiles, l’industrialisation et une forte croissance démographique. Ces évolutions ont entraîné une utilisation importante des ressources naturelles, causant des problèmes environnementaux. L’historien américain John R. McNeill note par exemple une pollution croissante de l’air et de l’eau due à

l’industrialisation et à l’urbanisation29. Apparaissaient alors les premières prises de

conscience de la « nécessité de protéger la nature »30.

1.1.1. L’héritage colonial de la protection de la nature 

À l’échelon international, les colonies ont joué un rôle primordial dans la protection de la

nature aux XIXe et XXe siècles, puisque les historiens Fabien Locher et Grégory Quenet

constatent que « les espaces coloniaux ont été des laboratoires pour l’émergence des

préoccupations, des théories et des pratiques de protection environnementale »31.De même en

29

MCNEILL John Robert (2013) « Une histoire environnementale du monde à l’ère des énergies fossiles (1800-2012) », in MATHIS Charles-François et MOUHOT Jean-François (dir.), Une protection de l’environnement à la française ? (XIXe-XXe siècle), Seyssel : Champ Vallon, p. 38

30

Pierre Merveilleux du Vignaux remonte encore plus loin en abordant les premières mesures prises qui avaient pour effet de protéger la nature, même s’il ne s’agissait pas de leur objectif. Il aborde par exemple la gestion forestière, la mise en place des réserves de chasse dans l’Europe médiévale féodale et celle de l’administration des Eaux et Forêts en France. MERVEILLEUX DU VIGNAUX Pierre (2003), L’aventure des Parcs nationaux. La création des Parcs nationaux français, fragments d’histoire, Montpellier : ATEN, pp. 21-25

31

LOCHER Fabien et QUENET Grégory (2009), « L'histoire environnementale : origines, enjeux et perspectives d'un nouveau chantier », Revue d'histoire moderne et contemporaine vol. 4, n° 56, p. 29

17 France, la protection de l’environnement s’appuie sur un double héritage, la mutation des

espaces ruraux et l’héritage colonial32.

L’historien britannique Richard Grove est un pionnier de l’histoire environnementale. Son

ouvrage majeur est Green Imperialism publié en 199533.Il y montre que l’expérimentation

environnementale des colons d’Europe a entraîné l’apparition d’une « conscience

environnementale » dès le XVIIIe siècle, à la suite des dommages produits par l’impérialisme

colonial sur la nature34. Les historiens Yannick Mahrane, Frédéric Thomas et Christophe

Bonneuil font le même constat35. À la fin du XIXe siècle, les naturalistes du Muséum National

d’Histoire Naturelle (MNHN) se sont beaucoup impliqués dans les expéditions coloniales, notamment en inventoriant les ressources naturelles. En 1918, Auguste Chevalier, botaniste au MNHN, a proposé un premier dispositif de protection de la nature dans les colonies: la

mise en place de « réserves naturelles intégrales »36. Cette idée a été instaurée et inscrite dans

le droit international par la Convention de Londres sur la Protection de la Faune et de la Flore en Afrique.

Le chercheur Hakim Bourfouka37 et l’historien Nicolas Krautberger rappellent, quant à eux, la

place qu’a tenue l’Algérie dans la prise de conscience des dégradations de la nature par les autorités françaises (et notamment l’administration des Eaux et Forêts) à partir de l’étude du

cas d’une plante herbacée nommée Alfa38. Dans les années 1930, les administrateurs et les

experts des empires coloniaux ont exprimé leurs inquiétudes sur la question environnementale

32

BASSET Karine-Larissa (2013), « L’invention des parcs nationaux français entre modernisation et décolonisation : la quête d’une singularité (1950-1970) », in MATHIS Charles-François et MOUHOT Jean-François (dir.), op. cit., pp. 170-171

33

GROVE Richard (1995), Green imperialism : colonial expansion, tropical island edens and the origins of environmentalism, 1600-1860, Cambridge : Cambridge University Press, expliqué, in MATHIS Charles-François et MOUHOT Jean-Charles-François (2013), « Introduction générale », in MATHIS Charles-Charles-François et MOUHOT Jean-François (dir.), op. cit., pp. 12-13

34

MATHIS Charles-François et MOUHOT Jean-François (2013), op. cit., in MATHIS Charles-François et MOUHOT Jean-François (dir.), op. cit., p. 13

35

MAHRANE Yannick, THOMAS Frédéric et BONNEUIL Christophe (2013) « Mettre en valeur, préserver ou conserver ? Genèse et déclin du préservationnisme dans l’empire colonial français (1870-1960) », in MATHIS Charles-François et MOUHOT Jean-François (dir.), op. cit., pp. 71-74

36

Mais la Société d’Histoire Naturelle de l’Afrique du Nord a proposé la création de vingt réserves dès 1912.

37

Hakim Bourfouka est, en 2013, maître assistant à la Faculté de Sciences sociales et sciences humaines à Ouargla (Algérie).

38

BOURFOUKA Hakim et KRAUTBERGER Nicolas (2013), « Préserver la nature de l’Algérie française – L’Alfa est-il un colon comme les autres ? », in MATHIS Charles-François et MOUHOT Jean-François (dir.), op. cit., pp.45-61

18 face à l’épuisement des ressources et à l’accroissement de la démographie. Mais ces

préoccupations se sont dissipées avec la guerre de 1939-194539.

Pendant la Guerre Froide, les pays colonisés représentaient un enjeu géopolitique fort dans l’affrontement entre les deux blocs. La conservation des ressources en Afrique apparaissait comme un enjeu majeur. Mais avec les mouvements de décolonisation au cours des années 1960, la crainte était de voir disparaître les dispositifs de protection instaurés pendant la période coloniale. L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) lançait

alors (avec la FAO40, la Commission pour la Coopération Technique en Afrique

Sub-saharienne et l’Unesco) l’African Special Project en 1960. Son objectif était de préserver et de

développer les parcs et réserves mis en place pendant la période coloniale. Par la suite, a été signée en 1968 à Alger la Convention Africaine sur la Conservation de la Nature et des Ressources Naturelles.

1.1.2. Le rôle de la communauté scientifique internationale 

Le philosophe des sciences Donato Bergandi et l’écologue Patrick Blandin retracent

l’émergence internationale de la protection de la nature41. Les premières réflexions

internationales en la matière ont été portées par des scientifiques. Une première Conférence Internationale pour la Protection de la Nature a eu lieu à Berne en 1913. Dix ans plus tard (1923), le Premier Congrès International de Protection de la Nature a été organisé à l’initiative de trois associations françaises : la Société Nationale d’Acclimatation de France, la Ligue française pour la Protection des Oiseaux et la Société pour la Protection des Paysages de France. Le congrès a été créé en lien avec le Muséum National d’Histoire Naturelle, dirigé par Louis Mangin également président de la Société d’acclimatation, et un grand nombre de

scientifiques y est intervenu42. Selon Donato Bergandi et Patrick Blandin, au cours de cet

événement, a été exprimée la volonté de préserver la nature pour ses aspects scientifiques,

esthétiques et culturels43. En 1931, le MNHN a accueilli le Deuxième Congrès International

de Protection de la Nature. À l’initiative de la France, de la Belgique et de la Hollande, l’Office International pour la Protection de la Nature s’est créé à Bruxelles. Cette organisation

39

MAHRANE Yannick, FENZI Marianna, PESSIS Céline et BONNEUIL Christophe (2012), « « De la nature à la biosphère » L'invention politique de l'environnement global, 1945-1972 », Vingtième Siècle. Revue d'histoire

vol. 1, n° 113, pp. 127-141

40

Food and Agriculture Organisation de l’ONU.

41

BERGANDI Donato et BLANDIN Patrick (2012), « De la protection de la nature au développement durable : Genèse d'un oxymore éthique et politique », Revue d'histoire des sciences vol. 1, Tome 65, pp.116-119 

42

MAHRANE Yannick, THOMAS Frédéric et BONNEUIL Christophe (2013), op. cit., in MATHIS Charles-François et MOUHOT Jean-Charles-François (dir.), op. cit., p. 66 

43

19 avait pour mission de valoriser les recherches scientifiques qui proposaient des avancées dans la protection de la nature. Soutenue par ce deuxième congrès, elle a été officiellement

reconnue en 193444.

Á la suite de la conférence de Bâle (Suisse) de 1946 et celle de Brunnen (Suisse) de 1947, une conférence internationale réunissant des scientifiques a été organisée à Fontainebleau en 1948. Elle a entraîné la création de l’Union International pour la Protection de la Nature (UIPN, puis UICN). Cette organisation sous l’égide de l’Unesco réunissait des gouvernements, mais également des représentants de la société civile. En 1950, l’organisation a dressé un premier bilan de l’état de la nature. Elle a interpellé par la même occasion les autorités politiques pour les inciter à prendre des mesures régulatrices. En 1980, elle a publié la Stratégie mondiale de la conservation, document important où, pour la première fois, est

apparue l’expression sustainable development45. Actuellement, elle compte environ huit-cents

organismes membres répartis dans plus de cent-trente pays. Pour le chargé de programme

Aires Protégées du comité français de l’UICN : « L’UICN se caractérise comme un réseau

d’expertise internationale dans le domaine de la conservation de la nature, qui reste notre mission principale »46. En effet, l’organisation a une mission d’expertise qui réunit onze-mille

experts et participe à la plupart des négociations internationales47 : « On invite les

gouvernements à modifier certains comportements, ou en tout cas à améliorer la gestion de la conservation de la nature »48. Ainsi, depuis 1948, l’association internationale se fonde sur l’expertise scientifique pour interpeller les États sur les questions d’environnement.

1.1.3. Le « tournant environnemental » des années 1960‐1970 

Le terme d’« environnement » a progressivement émergé à la fin des années 1960. Pour

l’historien danois Jan-Henrik Meyer, ce terme s’est montré pertinent à plusieurs titres49.

D’abord, il s’agit d’un terme générique car englobant un grand nombre de domaines.

44

Ibid., p. 115, pp. 119-120 ; WÖBSE Anna-Katharina (2013), « Les liaisons sinueuses : les relations franco-allemandes en matière de protection de la nature dans la première moitié du XXe siècle », in MATHIS Charles-François et MOUHOT Jean-Charles-François (dir.), op. cit., p. 115

45

LASCOUMES Pierre (2012), op.cit., pp. 38-39 ; BERGANDI Donato et BLANDIN Patrick (2012), op. cit., p. 134

46

Entretien n° 17, p. 439

47

OLLITRAULT Sylvie (2008), Militer pour la planète. Sociologie des écologistes, Rennes : Presses universitaires de Rennes, p. 138

48

Entretien n° 17, pp. 440-441

49

MEYER Jan-Henrik (2013), « Un faux départ ? Les acteurs français dans la politique environnementale européenne des années 1970 », in MATHIS Charles-François et MOUHOT Jean-François (dir.), op. cit., pp. 122-123

20 L’environnement est perçu comme un problème global qu’il faut résoudre de manière urgente. Ensuite, c’est un terme politique puisqu’il implique l’idée de résoudre les problèmes environnementaux par des politiques, plutôt que par des mesures administratives ou techniques, ce qui était fait jusque-là. Enfin, l’« environnement » inclut une évaluation scientifique. Ainsi, au tournant des années 1960-1970, les scientifiques ont pris conscience du caractère global des problèmes environnementaux. Ils ont poursuivi la structuration de la communauté internationale afin de comparer leurs travaux de recherche mais surtout de demander des financements et des actions politiques.

Au cours des années 1960-1970, l’environnement s’est donc développé à l’échelon

international comme « nouveau domaine de politique global »50. Bien que l’historien des

sciences Michel Letté indique « une prise de conscience inédite », il relativise ce « tournant

environnemental » au profit d’un processus long51. Il admet néanmoins que cette période est

marquée par des « événements majeurs [qui] ont sans aucun doute contribué à inscrire sur

l’agenda politique et médiatique les questions d’environnement »52. La conférence de

Stockholm de 1972 a marqué la fin de ce tournant et l’entrée de l’environnement dans la politique internationale.

La conférence sur l’Environnement Humain de l’ONU a eu lieu à Stockholm du 5 au 16 juin 1972. Les pays représentés y ont adopté une vision commune de l’environnement et déterminé vingt-six principes sur sa protection. Cet événement a été majeur dans l’histoire environnementale car il a défini la protection de l’environnement comme l’une des priorités de la politique internationale. Il a également assisté à l’émergence de nouveaux acteurs dans la protection de l’environnement à l’international : la société civile, les organisations non gouvernementales (ONG) et les entreprises. La conférence de Stockholm a donné lieu au Programme des Nations Unis pour l’Environnement (PNUE), en décembre 1972. Celui-ci, avec les associations UICN et World Wildlife Fund (WWF), a lancé la Stratégie Mondiale de Conservation de la Nature.

La Conférence de Stockholm de 1972 a marqué le début d’une série périodique de

conférences internationales de l’ONU53 :

50

Ibid., p. 122

51

LETTE Michel (2012) « Le tournant environnemental de la société industrielle au prisme d'une histoire des débordements et de leurs conflits », Vingtième Siècle. Revue d'histoire vol. 1, n° 113, p. 143 

52

Ibid., p. 153

53

CHARLES Lionel et KALAORA Bernard (2007), « De la protection de la nature au développement durable : vers un nouveau cadre de savoir et d'action ? », Espaces et sociétés n° 130, pp. 121-133

21 Figure 1 : Les principaux événements internationaux relatifs à la protection de l’environnement54

Date et lieu Evénement Résultat 1972 -

Stockholm

Conférence sur l’Environnement Humain

Programme des Nations Unis pour l’Environnement (PNUE)

1982 Assemblée générale Adoption de la charte mondiale de la nature

1992 – Rio de Janeiro

Conférence sur l’Environnement et le Développement

Déclaration de Rio développant le lien entre développement et environnement55.

Adoption de l’Agenda 21. 2002 -

Johannesburg

Sommet mondial sur le Développement Durable

Adoption d’un Plan d’action pour le développement durable56.

2012 - Rio de Janeiro

Conférence sur l’Environnement et le Développement Durable : « Rio+20 »57

Adoption d’un document « ce que nous voulons »58

La tenue de la conférence de Stockholm a également eu une grande influence, notamment sur l’institutionnalisation de l’environnement en Europe. Nous employons le terme

d’« institutionnalisation » à l’instar de Pierre Lascoumes dans son ouvrage collectif Instituer

l’environnement. Vingt-cinq ans d’administration de l’environnement et de Florian Charvolin

dans son ouvrage L’invention de l’environnement en France. Chroniques anthropologiques

d’une institutionnalisation. Le terme d’« institutionnalisation » désigne la prise en charge d’un domaine, ici l’environnement, par les institutions dirigeantes des pays. Il constitue ce domaine en un « secteur » d’intervention des États. L’historien danois Jan-Henrik Meyer

explique qu’en Europe, cette institutionnalisation, qu’il nomme « européanisation de

l’environnement », est due à une prise en compte par les « Communautés européennes » à la fois des politiques internationales et à la fois des politiques nationales alors en développement

dans les pays européens59. La politique environnementale des États-Unis du début des années

1970, avec notamment la création d’une Agence de la protection de l’environnement, a joué un rôle important dans la prise en compte de l’environnement en Europe. De même, l’Allemagne a grandement influencé la politique environnementale européenne. Elle est

54

Tableau réalisé par l’auteure.

55

VIVIEN Franck-Dominique (2003), « Jalons pour une histoire de la notion de développement durable »,

Mondes en développement vol. 1, n° 121, p. 17

56

Cf. le bilan du sommet : ONU, « Sommet mondial pour le développement durable », www.un.org, disponible sur : http://www.un.org/french/events/wssd/coverage/summaries/envdev33.htm (consulté en juin 2014)

57

BERGANDI Donato et BLANDIN Patrick (2012), op. cit., p. 135

58

Cf. Le document adopté à la fin de la conférence Rio+20 : ONU (2012), Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 27 juillet 2012 [en ligne], disponible sur : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/66/288, 60 p.

59

MEYER Jan-Henrik et PONCHARAL Bruno (2012), « L'européanisation de la politique environnementale dans les années 1970 »,Vingtième Siècle. Revue d'histoire vol. 1, n° 113, pp. 117-126

22

notamment à l’origine du « principe de précaution »60 et des mesures restrictives pour pallier

la pollution atmosphérique qui se sont développées par la suite en Europe61.

Le Conseil de l’Europe a fait de l’année 1970 l’année européenne de la protection de la nature, c’est aussi le début d’une prise en compte de l’environnement dans les pays européens. En 1973, la mise en place du premier « Programme d’action des Communautés

européennes en matière d’environnement » a inauguré la « véritable politique

environnementale » européenne62.D’autres programmes d’action en environnement ont suivi :

1973, 1977, 1983. L’Europe mettait donc en place des directives que les États membres devaient appliquer. L’environnement est devenu une compétence explicite de la Communauté

Européenne en 1986 et apparaît même dans le traité de Maastricht depuis 199263. La

mondialisation de la question environnementale a entraîné un changement d’échelle. Les problèmes se pensent alors à l’échelle mondiale et prennent en considération une multiplicité d’acteurs et d’institutions.

Dans cette section, nous avons montré l’émergence des premières préoccupations environnementales concomitantes à l’industrialisation et à la croissance démographique. Les pays colonisés ont servi de « laboratoire » pour expérimenter divers dispositifs de protection. Les acteurs scientifiques se sont constitués en communauté internationale autour des préoccupations environnementales. Ils ont participé à les faire apparaître sur la scène publique en organisant divers évènements (conférences, sommet, etc.). Finalement, cette mise en visibilité a transformé les préoccupations environnementales en un « problème public » interpellant les autorités. Il ne s’agit plus alors de protéger la « nature », mais de protéger

l’« environnement ». Après cette mise en contexte international, nous examinerons

maintenant l’émergence de l’environnement en France. 1.2. Les interventions de l’État français 

L’État français est intervenu sur la nature avant la création du ministère de l’Environnement ou l’émergence même du terme d’« environnement ». Il ne s’agissait pas tant de gouverner les

60

Le « principe de précaution » est apparu en Allemagne, juridiquement en 1976, puis philosophiquement en 1979 avec notamment la publication de l’ouvrage Le Principe de Responsabilité de Hans Jonas. Cf. CALLON Michel, LASCOUMES Pierre, BARTHE Yannick (2001), Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris : Seuil, 358 p.

61

SCHMIT Laurent (2013), « Les « pluies acides » : une controverse des années 1980 », in MATHIS Charles-François et MOUHOT Jean-Charles-François (dir.), op. cit., pp. 131-140

62

MEYER Jan-Henrik et PONCHARAL Bruno (2012), op. cit., p. 117

63

LARRUE Corinne (1999), « Le ministère de l’Environnement et la mise en œuvre en France de la politique européenne de l’environnement », in LASCOUMES Pierre (dir.), Instituer l’environnement. Vingt-cinq ans d’administration de l’environnement, Paris : L’Harmattan, pp. 179-193

23 éléments naturels pour eux-mêmes que par rapport à l’homme. La nature apparaissait d’abord comme ce que l’homme avait sous les yeux : les paysages, mais également ce qui le fait vivre, le nourrit et le loge : les ressources (naturelles), c’est-à-dire alimentaires et le bois (de construction et de chauffe). Cette conception de la nature anthropocentrée légitimait l’État à intervenir sur sa protection. Cette intervention s’est caractérisée par la mise en place d’une multitude d’outils réglementaires.

1.2.1. La mise en place d’outils réglementaires 

Les premiers dispositifs de protection de la nature sont apparus avec les « séries artistiques » forestières mises en place dans la forêt de Fontainebleau par le décret impérial du 13 avril

186164. Il s’agissait de territoires sur lesquels l’intervention des aménageurs était proscrite à

des fins de conservation esthétique65. En 1882, la loi sur la restauration des terrains de

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