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3.2. Comment sřappréhendent les communautés en psychologie existentielle ?

3.2.2. Connexion aux autres

« Le moine ne se retire pas du monde en vue de la seule obtention du bonheur céleste dans lřautre : il mesure aussi lřauthenticité de la voie personnelle quřil a choisie au bonheur que celle-ci lui procure, non seulement en tant que sujet spirituel, mais en tant quřêtre social et sujet psychologique, et cela dès ce monde. » (Hervieu-Léger, 2017, p. 394)

« Mais la communauté ne supprime pas lřidentité de la personne, loin de là ; elle confirme son identité la plus profonde ; elle appelle les dons les plus personnels, ceux qui sont liés aux énergies de lřamour. » (Vanier, 1989/2012, p. 78)

Cette notion dřauthenticité est majeure, essentielle en psychologie existentielle. Pourquoi ? Au-delà dřêtre reconnue comme lřaspect le plus fondamental du bien-être pour lřhumain (Wood et al., 2008), lřauthenticité est complète. Elle agit à la fois sur le corps, lřesprit et lřâme. Repensez à la dernière fois où vous vous êtes senti vraiment vous-même ? De même,

117 repensez à la dernière expérience que vous avez vécue où vous vous êtes senti en décalage avec vous-même ? Quřest ce qui résonne, vibre en vous à cet instant précis ? Il y a dřabord une reconnexion à vous-même, en prenant conscience de vos états physiologiques, émotionnels et cognitifs, associée immédiatement aux états physiologiques réels, émotionnels, cognitifs profonds que vous avez ressentis ainsi quřau comportement et à lřexpression émotionnelle que vous avez adoptés dans votre environnement social. En découlent trois constats possibles, a priori. Le premier relève de lřaliénation de soi, à savoir sřil y a eu ou pas une dissonance entre la situation vécue et vous-même ? Le deuxième relève de la vie authentique, à savoir sřil y a eu ou pas congruence entre la situation vécue (états psychologiques, émotionnels, ses croyances, ses valeurs) et vos conduites ? Enfin, le troisième relève de lřinfluence des autres, à savoir si vous avez été ou pas conforme aux attentes des autres ? Ce déroulement processuel définit le cadre de la définition de lřauthenticité telle que proposée par Barrett-Lennard (1998). Aussi, lřauthenticité repose sur le fait de vivre en vérité avec soi-même, en accord avec ses valeurs, ses croyances, ses aspirations, etc. (Jacobsen, 2007). Cřest aussi, comme le rappelle Heidegger (1927/1986) privilégier « lřêtre » plutôt que la fuite vers dřautres considérations quotidiennes davantage superflues ou bien encore, comme lřévoque Sartre (1946/1996) privilégier les actes des hommes de « bonne foi » plutôt que le mensonge relevant de la « mauvaise foi ». Les exigences présentes au sein dřune communauté, le cadre établi dans lřapplication de règles communes et la position de la communauté sur des questions existentielles fondamentales, nřannihilent en rien lřidentité de lřindividu. Au contraire, elles insufflent clairement sa volonté de tendre vers une communauté authentique où chacun puisse vivre ensemble, se soutenir, sřencourager dans lřoptique dřœuvrer pour une œuvre plus grande que soi tournée vers la paix, la justice sociale. Cřest lorsque chacun est pleinement lui-même quřil peut rayonner et servir la communauté toute entière. Plusieurs études se sont attelées à décrire et comprendre ses composantes et ses effets sur la santé mentale et physique, une synthèse des différents modèles de lřauthenticité et des variables individuelles et professionnelles est par ailleurs présentée par Bernaud (2018, p. 61). Il en ressort notamment des corrélations positives avec le bien-être psychologique, le bonheur, un niveau élevé de satisfaction de vie et des corrélations négatives avec la dépression, le névrosisme, etc. (Kernis et al., 2006 ; Lopez et al., 2006 ; Grégoire et al., 2014 ; Wood et al., 2008).

118 3.2.2.2. Relations sociales / Amour

« Cřest le lieu de lřappartenance (la communauté), de lřamour et de lřaccueil, du souci des autres et de la croissance dans lřamour. Lřindividualisme et le matérialisme conduisent à la rivalité, à la compétition et au rejet du faible ; la communauté achemine vers lřouverture et lřaccueil. Si la communauté nřexiste pas, les cœurs se ferment et meurent. » (Vanier, 1989/2012, p. 16)

Quřest qui donne un sens à la vie des Hommes ? Lorsquřil est posé cette question, peu importent lřâge, le sexe, la profession, le pays, il est systématiquement répondu comme source de sens première les relations affectives, interpersonnelles (OřConnor & Chamberlain, 1996). La littérature scientifique est traversée par cette vérité depuis les travaux de Frankl (1959) par exemple, qui soutient quřil y a trois moyens de donner du sens à son existence : 1/ les actes de créativité ou dřengagement dans le travail ; 2/ lřétablissement de relation authentique avec les autres ; 3/ la cultivation dřattitudes nobles, dignes face aux souffrances. Plus récemment, les travaux de Schnell (2009) qui ont classé en quatre axes existentiels, vingt-six sources de sens identifiés : 1/ la transcendance de soi (spiritualité, religiosité, union avec la nature, engagement social, générativité, santé, serviabilité) ; 2/ la réalisation de soi (développement personnel, liberté, connaissance de soi, connaissance, réussite, créativité, pouvoir, challenge, individualisme) ; 3/ lřordre (valeurs morales, rationalité, maintien des traditions, pragmatisme) ; 4/ le bien-être et la communauté (humour, écoute des autres, amour, contact avec la communauté, harmonie, hédonisme). Lecomte (2013, p. 15) dans son ouvrage Donner

un sens à sa vie modélise une pyramide du sens où le sens est évidemment central

accompagné des relations humaines, affectives, des valeurs, croyances et convictions ainsi que de lřengagement dans lřaction. Il consacre par ailleurs, le premier chapitre à « lřamour » où il distingue, en sřappuyant sur les racines grecques, trois types de relations affectives, à savoir eros qui se rapporte au désir charnel, à lřunion entre deux êtres, philia qui est lřéquivalent du rapport amical, familial, communautaire où la réciprocité, lřestime, lřaffection est mutuelle et agapè qui relève du partage, de lřéchange entre êtres humains (Lecomte, 2013, pp. 48-49). En complément à la compréhension des différentes formes dřamour, Jacobsen (2007) en propose pour sa part cinq : 1/ lřamour charnel ; 2/ lřamour familial ; 3/ lřamour amical ; 4/ lřamour altruiste dirigé vers les autres dans la bienveillance ; 5/ lřamour objectal pour les choses, les animaux, les activités. Atemporel, polymorphe, lřamour est universel, au

119 cœur de lřhumanité, poli par les mains, magnifié par lřesprit. Il est une expérience éclairée par la rencontre, témoin de lřinfini respect de lřautre, dont la destination est une inconnue.

3.2.2.3. Prendre soin des autres

« Comment accompagner une personne vers lřau-delà alors quřelle ne peut plus parler ? Les frères essayaient de lřaider à construire des phrases. Ils lui suggéraient des réponses. Pendant un temps, il a pu prononcer la première syllabe des mots. A la fin, lorsquřil ne pouvait plus rien dire, le regard et le toucher remplaçaient les phrases. » (Diat, 2019, p. 32)

« Créer une communauté, cřest autre chose que simplement se rencontrer en tant que personnes individuelles. Cřest créer un corps et un sens de lřappartenance, un lieu de communion, et cela suppose des ré-unions. » (Vanier, 1989/2012, p. 283)

Une intention à lřégard dřautrui peut se manifester dans un signe, dans un geste, dans une voix, peu importe la forme, elle est portée de lřun vers lřautre. Comme un regard, sa seule présence considère lřautre vivant, existant. Lřintention est une attention émotionnelle pénétrante, intense dont la démonstration sincère est simple. Il nřy pas de « bons » moments pour une intention, sa beauté est dans lřauthenticité du moment. Prendre soin (care) de lřautre est une attention qui se décline à tous les âges de la vie. Depuis lřenfance, en passant par lřâge adulte, jusquřà la vieillesse, lřâge sřinscrit dans le corps et nřéprouve pas les mêmes besoins, les mêmes forces et ressources selon les cycles et le déroulement de la vie. Les individus en sont dřautant plus conscients aujourdřhui, quřil vient se mêler au sein des relations familiales, amicales, professionnelles une intergénérationnalité inédite. Plusieurs générations se côtoient, se superposent, modifiant le rôle de lřadulte notamment en un « passeur entre générations », une sorte « dřascendant-descendent perpétuel » comme le souligne Heslon (2020, p. 131). Par analogie aux travaux de Boutinet prolongés par Heslon (2020, pp. 147-149) sur le projet dřaccompagnement, peuvent être transposés les cinq registres (sur, pour, de, avec, contre) croisant les cinq paronymes (sujet, objet, trajet, surjet et rejet) pour analyser le projet de prendre soin des autres. Ainsi, prendre soin sřétablit en accompagnant lřindividu « sur » quelque chose fixé dans le cadre dřun dispositif institutionnel par exemple, « pour » répondre de façon personnalisée à ses besoins, « de » au sens des buts, des désirs, des demandes à atteindre, « avec » dřautres individus, communautés qui cheminent ensemble selon ses attentes et « contre » quelque chose ou quelquřun qui lui est néfaste et parasite. Également,

120 lřétude de Beauregard et Dumont (1996) apporte une notion complémentaire déterminante pour le maintien de la santé mentale et physique des individus, celle de soutien social. Présentée comme une revue de questions, ils clarifient les cadres conceptuels du soutien social et recensent les différents instruments de mesure existants. Le soutien social est structuré autour de trois dimensions : 1/ les ressources du réseau (grandeur du réseau notamment) ; 2/ les comportements de soutien ; 3/ lřappréciation subjective du soutien (perception du soutien par rapport aux attentes). Il peut prendre différentes formes comme le soutien émotionnel (confiance, amour, etc.), le soutien instrumental (prêt dřargent, transport, etc.), le soutien informationnel (avis, conseils, etc.) ou encore, le soutien appréciatif (rétroaction, etc.) et peut venir autant de la famille, des amis ou dřorganisations formelles (administration, etc.). Ce quřil est signifiant de relever surtout à travers les études réalisées, ce sont ses effets. Il apparaît que le soutien social, lřattention, le soin portée à autrui est source à la fois de cohésion familiale mais aussi, permet à lřindividu dřêtre plus optimiste quant à son avenir. Par ailleurs, il réduit lřanxiété, la dépression et toute forme de manifestation hostile.

3.2.2.4. Solitude / Isolement

« La vie solitaire des chartreux est souvent la source dřune grande richesse humaine et spirituelle. Leurs manières de mourir rayonnent de cette liberté. » (Diat, 2019, p. 216)

« Mais, bien sûr, on ne peut pas vivre dans lřisolement ou dans un individualisme farouche ; tout le monde a besoin dřamis. Le besoin dřappartenir à une forme ou une autre de communauté est inhérent à la nature humaine, que ce soit à un cercle dřamis, à une famille, un club, un gang, un groupe de militants politiques, à une église ou nřimporte quel autre groupe. Si nous sommes isolés, nous nous desséchons et nous mourrons. » (Vanier, 1989/2012, p. 10)

La distinction entre solitude et isolement est nécessaire. Tous deux ne se vivent pas de la même manière et ne sřappréhendent pas avec les mêmes émotions. Si la solitude peut être choisie ou voulue, lřisolement est au contraire subi. Si la perte de sens, lřaffadissement de la vie peuvent être des déterminants communs, la solitude est considérée tantôt positivement, tantôt négativement à la différence de lřisolement qui est uniquement apprécié subjectivement à la négative. Lřisolement social est ressenti par un individu lorsquřil souffre du manque de relations interpersonnelles autant en termes de quantité que de qualité. Il peut se reconnaitre parmi les 20 items tels que proposés dans lřéchelle du sentiment dřisolement de Russell

121 (1996), à savoir « je nřai personne avec qui parler », « il nřy a personne vers qui je peux me tourner », « je me sens isolé(e) des autres », etc. Cet état lřaffecte, le met en danger pouvant altérer son état de santé et développer des symptômes dřanxiété sociale (Maes et al., 2019). Pour sortir de cette spirale, de ce cercle vicieux, le « remède » repose en partie sur la reconstruction du lien social, la familiarisation avec des communautés. La méta-analyse de Masi et al. (2011) propose à ce titre quatre stratégies dřintervention pour réduire le sentiment dřisolement. La première stratégie vise à améliorer, renforcer les compétences sociales, la deuxième stratégie contribue à accroître le soutien social, la troisième stratégie sřattache à développer les contacts, les échanges, les lieux de rencontre et activités communes et, la dernière stratégie sřattèle à travailler sur la cognition sociale inadaptée à travers notamment les thérapies cognitivo-comportementales (TCC).

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