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La construction d’un « espace du « socio-sport » »

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 98-103)

Chapitre 4. De la construction théorique … à la mise en action

1.2 La construction d’un « espace du « socio-sport » »

La construction d’un « espace du « socio-sport » » est la résultante de plusieurs

« démarches » : celle de notre terrain, de nos lectures scientifiques et d’un contrat de recherche auquel nous avons participé154. Au contact de différents acteurs et actrices socio-sportifs.ves, nous avons été amenée à échanger sur leur pratique. Afin de la définir, ils.elles mobilisaient principalement deux caractéristiques : celle des publics et celle de la forme de pratique.

Pour la première, plusieurs critères auraient pu être retenus tels que l’âge, le sexe, le niveau de pratique, etc. Cependant, dans la mesure où nous traitons de l’intégration par le sport, il nous a paru plus pertinent de ne pas s’arrêter sur ces variables sociologiques « formelles » mais plutôt d’identifier la façon dont les acteurs et actrices situait les publics par rapport à l’intégration. Or, il s’est avéré que l’ensemble des réponses apportées rejoignait une approche sociologique portée par R. Castel.

153 Michon, B., Koebel, M. (2009). « Pour une définition sociale de l’espace », in Grandjean, P. (dir.), Construction identitaire et espace. Paris, L’Harmattan.

154 L’étude portait sur « L’insertion par le sport dans le XIXe arrondissement de Paris » (Le Yondre, Sempé, 2014). La Mairie du XIXe arrondissement souhaitait « pouvoir disposer d’un outil de mise en relation et de dialogue avec les acteurs impliqués dans la mise en œuvre de projets d’animations, de prévention, et d’insertion des jeunes, et plus largement des habitants par les activités sportives » (extrait du cahier des clauses d’engagement). L’étude devait apporter les moyens d’une réflexion concertée sur l’insertion par le sport tout en enclenchant cette concertation.

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Pour la deuxième, les acteurs et actrices évoquaient leur pratique en terme d’approche, autrement dit la manière dont ils.elles concevait la pratique et sa mise en place. Deux dimensions ressortaient de leurs discours, celle de la compétition et celle du loisir considérée comme une forme de pratique éloignée du sport traditionnel de compétition. La genèse du

« sport » a également mis en lumière l’émergence de ce modèle binaire avec un « socio-sport » qui s’est construit « à côté » ou « en dessous » du socio-sport traditionnel de compétition (Gasparini, Vieille-Marchiset, 2008, Falcoz, Koebel, 2005, Chantelat, Fodimbi, Camy, 1996).

Notre démarche consiste donc à interroger et croiser, d’une part, les visions et les approches locales du « socio-sport », c’est-à-dire la manière dont les différents acteurs et actrices perçoivent, définissent et mettent en œuvre le « socio-sport » (en le centrant sur la compétition ou sur le loisir) et d’autre part, les caractéristiques des publics à travers le prisme de l’intégration, tel que l’entend R. Castel (1995). À l’articulation et au croisement de ces deux axes, l’enjeu de notre travail s’attache à identifier empiriquement ce que nous appellerons un « espace du « socio-sport » », autrement dit à comprendre le maillage des différents acteurs, actrices et dispositifs socio-sportifs locaux en tenant compte des publics ciblés.

Figure 1 - L'espace du « « socio-sport » »

100 L’axe d’intégration dans la théorie de R. Castel

Le public ciblé peut être appréhendé selon des caractéristiques plus fines que celles utilisées habituellement car si l’âge et le sexe sont évidemment des critères distinctifs incontournables, il est aussi possible de comparer les situations d’intégration sociale, les rapports à la pratique sportive, la situation en matière d’emploi ou d’école, etc. C’est ce que propose R. Castel dans son ouvrage « Métamorphose de la question sociale. Une chronique du salariat »155. Il rend compte de ce qu’il appelle « la nouvelle donne contemporaine » à savoir la présence, de plus en plus prégnante « d’individus placés comme en situation de flottaison dans la structure sociale, et qui peuplent ses interstices sans y trouver une place assignée » (Castel, 1995, 13).

Il cherche à comprendre qui sont ces individus mais surtout comment ils en sont arrivés à une situation « d’incertitude » (Castel, op.cit., 14) et ce qu’ils vont devenir. Il s’intéresse au parcours des individus. Le travail est au centre de son analyse, mais il ne le définit pas sous l’angle classique de la place occupée dans la production mais plutôt comme un « support privilégié d’inscription dans la structure sociale » (Castel, op.cit., 13). Pour lui, il existe un lien fort entre la place occupée par un individu dans la division sociale du travail et sa participation aux réseaux de sociabilité. Ces deux éléments constituent les vecteurs d’analyse des difficultés d’intégration : celui de l’intégration par le travail et celui de l’affiliation par une sociabilité relationnelle (famille, amis, quartiers, école, club de sport, etc.).

Schématiquement, trois situations typiques peuvent être distinguées selon la configuration de ces deux variables, représentées ci-dessous :

155 Castel, R. (1995). Métamorphose de la question sociale. Une chronique du salariat. Paris, Fayard.

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Figure 2 - Les trois zones selon R. Castel

La zone d’intégration représente l’association d’un travail stable et d’une forte insertion relationnelle. À l’inverse, la zone de désaffiliation est marquée par un « double décrochage » (Castel, op.cit., 13) : une absence de travail ainsi qu’un isolement relationnel. Entre les deux se trouve une zone intermédiaire, celle de vulnérabilité, zone instable synonyme de précarité du travail et d’une fragilité des soutiens relationnels.

La vision de R. Castel définissant l’intégration comme un phénomène non figé, évolutif est intéressante. Selon lui un individu, dans son parcours, peut passer d’une zone à une autre.

C’est d’ailleurs dans ce souci de « mobilité » que R. Castel utilise le terme de

« désaffiliation » et non « d’exclusion » : « L’exclusion est immobile. Elle désigne un état ou plutôt des états de privation. Mais le constat des carences ne permet pas de ressaisir les processus qui génèrent ces situations […] Parler de désaffiliation, en revanche, ce n’est pas entériner une rupture, mais retracer un parcours » (Castel, op.cit., 15).

102 L’axe de l’approche de la pratique sportive

Pour l’approche du sport, nous nous sommes attachée aux façons dont les acteurs et actrices se définissaient. Partant de là, l’axe de la conception du sport s’est structuré autour de deux pôles antagonistes que sont la compétition et le loisir défini comme un mode éloigné de la forme traditionnelle du sport compétitif. Évidemment, tous les acteurs et actrices n’expriment pas de la même façon cet antagonisme. Les mots choisis varient et doivent être situés dans un discours global. Par exemple, l’affirmation d’un « ludosport » qui s’émanciperait des impératifs de score et de comparaison des performances a été interprétée du côté de ce que nous avons appelé, en privilégiant un terme plus générique et donc moins exclusif, le loisir.

Ces deux dimensions apparaissent dans la genèse du « socio-sport ». En effet, si l’on se représente le « socio-sport » à ses débuts, il est apparu dans les quartiers défavorisés sous un aspect occupationnel (Gasparini, Vielle-Marchiset, 2008). Cette forme de pratique présente une dimension auto-organisationnelle (Chantelat, Fodimbi, Camy, 1996) qui s’oppose à la forme institutionnalisée du sport de compétition. L’idée d’une certaine « hiérarchie » et d’une tension se dégage de l’axe de l’approche entre un sport compétitif, dominant et considéré comme légitime, et un sport de city stade, inorganisé, perçu comme « bas de gamme ». Cette tension a notamment été illustrée par M. Travert156 dans son analyse du « football de pied d’immeuble ». Il questionne la position de ce football dans l’espace social du quartier et le décalage entre cette forme de pratique considérée comme une « production culturelle marginale » (Travert, 2003, 63) et le football institutionnel, modèle culturel dominant.

Nous identifions différents « critères » qui permettent de se situer sur l’axe de l’approche du côté de la compétition ou du loisir : la forme de pratique (formelle, inscription, cotisation / informelle, gratuité), les conceptions de pratique (performance, compétition, scores / découverte, ludique, initiation), la structuration de pratique (dirigée, cadrée, les publics s’adaptent au cadre / libre, le cadre s’adapte aux publics), l’institutionnalisation de la pratique (inscrite dans un championnat / absence de championnat).

Si notre démarche vise à comprendre le « socio-sport » au cœur du territoire rennais en prenant en compte leur histoire, leurs cultures, leurs habitants, leur diversité et les rapports sociaux inhérents, elle permet également d’identifier comment tel type de structure sportive

156 Travert, M. (2003). L’envers du stade. Le football, la cité et l’école. Paris, L’Harmattan.

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et/ou socio-sportive intervient sur tel individu, à quel moment du processus d’intégration et à partir de quelle action et de quelle définition du « socio-sport ».

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