• Aucun résultat trouvé

ANNEXE A : Mécanismes d’échanges d’ADN chez les bactéries

ANNEXE A : Mécanismes d’échanges d’ADN chez les bactéries

Il est intéressant de préciser quelques détails des mécanismes d’échanges d’ADN entre les bactéries, en s’attachant plus particulièrement à la chaîne d’événements qui conduisent à l’insertion dans le chromosome de gènes autres que les gènes de plasmides, de virus ou de transposons. Comme détaillé dans le chapitre 1, les trois grands types de systèmes permettant aux bactéries d’intégrer de l’ADN étranger étaient connus dès les années 1950. Il s’agit de la conjugaison, qui est à première vue le mécanisme le plus analogue au sexe des eucaryotes en ce sens qu’il nécessite un contact entre deux individus ; de la transformation qui consiste en l’internement d’une molécule d’ADN libre du milieu ; et de la transduction qui est due à l’intervention d’un troisième protagoniste : une particule virale véhiculant l’ADN transformant.

La conjugaison

Certains plasmides comme le plasmide F d’Escherichia coli assurent leur transmission horizontale en apportant à la cellule la capacité à conjuguer avec une autre. Le plasmide F code près de 100 gènes dont 20 (les gènes tra) participent à la fonction de transfert du plasmide. Les bactéries porteuses du plasmide sont dites F+ et sont capables de former un pilus sexuel, qui peut se fixer à une cellule dépourvue de plasmide (F-). Ce pilus se raccourcit alors pour rapprocher les deux cellules et le plasmide F se réplique en envoyant sa copie dans la bactérie F-. Ce transfert se fait grâce à l’existence d’une séquence oriT portée par le plasmide, et à certaines enzymes formant le « relaxosome » capable de reconnaître spécifiquement cette séquence. La bactérie F- devient donc elle aussi F+. Dans cette opération, seuls les gènes portés par le plasmide (mais pas seulement les gènes tra) sont concernés par le transfert. D’autres plasmides non conjugatifs portant la séquence oriT et codant le relaxosome approprié peuvent également être recrutés ainsi par un plasmide conjugatif tel F. Mais parfois, le plasmide F s’insère dans le chromosome bactérien. Cette intégration peut se faire par différents mécanismes, à différents sites dans le chromosome. Les bactéries porteuses d’un plasmide conjugatif intégré dans le génome sont dites Hfr (pour haute fréquence de recombinaison). La conjugaison implique alors également le chromosome bactérien. Le transfert commence par la séquence oriT, et entraîne les parties du chromosome

bactérien adjacentes à cette séquence. La partie transférée peut être plus ou moins importante selon le temps de contact entre les cellules. La bactérie receveuse n’acquerra pas la capacité d’induire une conjugaison avec une autre bactérie car le plasmide n’est pas transmis dans sa totalité lors de cette opération. Cependant, l’ADN exogène peut recombiner avec le chromosome et des gènes peuvent ainsi être transférés (voir fig. A1). Le mécanisme de conjugaison semble pouvoir se faire entre individus d’espèces très éloignées. Il est tellement peu spécifique qu’il a été observé entre une bactérie et un eucaryote : une E. coli Hfr est capable de transférer son ADN à

Saccharomyces cerevisiae ! L’étape

limitante dans ce cas étant le processus de recombinaison homologue entre la séquence transmise et les chromosomes de la levure.

Les éléments transposables bactériens (ou IS pour « Insertion Sequence ») peuvent profiter de plasmides conjugatifs pour se multiplier dans de nouveaux génomes. Il arrive fréquemment qu’ils forment des éléments composites en emportant des gènes du chromosome bactérien. Ils peuvent alors transposer dans un plasmide et ainsi disséminer d’autres gènes que les leurs. Certains éléments transposables peuvent également porter les gènes induisant la conjugaison. On les trouve notamment chez les bactéries Gram-négative. C’est le cas par exemple du transposon Tn916, qui s’insère dans le génome bactérien, mais peut également se circulariser en emportant avec lui des séquences flanquantes du chromosome. Possédant la séquence oriT et les gènes

Fig. A1 : Le transfert d’ADN par transduction (a), conjugaison (b) et transformation (c). Extrait de Redfield, 2001.

nécessaires pour induire la conjugaison, il peut se transmettre à une autre cellule de manière analogue au plasmide F, emportant avec lui des gènes de son hôte précédent.

Les plasmides, quel que soit le mode de transmission, sont très fréquemment responsables du transfert de gènes de résistance à des antibiotiques. Cela constitue pour eux, comme chaque biologiste moléculaire pratiquant le clonage de gènes le sait, un mécanisme de maintien dans l’hôte particulièrement efficace dans certaines conditions.

La transduction

Les bactériophages sont également un moyen efficace de transfert d’ADN. Leur cycle se déroule généralement comme suit : après que la particule virale ait injecté le matériel génétique dans la cellule, soit ce génome est intégré de manière réversible dans le chromosome bactérien et y persiste plus ou moins longtemps, on dit alors qu’il est sous forme de prophage, soit il est exprimé et répliqué : la cellule n’est alors plus dévouée qu’à la fabrication de particules virales et à la réplication du génome du phage. L’ADN de cette cellule est fragmenté et elle finit par être lysée, libérant ainsi de nouvelles particules infectieuses. Lors de l’encapsidation, il peut arriver que de l’ADN fragmenté du génome bactérien soit incorporé en place du génome viral. Dans ce cas, la particule infectieuse pourra injecter dans une nouvelle cellule tout autre chose que l’ADN du phage. On appelle ce mécanisme transduction généralisée. Les génomes de phage ont généralement des tailles qui vont de quelques kilobases à quelques dizaines de kilobases, ce qui peut permettre le transfert de quelques dizaines de gènes.

Certains phages ont une grande spécificité d’hôte, et même de site d’insertion pour

leur forme prophage. C’est le cas notamment du phage λ d’E. coli, qui possède dans son

génome un site attP homologue du site attB sur le génome bactérien et qui permet son intégration par recombinaison homologue. Son excision du chromosome bactérien se fait la plupart du temps en reconstituant parfaitement les deux sites attP et attB. Cependant, il arrive qu’avec l’ADN du phage soient encapsidés les gènes gal (impliqué dans le métabolisme du galactose) et bio (impliqué dans la synthèse de la biotine) flanquant le site attB. Ainsi, même la transduction spécialisée peut entraîner le transfert de gènes non phagiques. A l’inverse, certains bactériophages comme le phage Mu possèdent un large spectre d’hôte et peuvent s’insérer dans n’importe quel site du génome. Il semble cependant que les gènes d’ARN de

transfert soient des sites privilégiés d’insertion pour ces phages, bien que la raison en soit encore obscure. Le bactériophage Mu possède un mécanisme d’insertion très proche de certains transposons, qui lui permet non seulement de s’insérer, mais également de transposer sous sa forme prophage. Lors de son excision, le génome du phage emporte un peu des régions flanquant son site d’insertion, qui peuvent se retrouver encapsidés et injectés dans le

prochain hôte. Contrairement au cas du phage λ, chacun des gènes d’un génome peut donc

être entraînés avec le génome du phage dans la transduction spécifique de Mu.

Les génomes de bactériophages contiennent fréquemment des gènes conférant à la bactérie hôte un grand avantage dans certains milieux, notamment des gènes de pathogénicité regroupés en « îlots ». Les souches virulentes de Corynebacterium diphteria, responsables de la diphtérie, ne diffèrent des souches bénignes que par la présence d’un bactériophage appelé

corynephage (β ou ω). Ce bactériophage porte des gènes capables de fabriquer une toxine qui

provoque la destruction des cellules du sujet abritant C. diphteria, ce qui provoque un apport important de nutriments (et notamment de fer) à la bactérie. De nombreux autres exemples de bactéries pathogènes de l’homme doivent leur virulence à des bactériophages : c’est le cas notamment de Streptococcus pyogenes et du bactériophage T12, responsables à eux deux de

la scarlatine ; de Vibrio cholerae et de ses phages CTXΦ et VPIΦ. La présence d’îlots de

pathogénicité souvent à proximité de gènes d’ARN de transfert (ARNt) chez de nombreuses bactéries comme la souche uropathogénique d’E.coli UPEC, suggère que leur dissémination pourrait être principalement assurée par les phages, dont les ARNt sont des sites privilégiés d’action des intégrases.

La transformation

La transformation est le mécanisme par lequel de l’ADN libre peut entrer dans la cellule. Une cellule capable d’intégrer de l’ADN par ce biais est dite compétente. La compétence peut être induite artificiellement chez la plupart des bactéries, et même chez des

eucaryotes par des traitements spéciaux comme l’électroporation ou le traitement au CaCl2,

mais certaines bactéries comme Streptococcus pneumoniae, Neisseria gonorrhoeae et

Haemophilus influenzae passent spontanément à l’état de compétence dans certaines

conditions. La transformation chez les bactéries est un mécanisme actif qui utilise des gènes spécifiques (notamment les gènes com). De très nombreuses bactéries dont on n’a jamais

observé de compétence naturelle possèdent ces gènes, ce qui suggère qu’elles peuvent entrer naturellement en compétence dans des conditions encore inconnues. Le mécanisme diffère d’une bactérie à l’autre : Haemophilus influenzae par exemple reconnaît une séquence spécifique de neuf paires de bases à sa surface, et intègre ensuite l’ADN sous forme double brin. Cependant, certaines bactéries ne semblent pas posséder de tel mécanisme de reconnaissance de séquences et internalisent l’ADN en dégradant l’un des brins. Dans ce cas, pour un ADN non auto-réplicatif, le succès du transfert dépendra du degré de similarité de la séquence avec le chromosome. En effet, dans ce mode de transfert horizontal particulièrement (mais pas seulement), l’étape de recombinaison homologue est critique. D’ordinaire, seul un ADN présentant un fort degré de similarité avec le chromosome sur une portion de séquence de longueur variable selon les bactéries, pourra recombiner. Cependant, dans certaines conditions, comme pendant un stress important ou lorsque des gènes contrôlant la spécificité de l’appariement des deux brins d’ADN sont mutés, des événements de recombinaison hétérologue peuvent avoir lieu, et provoquer l’intégration de l’ADN d’une espèces éloignée.