• Aucun résultat trouvé

Conjugaison, transduction et transformation : la vie sexuelle des bactéries ?

Il convient ici de faire quelques remarques quant à l’amalgame qui est fait de plusieurs types d’événements dans l’appellation de transfert horizontal. On entend généralement par transfert horizontal, toute acquisition d’ADN qui ne s’est pas faite par la stricte voie verticale de parent à descendant (pour plus de détails sur les mécanismes de transfert d’ADN chez les bactéries, se reporter à l’annexe 1). Ainsi, dans le cas des bactéries, l’acquisition d’un plasmide autoréplicatif constitue un transfert horizontal. De même, l’entrée et la persistance de tout ADN parasite (transposons, bactériophages...) dans la cellule, qu’il s’intègre ou non au génome, est un transfert. Pour ces séquences, la capacité à être transféré est absolument vitale et l’on s’attend à ce qu’elles soient d’une manière ou d’une autre adaptées à ce moyen de reproduction. Enfin, on entend également par transfert horizontal l’intégration dans le génome de gènes dont il n’est pas soupçonné a priori que la spécialité est d’être transféré, comme dans la plupart des cas détaillés jusqu’ici.

Ainsi, le terme de gène transféré horizontalement peut regrouper des gènes qui sont adaptés au transfert et des gènes qui ne seraient transférés qu’exceptionnellement. Ce sont évidemment ces derniers qui suscitent le plus de débat, particulièrement parce qu’ils

Fig. 1.13 : Représentation graphique de la quantité de gènes « natifs » d’un génome (partie gauche de chaque barre) et des gènes détectés comme ayant été acquis très récemment (partie droite ; pourcentage également indiqué). La partie la plus claire des barres représente la fraction des gènes qui sont associés à des éléments mobiles comme les phages, les plasmides ou les IS (Séquences d’insertion). Extrait de Ochman, et al., 2000

constituent la majorité des gènes détectés comme transférés (voir Fig. 1.13). On imagine la plupart du temps que ces gènes répondent à de fortes pressions de sélection, comme c’est le cas pour les gènes de résistance aux antibiotiques ou aux métaux, de virulence ou encore d’une voie métabolique permettant la survie dans un milieu pauvre. Il a été suggéré dans cette optique que le regroupement des gènes en opéron pouvait être moins un mode de corégulation qu’un moyen pour une voie métabolique complète d’être transmise en une seule fois et ainsi d’augmenter sa probabilité de réussir un transfert (Lawrence et Roth, 1996). C’est en tout cas très probablement cette « pression de transfert » qui est à l’origine des îlots de pathogénicité, regroupement de gènes assurant différentes fonctions liées à la virulence (production d’exotoxines pour détruire les tissus, d’adhésine ou d’invasine pour s’y maintenir et de gènes permettant d’échapper à la réponse immunitaire de l’hôte).

La forte pression de sélection permet ainsi d’expliquer la fixation dans une population d’événements ayant une faible probabilité d’occurrence. Cependant, une pression de sélection forte devrait signifier également un phénotype relativement facile à identifier. Or un grand nombre des gènes pour lesquels on soupçonne un transfert horizontal ont des fonctions encore inconnues (fig. 1.14), ce qui suggère soit que nous n’avons qu’une idée infime des pressions

Fig. 1.14 : Classification fonctionnelle des gènes détectés comme acquis récemment par Garcia-Vallve, et al., 2000 dans différents génomes. Cette classification est tirée de la banque de gènes homologue COG (Clusters of Orthologous Genes) (Tatusov, et al., 2000). Les gènes annotés « Poor » et « - » ont des fonctions inconnues. Ainsi, chez E. coli, le nombre de ces gènes dont la fonction est inconnue est de 275 (sur 381). Extrait de Garcia-Vallve, et al., 2000.

de sélection qui s’exercent dans les populations naturelles de bactéries, soit que ces gènes sont présents dans le génome pour d’autres raisons encore inconnues. Une explication alternative pourrait être qu’une partie de ces gènes serait des éléments égoïste dont le taux d’insertion serait suffisamment important pour leur assurer un maintien dans les populations.

En outre, les incongruences phylogénétiques mentionnées plus haut concernent souvent des gènes dont la distribution dans le vivant est ubiquitaire. Le transfert horizontal pour ces gènes correspond donc à un remplacement orthologue d’un gène assurant une fonction essentielle et les pressions de sélection favorisant un tel remplacement sont mal comprises.

1.7.1 Des caractéristiques communes aux séquences spécialisées dans le transfert

horizontal ?

Les bactériophages, IS et plasmides ont généralement des compositions en bases et des usages du code différents des génomes de leurs hôtes. On remarque depuis longtemps que ces séquences ont une tendance à être plus riches en nucléotides A et T que le génome avec lequel elles cohabitent, mais il a été montré récemment que cette direction dans le biais est systématique (Rocha et Danchin, 2002) (fig. 1.15). Ce caractère commun de ces séquences pourrait s’expliquer de plusieurs manières. On peut imaginer que la richesse en nucléotides A et T est un moyen pour l’ADN de favoriser soit son internalisation dans la cellule, soit son intégration dans le chromosome bactérien, ou encore qu’elle permet d’échapper aux mécanismes de restriction présents chez de nombreuses bactéries. Rocha et Danchin (2002) proposent que ce biais de

Fig. 1.15 : Richesse relative en A+T des différentes classes de phages, des plasmides et des Séquences d’insertion (IS). Tous ces éléments sont plus riches en A+T que leur génome hôte. Ces résultats sont basés sur l’étude de 52 génomes complets bactériens. Extrait de Rocha et Danchin, 2002

composition est dû au fait que les molécules d’ATP sont présentes en plus grande concentration dans la cellule, et que l’ADN parasite exploite ainsi mieux les ressources de son hôte. Nous reviendrons plus tard sur ces caractéristiques particulières des séquences sujettes à de fréquents transferts horizontaux.

1.7.2 Les bactéries pratiquent-elles le sexe ?

Le sexe est très fréquemment présenté comme un phénomène général dans le vivant, et l’on entend souvent dire que non seulement les eucaryotes, mais également les bactéries pratiquent le sexe. Chez les eucaryotes, il existe un certain nombre de fonctions qui sont spécifiques au sexe et qui favorisent le brassage des allèles, comme la méiose et la recombinaison qui l’accompagne (Marais, 2002). Par analogie, comme le transfert horizontal semble être un facteur majeur de l’évolution des bactéries, il est souvent supposé (quoique rarement argumenté) que les mécanismes de transfert ont été mis au point pour favoriser l’adaptabilité. Cependant, deux des mécanismes qui permettent aux bactéries d’échanger de l’ADN sont uniquement dus à la présence d’éléments génétiques qui peuvent au mieux être considérés comme des symbiontes, dans le cas où ils transportent des gènes de résistance à des antibiotiques par exemple, mais constituent plus généralement de purs parasites. En effet, les phages et les plasmides conjugatifs transportent avec eux toute la machinerie nécessaire au transfert de gène, et aucune fonction de l’hôte ne semble être spécifiquement impliquée dans ces mécanismes (Levin et Bergstrom, 2000). Les protéines comme IHF (« Integration Host Factor »), dont le nom insiste sur le rôle qu’elle joue dans l’intégration de certains phages dans le génome d’E. coli, se révèlent être des protéines participant à la structure du nucléoïde (Dhavan, et al., 2002). On peut donc se poser la question de savoir si les bactéries pratiquent le sexe, au sens où on l’entend chez les eucaryotes, c’est-à-dire si la sélection naturelle a mis en place des mécanismes favorisant le brassage des allèles des différents gènes.

La transformation semble ainsi être le seul mécanisme qui puisse avoir été élaboré pour remplir cette fonction : les bactéries possèdent pour la plupart des mécanismes actifs d’internalisation de l’ADN libre, et nombre de gènes ont été identifiés au départ comme étant spécifiquement impliqués dans les mécanismes de recombinaison (comme les gènes Rec ou

Ruv) (Cox, 2001; Lusetti et Cox, 2002). De plus, certaines séquences, comme les séquences chi d’E. coli ont été décrites comme étant fortement recombinogènes, et interprétées comme

adaptées à la réparation des gènes ou au remplacement d’allèles entre souches d’une même espèce. Cependant, des travaux récents contredisent assez fortement cette vision. D’abord, on peut remarquer que la compétence est sujette à régulation chez de nombreux organismes comme Bacillus subtilis, Streptococcus pneumoniae ou Haemophilus influenzae. Si la compétence est avant tout un moyen de réparer l’ADN, on doit observer une induction des gènes de compétence lorsque l’ADN est endommagé comme c’est le cas pour tous les autres mécanismes de réparation de la cellule. Redflied (Redfield, 1993), a montré que ce n’était pas le cas chez B. subtilis et H. influenzae. Chez plusieurs bactéries compétentes, l’induction de certaines enzymes impliquées dans les mécanismes de réparation, comme RecA a été interprétée comme une adaptation favorisant la recombinaison, mais il a également été proposé que l’entrée d’ADN simple brin dans la cellule serait responsable d’un faux signal d’endommagement de l’ADN (Redfield, 2001). De plus, il parait surprenant dans l’hypothèse d’une fonction dans la réparation de l’ADN que chez de nombreuses bactéries, la compétence soit induite pendant ou a la fin de la phase exponentielle de croissance (Hahn, et al., 1996; Echenique, et al., 2000; Macfadyen, 2000; Berka, et al., 2002). Macfadyen et al. (MacFadyen, et al., 2001) ont récemment montré que la compétence était inhibée chez H.

influenzae par la présence de nucléotides ou de nucléosides puriques dans le milieu. Ce mode

de régulation ressemble plus à celui attendu pour les gènes d’une fonction nutritive. Macfadyen et al. (2001) proposent que la compétence constitue avant tout un moyen d’obtenir des nucléotides du milieu environnant. Certains faits cependant restent inexpliqués sous cette hypothèse, et notamment le fait que certaines bactéries comme Neisseria meningitidis ou H.

influenzae possède un mécanisme de reconnaissance de l’ADN à interner qui favorise l’entrée

de séquence de la même espèce.

D’un autre coté, les gènes connus pour être impliqués dans la recombinaison (comme les protéines des voies Rec et Ruv) se sont révélé être plus spécifiquement des gènes de la réparation associés à la réplication de l’ADN (« recombinational repair ») (Cox, et al., 2000). La fonction de ces gènes dans la réparation des lésions et la résolution des fourches de réplication leur permettrait d’intervenir également, mais presque de manière anecdotique, dans la recombinaison entre souches. De même, la fonction des sites chi d’E. coli se révèlerait être plus d’orienter le mécanisme de réparation de l’ADN impliquant RecBCD au niveau de la fourche de réplication (Kuzminov, 1995; Horiuchi et Fujimura, 1995) que de favoriser la recombinaison.

Rosemary Redfield (Redfield, 2001), au regard de ces faits, a récemment défendu la thèse selon laquelle les bactéries ne feraient pas de sexe dans le sens où aucun gène n’aurait été sélectionné spécifiquement chez les bactéries pour favoriser les échanges d’ADN. La raison pour laquelle aucun mécanisme n’a été sélectionné serait qu’à l’instar de la mutation, le transfert d’ADN ne serait qu’exceptionnellement bénéfique, et même le plus souvent très dommageable à la cellule. Selon ce point de vue, de même qu’il existe des mutateurs qui peuvent être sélectionnés de manière transitoire dans des conditions de stress, des bactéries ayant la capacité d’intégrer de l’ADN étranger dans leur génome pourraient être temporairement avantagées, mais les inconvénients de ce système seraient trop important pour que des fonctions spécifiques d’incorporation d’ADN dans le génome soient sélectionnées à long terme.