L’octroi d’une définition. Au fur et à mesure du dialogue des juges, la
définition de l’entité économique s’est alors affinée, des critères ont été mis en exergue.
Le juge a déclaré que l’entité économique autonome se distingue par « un ensemble
organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une
activité économique qui poursuit un objectif propre »
208. En 1998, les caractères de
périmètre ont été consacrés dans les textes communautaires
209. La directive du 12 mars
2001
210, révisant la directive de 1998 définit de manière explicite l’entité économique
autonome. Ainsi, ce périmètre s’entend d’une entité « maintenant son identité, entendue
comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d'une activité
économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire ». Cette définition traduit les
débats jurisprudentiels
211et elle « permet d’admettre qu’en cas de transfert des éléments
d’organisation de l’entreprise, la cession rentre dans le champ du transfert d’application
de la directive »
212. Cette définition a été approuvée par les auteurs de la doctrine
208 Cass. Soc. 7 juillet 1998, n°96-21451, Bull. civ. V 1998, n° 363 p. 275 ; « Attendu, selon ce texte tel qu’interprété au regard de la directive n° 77-187 du 14 février 1977, que les contrats de travail en cours sont maintenus entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise encas de transfert d’une entité économique, conservant son identité, dont l’activité est poursuivie ou reprise ; que constitue une entité économique un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre» ; Cass. Soc. 15 décembre 2004, n°03-46105, inédit, RJS 02/2005, pp. 101-102.
209 Directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, (JO n°L 225 du 12/08/1998 p. 0016 – 002).
210 Directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements, (JO L 82 du 22 mars 2001, pp. 0016-0020).
211 J. PÉLISSIER, G. AUZÉRO, E. DOCKÈS, Précis Droit du travail, Dalloz, 24ième Éd., 2008, n°297-299, pp. 334-339; P. MORVAN, Restructurations en droit social, Paris, Lexis Nexis, 3ième Éd., 2013, n°42, pp. 32-33.
212 S. HENNION, M. LE BARBIER-LE BRIS, M. DEL SOL, Droit social européen et international, Paris, PUF, Coll. Thémis, 2010, p. 433.
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française. Ainsi, Patrick Morvan définit ainsi l’entité économique autonome comme un
« groupement au service d’un but, soit un ensemble de moyens et de personnes, organisé
de façon durable et non temporaire, exerçant une activité économique à titre principal ou
accessoire et poursuivant un objectif économique propre »
213.
Une consécration inachevée. Pourtant, certaines décisions de justice
contredisent cette définition qui reflète des divergences dans l’approche jurisprudentielle.
En effet, le dialogue des juges, s’il a permis l’identification de l’entité économique
autonome par de nombreuses interactions, a aussi mis en exergue certains points de
désaccord ou n’a pas résolu les désaccords antérieurs. Par exemple, les juges français et
communautaires ont rencontré une divergence d’interprétation sur le critère de
l’autonomie de l’entité. Le juge français exige de manière expresse le terme
« autonome »
214dans ses décisions. L’appréciation de ce critère relève d’une casuistique
exigeante pour les juges de la Cour de cassation
215. Les arrêts Perrier du 18 juillet 2000
216ont précisé que l’indépendance fonctionnelle
217comportait l’attribution d’un personnel
organisé uniquement pour cette activité
218– c’est-à-dire non polyvalent
219– une direction
propre et l’existence d’objectifs et des résultats liés à l’activité. L’existence d’une
213 P. MORVAN, op. cit., n°30, p. 25.
214 M. GADRAT, op. cit., n°918, p. 846.
215 M. GADRAT, op. cit., n°919, p. 847 ; Y. CHAGNY, « Voyage autour de l’entité économique », Sem. Soc. Lamy, 2003, Suppl., n°1140, Les lieux du droit du travail, pp. 51-55, spéc. p. 52 : « L’autonomie existe chaque fois que l’ensemble considéré est viable économiquement et que son objectif, sa raison sociale et son organisation rendraient inutile son rattachement à un autre ensemble plus vaste ou plus structuré, qu’il pourrait constituer une entreprise à lui seul », « Elle implique une certaine indépendance étayée par une organisation propre ainsi qu’un personnel et des moyens matériels dédiés à la réalisation de l’objectif qui lui est spécialement assigné », M. GADRAT, op. cit., n°922, p. 850.
216 Cass. Soc. 18 juillet 2000, n°99-13976, 98-18037, Bull. civ. V 2000, n° 285 p. 225, note G. COUTURIER, « L’article L. 122-12 du Code du travail et les pratique d’externalisation », Dr. Soc. 2000, pp. 845 et s.; note Ph. WAQUET, « Libres propos sur l’externalisation », Sem. Soc. Lamy 2000, n°999, pp. 7-9 ; rapp. B. BOUBLI, Sem. Soc. Lamy 2000, n°992, pp.7-9. Cette question a aussi été soulevée dans le domaine médical où l’article L. 6113-2 du Code de la santé publique envisageait une prise en charge globale du patient, ce qui refuse toute autonomie des services de restauration, hôtellerie, etc. La cour de justice a refusé une conception si stricte de l’autonomie en ce domaine par l’arrêt Abler (CJCE 20 novembre 2003, Abler, Aff. C-340/01, RJS 2004, n°474, pp. 326-328) et la jurisprudence française s’est accordée avec cette interprétation (Cass Soc. 27 mai 2009, n°0840393, Bull civ. V 2009, n° 138, note J. -Y. FROUIN, « Sur l’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail au transfert de services d’un établissement de santé : la fin d’une exclusion », RDT 2009, pp. 446-448, note P. MORVAN, « Transfert d’entreprise : à propos de la notion d’entité économique autonome », JCP S n°31, 28 juillet 2009, 1356).
217 P. MORVAN. op. cit., n°25, p. 23.
218 CJCE 10 décembre 1998, Aff. C-173/96 et C-247/96.
219 La polyvalence des salariés est donc « un obstacle rédhibitoire à la qualification d’entité autonome », P. MORVAN, Restructurations en droit social, Paris, Lexis Nexis, 3ième Éd., 2013, n°47, p. 33 ; contra
M. GADRAT, op. cit., n°923, p. 851, pour cet auteur, ce critère n’a pas la qualité de rédhibitoire car « dans la mesure où lorsqu’un salarié effectue son travail dans le cadre de plusieurs entités dont l’une est l’objet d’un cession relevant de ce texte, le contrat de travail du salarié se trouve scindé en deux du fait de son transfert partiel ».
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communauté de travail affectée à l’activité cédée
220ou la présence de moyens matériels
ou immatériels sont également des critères retenus. Le juge communautaire estime, quant
à lui, que l’autonomie est comprise dans le sens même de l’entité économique
221. La Cour
de justice a précisé, en 1997, que la notion d’entité se comprend comme « un ensemble
organisé de personnes et d’éléments permettant l’exercice d’une activité économique qui
poursuit un objectif propre »
222. La qualification d’économique de l’entité énoncée par le
juge communautaire renvoie à la notion d’organisation poursuivant un objectif propre
223,
et, plus précisément, à une activité de production ou de vente de biens ou de services
marchands. La Cour de justice a admis la reconnaissance d’une entité économique
autonome, alors que les équipements matériels n’étaient que mis à la disposition du
cessionnaire
224, le transfert ne portait que sur la main d’œuvre. Pour le droit de l’Union
européenne, « une collectivité de travailleurs que réunit durablement une activité
commune peut correspondre à une entité économique »
225. Une forte divergence entre les
juges apparaît. Malgré la consécration légale de l’entité économique autonome, la
difficulté n’est pas résolue. Le juge français exige toujours le transfert d’éléments
220 Cass. Soc. 22 janvier 2002, n° 00-40787, Bull. civ. V 2002, n° 24 p. 20, Sem. Soc. Lamy 2002, n°1097, p. 14 ; M. GADRAT, op. cit., n°923, pp. 851-852 ; M. DARMAISAIN, « Le concept de transfert d’entreprise», Dr. Soc. 1999, p. 343 ; les impératifs juridiques ne sont pas des éléments retenus par les juges. M.GADRAT, op. cit., n°927, pp. 855-857.
221C. WOLMARK, La définition prétorienne. Étude en droit du travail, Paris, Dalloz, Nouvelle bibliothèque des thèses, V. 69, 2007, n°316, pp. 300-301.
222 CJCE, 11 mars 1997, Ayse Süzen, Aff. C-13/95; Cass. Soc. 7 juillet 1998, préc. Le terme entité permet de le distinguer de l’entreprise, ce terme recoupe une réalité assez large permettant d’y inclure tout « ensemble de facteurs de production affectés à une même exploitation » ; Y. CHAGNY, art. préc. spéc. p. 51.
223 CJCE 10 décembre 1998, Hernandez Villa SA, Aff. C-127/96, C-229/96, Aff. C-74/97; CJUE 9 septembre 2015, Aff. C-160/14.
224 CJCE 14 avril 1994, Schmidt , Aff. C-392/92; note P. POCHET, « L’apport de l’arrêt Schmidt à la définition d’une entité économique », Dr. Soc. 1994, p. 931 ; CJUE, 15 décembre 2005, Güney-Görres,Aff.
C-232/04 et 233/04. CJCE, 13 septembre 2007, Jouini. ,Aff. C-458/05, Les juges explicitent la vérification des éléments suffisants pour la poursuite de l’activité économique.
225 CJCE 11mars 1997, Ayse Süzen, Aff. C-13/95 ; CJUE 20 janvier 2011, Aff. C-463/09 ; CJUE 6 septembre 2011, Scattolon, Aff. C-108/10. N. MOIZARD, op. cit., n°48, p. 52. Le raisonnement des juges européens est alors pragmatique, puisqu’ils recherchent une « commune finalité » dans l’opération de transfert rendant autonome l’entité transférée. Cette direction des juges de la Cour de Justice est pour le moins critiquable et comme le souligne Magali Gadrat dans ses travaux de thèse relatifs aux restructurations, un défaut de raisonnement est perceptible, faisant de « l’effet de la directive la condition de son application », M. GADRAT, op. cit., n° 930, p. 859. De plus, le raisonnement se spécialise quant au secteur d’activité et ne garantit plus la reprise des contrats. N. MOIZARD, op. cit., n°51, p. 53. Certains secteurs ont été exclus de l’application de la directive par les juges. C’est le cas pour du secteur de forage de tunnels et de galeries dans les mines CJCE 2 décembre 1999, Allen e. a,Aff. C-234/98, RJS 2000, n°600, de l’exploitation d’une ligne de bus (CJCE 25 janvier 2001, Liikenne, Aff. C-172/99, Rec. P. I-745, note M. BONNECHÈRE, Dr. Ouvrier 2001, p. 180), ou encore de la restauration collective (CJCE 20 novembre 2003, Abler e. a, Aff. C-340/01). La Cour de justice a aussi refusé l’application de la directive pour la reprise de salarié dans un chantier détermine (CJCE 19 septembre 1995, Rygaard, Aff. C-48/94).
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