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Consolidation et généralisation de la forme scolaire

La scolarisation de masse a des incidences profondes sur l’organisation, la « forme » et la « culture » scolaires : un effort de systématisation et de for-malisation s’opère à tous les niveaux, pour assurer le fonctionnement et le rendement de l’immense édifice scolaire ainsi construit. Evoquons-en les traits essentiels.

Généralisation d’un modèle

d’organisation et de fonctionnement scolaires Le principe de réunir un collectif d’élèves, regroupés par classes d’âge supposées homogènes, sous la conduite d’un maître attitré, se généralise. La classe constitue le cadre de référence dans lequel un professionnel de l’enseignement socialise et instruit un ensemble d’élèves, dans un espace préservé pour ce faire, différencié des autres sphères de socialisation (famille, travail, etc.).

Chaque classe s’inscrit à une place précise dans un organigramme scolaire, comprenant des filières qui se différencient et s’agencent dans un système de plus en plus complexe. Tout en restant parfois durablement divisée selon le sexe et l’origine sociale, l’enfance scolarisée se voit donc désormais aussi différenciée selon son âge et son niveau scolaire, tandis que les degrés, filières et diplômes scolaires s’imposent comme premières références et cautions du statut et devenir social et profes-sionnel de tout un chacun.

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Une école qui se conçoit comme un espace préservé, ouvert toutefois sur le monde environnant, où l’enfant devrait pouvoir apprendre en toute quiétude

Formalisation des conditions d’enseignement et d’apprentissage

L’enseignement suit des principes pédagogiques et didactiques, prenant progressive-ment en compte les conditions de l’apprentissage, qu’ils reconfigurent dans le même temps.

L’enseignement se réfère à des curriculums, des programmes et des disciplines scolaires précisé-ment définis, contribuant à la construction et la diffusion d’une véritable culture scolaire.

Cette formalisation des conditions et contenus d’enseignement et d’apprentissage modifie aussi les conceptions et modes d’apprentissage.

La systématisation de l’enseignement induit une modélisation des savoirs à enseigner et à apprendre, traduits en disciplines scolaires disciplinant la pensée, le parler et l’agir, que l’enfance apprenante est supposée acquérir selon une suite planifiée, organisée, scripturalisée.

Fabrication d’infrastructures matérielles spécifiques

Ces enseignements et appren-tissages prennent appui sur une imposante infrastructure matérielle qui les conditionne.

Il en découle la construction d’édifices spécifique-ment dédiés à l’accueil de cette population scolaire grandissante : élaboration d’une architecture scolaire, incluant l’aménagement des salles de classes, des préaux et cantines ; de même que la fabrication de fournitures et mobiliers scolaires spécifiques : cahiers, manuels, plumes, banc, pupitre, estrade, tableau, etc.

Ces lieux et supports conditionnent la vie quotidienne de l’écolier qui se déroule désormais pour l’essentiel dans l’enceinte scolaire, sur un banc d’école. Ils imposent de nouveaux modes de vie – tenues, positions, habillements – et aménagent les normes hygiéniques – luminosité, salubrité – qui constituent autant de nouvelles normes sociales de vie commune dont l’impact se perçoit sur l’ensemble de la vie sociale.

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Conclusion

Les deux derniers siècles se caractérisent par une alphabétisation et une scolarisation croissantes : au 19e siècle, grâce à la mise en place d’une école primaire publique gratuite et à l’obligation de l’instruction ; au 20e siècle, grâce à l’élargissement de l’accès au réseau secondaire puis même supérieur, favorisant l’élévation de la culture générale de l’ensemble de la population. L’école se voit conférer un enjeu de taille : contribuer à forger une citoyen-neté éclairée, ayant intégré le souci du bien commun dans le secret du suffrage ; construire le sentiment d’une commune appartenance, d’abord communale et cantonale puis progressivement romande et nationale – de fait aussi européenne et occidentale –

par la mise en place d’offres scolaires communes et de contenus d’enseignement régis par des plans d’études et des manuels qui, à défaut d’être identiques, tendent à être harmonisés dès la fin du 20e siècle.

Progressivement, un système scolaire se met donc en place dans chaque canton, d’abord vertical, puis horizontal, permettant aux enfants des deux sexes, de toutes provenances et couches sociales, d’accéder au primaire puis secondaire et d’obtenir un diplôme.

A l’aube du 21e siècle, de nouveaux défis sont lancés à l’école. Si tous ont en prin-cipe accès aux mêmes formations et aux mêmes diplômes, l’école doit désormais mettre en place des structures nouvelles, destinées à accueillir tous les jeunes jusqu’à 18 ans.

Corollairement, elle est confrontée à

de nouveaux problèmes, comme le décrochage scolaire ou l’insertion dans le monde du travail d’élèves en difficulté scolaire dans une société de plus en plus compétitive.

Amplification d’instructions officielles et de juridictions scolaires

Organiquement et juridiquement rattachée à la puissance publique, l’école devient un enjeu politique et national. Il s’agit d’en assurer la gestion efficace, moyennant une puissante admi-nistration scolaire. Lois, règlements, programmes contribuent à une forme de systématisation et d’unification. Cette juridiction concerne toute l’orga-nisation scolaire et s’adresse à l’ensemble des acteurs (élèves, maîtres, parents, administration).

Dans le même temps où elle instaure l’obligation de l’instruction et la réglemente, cette juridiction hisse l’élève au statut de sujet de droit, posant le principe que chacun, quelle que soit son appartenance sociale, ethnique, culturelle, religieuse et sexuelle, a droit à l’instruction.

Corollairement, elle implique un nouveau statut pour le corps enseignant, réglementant aussi son mandat et son traitement.

Ce faisant, c’est l’ensemble de la société, et surtout des familles, qui voit son quotidien réorganisé par le fait que la période de l’enfance est définie par le modèle scolaire, que l’enfant devient élève. Chacun est imprégné, sous une forme ou une autre, par la culture scolaire : horaires et calendriers, classifications et certifications, disciplines et curriculums, valeurs et normes scolaires acquièrent une légitimité sociale qui déborde amplement l’enceinte scolaire. Tout se passe comme si, par réfraction, la transformation de l’enfant en écolier, la spécification du temps de l’enfance comme le temps de l’apprentissage scolaire, participait à la scolarisation et « pédago-gisation » de l’ensemble du corps social.

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Un secondaire qui se construit à travers la mise en place de nouvelles filières, tournées vers de nouvelles disciplines – ici un exercice de physique – et destinées à un nouveau public d’élèves

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Les écoles romandes préconisent une politique intégrative et les enseignants œuvrent au quotidien pour permettre à chacun de trouver sa place, quelles que soient ses origines et appartenances (cours de récréation de l’Ecole des Pâquis, 1987)

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Les « bâtisseurs de l’école romande » ont d’emblée construit celle-ci comme un temple serein qui, tout en étant supposé préservé des aléas de la « Cité », est ouvert sur celle-ci.

Les promotions institutionnalisent cette ouverture.

La cérémonie annuelle des promotions, même si le terme varie d’un canton à l’autre (« fête du bois » à Lausanne, « fête des écoles » à Genève, « Le Valete » à Fribourg), marque la fin de l’année scolaire et le passage d’un degré à l’autre. Réservée avant tout aux élèves des écoles enfantine et primaire, elle se caractérise par un cortège en musique des classes déguisées autour d’un thème différent chaque année, et est suivie de festivités aux frais de l’Etat. Si cette fête connaît aujourd’hui un grand succès populaire dans tous les cantons romands, elle remonte à la création des collèges pendant l’Ancien Régime.

Comportant au départ un caractère très solennel, les promotions sont ainsi instituées à Genève par Calvin en 1560 avec comme fonction non seulement de proclamer les élèves promus et de récompenser les meilleurs, mais également de promouvoir l’importance des études et les bienfaits, pour la Cité, du collège nouvellement créé. Son rituel, presque identique jusqu’au milieu du 19e siècle, comprend un cortège des élèves entre 9 et 16 ans, du collège à la cathédrale.

Là se déroule une cérémonie en présence des autori-tés religieuses, politiques et judiciaires.

Suivent des goûters privés. C’est à partir du milieu du 19e que cette cérémonie, prise en charge désormais par le Département de l’instruction publique nouvellement créé, s’ouvre alors à un public plus large, et prend un caractère plus festif, dessinant ainsi les pourtours du modèle en vigueur aujourd’hui.

Après les promotions, chaque élève tourne la page pour s’adonner à d’autres loisirs et profiter des vacances, avant de commencer un nouveau chapitre de son parcours de vie, qui le mènera vers d’autres expériences : le degré suivant, une nouvelle école, un apprentissage, l’entrée dans le monde du travail ; les trajectoires personnelles s’enrichissent aussi d’autres univers que celui du monde scolaire.

Si Calvin a institutionnalisé les promotions pour promouvoir les études, c’était pour mieux mettre en évidence que l’école est un tremplin vers la connaissance et la vie.

L A F Ê T E

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PARTIE No 1

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