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Constitutions et droit pénal

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Constitutions et droit pénal

HOTTELIER, Michel, GONIN, Luc

HOTTELIER, Michel, GONIN, Luc. Constitutions et droit pénal. Annuaire international de justice constitutionnelle, 2011, vol. 26-2010, p. 355-380

DOI : 10.3406/aijc.2011.2034

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:17446

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Suisse

M. Michel Hottelier

,

Luc Gonin

Citer ce document / Cite this document :

Hottelier Michel, Gonin Luc. Suisse. In: Annuaire international de justice constitutionnelle, 26-2010, 2011. Constitutions et droit pénal - Hiérarchie(s) et droits fondamentaux. pp. 355-380;

doi : https://doi.org/10.3406/aijc.2011.2034

https://www.persee.fr/doc/aijc_0995-3817_2011_num_26_2010_2034

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TABLE RONDE CONSTITUTIONS ET DROIT PÉNAL

SUISSE

par Michel HOTTELIER et Luc GONIN *

INTRODUCTION

1 . Les rapports qu'entretient, nolens volens, la Constitution avec le droit pénal ne sont pas dépourvus d'ambiguïté. Ils le sont, d'abord, dans leurs fondements mêmes : savoir ce qui revient à la loi fondamentale de l'État d'une part et à la législation dite ordinaire de l'autre pose des problèmes structurels et institutionnels délicats, qui renvoient à la fonction impartie au droit constitutionnel, ainsi qu'au rôle qu'assume le législateur. Sous cet angle, ce sont la notion même de Constitution, sa légitimité et sa finalité qui sont interpellées l.

2. Le droit constitutionnel contemporain ne se confinant plus, d'un point de vue organique, à une question de « Grundgesetz » ou de « Supreme Law of the Land », les rapports entre Constitution et droit pénal sont aussi, de nos jours, tributaires dans une large mesure de la juridiction constitutionnelle. C'est dire que le contrôle de la constitutionnalité des lois et des décisions que celles-ci fondent, doublé bien souvent d'un contrôle de conventionnalité à l'échelon national, puis subsidiairement international, pousse à s'interroger sur le rôle imparti au « Judge made law » dans ce domaine, en lien avec la protection des droits fondamentaux garantis par l'ordre juridique interne et des droits de l'homme consacrés par le droit international.

3. Le droit suisse n'échappe pas à ces remarques préliminaires. Considérée globalement, la question des rapports entre Constitution et droit pénal peut être appréhendée sous trois angles distincts , mais néanmoins complémentaires. Il y a d'abord les règles de nature spécifiquement pénale qui sont susceptibles de trouver un point d'ancrage dans la Constitution. Il y a ensuite les règles de rang constitutionnel qui ont vocation à orienter ou limiter l'envergure de la législation pénale. Il y a enfin, comme dans tout État fédéral, la question de savoir à quel niveau de l'ordonnancement institutionnel — fédéral ou cantonal - la législation en matière pénale — y compris les règles d'organisation judiciaire et de procédure —, peut être

* Respectivement : Professeur à l'Université de Genève ; Docteur en droit de l'Université de Genève.

1 Voir Jean-François AUBERT, « La Constitution, son contenu, son usage », Revue de droit suisse 1991 II, p. 9 et s.

Annuaire international de justice constitutionnelle, XXVI-2010

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générée. Ces trois éléments conditionnent de manière particulièrement originale l'agencement et la nature des rapports entre Constitution et droit pénal en Suisse.

I.-CONSTITUTION ET DÉFINITION DU DROIT PÉNAL PAR LE LÉGISLATEUR A.-Le degré d'ancrage du droit pénal au sein de l'arsenal

constitutionnel

4. La Suisse connaît une situation mixte en matière de droit pénal. En effet, la Constitution fédérale du 18 avril 1999 2 contient à la fois des principes généraux et des dispositions détaillées sur le sujet.

1) Les principes généraux

5. Au nombre des principes généraux applicables au droit pénal, il faut citer en premier lieu le droit au respect de la dignité humaine. Enoncée en tête du catalogue des droits fondamentaux (art. 7 Cst.), cette disposition fonde et conditionne, à la manière d'un fil rouge, l'ensemble des droits individuels protégés par la Constitution. Elle est appelée à jouer, on peut s'en douter, un rôle majeur dans le domaine du droit pénal, aussi bien à l'égard des normes pénales elles-mêmes que des règles de procédure destinées 0 assurer leur application sur le terrain policier et judiciaire 3. Il en va de même, naturellement, des droits fondamentaux touchant aux facettes les plus intimes et les plus vulnérables de la personne humaine comme le droit à la vie (art. 10 al. 1 Cst.), la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.), l'interdiction de la torture (art. 10 al. 3 Cst.) ou la protection de la sphère privée (art.

13 Cst.).

6. Parmi les dispositions précisant les principes généraux du droit pénal, l'on retrouve les diverses garanties de procédure qui se caractérisent par le fait qu'elles régissent et orientent la façon d'agir des autorités 4. Celles-ci figurent aussi, et parfois de manière fort détaillée, dans le catalogue des droits fondamentaux qu'énonce la Constitution. L'article 29 Cst. offre en ce sens des garanties générales de procédure comme le droit à un traitement équitable dans un délai raisonnable. Cette garantie peut être invoquée en matière pénale 5. Elle est particulièrement importante puisqu'elle est considérée comme une norme à vocation générale et résiduelle à laquelle peuvent recourir les prétoires pour faire évoluer le droit 6. L'alinéa 2 de la même disposition donne, quant à lui, le droit aux parties d'être entendues,

2 Ci -après : Cst. ; Recueil systématique du droit fédéral suisse (RS) 101, disponible sur le site www.admin.ch.

3 L'article 3 alinéa ldu Code fédéral de procédure pénale entré en vigueur le 1" janvier 2011 rappelle de manière explicite que « les autorités pénales respectent la dignité des personnes impliquées dans la procédure, à tous les stades de celle-ci ». Sur cette disposition, voir Michel HOTTELIER,

« Article 3 », in André KUHN, Yvan JEANNERET (éd.), Code de procédure pénale suisse, Bâle 2011, p. 17ss et les autres références citées.

4 Michel HOTTELIER, « Les garanties de procédure », in Daniel ThÙRER, Jean-François AUBERT, Jôrg Paul MULLER (éd.), Droit constitutionnel suisse, Zurich 2001, p. 809.

5 René RHINOW, Markus SCHEFER, Schweizerisches Verfassungsrecht, 2e éd., Bâle 2009, p. 591 et s.

6 Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral suisse (ci-après : ATF, disponible sur le site www.bger.ch) 131 I 272, p. 277 X. Le Tribunal fédéral a par exemple estimé qu'il est contraire à la Constitution d'utiliser des moyens de preuve qui ont été obtenus de manière illicite et ce, même si ces derniers n'étaient pas prohibés en soi. Les magistrats sont arrivés à cette conclusion en se référant à la notion de procès équitable qu'ils déduisent notamment de l'articles 29 alinéa 1 Cst.

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suisse 357 notamment lors de procédures pénales 1 . L'article 29 alinéa 3 Cst. garantit, pour sa part, de manière générale le droit à l'assistance juridique gratuite, naturellement sans

exclure le droit pénal de son champ d'application 8.

7. L'article 29a Cst. garantit de manière générale l'accès au juge. Cette disposition a été adoptée le 12 mars 2000 par le peuple et les cantons dans le cadre de la réforme de la justice fédérale 9. Sa création s'inscrit dans le sillage de l'entrée en vigueur pour la Suisse, le 28 novembre 1974, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales 10 et, en particulier, de son article 6 paragraphe 1er11. L'article 30 alinéa 1er Cst. énonce de manière spécifique les garanties applicables à la procédure judiciaire. Cette disposition énonce le droit d'être jugé par un tribunal tant indépendant qu'impartial, compétent et établi par la loi 12. La norme empêche également le juge d'instruction de siéger comme juge pénal du fond ; il en va de même du magistrat qui avait déjà participé à une affaire en qualité de procureur, du juge de renvoi et du juge qui avait au préalable décerné un mandat de répression 13. Toutefois, cette disposition n'exclut pas la présence de juges laïcs au sein d'un tribunal 14 .

8. Enfin, l'article 31 alinéa 1er Cst. fait explicitement interdiction aux autorités de priver un individu de sa liberté « si ce n'est dans les cas prévus par la loi et selon les formes qu'elle prescrit ». Cette prohibition est générale. Elle ne concerne, dès lors, pas uniquement les détentions suite à une accusation ou à une condamnation pénale 15 . Il s'agit, bien plus, d'une garantie accordée à toute personne que l'Etat peut être amené à priver de sa liberté de mouvement au sens de l'article 10 alinéa 2 Cst. et d'une concrétisation spécifique du droit d'être entendu consacré par l'article

29 alinéa 2 Cst. l6. Les alinéas 2, 3 et 4 de l'article 31 Cst. protègent respectivement le droit à l'information de l'individu privé de sa liberté, son droit d'être traduit devant un juge et son droit de recourir 17 . La disposition contient en particulier une clause originale, qui précise que la personne privée de liberté doit être mise en état de faire valoir ses droits et qu'elle possède en outre le droit de faire informer ses proches (art. 31 al. 2 in fine Cst.).

7 HOTTELIER (note 4), p. 812. Sur la portée très large du droit d'être entendu, voir Gerold STEINMANN, « Artikel 29 », in Die Schiveizerische Bundesverfassung - Kommentar, 2e éd., Zurich / Saint-Gall / Bâle / Genève 2008, p. 591 et s.

8 Le Tribunal fédéral a estimé, en 1887 déjà, que l'exigence d'une avance de frais de la part d'une partie indigente était clairement contraire à l'idée de justice (ATF 13 251). Concernant l'article 29 alinéa 3 Cst., voir également Regina KlENER, Walter KÂLIN, Grundrechte , Berne 2007, p. 429 et s.

9 Andreas AUER, Giorgio MALINVERNI, Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, Les droits fondamentaux, 2e éd., Berne 2006, p. 563.

10 Ci-après : CEDH ; RS 0.101.

II HOTTELIER (note 4), p. 814 ; Andreas KLEY, « Artikel 29a », in Die Schiveizerische Bundesverfassung — Kommentar , 2e éd., Zurich / Saint-Gall / Bâle / Genève 2008, p. 604.

12 Comme le rappelle l 'ATF 131 I 31, p-34 X., cette garantie est importante en ce qu'elle exclut formellement la création de tribunaux ad personam ou ad hoc. Voir également Jôrg Paul MULLER, Markus SCHEFER, Grundrechte in der Schweiz im Rahmen der Bundesverfassung, der EMRK und der UNO-Pakte, 4e éd., Berne 2008, p. 927 .

13 TF, arrêt non publié du 18 mars 2010, 1B. 35/2010, consid. 2.1. ; ATF 117 la 157, p. l62ss S. ; ATF 114 la 50, p. 53ss et p. 66ss G. und B.

14 ATF 134 I 16 X. und Y.

15 Jean-François AUBERT, Pascal MAHON, Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Constitution suisse du 18 avril 1999, Zurich / Bâle / Genève 2003, p. 288.

16 HOTTELIER (note A), p. 818.

17 Hans VEST, « Artikel 31 », in Die Schiveizerische Bundesverfassung — Kommentar, Zurich / Saint-Gall / Bâle / Genève 2008, 2' éd., p. 651 et s.

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2) Les dispositions spécifiques

9. Au niveau des garanties de procédure, l'article 32 Cst. s'applique spécifiquement à la procédure pénale. Il est par ailleurs complété par les articles 6 paragraphes 2 et 3 CEDH et 14 paragraphe 2 à 7 du Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques, en vigueur pour la Suisse depuis le 18 septembre 1992 18 . L'objectif de cette disposition est triple : elle garantit la présomption d'innocence (alinéa 1er), les droits de la défense (alinéa 2) et

le droit à un double degré de juridiction (alinéa 3) 19.

10. En ce qui concerne la présomption d'innocence, cette garantie constitue, conformément aux standards européens, un aspect élémentaire du droit à un procès équitable. Sa consécration constitutionnelle est donc essentielle à un État de droit 20 . Selon ce principe, il incombe aux autorités étatiques d'établir la culpabilité de

l'intéressé, et non pas à ce dernier de démontrer son innocence 21 . Par ailleurs, si le juge conserve un doute sérieux quant à la culpabilité d'un accusé après un examen minutieux des preuves à charge et à décharge, celui-ci doit être acquitté 22 . L'envergure de la disposition est considérable, puisqu'elle gouverne à la fois la répartition du fardeau de la preuve et l'appréciation des preuves elles-mêmes. Afin de pouvoir faire valoir ses droits, l'accusé doit en outre être informé des accusations portées contre lui « dans les plus brefs délais et de manière détaillée » comme le précise

explicitement l'article 32 alinéa 2 Cst.

1 1 . Ces garanties ne sont pas définies par le texte constitutionnel lui-même.

C'est dire que leur concrétisation repose sur un important travail doctrinal et jurisprudentiel. Elles contiennent notamment le droit de disposer d'une période suffisante pour préparer la défense, la faculté, pour l'accusé, d'assumer sa défense lui- même ou de mandater un défenseur pour ce faire ou encore le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge 23 .

12. Le droit à un double degré de juridiction permet à une personne jugée coupable de faire examiner le jugement par une autorité supérieure. L'exception en faveur d'une instance unique prévue dans la deuxième phrase de l'article 32 alinéa 3 Cst. a perdu toute actualité depuis l'entrée en vigueur de la loi fédérale du 4 octobre 2002 sur le Tribunal pénal fédéral, puis de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération du 19 mars 2010 24 ; en effet, les jugements du Tribunal pénal fédéral sont désormais soumis au contrôle de la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral 25 . La norme fondamentale ne règle cependant pas la question du

18 Ci-après : Pacte II ; RS 0.103.2. Voir également AUER, MALINVERNI, HOTTELIER (note 9), p. 617 et s.

19 Hans VEST, « Artikel 32 », in Die Schweizerische Bundesverfassung - Kommentar, Zurich / Saint-Gall / Bâle / Genève 2008, 2e éd., p. 664 et s.

20 Voir CEDH Vitan c. Roumanie du 25 mars 2008, § 69-

21 Ce principe est encore rappelé par le Tribunal fédéral dans son arrêt non publié du 16 février 2010, 1B.334/2009, consid. 3.1.

22 TF, arrêt non publié du 5 mars 2008, 1P.121/2007, consid. 2.1 ; MÛLLER, SCHEFER (note 12), p. 981 et s.

23 Voir également AUBERT, MAHON (note 15), p. 297 ; VEST (note 17), p. 671 et s.

24 Ci-après : LTPF ; RS 173.71.

25 Voir l'article 80 de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (ci-après : LTF ; RS 173.1 10). Voir également KlENER, KÂLIN (note 8), p. 474 ; VEST (note 17), p. 680.

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SUISSE 3. 59 pouvoir d'examen de l'instance de recours, laissant une marge de manœuvre au législateur 26 .

13. La Constitution fédérale proscrit formellement la peine de mort en son article 10 alinéa 1er27. Depuis l'entrée en vigueur, le 1er juillet 2003, du Protocole additionnel n° 13 CEDH interdisant la peine capitale en toutes circonstances28, cette mesure ultime est exclue en Suisse autant en temps de paix qu'en temps de guerre 29 . La norme fondamentale fixe ainsi clairement un cadre au droit pénal en proscrivant de manière absolue un certain type de sanction. Sa concrétisation jurisprudentielle a eu pour effet d'exclure, par juge interposé, la coopération en matière pénale lorsqu'un individu accusé d'un crime risque la peine de mort dans l'Etat requérant. Dans pareille situation, la Suisse coopère uniquement après avoir obtenu l'assurance que cette sanction ne sera ni requise, ni prononcée, ni appliquée 30. Enfin, il convient de relever que l'interdiction de la peine de mort appartient au noyau dur de la liberté personnelle 31 . Une initiative intitulée « Peine de mort en cas d'assassinat en concours avec un abus sexuel » a été examinée par la Chancellerie le 4 août 2010 en vue d'être soumise à la récolte de signatures permettant sa soumission au peuple et aux cantons 32 . En fait, l'initiative tendait davantage à sensibiliser l'opinion publique au sort d'un procès en cours qu'à véritablement réinstaurer la peine capitale. Considérant qu'il avait atteint ce but, le comité d'initiative a renoncé à défendre cet amendement constitutionnel. La récolte de signatures en vue de soumettre ce texte au vote du peuple et des cantons n'a ainsi pas commencé.

14. Acceptée en votation le 8 février 2004 par le peuple et les cantons, l'initiative populaire sur l'internement à vie des délinquants particulièrement dangereux a conduit pour sa part à l'adoption de l'article 123a Cst. Cette disposition prévoit, à son alinéa 1er, l'enfermement définitif d'un « délinquant sexuel ou violent (...) qualifié d'extrêmement dangereux et non amendable dans les expertises nécessaires au jugement ». Outre les difficultés qu'il fait naître en relation avec les garanties nationales et internationales des droits fondamentaux, cet article pose, en sus, de sérieux problèmes en matière de proportionnalité 33 .

15. L'adoption par le peuple et les cantons, le 28 novembre 2010, de l'initiative « Pour le renvoi des étrangers criminels » prévoit, à travers la modification de l'article 121 Cst., la privation du droit de séjour, indépendamment de leur statut et 26 Sur les raisons de cette marge de manœuvre, voir notamment le Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, Feuille fédérale de la Confédération suisse

(ci-après : FF) 1997 I, p. 189 et s.

27 Rainer J. SCHWEIZER, « Artikel 10 », in Die Schweizeriscbe Bundesverfassung - Kommentar, Zurich / Saint-Gall / Bâle / Genève 2008, 2e éd., p. 256 et s.

28 Protocole n° 13 du 3 mai 2002 à la CEDH, relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances ; RS 0.101.093.

29 Sur l'historique de la suppression progressive de la peine de mort en Suisse, voir AUER, MALINVERNI, HOTTELIER (note 9), p. l40ss ; Detlev Chr. DlCKE, « Article 65 », in Commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 29 mai 1874, Bâle / Zurich / Berne 1989-

30 ATF 130 II 217, p. 233 Wang et consorts : « En Suisse, la peine de mort est abolie en toutes circonstances (...). La coopération internationale en matière pénale est partant exclue lorsque la personne accusée dans l'État requérant est exposée à la peine de mort ».

31 ATF 136 I 87, p. 96 Demokratische Juristinnen und Juristen Zurich (DJZ) und Mitb.

32 FF 2010 1987s.

33 Hans VEST, « Artikel 123a », in Die Schweizeriscbe Bundesverfassung — Kommentar, Zurich / Saint-Gall / Bâle / Genève 2008, 2e éd., p. 19l6ss ; AUER, MALINVERNI, HOTTELÏER (note 9), p. 182 et les références citées.

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de tous leurs droits à séjourner en Suisse, des étrangers qui ont été condamnés par un jugement entré en force pour meurtre, viol, ou tout autre délit sexuel grave, pour un acte de violence d'une autre nature tel que le brigandage, la traite d'êtres humains, le trafic de drogue ou l'effraction ; ou encore s'ils ont perçu abusivement des prestations des assurances sociales ou de l'aide sociale. Ce nouveau statut pénal ne va sans poser lui aussi des problèmes sérieux de compatibilité avec le droit international comme avec le principe de la proportionnalité 34.

3) La structure fédéraliste

16. Le fédéralisme tel que l'agence la Constitution conditionne de manière déterminante l'organisation juridique suisse dans son ensemble 35 . Un auteur célèbre dit justement du fédéralisme que c'est à l'étendue de la compétence législative qu'il aménage qu'on le reconnaît le mieux 36. En Suisse, la structure fédérale fixe également les contours du droit pénal 37 . L'article 123 Cst. stipule que la législation en la matière ainsi que la procédure pénale relèvent de l'État fédéral (alinéa 1er), tandis que l'organisation judiciaire, l'administration de la justice et l'exécution des peines sont du ressort des cantons (alinéa 2).

17. De grands Etats dotés d'une structure fédérale comme les États-Unis peuvent assurément prévoir que la législation pénale reste en principe placée dans le giron des collectivités fédérées. Pareil système serait impensable à l'égard d'un petit État, relativement peu peuplé, doté de surcroît de vingt-six structures autonomes.

De fait, si les cantons suisses disposaient certes de la compétence de légiférer dans le domaine pénal lors de la création de l'État fédéral, en 1848, la situation a fondamentalement changé en 1898 avec l'attribution de cette compétence à la Confédération 38. Suite à l'attribution de la compétence, l'entrée en vigueur, le 1er janvier 1942, du Code pénal suisse adoptée le 21 décembre 1937 39 a sonné le glas des compétences cantonales en la matière 40 .

18. Par respect de la structure fédérale et des particularités cantonales, l'attribution à la Confédération de la compétence de légiférer dans le domaine pénal a néanmoins laissé subsister la compétence des cantons de légiférer dans le domaine de l'organisation judiciaire et de la procédure. Mais là également, le fédéralisme a

34 Dans son message à l'adresse des Chambres fédérales (FF 2009 4571), le Conseil fédéral a relevé que cette initiative contrevient à la CEDH, au Pacte II, à la Convention internationale relative aux droits de l'enfant ainsi qu'à l'Accord sur la libre circulation entre la Suisse et les Etats membres de l'Union européenne. Ces instruments étant considérés par le Conseil fédéral comme contenant du droit international non impératif (sic), la validité de l'initiative a été confirmée. L'Assemblée fédérale a suivi cet avis. Elle a déclaré l'initiative valable, tout en lui opposant un contreprojet conforme aux instruments internationaux précités, lequel a été rejeté lors de la votation populaire du 28 novembre 2010.

35 Thomas FLEINER, Alexander MlSIC, « Fôderalismus als Ordnungsprinzip der Verfassung », in Daniel ThÙRER, Jean-François AUBERT, Jôrg Paul MÛLLER (éd.), Droit constitutionnel suisse, Zurich 2001, p. 429 et s.

36 AUBERT (note 1), p. 62.

37 Sur la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons, voir Andreas AUER, Giorgio MALINVERNI, Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. I, L'État, 2e éd., Berne 2006, p. 311 et s.

38 II s'agissait de l'article 64bis de la Constitution fédérale du 29 mai 1874. Sur cette disposition, voir Blaise KNAPP, in Commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 29 mai 1874, Bâle / Zurich / Berne 1986.

39 Ci -après : CP ; RS 31 1.0.

40 AUER, Malinverni, HOTTELIER (note 37), p. 360.

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suisse 361 montré ses limites et la nécessité de disposer d'une loi de procédure pénale centralisée, soumettant l'ensemble des cantons au respect de règles identiques, s'est imposée.

Adopté le 5 octobre 2007 par les Chambres fédérales, un code fédéral de procédure pénale extrêmement complet et détaillé est entré en vigueur le 1er janvier 2011 41 .

19-La répartition des compétences entre la Confédération et les cantons en matière pénale ne se limite pas à indiquer, sur le plan constitutionnel, qui peut faire quoi à quel niveau. Elle implique également que des arbitrages doivent inévitablement avoir lieu en cas de conflit de compétences ou de regies entre les cantons et la Confédération. Le Tribunal fédéral peut ainsi être appelé à sanctionner des normes ou des pratiques cantonales qui contreviennent au droit fédéral, soit lorsqu'un canton adopte des normes contraires au Code pénal 42 ou lorsqu'il ne respecte pas les droits fondamentaux dans l'administration de la justice 43.

B.-L'organe chargé de la définition de la matière pénale 1) Le législateur fédéral

20. Le principe de la légalité occupe une place centrale dans l'édifice constitutionnel puisqu'il représente le premier principe d'activité de l'Etat régi par le droit au sens de l'article 5 alinéa 1 Cst. 44 . On sait, d'ailleurs, que c'est dans le domaine pénal que la légalité s'est développée historiquement comme instrument permettant de fonder l'action de l'État dans le respect des droits fondamentaux. En légitimant la politique répressive de l'Etat conduisant à la restriction des libertés, la loi votée par le peuple ou ses représentants se présente comme l'instrument sacralisant, par définition, le contrat social.

21. Le domaine réservé aux lois fédérales par rapport aux autres formes d'intervention de l'Assemblée fédérale figure à l'article 164 Cst. Comme le droit pénal forme une matière déployant des répercussions importantes sur l'existence des individus, il entre dans le champ d'application de l'article 164 alinéa 1er Cst., qui précise que toutes les « dispositions importantes (...) doivent être édictées sous la forme d'une loi fédérale ». La disposition précise aussi que les dispositions fondamentales qui touchent à la restriction des droits constitutionnels (let. b), aux droits et aux obligations des personnes (let. c) ou aux tâches de la Confédération (let. e) relèvent du domaine législatif fédéral 45 .

41 FF 2007 6583 ; 2005 1057. Sur le sujet, voir l'ouvrage de KUHN / JEANNERET (note 3).

42 Schwangerschaftsabbruchs und Mitb. : l'article 119 alinéa 1 CP dispose qu'un avis médical est Voir par exemple AT F 129 I 402 Schweizerische Vereinigung fiir Straflosigkeit des nécessaire pour l'interruption d'une grossesse après la douzième semaine. Il est inconciliable avec cette disposition que des directives cantonales exigent, en sus, le deuxième avis d'un médecin spécialisé, appelé à confirmer l'existence d'une atteinte grave à l'intégrité physique ou d'un état de détresse profonde chez la femme concernée. Ou encore : TF, arrêt non publié du 16 juin 2010, caractère exhaustif, qui ne laisse aucune place pour des dispositions complémentaires de rang cantonal. La convention passée entre le Ministère public du canton de Zurich et une association d'aide au suicide en vue d'assurer des conditions-cadre à l'assistance au suicide organisé s'avère en conséquence nulle de plein droit. lC_438/2009 : la réglementation de l'assistance au suicide au sens de l'article 115 CP présente un 43 Voir par exemple l'arrêt X., ATF 111 la 239 au sujet de la portée du principe de la publicité lors du jugement d'affaires pénales, cité infra , chiffre 60.

44 L'article 5 alinéa 1 Cst. dispose que « le droit est la base et la limite de l'activité de l'État ».

45 droit pénal (ATF 129 IV 276, p. 278 F.). Voir également Pierre TSCHANNEN, « Artikel 164 », in Selon le Tribunal fédéral, c'est le chiffre le de l'article 164 Cst. qui est pertinent en matière de

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22. En Suisse, c'est donc le législateur fédéral qui est l'organe prioritairement chargé de la définition de la matière pénale. À travers la loi votée par les représentants du peuple (Conseil national, 200 membres) et des cantons (Conseil des États, 46 membres) à l'Assemblée fédérale et, le cas échéant, moyennant l'onction populaire en cas de demande de référendum (art. 141 let. a Cst.), la Confédération actualise la compétence dont l'article 123 Cst. la nantit dans le domaine du droit pénal et de la procédure pénale.

23. Ainsi, en raison du principe de la légalité, les pouvoirs réglementaire et juridictionnel ne sauraient intervenir dans la détermination du droit pénal. Le Code pénal suisse reprend du reste lui-même l'adage « nulla poena sine lege » en son article premier et exclut de la sorte toute condamnation sur la base du droit coutumier 46.

2) Le législateur cantonal

24. Parallèlement à la compétence dont dispose la Confédération dans le domaine du droit pénal, les cantons n'ont pas perdu toute espèce de pouvoir normatif en la matière. En effet, en raison de l'article 335 alinéa 1er CP, ils sont habilités à légiférer sur les contraventions de police. En actualisant la compétence figurant à l'article 123 alinéa 1 Cst. à travers l'adoption du Code pénal, la Confédération a entendu restituer aux cantons le pouvoir de légiférer, mais dans un domaine limité seulement 47 .

25. La compétence des cantons est toutefois subsidiaire puisqu'ils ne sauraient déroger au droit supérieur 48 . À titre exemplatif, le vagabondage, le maraudage, la mendicité ou encore les mauvais traitements envers les animaux peuvent faire l'objet de contraventions au sens dudit article par le biais de normes cantonales 49 . Au surplus, en raison de l'article 335 alinéa 2 CP, les parlements des entités fédérées sont autorisés à adopter des dispositions pénales dans les domaines administratifs pour lesquels ils sont compétents à l'instar de la police des constructions, des travaux publics, de l'aménagement du territoire ou encore du domaine public 50. Les lois cantonales de procédure peuvent, pareillement, prévoir des peines qui sont fréquemment de nature disciplinaire. Enfin, les législateurs cantonaux possèdent également des compétences punitives, dont la portée n'est pas négligeable, en matière de droit fiscal.

3) Blocs de compétence législative et judiciaire et noyau dur du droit pénal 26. Sans concerner explicitement et uniquement le droit pénal, l'article 164 alinéa 1 Cst. énumère de manière non exhaustive les domaines qui ne peuvent

Die Scinveizeriscbe Bundesverfassung — Kommentar, Zurich / Saint-Gall / Bâle / Genève 2008, 2e éd., p. 2413 et s.

46 José Hurtado POZO, Droit pénal, vol. I, Genève 2008, p. 51s. Pour les autres lois fédérales contenant également des dispositions pénales, voir Id., p. 36 et s.

47 Auer, Malinverni, HOTTELIER (note 37), p. 362.

48 TF, arrêt non publié du 29 septembre 2009, 6B_602/2009, consid. 4.2.

49 Sur l'interdiction cantonale de la mendicité: ATF 134 I 214 X. et consorts ; AIJC XXIV-2008, p. 837.

50 POZO (note 46), p. 1 10.

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suisse 363 échapper au domaine de la loi. Cette disposition peut donc être considérée comme un bloc de compétence législative de l'ordre juridique suisse 51 .

27. Quant aux attributions de la Haute Cour fédérale, elles sont en particulier déterminées à l'article 189 Cst. Cet article forme dès lors un bloc de compétence judiciaire. Celui-ci ne se concentre pas non plus spécifiquement sur le droit pénal dans la mesure où le Tribunal fédéral a compétence à contrôler la correcte application de la législation fédérale dans son ensemble 52 .

28. Relativement au noyau dur du droit pénal, le principe de la légalité appliqué strictement en la matière exclut que le pouvoir exécutif ou judiciaire participent à la détermination des infractions. Toute autre solution serait contraire à l'héritage rousseauiste et garantirait de manière moins évidente l'État de droit, les risques d'arbitraire se multipliant et la sécurité juridique menaçant alors de prendre l'eau 33 . L'on peut, en conséquence, avancer que le principe de la légalité appartient au noyau dur du droit pénal, se retrouvant également à l'article 31 alinéa 1 Cst., et qu'il assure le monopole du législatif en matière de détermination des infractions et des peines.

C.-Le rôle spécifique du législateur dans la détermination du droit pénal

1) Le législateur et les contours du droit pénal

29. Le législateur fédéral suisse est largement tributaire de l'œuvre de Rousseau, eu égard à son statut « d'autorité suprême de la Confédération », sous réserve toutefois des droits du peuple et des cantons 54 . Son rôle particulier s'explique également par l'importance de l'idéal démocratique qui prévaut, conformément à une longue tradition, au sein de l'ordre constitutionnel helvétique 55 . Dès lors, le rôle du législateur est essentiel dans la détermination générale des contours du droit pénal, ce d'autant plus que cette matière particulièrement sensible connaît en le principe nulla poena sine lege un garde-fou cardinal 56 dont les origines remontent, à tout le moins au niveau de la procédure pénale, à la Magna Carta de Jean sans Terre de 12 1 5 57.

30. Ainsi, le Parlement suisse détermine librement les actes punissables, décide de la nature des sanctions à appliquer aux actes répréhensibles et délimite les sanctions pénales ordinaires des autres mesures se retrouvant dans diverses lois à caractère principalement ou accessoirement pénal 58. Trois réserves doivent toutefois être émises.

51 Tschannen (note 45), p. 2406 et s.

52 Walter HAIXER, « Artikel 189 », in Die Schweizerische Bundesverfassung — Kommentar, Zurich / Saint- Gall / Bâle / Genève 2008, 2e éd., p. 2778 et s.

53 Tschannen (note 45), p. 2409 et s.

54 Article 148 alinéa 1 Cst.

55 Voir entre autres Philippe MASTRONARDI, « Artikel 148 », in Die Schweizerische Bundesverfassung - Kommentar , Zurich / Saint-Gall / Bâle / Genève 2008, 2e éd., p. 2312 et s.

56 Article 1 alinéa 1 CP.

57 POZO (note 46), p. 44.

58 En l'espèce, l'on peut notamment mentionner la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (articles 90 à 103), RS 741.01 ; la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (articles 19 à 28), RS 812.121. Il convient également de mentionner en l'endroit l'existence d'un Code pénal militaire du 13 juin 1927, RS 321.0.

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31. Premièrement, la clause de délégation de l'article 335 CP permet aux cantons d'adopter des lois administratives contenant des dispositions pénales et, selon l'alinéa 1er dudit article, de faire acte législatif sur les contraventions de police qui ne sont pas l'objet de la législation fédérale, comme indiqué précédemment. De la sorte, le fédéralisme imprègne les contours du droit pénal helvétique 59.

32. Le principe démocratique, deuxièmement, restreint la capacité d'action du législateur puisqu'en Suisse, les lois fédérales au sens formel, dont le Code pénal fait naturellement partie, sont soumises au référendum à la demande du peuple (50 000 citoyens) ou de huit cantons dans un délai de cent jours à compter de leur adoption 60. Par ailleurs, par le biais de l'initiative populaire tendant à la révision partielle de la Constitution 61 , le peuple peut réviser de manière extensive la loi fondamentale. En raison de l'absence de limites autonomes à la révision de la Constitution, il est même possible d'intégrer des normes à caractère pénal dans la loi fondamentale elle-même. Tel a été le cas à propos de l'article 123a Cst., qui a été accepté en votation populaire le 8 février 2004 concernant l'internement à vie des délinquants sexuels ou violents particulièrement dangereux 62 ou, plus récemment encore, de l'article 123b Cst., accepté le 30 novembre 2008 par le peuple et les cantons et qui pose le principe de l'imprescriptibilité de l'action pénale et de la peine pour les auteurs d'actes d'ordre sexuel ou pornographique sur des enfants impubères.

L'adoption, le 28 novembre 2010, de l'initiative populaire « Pour le renvoi des étrangers criminels » constitue l'exemple le plus récent d'un amendement constitutionnel doté d'un caractère manifestement pénal 63. Comme son intitulé le laisse entendre, la nouvelle disposition (art. 121 al. 3 à 6 Cst.) impose aux autorités concernées de renvoyer certaines personnes ayant été condamnées pour des infractions dont la gravité prête grandement à débat : le renvoi systématique pour tout abus en matière d'assurances sociales ou d'aide sociale paraît, entre autres, difficilement justifiable sous l'angle du principe de la proportionnalité.

33. Ainsi, la notion de législateur doit être comprise au sens large en droit constitutionnel suisse et - ne se confond pas avec celle d'un régime parlementaire traditionnel.

34. Troisièmement, l'organe chargé de créer le droit pénal devrait à tout le moins respecter les droits de l'homme garantis par les principales conventions internationales auxquelles la Suisse est partie, à l'instar de la CEDH. En effet, les lois fédérales bénéficient toujours, pour l'heure, de la garantie d'immunité de l'article 190 Cst., qui exclut la non application d'une loi fédérale pour violation, à titre d'exemple, de droits fondamentaux garantis par la Constitution 64 . Conformément à la jurisprudence développée par le Tribunal fédéral, cette immunité ne vaut cependant pas dans l'hypothèse d'un conflit irréductible entre une norme fédérale et

59 ATF 9 6 I 24, p. 29 von Euw, et Stefan TRECHSEL, Schweizerisches Strafgesetzbuch vont 21. Dezember II est intéressant de relever que des dispositions pénales peuvent également être adoptées, le cas échéant, par les communes suisses, en fonction du degré d'autonomie dont celles-ci disposent (voir 1937 — Kurzkommentar, Zurich 1993, p. 832).

60 Article 141 lit. a Cst.

61 Article 139 Cst.

62 Sur les difficultés juridiques que pose cet amendement du texte fondamental suisse, voir notamment VEST (note 33), p. 1916 et s.

63 FF 2010 3853.

64 Sur cette particularité helvétique, voir Yvo HANGARTNER, « Artikel 190 », in Die Schweizerische Bundesverfassung — Kommentar, Zurich / Saint-Gall / Bâle / Genève 2008, 2e éd., p. 2795 et s.

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SUISSE 365 un instrument international octroyant des droits directement applicables au justiciable 65 .

35. En conséquence, le rôle du législateur fédéral dans la détermination des contours du droit pénal est central. Son œuvre est également influencée par ses pairs cantonaux et les instruments de démocratie directe. Elle est de surcroît de plus en plus marquée par les instruments de sauvegarde des droits de l'homme.

2) Le législateur et les fonctions du droit pénal

36. Si le législateur joue un rôle central lorsqu'il est question de fixer les contours du droit pénal, son action est tout aussi décisive à l'heure de déterminer les fonctions imparties à ce droit. En effet, par le contenu qu'il donne aux différentes sources pénales, il choisit si ce dernier doit plutôt avoir une fonction réparatrice, préventive et/ou rétributive selon la nature de l'infraction, les personnes concernées (droit pénal des mineurs) ou le type de sanction (octroi du sursis, sursis partiel, peine incompressible).

37. Il convient cependant de nuancer le propos. Ainsi, le système législatif suisse prévoit une phase pré-parlementaire, supervisée par le Conseil fédéral, qui est en mesure d'influencer la teneur de la loi adoptée ultérieurement. Cette phase peut également avoir un certain effet sur les diverses fonctions du droit pénal 66. De plus, la phase pré-parlementaire se caractérise par sa grande ouverture : aussi bien les entités fédérées, les formations politiques, les milieux intéressés, les groupes de pression que l'administration, y sont impliqués et sont appelés à faire valoir leur point de vue 67 . L'on constate dès lors qu'une forme de gouvernance participe à la détermination des fonctions du droit pénal 68 .

38. Par ailleurs, au sein de l'Assemblée fédérale, les commissions parlementaires concernées, parfois plus que le plenum lui-même, donnent les premières orientations des textes législatifs. Cette approche générale vaut également lorsqu'il est question des fonctions propres au ius puniendi 69 . Le contexte historico- sociétal et les convictions philosophico-religieuses d'une nation, sans mentionner l'apport des criminalistes et des pénalistes, influencent l'idée que se fait le parlement du droit pénal et de ses buts 70. De la sorte, cet organe imprimera au droit pénal une fonction plus libérale, et moins stricte, dans une société pluraliste et surtout relativiste que dans une communauté homogène et marquée par des convictions, notamment religieuses, semblables.

65 Voir par exemple ATF 13 6 II 241 X. ; 125 II 417 A.

66 Article 7 de la loi sur l'organisation du gouvernement et de l'administration du 21 mars 1997, RS 172.010.

67 AUER, MALINVERNI, HOTTELIER (note 9), p. 532.

68 Luc GONIN, « Du gouvernement à la gouvernance : vers une nouvelle forme de décloisonnement », in « he droit décloisonné », interférences et interdépendances entre droit privé et droit public, Genève / Zurich / Bâle 2009, p. 104 et s.

69 Article 62 alinéa 1 de la loi sur l'Assemblée fédérale du 13 décembre 2002, RS 171.10.

70 À titre d'exemple, des affirmations de professeurs de droit pénal telles que celle qui suit aura, consciemment ou non, un impact sur la détermination des fonctions dudit droit par le législateur :

« Son intervention abusive (= de l'État) dans certains domaines significatifs tels que la pornographie, l'homosexualité, la prostitution, la consommation de drogues ou d'alcool, voire l'emploi de moyens contraceptifs, relève d'une conception paternaliste excessive de l'État et ne paraît de loin pas toujours justifiée » (POZO - note 46 -, p. 9).

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39. Ultérieurement, le juge, à l'heure de fixer la peine à la faveur d'un cas concret, bénéficie fréquemment d'une marge de manœuvre qui lui permet de décider dans une certaine mesure la fonction du droit pénal qu'il souhaite mettre en avant.

Enfin, la démocratie directe accompagne derechef le processus législatif et les décisions auxquelles il conduit limitant, en Suisse, les risques d'antagonisme les plus flagrants entre la volonté populaire et la création législative issue du processus parlementaire.

40. C'est donc principalement le législateur qui détermine les fonctions du droit pénal, sans que l'organe parlementaire soit pour autant au bénéfice d'une marge de manœuvre complète.

3) Le législateur et la qualité du droit pénal

41. Le droit pénal, quant à sa formulation, est obligé de répondre à de hautes exigences normatives en raison de l'importance attachée au principe de la légalité 71 . Suite à une importante évolution jurisprudentielle, il est dorénavant exigé que toute peine privative de liberté repose sur une disposition claire prévue dans une loi formelle 72 . Cette exigence résulte en particulier de l'article 36 alinéa 1 Cst, qui dispose que toute restriction grave d'une liberté trouve sa source dans une loi formelle. La base légale, en sus d'être formelle, doit décrire avec précision l'acte incriminé et la sanction y relative 73 . Elle doit, en d'autres termes, être dotée d'une certaine densité normative 74. Il s'ensuit que la coutume est exclue comme source créatrice d'actes punissables et que l'on ne saurait recourir à l'analogie pour étendre les limites fixées par le Code pénal 75 .

42. Il convient cependant de signaler l'existence d'une exception à l'exigence de base légale formelle pour les peines privatives de liberté : les ordonnances de police adoptées par l'exécutif suisse en vertu, par exemple, des articles 184 alinéa 3 et 185 alinéa 3 Cst. et qui constituent uniquement des lois au sens matériel 76 . Le Conseil fédéral peut sur ces bases, à des conditions restrictives et si l'urgence et un danger important le justifient, édicter des normes prévoyant également des peines privatives de liberté 77 . Cette habilitation constitutionnelle, appelée clause générale de police, permet de déroger exceptionnellement au principe de la légalité et de restreindre les libertés d'une manière admissible au sens de l'article 36 alinéa 1 Cst.

La même approche prévaut au niveau des cantons. La Cour européenne des droits de l'homme a toutefois rappelé récemment à la Suisse que la clause générale de police ne saurait être mise en œuvre de manière extensive 78 .

71 Andreas DONATSCH, StGB — mit Kommentar zu StGB und JStG, 18e éd., Zurich 2010, p. 28. Voir par exemple CEDH Kopp c. Suisse du 25 mars 1998, par. 55ss, au sujet du degré de précision requi d'une norme de procédure pénale permettant la mise sur écoute des lignes téléphoniques d'un avocat.

72 ATF 99 la 262, p. 269ss Minelli.

73 TF, arrêt non publié du 21 juillet 2008, 6B. 385/2008, consid. 3.1.

74 ATF 136 I 87, p. 90 Demokratische Juristinnen und Juristen Zurich (DJZ) und Mitb. Au sujet du développement de cette exigence dans le domaine des droits fondamentaux, voir AUER, MALINVERNI, HOTTELIER (note 9), p-90.

75 TRECHSEL (note 59), p. 6 et s.

76 ATF 122 IV 258, p. 261 et s. T.

77 POZO (note 46), p. 48.

78 CEDH G sell c. Suisse, du 8 octobre 2009-Etait en cause dans cette affaire l'arrestation, suivie du refoulement, d'un journaliste désireux de se rendre en 2001 au World Economic Forum de Davos pour y faire un reportage sur la cuisine gastronomique.

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suisse 367

43. Par ailleurs, sans préjuger de la clarté et de la précision des normes concernées, une simple loi au sens matériel permet également de condamner certains comportements ou omissions à des sanctions autres que la privation de liberté, pour autant que l'ordonnance respecte le cadre fixé par le droit supérieur 79 .

44. L'on constate ainsi que la précision et la clarté des normes forment une composante essentielle de la légalité pénale, mais que ces dernières peuvent appartenir au droit formel ou matériel en fonction de la sévérité de la peine encourue. La règle reste cependant l'exigence d'une loi formelle, émanant du législateur ordinaire.

D.-L'encadrement de la marge d'appréciation du législateur par la jurisprudence constitutionnelle

45. L'encadrement du législateur par la jurisprudence constitutionnelle est, en matière pénale comme dans les autres domaines, tributaire du système de justice pratiqué par l'État en cause. En Suisse, cet encadrement varie grandement selon que l'on a affaire à des normes fédérales ou à des normes cantonales.

1) Le contrôle du législateur fédéral

46. Lorsque les normes incriminées reposent sur une loi fédérale, le système de justice constitutionnelle est traditionnellement verrouillé. La clause de l'article 190 Cst., qui fait obligation au Tribunal fédéral et, à son exemple, aux autres instances du pays d'appliquer les lois fédérales lui interdit de sanctionner leur éventuelle inconstitutionnalité. Positivement, seul le contrôle de la correcte application de la loi — soit le contrôle de la légalité — est envisageable. Négativement, le refus d'appliquer une loi fédérale au motif qu'elle contrevient à la Constitution — contrôle de la constitutionnalité — est exclu. Les arbitrages survenus sur le plan politique devant l'Assemblée fédérale — autorité suprême de la Confédération, comme indiqué précédemment — puis, le cas échéant, devant le peuple font en l'occurrence obstacle au contrôle judiciaire de la constitutionnalité 80.

47. Trois bémols permettent toutefois de relativiser, dans une certaine mesure, la rigidité de la règle historique contenue à l'article 190 Cst. En premier lieu, le juge chargé d'interpréter la loi fédérale dans le cadre de l'examen de sa correcte application est fondé à se référer à la Constitution. Il peut dans cette perspective imposer une interprétation de la norme qui s'avère conforme à la Constitution. Entre plusieurs interprétations possibles, dont les unes s'avèrent, le cas échéant, contraires et les autres conformes aux prescriptions de la Constitution, le juge doit choisir celle qui s'intègre le mieux au cadre constitutionnel. Il s'agit assurément d'une manière permettant de traquer d'éventuelles inconstitutionnalités et d'y remédier par référence aux droits fondamentaux qu'énonce la Constitution fédérale.

79 DONATSCH (note 7 1 ), p. 28.

80 Michel HOTTELIER, « Le système suisse de justice constitutionnelle », in Francisco FERNANDEZ SEGADO (éd.), Dignidad de la persona, derechos fundamentales, justicia constitucional, Madrid 2008, p. 841.

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48. L'évolution de la jurisprudence a conduit, en deuxième lieu, le Tribunal fédéral à s'arroger le pouvoir de dire, au besoin, qu'une loi fédérale n'est pas conforme à la Constitution. Cette lecture nouvelle de l'article 190 Cst. repose sur le constat suivant : le Tribunal fédéral est certes contraint d'appliquer les lois fédérales.

Rien ne lui interdit, cela étant, de révéler les inconstitutionnalités qu'elles sont susceptibles de contenir, de manière à attirer l'attention du législateur pour modifier son œuvre aux fins de rendre celle-ci compatible avec les canons de la Constitution.

En d'autres termes, la règle de l'article 190 Cst. contient une obligation d'appliquer la loi fédérale («Anwendungsgebot »), mais nullement une interdiction de dire qu'elle ne respecte pas la Constitution 81 .

49. Le développement des droits de l'homme à l'échelon international et, corrélativement, l'extension du contrôle de leur respect par la Cour européenne de Strasbourg a, en troisième lieu, poussé le Tribunal fédéral à explorer les terres nouvelles, encore largement vierges à l'époque, du contrôle de la conventionnalité 82 . Certaines condamnations retentissantes de la Suisse par les juges alsaciens 83 ont conduit les juristes helvétiques — qu'ils soient théoriciens ou praticiens — à prendre conscience de la nécessité de mettre en œuvre une application plus soutenue de la CEDH à l'échelon national de manière à endiguer les risques de conflit ouvert à l'échelon judiciaire européen.

50. Ainsi, l'instauration du contrôle de la conventionnalité permet-elle désormais au Tribunal fédéral de vérifier si les lois fédérales sont compatibles avec les garanties de la Convention. En cas d'opposition irréductible, cette figure prétorienne originale habilite les juges fédéraux à refuser, au nom du principe de la primauté du droit international , d'appliquer une loi fédérale ouvertement contraire au droit conventionnel. Cette prise de conscience a conduit à un profond remodelage de la juridiction constitutionnelle.

51 .De facto, ce qu'il n'est pas possible d'effectuer à l'égard d'une loi fédérale au nom du contrôle de la const itutionnalité, le contrôle de la conventionnalité permet de le faire. Ce n'est pas le moindre des paradoxes du droit constitutionnel suisse contemporain que d'ouvrir un contrôle complet du respect des droits fondamentaux au nom de la CEDH alors que les mêmes garanties qui trouvent leur consécration dans la Constitution fédérale sont, pour leur part, privées de sanction à l'égard des

lois votées par l'Assemblée fédérale.

2) Le contrôle du législateur cantonal

52. Le contrôle du législateur pénal cantonal par le juge est, à l'inverse du contrôle du législateur fédéral, très ouvert, à un triple égard.

81 ATF 136 II 120, p. 130 consid. 3.5.1 X. ; 136 I 49, p. 55 Hausherr, consid. 3.1 et les autres références citées.

82 Sur le sujet, voir AIJC XX-2004, p. 347.

83 Voir par exemple CEDH F. c. Suisse du 18 décembre 1987, série An0 128 (interdiction temporaire de remariage infligée par le juge au conjoint responsable du divorce au sens du Code civil déclarée contraire à l'article 12 CEDH) ; CEDH Belilos c. Suisse, du 29 avril 1988, série A n° 32 (invalidation d'une réserve formulée par la Suisse au sujet de l'article 6 paragraphe 1 CEDH et constat de l'insuffisance, au regard de cette disposition, du contrôle exercé par le Tribunal fédéral sur la contestation d'une amende infligée en application de la législation cantonale vaudoise).

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suisse 369 53. La législation pénale cantonale est d'abord mise en œuvre, interprétée et contrôlée par les instances judiciaires des cantons. Le contrôle de sa correcte application, c'est-à-dire le contrôle de la légalité , règne ici en maître.

54. La législation pénale cantonale fait ensuite l'objet d'un contrôle étendu sous l'angle sa constitutionnalité. Ce type de contrôle est possible à l'occasion de chaque cas d'application devant les instances cantonales puis, en dernière instance, devant le Tribunal fédéral. Le contrôle est étendu, en tant qu'il porte aussi bien, à la demande du plaideur, sur le respect des droits fondamentaux de la Constitution cantonale que de ceux contenus dans la Constitution fédérale. De surcroît, devant le Tribunal fédéral, les moyens tirés de la violation du principe de la séparation des pouvoirs et de la primauté du droit fédéral peuvent également être invoqués. Le contrôle abstrait de constitutionnalité des lois pénales cantonales est aussi possible devant le Tribunal fédéral dans un délai de trente jours à compter de l'adoption de la loi (art. 82 let. b et 101 LTF).

55. Enfin, le contrôle de la conventionnnalité des lois pénales cantonales est lui aussi très largement ouvert. Il peut en effet intervenir de manière aussi bien abstraite que concrète, selon des modalités identiques au contrôle de la constitutionnalité.

Dans sa jurisprudence constante, le Tribunal fédéral assimile en effet les droits garantis par la CEDH aux droits fondamentaux protégés par le droit constitutionnel 84 suisse .

56. Ces éléments propres au contrôle du législateur cantonal par les tribunaux ne possèdent pas qu'une portée théorique. S'il est vrai que les cantons ne disposent que d'une compétence partielle ou déléguée dans le domaine du droit pénal matériel, ils ont en revanche conservé d'importantes compétences en matière d'organisation judiciaire et, jusqu'à récemment, de procédure. L'intégration de la CEDH au système juridique suisse et le développement du contrôle de la conventionnalité doivent ainsi beaucoup aux lois cantonales : en raison du contrôle étendu qu'exerce le Tribunal fédéral, des avancées spectaculaires ont eu lieu depuis une trentaine d'années dans le domaine de la procédure pénale, conduisant du même coup au renforcement de la protection des droits fondamentaux.

E.-L'attitude du juge constitutionnel face aux choix de politique pénale

57. Les systèmes de tradition juridique romano-germanique comme la Suisse se caractérisent par la primauté du droit codifié, résultat des arbitrages politiques et démocratiques effectués par le peuple et les représentants qu'il a élus. Le droit pénal n'échappe pas à cette vision, particulièrement emblématique du principe souverainiste de la légalité. Les débats qu'a connus la Suisse au cours des âges sur des sujets liés à la politique pénale, à la définition des infractions, de leur incrimination, des sanctions qui leur sont attachées, à l'image de l'abolition de la peine de mort, de la décriminalisation de l'interruption volontaire de grossesse, de la lutte contre le terrorisme ou de la politique criminelle à l'égard des délinquants ont tous pour point commun d'avoir mobilisé, à un titre ou à un autre, l'organe parlementaire ou, parfois même, le constituant.

84 ATF 101 la 67 Diskont-und Handelsbank AG.

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58. Cela étant, les choix de politique pénale ne s'épuisent pas, ou plus, de nos jours dans des décisions de nature exclusivement politique. L'encadrement constitutionnel et, plus récemment, conventionnel démontrent que la liberté des représentants du peuple, voire du peuple et des cantons, n'est pas absolue. Le système de justice constitutionnelle et conventionnelle a marqué des évolutions parfois surprenantes ces dernières décennies sur le plan aussi bien fédéral que cantonal.

59. C'est sur le plan cantonal que la chose est la plus frappante. Comme indiqué précédemment, la justice constitutionnelle est particulièrement développée à l'égard des cantons, la Confédération exerçant un droit de regard poussé, au nom de la primauté du droit fédéral, sur les choix politiques auxquels ceux-ci se livrent lors de l'adoption de normes constitutionnelles ou législatives. Quelques exemples célèbres, empruntés à la procédure pénale, permettent d'illustrer le propos 85 .

60. Dans un arrêt de principe rendu en 1985 concernant une procédure engagée au titre d'infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants, le Tribunal fédéral a par exemple déclaré contraire à l'article 6 paragraphe 1 CEDH la disposition de la Constitution d'Appenzell Rhodes-Intérieures qui prévoyait que les débats devant les tribunaux n'étaient pas publics 86. La norme constitutionnelle en cause bénéficiait pourtant de la garantie de l'Assemblée fédérale, qui lui avait été octroyée en 1949.

La Haute Cour a en l'occurrence passé outre cette garantie, au motif que le principe de la publicité des débats en matière pénale résultant du droit conventionnel était plus récent que l'examen auquel s'était livré l'Assemblée fédérale en 1949, lequel n'avait par conséquent pas pu prendre en compte les principes tirés du droit conventionnel. Cet arrêt a marqué un pas significatif dans l'examen de la validité des constitutions des cantons par le Tribunal fédéral.

61. Un autre cas célèbre concerne le cumul des fonctions de juge d'instruction et de juge du fond qui avait encore cours dans un certain nombre de cantons durant les années 1980. Dans un arrêt rendu en 1986, le Tribunal fédéral, prenant en compte la jurisprudence développée par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire De Cubber c. Belgique 87 , a déclaré ce système contraire aux prescriptions de l'article 6 paragraphe 1 CEDH à propos d'affaires mettant en cause la procédure pénale valaisanne 88. L'arrêt s'avère doublement intéressant : il montre, en premier lieu, l'ouverture de la jurisprudence constitutionnelle suisse au droit européen à travers l'intégration et l'application, en l'occurrence, au raisonnement des juges fédéraux d'un précédent prononcé par la Cour de Strasbourg à propos d'un État autre que la Suisse. Sur le plan interne, l'arrêt du Tribunal fédéral est en second lieu historique en tant qu'il s'agit du premier arrêt de principe dans lequel les juges de Lausanne ont décidé, quelque dix ans après l'entrée en vigueur de la Convention pour la Suisse, de faire primer le droit conventionnel sur l'exercice, par un canton, d'une compétence - la procédure pénale — que lui attribuait explicitement la Constitution fédérale.

85 Michel HOTTELIER, « Les droits de l'homme et la procédure pénale en Suisse », RSDIE 2007, p. 493.

86 ATF 111 la 239 X.

87 CEDH De Cubber c. Belgique du 26 octobre 1984, série A n° 86.

88 ATF 112 la 290 S.

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SUISSE 371 62. Le droit fédéral offre lui aussi des exemples originaux illustrant l'activisme des juges à l'égard des choix et de la marge d'appréciation étendus dont bénéficie le législateur. En raison de la règle de l'article 190 Cst., ces exemples sont toutefois empruntés au contrôle de la conventionnalité.

63. Dans l'affaire A.P. et consorts , la Cour européenne des droits de l'homme a été saisie d'un cas mettant en cause une sanction pénale, qui avait été infligée à des héritiers, en raison d'une fraude fiscale commise en son temps par le de cujus 89 . La Cour a conclu en l'espèce que le fait d'hériter, en quelque sorte, de la culpabilité d'une personne décédée « n'est pas compatible avec les normes de la justice pénale dans une société régie par la prééminence du droit » 90 . De l'avis de la Cour, la présomption d'innocence consacrée à l'article 6 paragraphe 2 CEDH traduit en ce domaine la règle fondamentale du droit pénal selon laquelle la responsabilité pénale ne saurait survivre à l'auteur de l'acte délictueux.

64. Statuant sur révision à l'issue de l'arrêt de la Cour, le Tribunal fédéral a précisé que le jugement de culpabilité qui, à teneur de l'arrêt de la Cour, avait été prononcé à tort à l'encontre des héritiers concernés ne pouvait pas être écarté autrement que par la reprise de la procédure au niveau national 91 . La satisfaction équitable accordée par la Cour en application de l'indemnité destinée à couvrir les frais et dépens exposés dans la procédure devant les organes de Strasbourg ne faisait, en l'espèce, nullement obstacle à l'introduction d'une demande en révision. Les juges fédéraux ont opportunément ajouté que la norme contraire à la Convention ne devrait désormais plus être appliquée. Cette conclusion s'est imposée indépendamment du fait que la Cour n'avait, en raison du contrôle nécessairement concret qu'elle exerce, considéré comme contraire à la Convention que l'acte individuel pris en application de la norme incriminée.

65. Ces précédents illustrent le chemin parcouru, sous l'influence du droit international des droits de l'homme, par la justice conventionnelle en matière de contrôle des choix opérés par le législateur dans le domaine de la politique pénale.

Incontestablement, le principe de la primauté du droit international a conduit à un rééquilibrage et à un encadrement juridictionnel du processus politique.

66. Il reste cependant un cas de conflit potentiel entre choix de politique pénale et rôle du juge constitutionnel qui n'est pas encore réglé de manière claire en Suisse. Nous voulons parler des cas dans lesquels une révision de la Constitution fédérale elle-même entre en conflit ouvert avec une ou plusieurs normes contenues dans la CEDH. Pour l'heure, au vu des quelques précédents qui se sont présentés ces dernières années, la pratique suisse privilégie de façon inconditionnelle le choix démocratique opéré par le peuple et les cantons, fut-ce au détriment du respect des droits de l'homme. L'adoption de l'initiative populaire posant le principe de l'internement à vie des délinquants particulièrement dangereux ou, dans un domaine autre que le droit pénal, l'adoption, le 29 novembre 2009 de l'initiative populaire interdisant la construction de minarets en Suisse 92 , révèlent ce trait de manière éloquente. L'acceptation par le peuple et les cantons, le 28 novembre 2010, de

89 CEDH A.P., M.P. et T. P. c. la Suisse, du 29 août 1997, Rec. 1997-V, p. 1477 ; voir également CEDH E.L., R.L. etJ.O.-L. c. Suisse, du 29 août 1997, Rec. 1997-V, p. 1509- 90 § 48 de l'arrêt.

91 ATF 1 24 II 480 Erben P.

92 FF 2010 3117 ; 2009 3903 ; 2008 6923.

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l'initiative populaire prévoyant le renvoi des délinquants étrangers dangereux, alors même que ce texte est ouvertement contraire à la CEDH ainsi qu'à plusieurs autres instruments internationaux auxquels la Suisse est partie, souligne elle aussi cette difficulté 93 .

67. De fait, si les conflits, potentiels ou avérés entre respect des droits de l'homme d'une part, et fédéralisme ou démocratie d'autre part ont, depuis une trentaine d'années, généralement conduit à la primauté des premiers grâce au ministère de la justice constitutionnelle et conventionnelle, le cas du conflit ouvert entre exercice du droit d'initiative populaire tendant à la révision partielle de la Constitution et respect des droits de l'homme s'inscrit encore dans une perspective opposée 94 . Les autorités fédérales sont toutefois conscientes de cet important problème et travaillent aux solutions susceptibles de le résoudre 95 .

II.-CONSTITUTION ET SANCTION PÉNALE

68. La détermination de la sanction pénale demeure un élément crucial du débat pénal. Le droit constitutionnel n'échappe pas à ce débat, même si la règle de l'article 190 Cst. qui fait, comme indiqué précédemment, obligation aux juges d'appliquer les lois votées par l'Assemblée fédérale limite considérablement leur marge d'intervention.

A.-La détermination de la fonction de la peine

69. La Constitution fédérale contient quatre dispositions en matière de sanction pénale. La première figure à l'article 10 alinéa 1 Cst. et indique que la peine de mort est abolie. Certaines constitutions cantonales contiennent, pour des raisons historiques, la même clause 96. Le législateur ne saurait par conséquent rétablir cette sanction sans modification préalable de la Constitution fédérale et sans dénoncer également les instruments internationaux de protection des droits de l'homme auxquels la Suisse est partie.

70. La deuxième disposition est étroitement attachée à la première. Il s'agit de l'interdiction des peines et des traitements cruels, inhumains ou dégradants au sens de l'article 10 alinéa 3 Cst. On trouve une clause comparable à l'article 25 Cst., qui consacre le principe du non-refoulement. Ces dispositions s'inspirent directement du droit international des droits de l'homme et de la casuistique qu'ils ont générée. Tout comme l'abolition de la peine de mort, l'interdiction de la torture présente un caractère absolu. Il est par conséquent impossible d'imaginer apporter une restriction ou une dérogation, même ponctuelle, à ces garanties 97 . Plusieurs

93 FF 2009 4571.

94 Michel HOTTELIER, «La démocratie contre les droits de l'homme ? », in Les droits de l'homme en évolution. Mélanges Petros J. Pararas, Athènes 2009, p. 251 et s.

95 96 Voir les rapports du Conseil fédéral du 5 mars 2010 sur le renforcement du contrôle préventif au droit d'une part, FF 2010 1989, et sur la relation entre droit international et droit interne, d'autre part, FF 2010 2067. Voir par exemple l'article 12 alinéa 1 de la Constitution du canton de Vaud, du 14 avril 2003.

97 Sur le caractère absolu de l'interdiction de la torture, voir par exemple Chiara PlRAS, Stephan BREITENMOSER, « Das Verbot der Todesstrafe als régionales tus cogens », Pratique juridique actuelle juridique et risque inconsidéré ? », in Risque(s) et droit, Genève / Zurich / Bâle 2010, p. 230 et s. 2011, p. 331ss ; Luc GONIN, «L'affirmation de l'existence d'un jus cogens régional — Hérésie

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