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Conséquences de la variabilité inter annuelle phytoplanctonique

CHAPITRE II – Echelle 1 : Suivi interannuel de l’écosystème Manche orientale

V. Discussion

V.3. Conséquences sur les communautés bactériennes : une variabilité induite

V.3.2. Conséquences de la variabilité inter annuelle phytoplanctonique

Nos résultats relatifs aux paramètres bactériens estimés au cours de la période 2003/04 suggèrent (i) une faible variabilité inter annuelle de l’AB (Figure II.6) contre (ii) une importante variabilité inter annuelle de la PB (Figure II.7), mise en évidence par l’ACP (§ IV – Figures II.19 à II.21). En effet, un décalage temporel du bloom bactérien est observé entre les deux années d’étude, puisqu’il a lieu en mai au cours de l’année 2003, alors qu’il s’observe dès le mois d’avril en 2004 (Figure II.7).

En 2003, par rapport au contexte phytoplanctonique décrit précédemment, blooms bactérien (mai) et phytoplanctonique (mars) seraient décalés dans le temps, suggérant un découplage temporel entre ces deux composantes microbiennes. Les voies de transfert de matière préférentielles entre phytoplancton et bactéries seraient ainsi indirectes, et s’effectueraient à travers la sénescence, la lyse et / ou le broutage du phytoplancton (Lochte et al., 1997 ; Becquevort et al., 1998 ; Van Wambeke et al., 2002). Le transfert direct de matière organique dissoute excrétée par le phytoplancton (Fogg, 1977, 1983 ; Lancelot, 1984 ; Myklestad, 1995 ; Biersmith et Benner, 1998, Bronk et Ward, 1999) serait minimisé. Le maintien d’une

production de régénération bactérienne serait assuré à son maximum en situation de post- bloom de P. globosa. L’année 2003 serait donc caractérisée par une première période (mars) de fonctionnement du réseau trophique de type autotrophe, à laquelle succède rapidement une période de type hétérotrophe (printemps).

D’autres études font état d’un décalage temporel entre bactérioplancton et phytoplancton (Shiah et al., 2001 ; Van Wambeke et al. 2002 ; Pugnetti et al., 2005), et suggèrent que d’autres facteurs que la disponibilité en ressources d’origine phytoplanctonique, tels que la prédation (Sherr et Sherr, 1987 ; Vaqué et al., 1994 ; Strom, 2000 et références citées ; Sherr

et al., 2002) et la lyse virale (Fuhrman, 1995, 1999, 2000 ; Marie et al., 1999 ; Weinbauer,

2004) pourraient contrôler la variabilité de la dynamique bactérienne. del Giorgio et Duarte (2002) suggèrent également que les bactéries sont capables d’utiliser une diversité de sources de MO, notamment celles allochtones d’origine fluviatile (Cauwet, 2002 ; Hernes et Benner, 2003 ; Benner, 2004), et pas seulement la part issue directement de la production autotrophe autochtone.

L’hypothèse explicative au découplage bactéries / phytoplancton en 2003 pourrait être la limitation de la croissance phytoplanctonique par le phosphate en hiver 2003, conduisant à des exsudats phytoplanctonique (i.e. PER, pour « phytoplankton extracellular release ») moins efficacement utilisés par les bactéries. Plusieurs études ont mis en évidence des différences dans la composition biochimique des exsudats phytoplanctoniques produits sous différents régimes nutritifs (Sundh, 1992 ; Myklestad, 1995 ; Meon et Kirchman, 2001 ; Puddu et al., 2003). Plus particulièrement, une limitation par le phosphate peut entraîner un largage par les espèces phytoplanctoniques de produits d’excrétion dont les propriétés (composition biochimique, biodégradabilité) ont pu réduire l’utilisation et l’assimilation par les bactéries et modifier la structure spécifique des communautés bactériennes (Obernoster et Herndl, 1995 ; Puddu et al., 2003 ; Pugnetti et al., 2005).

Par ailleurs, un fort ratio PAR (irradiance) / nutriments (cas hypothétique de la fin de l’hiver 2003) peut induire une fixation de carbone par photosynthèse excédentaire par rapport aux conditions de croissance cellulaire phytoplanctonique, conduisant à un découplage entre photosynthèse et croissance (Staats et al., 2000) entraînant une augmentation conséquente de l’excrétion carbonée. Cette forte excrétion cellulaire, non efficacement utilisée par les bactéries, est considérée comme un élément déclencheur des forts épisodes de mousse observés en Mer Adriatique du Nord (Pugnetti et al., 2005). Cette hypothèse pourrait alors être une des explications aux importants phénomènes de mousse observés en zone côtière de

la Manche orientale en 2003 (Anonyme, 2004), par rapport à ceux de moindre ampleur (en intensité) observés en 2004 (Anonyme, 2005).

En revanche, au cours de l’année 2004, blooms bactérien et phytoplanctonique semblent concomitants, mettant en évidence un couplage plus étroit entre bactéries et phytoplancton, où les bactéries utiliseraient directement les sources de carbone d’origine phytoplanctonique au printemps. Le maintien des PB en été 2004 met également en évidence l’utilisation bactérienne des MO issues de la sénescence et la lyse des cellules algales (Ducklow et al., 1995 ; Carlson et al., 1996) en situation de post-bloom de P. globosa, en particulier les MO polysaccharidiques issues de sa matrice coloniale (Lancelot et Rousseau, 1994; Thingstad et Billen, 1994; Van Rijssel et al., 2000). Néanmoins, seules des mesures d’activité glycolytique de dégradation de la matière permettront de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse (voir Partie III, Chapitre II).

V.3.3. Variabilité spatiale des paramètres bactériens

La variabilité spatiale est liée aux conditions hydrologiques locales, qui ont elles-mêmes un impact sur la ressource trophique des bactéries, et conditionne ainsi la répartition spatiale des abondances et des productions bactériennes.

Nos résultats font état d’une faible variabilité inter site des AB, contre une forte variabilité inter site des PB mise en évidence par l’ACP (voir § IV et Figures II.19 à II.21). Les PB sont relevées plus élevées sur le site de Wimereux (PB comprises entre 0,18 et 17,78 x 104 cell.mL-1.h-1 en 2003 et 2004) que sur le site de la baie de Somme (PB comprises entre 0,08 et 9,65 x 104 cell.mL-1.h-1 en 2003 et 2004). La station côtière S1, directement sous influence de l’estuaire de la Somme, fait toutefois exception en été 2004 (PB de 20,01 x 104 cell.mL-1.h-1), vraisemblablement soumise à d’importants apports fluviatiles en MO liés aux fortes pluies estivales, comme cela a été constaté dans d’autres sites d’étude (Cauwet, 2002 ; Hernes et Benner, 2003 ; Benner, 2004). De plus, les fortes valeurs ponctuelles en abondance et production relevées sur les stations du large des deux sites d’étude (W4 et S4) sont une réponse aux apports allochtones en MO.

Par ailleurs, le gradient côte/large en PB est plus marqué en Somme qu’à Wimereux, en relation avec le gradient hydrologique marqué de la côte vers le large en baie de Somme. Sur la radiale de Wimereux, les stations intermédiaires W2 et W3 apparaissent parfois aussi productives que la station la plus côtière W1. Ces fortes productions peuvent être liées aux

MO de la zone frontale (vraisemblablement située au niveau des stations W2 et W3), reconnue comme pouvant être une zone d’accumulation de particules inertes ou vivantes (e.g. cellules phytoplanctoniques, Brunet et al., 1992 ; zooplancton, Brylinski et al., 1991). Toutefois, cette zone n’a pas été à priori reconnue comme étant le siège d’une production spécifique (Brunet et al., 1992 ; Brylinski, 1993).

Cela suggère que la variabilité spatiale inter site et côte/large des abondances et productions bactériennes est étroitement liée aux forçages physiques (hydrodynamisme, zone frontale) et hydrologiques (apports fluviatiles) qui prédominent sur chacun des sites.

Cette approche exploratoire en 2003 et 2004 en Manche orientale a permis de :

− caractériser les conditions climatiques, hydrologiques, chimiques et biologiques sur deux sites contrastés, susceptibles d’avoir une influence sur le compartiment bactérien, − d’obtenir, dans ce contexte global, une image de la dynamique bactérienne.

Toutefois, si cette étude permet une approche globalisée de l’écosystème Manche orientale, il apparaît indispensable de travailler sur des échelles d’observation plus fines, adaptées à l’étude de la dynamique bactérienne :

− une étude à l’échelle saisonnière, sur le site de Wimereux, pour caractériser plus précisément le couplage bactéries/phytoplancton d’un point de vue spatio-temporel (échelle 2, chapitre III) ;

− une étude à l’échelle journalière, qui doit permettre s’affranchir de la variabilité spatiale du site de Wimereux pour ne travailler que sur la variabilité temporelle du compartiment bactérien (suivis lagrangiens ; échelle 3, chapitre IV).

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