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CONSTITUTION ET SOUVERAINETÉ DE L'ÉTAT EN DROIT PÉNAL A.-Les rapports entre le droit pénal et les droits fondamentaux

Dans le document Constitutions et droit pénal (Page 24-28)

83. Les droits fondamentaux tout à la fois encadrent, définissent et limitent le droit pénal 101 . En leur qualité des normes de rang constitutionnel, ils encadrent le droit pénal en faisant obligation à l'ensemble des détenteurs de la puissance publique en Suisse de les respecter. L'article 35 Cst. exprime cette fonction de manière éloquente en précisant de manière explicite que les droits fondamentaux doivent être respectés dans l'ensemble de l'ordre juridique, quiconque assumant une fonction étant publique étant tenu de les respecter et de contribuer à leur réalisation. Bien entendu, l'exercice de la compétence pénale prévue à l'article 123 Cst. n'échappe pas à cette règle. Les droits fondamentaux imprègnent ainsi la législation pénale 102 .

84. Les droits fondamentaux contribuent aussi à la définition du droit pénal dans la mesure où le législateur appelé à limiter l'exercice de certains d'entre eux doit nécessairement les concrétiser. L'énumération, dans la partie spéciale du Code pénal, des infractions contient ainsi autant de facettes des libertés qui sont précisées et concrétisées. C'est dire que, pour être certes dotés d'une force normative destinée à assurer leur applicabilité directe, les droits fondamentaux sont également soumis à la nécessité d'être bien souvent précisés et délimités par le législateur.

85. Enfin, les droits fondamentaux limitent le champ opératoire du droit pénal, d'une double manière. Ils le limitent d'abord à travers les barrières infranchissables qu'ils érigent et que le législateur est tenu de prendre en compte, par exemple en proscrivant la peine de mort ou en rappelant l'importance de la liberté personnelle et de l'interdiction de la torture, comme indiqué précédemment.

Ils limitent aussi le droit pénal à travers les conflits que l'application simultanée de certains d'entre eux sont susceptibles de générer. Comment assurer le respect de la sphère privée tout en permettant l'exercice de la liberté d'expression ? À quelles conditions l'exercice de la liberté économique obéit-il lorsque sont en jeu les droits de personnes vulnérables comme les enfants ou des activités ne répondant en tous points aux exigences de la morale ? De quelle manière une personne peut -elle être autorisée à porter atteinte aux droit d'autrui pour se défendre ou se prémunir d'une agression ?

86. La réponse à ce genre de question n'est pas simple. Elle fait appel à des arbitrages délicats qui nécessitent l'intervention du législateur, puis du juge. C'est dire que la Constitution fournit le cadre et le point de départ de la démarche, son aboutissement obéissant à un processus complexe impliquant une pluralité d'acteurs

institutionnels 103 .

101 Sur le rôle et l'importance du principe de la légalité dans le domaine des droits fondamentaux, voir Auer, MALINVERNI, Hottelier (note 9), P-85 et s.

102 Bernhard WALDMANN, « Das Strafrecht im Spannungsfeld zwischen Grundrechtsverwirklichung und Grundrechtsbindung », in Festschrift Franz Riklin, Zurich 2007, p.

273-103 Voir Michel HOTTELIER, « Les conflits de droits de l'homme et la sécurité juridique », AIDH 2009 (vol. IV), p. 115 et s.

SUISSE 377 B.-Les effets de la fragmentation du droit pénal sur la protection

des droits fondamentaux

87. Incontestablement, le droit pénal et la procédure pénale, fragmentés lors de la création de l'État fédéral au milieu du XIXe siècle, ont subi un processus d'uniformisation et d'homogénéisation. Ce constat concerne du reste de nombreux autres domaines du droit. Il traduit l'effet unificateur qu'a exercé le pouvoir central sur des matières originellement réservées aux collectivités fédérées sous le double impact de la centralisation des compétences et de la juridiction constitutionnelle.

88. La centralisation des compétences a progressivement conduit le peuple et les cantons à déposséder les collectivités fédérées de pouvoirs qui leur étaient initialement réservés pour les attribuer à la Confédération en permettant du coup à cette dernière d'adopter une législation uniforme, valable et applicable indistinctement dans l'ensemble des régions du pays 104. Le droit pénal et la procédure pénale, on l'a vu, n'ont pas échappé à ce processus historique puisqu'ils sont tous deux à présent régis par une législation fédérale. Les cantons ne disposent en conséquence plus que des compétences, au reste limitées, que leur a déléguées le pouvoir central en la matière.

89. Parallèlement et en complément à cette évolution institutionnelle, la juridiction constitutionnelle a elle aussi contribué à la centralisation de la protection des droits fondamentaux. Initialement garantis par les constitutions des cantons, les droits fondamentaux ont subi une centralisation sous l'effet de la jurisprudence du Tribunal fédéral. Progressivement, la Haute Cour en est venue à consacrer des droits non écrits de rang national s'imposant, à ce titre, à l'ensemble des cantons.

L'interprétation et la concrétisation de garanties figurant déjà, à l'époque, dans la Constitution fédérale a par ailleurs conduit le Tribunal fédéral à dégager, sur la base notamment du principe d'égalité de traitement, des standards qui ont notablement influencé la pratique des autorités cantonales à l'image par exemple de la garantie du droit d'être entendu ou de l'assistance judiciaire. La ratification par la Suisse de la CEDH, en 1974, a renforcé cet effet centralisateur sous les effets conjugués du contrôle de conventionnalité exercé par le Tribunal fédéral et par la Cour européenne des droits de l'homme.

C.-La transconstitutionnalisation du droit pénal

90. La Suisse n'étant pas membre de l'Union européenne, elle n'est soumise directement ni au droit communautaire, ni à la juridiction de la Cour de Justice de l'Union européenne (ci-après : CJUE) 105 . Par conséquent, elle échappe à une remise en cause directe de sa souveraineté pénale par le droit européen et par les arrêts des magistrats du Luxembourg. Nonobstant, une influence indirecte des normes communautaires sur l'ordre juridique suisse est incontestable, notamment via l'Accord sur la libre circulation des personnes en vigueur depuis le 1er juin 2002.

Cette dernière ne saurait toutefois, en 2010, être comparée à une

« communautarisation rampante » du droit pénal lo6.

104 Au sujet de l'effet centralisateur du fédéralisme en Suisse, voir AUER, MAUNVERNI, HOTTELIER (note 37), p. 324 et s.

105 Marianne DONY, Droit de l'JJnion européenne, 3e éd., Bruxelles 2010, p. 281 et s.

106 Sur le droit pénal communautaire, voir Ambos KAI, Internationales Strafrecht — Strafanwendungsrecht — Volkerstrafrecht — Europdisches Strafrecht , 2e éd., Munich 2008, p. 412 et s.

D - Constitution et émergence d'un droit international pénal 1 - Constitution et reconnaissance de la compétence d'une juridiction

pénale internationale

91. Obéissant à la tradition moniste 107 , la Suisse reconnaît explicitement l'importance du droit international. Cette règle figure à l'article 5 alinéa 4 Cst. 108 . De plus, selon l'article 190 Cst. et la jurisprudence en découlant, les plus hautes instances judiciaires du pays sont tenues d'appliquer le droit international, même s'il est contraire au droit interne, reconnaissant ainsi la primauté du droit international, en particulier dans le domaine des droits de l'homme 109.

92. Cette position d'ouverture résolue au droit international, à tout le moins au niveau juridique, n'exclut en aucune façon l'acceptation de la compétence d'une juridiction pénale internationale. Elle ne s'oppose ainsi pas à une forme d'érosion postmoderne du monopole étatique comme source de droit pénal no. Par conséquent, la Suisse est partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) du 17 juillet 1998 111 depuis le 12 octobre 2001 112 . L'absence de possibilité de réserves souligne également la volonté de la Suisse de se soumettre à une juridiction pénale internationale 113. Cette évolution ne devrait point être sous-estimée eu égard à la

« jalousie » traditionnelle des États par rapport à leur souveraineté pénale ll4.

93. Par ailleurs, nous nous concentrerons dans les prochains paragraphes sur le Statut de la CPI, même si d'autres traités internationaux participent à l'internationalisation du droit pénal, à l'instar de la Convention pour la prévention et la répression du crime du génocide du 9 décembre 1948 115 et des Conventions de Genève du 12 août 1949 ll6.

2 - Statut constitutionnel des « crimes internationaux »

94. En raison du monisme, les « crimes internationaux » sont repris tels quels du Statut en Suisse 117. Certes, la Constitution helvétique pourrait limiter la reconnaissance de ces crimes ou de leurs éléments constitutifs. Elle contreviendrait alors à ses obligations internationales et engagerait simultanément la responsabilité du pays sur la scène internationale 118. En conséquence, pareille évolution ne serait guère souhaitable 119.

107 Yvo HANGARTNER, « Artikel 5 », in Die Schweizerische Bundesverfassung — Kommentar, Zurich / Saint-Gall / Bâle / Genève 2008, 2e éd., p. 121 et s.

108 « La Confédération et les cantons respectent le droit international ».

109 AUER, MALINVERNI, HoTTELIER (note 9), p. 459 et s.

110 Yves CARTUYVELS, « Le droit pénal et l'État : des frontières « naturelles » en question », in Le droit pénal à l'épreuve de l'internationalisation, Paris / Genève / Bruxelles 2002, p. 15 et s.

111 Ci-après : Statut ; RS 0.312.1.

112 FF 2008 3467.

113 Article 120 du Statut.

114 André HUET, Renée KOERING-JOULIN, Droit pénal international , 3e éd., Paris 2005, p. 6.

115 RS. 0.311.11.

116 RS 0.518.12 ; RS 0.518.23 ; RS 0.518.42 ; RS 0.518.51.

117 Voir notamment les articles 6 à 8 du Statut.

1 18 Nguyen Quoc DlNH, Patrick DAILLIER, Mathias FORTEAU, Alain PELLET, Droit international public, 8e éd., Paris 2009, p. 852 et s.

119 Quant à la question de la poursuite à un plan strictement national des crimes tels que définis par le Statut, voir infra, D.4.

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3 - Obligations constitutionnelles imposées au législateur

95. Il convient tout d'abord de préciser que le Statut n'impose d'aucune façon aux Etats parties de légiférer en matière de « crimes internationaux » ; nonobstant, si la Suisse ne désire pas prendre le risque de céder sa compétence procédurale à la CPI en raison de l'article 17 du Statut, il lui faut se doter de bases légales suffisamment claires et précises en l'espèce 12°.

96. Si le législateur estime judicieux de faire œuvre législative, son œuvre ne saurait pour autant échapper à la primauté du droit international consacrée à l'article 5 alinéa 4 Cst. Il s'ensuit que le parlement est tenu de se conformer aux éléments constitutifs des « crimes internationaux » sous peine, à nouveau, d'engager la responsabilité internationale de la Suisse. Au surplus, la jurisprudence récente du Tribunal fédéral et la doctrine majoritaire consacrent le principe de la supériorité des obligations internationales sur les lois fédérales , même si la formulation même de l'article 190 Cst. ne tranche pas explicitement la question 121 .

97. Il est intéressant de relever que l'Assemblée fédérale a adopté en date du 18 juin 2010 une « loi fédérale portant modification de lois fédérales en vue de la mise en œuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale » 122 . Cette loi est entrée en vigueur le 1er janvier 2011 123. Elle a notamment pour but d'inscrire dans l'ordre juridique suisse la notion de crimes contre l'humanité et de définir avec plus de précision les crimes de guerre 124. En agissant de la sorte, la Suisse aspire, entre autres, à éviter tout risque de devenir un refuge pour de tels criminels et cherche à juger par elle-même autant de « crimes internationaux » que possible 125 .

4 - Existence de limitations constitutionnelles ?

98. Les principes de la légalité (article 5 alinéa 1er Cst.) et de nulla poena sine lege influencent l'intégralité du droit pénal. Ils empêchent une application directe des normes du Statut relatives aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité dans une procédure pénale en Suisse. En effet, leur formulation ne satisfait pas toujours aux exigences de précision auxquelles le jus puniendi doit répondre 126 . Ainsi, « les normes du Statut (...) ayant pour objet la répression des crimes (article 6 à 8) ne constituent des bases légales contraignantes que pour la CPI et sa juridiction » 127 .

99. Dès lors, les exigences constitutionnelles en matière de légalité limitent la poursuite, à un niveau national , des crimes prévus par le Statut. C'est afin d'empêcher que le principe de complémentarité (art. 17 du Statut) rende la CPI compétente dans certaines affaires que la Suisse a révisé ses dispositions pénales 120 FF 2008 3476.

121 Auer, Malinverni, Hottelier (note 9), p. 462.

122 FF 2010 3889. Voir également Henri D. BOSLY, Damien VANDERMEERSCH, Génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre face à la justice — Les juridictions internationales et les tribunaux nationaux,

Bruxelles / Paris 2010, p. 187 et s.

123 FF 2010 4896.

124 FF 2008 3462.

125 Ibid.

126 FF 2008 3476.

127 Ibid.

internes dans le but de permettre des procédures pénales nationales pour tous les crimes prévus par le Statut 128 . L'influence des garanties constitutionnelles est donc patente en l'espèce.

128 FF 2008 3476 et s.

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