Ces typologies sont difficilement comparables dans la mesure où elles sont
construites à partir de paradigmes différents. Toutefois, il semble possible de distinguer, en
fonction de leurs origines sociales, deux grandes catégories de savoirs. Des « savoirs
exogènes » dont l’origine est « extérieure » aux enseignants, et, des « savoirs endogènes »
qui seraient produits dans l’activité professionnelle des enseignants. Parmi les « savoirs
exogènes », produits par d’autres acteurs que les enseignants, nous classons par exemple :
les savoirs disciplinaires ; les savoirs curriculaires ; les savoirs pédagogiques et
psychologique. Dans le cadre de notre recherche, la question qui se pose pour ces savoirs
est celle des relations que l’enseignant polyvalent entretient avec ceux-ci, le niveau de
maîtrise qu’il en peut avoir. Les « savoirs endogènes » qui seraient « produits par
l’enseignant », renvoient au vaste ensemble des savoirs d’expérience des enseignants.
C’est la nature de ce type de savoirs que nous précisons dans un second point.
2. Le savoir d’expérience des enseignants
Pour G. Mialaret, « tout action produit un savoir », ainsi « l’enseignant acquiert ce
que l’on appelle de l’expérience ». Expérience qu’il définit comme « ensemble
d’informations, et de connaissances, d’attitudes acquises par un individu au cours de son
existence par l’observation spontanée de la réalité et de ses pratiques, le tout intégré
progressivement à sa personnalité » (Mialaret, 1996, p. 165). C’est le fait que ces éléments
soient intériorisés et donc très liés à l’individu qui conduit M. Weiser à se demander si l’on
peut encore parler de savoirs « peut-on dans ce cas parler encore de savoirs, s’il est
impossible à chaque fois de les disjoindre du praticien qui les a élaborés et adoptés ? Ils ne
sont pas le fruit d’une transmission, mais d’une appropriation et d’une production ; ils sont
liés à l’acteur professionnel, mais aussi à sa personne » (Weiser, 1998, p. 95). Toutefois,
au-delà de cette interrogation, on constate que la notion de « savoir d’expérience » – sous
des appellations parfois différentes – est présente dans la plupart des typologies. Pour en
préciser les principales caractéristiques nous empruntons largement au travail de synthèse
de Tardif et Lessard à ce sujet.
2.1 Les caractéristiques du savoir d’expérience
Le savoir d’expérience est un « savoir ouvragé ». Pour ces deux auteurs, la
connaissance professionnelle des enseignants doit se comprendre en relation étroite à leur
travail dans l’école et dans la classe. Ils proposent la notion de « connaissance ouvragée »
(Working Knowledge) pour qualifier ce type de connaissance. Cette notion permet
d’insister sur la relation entre le travailleur et sa situation de travail. Une telle
connaissance, est « façonnée par le travailleur », elle prend « son sens et sa pertinence dans
et par le travail » (Tardif & Lessard, 1999, p. 366). Pour ces auteurs, cette notion remplit
deux fonctions. Elle vise à lier organiquement la connaissance professionnelle à la
personne du travailleur et à son travail. Elle signifie que la connaissance professionnelle de
l’enseignant porte les marques de son travail, qu’elle n’est pas seulement utilisée comme
un moyen dans le travail, mais qu’elle est produite, façonnée dans et par le travail. Dire
que le savoir d’expérience est un « savoir ouvragé », signifie que ce type de savoir est
intimement lié à l’exercice du métier, qu’il est mobilisé mais aussi construit dans la
pratique professionnelle, par un enseignant.
Le savoir d’expérience est un « savoir pratique », « au service de l’action ». Il est
utilisé par l’enseignant en fonction de la pertinence que celui-ci lui confère par rapport aux
tâches inhérentes à l’exercice de son métier.
C’est également un « savoir interactif », c'est-à-dire mobilisé et façonné dans le cadre
d’interactions entre l’enseignant et les autres acteurs (collègues, élèves, corps d’inspection,
parents, etc.). Le savoir d’expérience est « en quelque sorte au centre de plusieurs sources
de connaissances provenant de la société, de l’institution scolaire, des autres acteurs
éducatifs, des universités etc. » (ibid., p. 369). A ce caractère interactif s’ajoute une forte
dimension sociale car « les rapports des enseignants à ces connaissances instaurent en
même temps des relations sociales aux groupes, aux organisations et acteurs qui les
produisent. Pour la profession enseignante, le rapport cognitif au travail se double donc
toujours en même temps d’un rapport sociologique : « les enseignants n’utilisent pas la
“ Connaissance en soi ” mais bien des connaissances produites par tel ou tel groupe,
provenant de telle ou telle institution, intégrées au travail par tel ou tel mécanismes social
(formation, curriculums, outils de travail, etc.) » (ibid., p. 370).
Tardif et Lessard ajoutent que ce savoir est aussi « complexe, pluriel, composite et
hétérogène », autant d’attributs qui expriment le fait que ce savoir « met en œuvre, dans
l’exercice même du travail, des connaissances et des savoir-faire très divers, provenant de
sources variées et dont on peut supposer qu’ils sont aussi de nature différente » (ibid., p.
369). De plus, ces caractéristiques tiennent également à ce qu’il repose « non sur une base
de connaissance unifiée, cohérente, mais sur plusieurs connaissances et savoir-faire qui
sont mobilisés et utilisés en fonction des contextes variables et contingent de la pratique
professionnelle » (ibid., p. 402). Enfin, son hétérogénéité résulte aussi, des « sources
diverses, des lieux variés, et, des moments différents » dans lesquels ces connaissances et
savoir-faire sont acquis par l’enseignant.
Ainsi, le savoir d’expérience constitue une combinaison d’éléments peu cohérente.
Pour cette raison, Tardif et Lessard le qualifient de savoir syncrétique, pour signifier qu’il
« serait vain de chercher une cohérence théorique, même superficielle, dans cet ensemble
de connaissances et de savoir-faire » (ibid., p. 369).
Enfin, le savoir d’expérience est « existentiel, c'est-à-dire lié à l’expérience au travail
et à l’histoire de vie, il est incorporé au vécu même de l’enseignant », et « expériencé : car
il est expérimenté dans le travail, tout en façonnant l’identité de celui qui travaille. C’est
aussi un savoir social, construit par le praticien « en interaction avec diverses sources
sociales de connaissances, de compétences » (ibid., p. 403).
2.2 L’expérience et la hiérarchisation des connaissances
Le savoir d’expérience se constitue dans et par l’activité professionnelle à partir de
sources diverses. Cette diversité des sources de connaissances pose le problème de « leur
unification et de leur recomposition par et dans le travail » (ibid., p. 370).
A l’aune de l’activité professionnelle, toutes les connaissances qui constituent le
savoir d’expérience ne sont pas nécessairement à égalité. Selon Tardif et Lessard, les
enseignants « ont en effet nettement tendance à hiérarchiser leurs connaissances en
fonction de leur utilité dans l’enseignement. Moins une connaissance est utilisable dans le
travail, moins elle semble avoir de valeur professionnelle. De ce point de vue, les
connaissances issues de l’expérience quotidienne du travail semblent les fondements de la
pratique du métier et de la compétence professionnelle » (ibid., p. 370). De ce fait, il est
possible de considérer que le savoir d’expérience qu’ils définissent « comme un ensemble
de connaissances actualisées, acquises et requises dans le cadre de la pratique du métier »
(ibid., p. 370), est au cœur de la professionnalité des enseignants.
Pour ces deux auteurs, l’exercice du métier est source d’apprentissages, et donc de
savoirs. Le travail au quotidien « apparaît comme un processus d’apprentissage à travers
lequel les enseignants retraduisent leur formation antérieure et l’ajustent aux conditions du
métier et cela, en éliminant ce qui leur semble inutilement abstrait ou sans rapport à la
réalité vécue et en conservant ce qui peut leur servir d’une façon ou d’une autre» (ibid., p.
371). Pour et dans l’activité professionnelle les savoirs « extérieurs » à l’enseignant sont
donc « retraduits », transformés ; ils sont soumis à la « jurisprudence privée » construite
peu à peu par l’enseignant « au fil des ans et au gré des essais et des erreurs » (Gauthier,
Desbiens, Malo, Martineau & Simard, 1997, p. 136).
L’expérience du travail joue donc un rôle fondamental dans l’édification de la
Dans le document
La professionnalité des enseignants de l'école primaire : les savoirs et les pratiques.
(Page 122-125)