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b. La consécration par le droit social de l’Union européenne

Dans le document Les périmètres du droit du travail (Page 105-108)

L’octroi d’une définition. Au fur et à mesure du dialogue des juges, la

définition de l’entité économique s’est alors affinée, des critères ont été mis en exergue.

Le juge a déclaré que l’entité économique autonome se distingue par « un ensemble

organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une

activité économique qui poursuit un objectif propre »

208

. En 1998, les caractères de

périmètre ont été consacrés dans les textes communautaires

209

. La directive du 12 mars

2001

210

, révisant la directive de 1998 définit de manière explicite l’entité économique

autonome. Ainsi, ce périmètre s’entend d’une entité « maintenant son identité, entendue

comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d'une activité

économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire ». Cette définition traduit les

débats jurisprudentiels

211

et elle « permet d’admettre qu’en cas de transfert des éléments

d’organisation de l’entreprise, la cession rentre dans le champ du transfert d’application

de la directive »

212

. Cette définition a été approuvée par les auteurs de la doctrine

208 Cass. Soc. 7 juillet 1998, n°96-21451, Bull. civ. V 1998, n° 363 p. 275 ; « Attendu, selon ce texte tel qu’interprété au regard de la directive n° 77-187 du 14 février 1977, que les contrats de travail en cours sont maintenus entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise encas de transfert d’une entité économique, conservant son identité, dont l’activité est poursuivie ou reprise ; que constitue une entité économique un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre» ; Cass. Soc. 15 décembre 2004, n°03-46105, inédit, RJS 02/2005, pp. 101-102.

209 Directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, (JO n°L 225 du 12/08/1998 p. 0016 – 002).

210 Directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements, (JO L 82 du 22 mars 2001, pp. 0016-0020).

211 J. PÉLISSIER, G. AUZÉRO, E. DOCKÈS, Précis Droit du travail, Dalloz, 24ième Éd., 2008, n°297-299, pp. 334-339; P. MORVAN, Restructurations en droit social, Paris, Lexis Nexis, 3ième Éd., 2013, n°42, pp. 32-33.

212 S. HENNION, M. LE BARBIER-LE BRIS, M. DEL SOL, Droit social européen et international, Paris, PUF, Coll. Thémis, 2010, p. 433.

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française. Ainsi, Patrick Morvan définit ainsi l’entité économique autonome comme un

« groupement au service d’un but, soit un ensemble de moyens et de personnes, organisé

de façon durable et non temporaire, exerçant une activité économique à titre principal ou

accessoire et poursuivant un objectif économique propre »

213

.

Une consécration inachevée. Pourtant, certaines décisions de justice

contredisent cette définition qui reflète des divergences dans l’approche jurisprudentielle.

En effet, le dialogue des juges, s’il a permis l’identification de l’entité économique

autonome par de nombreuses interactions, a aussi mis en exergue certains points de

désaccord ou n’a pas résolu les désaccords antérieurs. Par exemple, les juges français et

communautaires ont rencontré une divergence d’interprétation sur le critère de

l’autonomie de l’entité. Le juge français exige de manière expresse le terme

« autonome »

214

dans ses décisions. L’appréciation de ce critère relève d’une casuistique

exigeante pour les juges de la Cour de cassation

215

. Les arrêts Perrier du 18 juillet 2000

216

ont précisé que l’indépendance fonctionnelle

217

comportait l’attribution d’un personnel

organisé uniquement pour cette activité

218

– c’est-à-dire non polyvalent

219

– une direction

propre et l’existence d’objectifs et des résultats liés à l’activité. L’existence d’une

213 P. MORVAN, op. cit., n°30, p. 25.

214 M. GADRAT, op. cit., n°918, p. 846.

215 M. GADRAT, op. cit., n°919, p. 847 ; Y. CHAGNY, « Voyage autour de l’entité économique », Sem. Soc. Lamy, 2003, Suppl., n°1140, Les lieux du droit du travail, pp. 51-55, spéc. p. 52 : « L’autonomie existe chaque fois que l’ensemble considéré est viable économiquement et que son objectif, sa raison sociale et son organisation rendraient inutile son rattachement à un autre ensemble plus vaste ou plus structuré, qu’il pourrait constituer une entreprise à lui seul », « Elle implique une certaine indépendance étayée par une organisation propre ainsi qu’un personnel et des moyens matériels dédiés à la réalisation de l’objectif qui lui est spécialement assigné », M. GADRAT, op. cit., n°922, p. 850.

216 Cass. Soc. 18 juillet 2000, n°99-13976, 98-18037, Bull. civ. V 2000, n° 285 p. 225, note G. COUTURIER, « L’article L. 122-12 du Code du travail et les pratique d’externalisation », Dr. Soc. 2000, pp. 845 et s.; note Ph. WAQUET, « Libres propos sur l’externalisation », Sem. Soc. Lamy 2000, n°999, pp. 7-9 ; rapp. B. BOUBLI, Sem. Soc. Lamy 2000, n°992, pp.7-9. Cette question a aussi été soulevée dans le domaine médical où l’article L. 6113-2 du Code de la santé publique envisageait une prise en charge globale du patient, ce qui refuse toute autonomie des services de restauration, hôtellerie, etc. La cour de justice a refusé une conception si stricte de l’autonomie en ce domaine par l’arrêt Abler (CJCE 20 novembre 2003, Abler, Aff. C-340/01, RJS 2004, n°474, pp. 326-328) et la jurisprudence française s’est accordée avec cette interprétation (Cass Soc. 27 mai 2009, n°0840393, Bull civ. V 2009, n° 138, note J. -Y. FROUIN, « Sur l’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail au transfert de services d’un établissement de santé : la fin d’une exclusion », RDT 2009, pp. 446-448, note P. MORVAN, « Transfert d’entreprise : à propos de la notion d’entité économique autonome », JCP S n°31, 28 juillet 2009, 1356).

217 P. MORVAN. op. cit., n°25, p. 23.

218 CJCE 10 décembre 1998, Aff. C-173/96 et C-247/96.

219 La polyvalence des salariés est donc « un obstacle rédhibitoire à la qualification d’entité autonome », P. MORVAN, Restructurations en droit social, Paris, Lexis Nexis, 3ième Éd., 2013, n°47, p. 33 ; contra

M. GADRAT, op. cit., n°923, p. 851, pour cet auteur, ce critère n’a pas la qualité de rédhibitoire car « dans la mesure où lorsqu’un salarié effectue son travail dans le cadre de plusieurs entités dont l’une est l’objet d’un cession relevant de ce texte, le contrat de travail du salarié se trouve scindé en deux du fait de son transfert partiel ».

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communauté de travail affectée à l’activité cédée

220

ou la présence de moyens matériels

ou immatériels sont également des critères retenus. Le juge communautaire estime, quant

à lui, que l’autonomie est comprise dans le sens même de l’entité économique

221

. La Cour

de justice a précisé, en 1997, que la notion d’entité se comprend comme « un ensemble

organisé de personnes et d’éléments permettant l’exercice d’une activité économique qui

poursuit un objectif propre »

222

. La qualification d’économique de l’entité énoncée par le

juge communautaire renvoie à la notion d’organisation poursuivant un objectif propre

223

,

et, plus précisément, à une activité de production ou de vente de biens ou de services

marchands. La Cour de justice a admis la reconnaissance d’une entité économique

autonome, alors que les équipements matériels n’étaient que mis à la disposition du

cessionnaire

224

, le transfert ne portait que sur la main d’œuvre. Pour le droit de l’Union

européenne, « une collectivité de travailleurs que réunit durablement une activité

commune peut correspondre à une entité économique »

225

. Une forte divergence entre les

juges apparaît. Malgré la consécration légale de l’entité économique autonome, la

difficulté n’est pas résolue. Le juge français exige toujours le transfert d’éléments

220 Cass. Soc. 22 janvier 2002, n° 00-40787, Bull. civ. V 2002, n° 24 p. 20, Sem. Soc. Lamy 2002, n°1097, p. 14 ; M. GADRAT, op. cit., n°923, pp. 851-852 ; M. DARMAISAIN, « Le concept de transfert d’entreprise», Dr. Soc. 1999, p. 343 ; les impératifs juridiques ne sont pas des éléments retenus par les juges. M.GADRAT, op. cit., n°927, pp. 855-857.

221C. WOLMARK, La définition prétorienne. Étude en droit du travail, Paris, Dalloz, Nouvelle bibliothèque des thèses, V. 69, 2007, n°316, pp. 300-301.

222 CJCE, 11 mars 1997, Ayse Süzen, Aff. C-13/95; Cass. Soc. 7 juillet 1998, préc. Le terme entité permet de le distinguer de l’entreprise, ce terme recoupe une réalité assez large permettant d’y inclure tout « ensemble de facteurs de production affectés à une même exploitation » ; Y. CHAGNY, art. préc. spéc. p. 51.

223 CJCE 10 décembre 1998, Hernandez Villa SA, Aff. C-127/96, C-229/96, Aff. C-74/97; CJUE 9 septembre 2015, Aff. C-160/14.

224 CJCE 14 avril 1994, Schmidt , Aff. C-392/92; note P. POCHET, « L’apport de l’arrêt Schmidt à la définition d’une entité économique », Dr. Soc. 1994, p. 931 ; CJUE, 15 décembre 2005, Güney-Görres,Aff.

C-232/04 et 233/04. CJCE, 13 septembre 2007, Jouini. ,Aff. C-458/05, Les juges explicitent la vérification des éléments suffisants pour la poursuite de l’activité économique.

225 CJCE 11mars 1997, Ayse Süzen, Aff. C-13/95 ; CJUE 20 janvier 2011, Aff. C-463/09 ; CJUE 6 septembre 2011, Scattolon, Aff. C-108/10. N. MOIZARD, op. cit., n°48, p. 52. Le raisonnement des juges européens est alors pragmatique, puisqu’ils recherchent une « commune finalité » dans l’opération de transfert rendant autonome l’entité transférée. Cette direction des juges de la Cour de Justice est pour le moins critiquable et comme le souligne Magali Gadrat dans ses travaux de thèse relatifs aux restructurations, un défaut de raisonnement est perceptible, faisant de « l’effet de la directive la condition de son application », M. GADRAT, op. cit., n° 930, p. 859. De plus, le raisonnement se spécialise quant au secteur d’activité et ne garantit plus la reprise des contrats. N. MOIZARD, op. cit., n°51, p. 53. Certains secteurs ont été exclus de l’application de la directive par les juges. C’est le cas pour du secteur de forage de tunnels et de galeries dans les mines CJCE 2 décembre 1999, Allen e. a,Aff. C-234/98, RJS 2000, n°600, de l’exploitation d’une ligne de bus (CJCE 25 janvier 2001, Liikenne, Aff. C-172/99, Rec. P. I-745, note M. BONNECHÈRE, Dr. Ouvrier 2001, p. 180), ou encore de la restauration collective (CJCE 20 novembre 2003, Abler e. a, Aff. C-340/01). La Cour de justice a aussi refusé l’application de la directive pour la reprise de salarié dans un chantier détermine (CJCE 19 septembre 1995, Rygaard, Aff. C-48/94).

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matériels et de moyens humains

226

au sein de l’entité économique autonome pour

l’application des dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du travail. Cette résistance

n’est pourtant pas hermétique puisque le juge ont fait preuve d’aménagements en

admettant que la reprise des éléments corporels puisse s’opérer de manière indirecte

227

.

Ce désaccord entre les juges français et européens constitue une source d’incertitude pour

l’institutionnalisation de l’entité économique autonome. D’autres dissonances existent,

notamment celle portant sur le moment d’appréciation des critères de l’entité économique

autonome. Le juge français réalise son analyse avant l’opération de transfert, alors que le

juge communautaire détermine l’entité économique autonome par l’identification de ses

différents critères lorsque l’entité est séparée de son entreprise d’origine

228

.

Ces exemples témoignent d’une incertitude défavorable à la consécration

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