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Conjoncture politique, économique et syndicale 17#

Chapitre III: La collaboration, 1939-1946

7. Conjoncture politique, économique et syndicale 17#

Ce sont les grands aspects de la vie québécoise des années quarante qui ont suscité la structure idéologique qui vient d'être résumée. A plusieurs points de vue, on peut par­ ler ici d'époque charnière en ce qu'elle fut le moment pour la province d'emboîter le pas derrière le "géant américain" qui se faisait alors le fournisseur d'armes de l'Europe en guerre. Le relevé des bouleversements politiques, économi­ ques et syndicaux majeurs, pour n'étudier que ces secteurs, laisse voir

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'ampleur du changement à cette époque.

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Aux appels répétés des gouvernements fédéral et pro­ vinciaux à soutenir par tous les moyens l'effort de guerre au Canada, l'ensemble üu pays avait répondu favorablement. Per­ sonne ne contestait la nécessité de briser la marche dangereu­ se de l'Allemagne, de l'Italie et au Japon hors de leurs fron­ tières respectives. Ce que plusieurs Canadiens français ne toléraient pas cependant, c'était une collaboration incondi­ tionnelle aux côtés de l'Angleterre. Le Canada, disaient-ils, doit être un allié de premier ordre, mais nullement un servi­ teur aveugle des volontés de Londres. Ûn supportait diffici­ lement de voir les chefs militaires tenus à l'écart des comi­ tés importants de décisions de guerre en Grande-Bretagne.

Que le pays ne soit pas representé au Comité con­ joint des chefs d'état-major et qu'il soit refoulé dans des comités de second et troisième plan, le "Cornbined Food Board" par exemple (17), étaient de sérieux désagréments. Il n'en fallait pas plus pour accentuer le besoin d'autonomie cana­ dienne que véhiculèrent au Québec la Ligue pour la Défense du Canada et le Bloc Populaire. André Laurendeau et Maxime Raymond à la tête du "Bloc" trouvèrent auprès de leurs compa­ triotes de langue française un écho favorable à leurs paro­ les, en raison du mauvais traitement dont étaient l'objet les francophones de l'armée canadienne. Les cas de soldats incapables de communiquer avec leurs officiers dans leur pro­ pre langue furent fréquents. De semblables situations ren-

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daient plus facile le repli des Québécois sur eux-mêmes. Leur province devenait le seul endroit où ils se sentaient chez eux.

D'autant plus que l'intrusion au gouvernement fédé­ ral dans les affaires des provinces faisait dire aux Québé­ cois qu'Ottawa avait entrepris de subordonner à ses volontés les parlements provinciaux. La limitation de la marge de ma­ noeuvre financière provinciale et la multiplication aes lois sociales et ouvrières fédérales üans des domaines qui rele­ vaient des provinces, stimulèrent la propension historique­ ment naturelle des Québécois à l'autonomie provinciale. Un homme pragmatique comme Maurice Duplessis ne mit pas ae temps à saisir la valeur électorale a'un thème pareil; c'est d'ail­ leurs ce qui l'aida à gouverner si longtemps à compter de

1944. Par ses agissements, la capitale fédérale rehaussa l'at­ tachement des Canadiens français à leur gouvernement local sans même que ce dernier n'eut quoi que ce soit à faire, si ce n'est de se présenter comme une administration respectable, prête à freiner les débordements inconstitutionnels d'Ottawa.

Le Canada de la seconde guerre mondiale, s'il fut négligé par ses alliés aans l'établissement des stratégies militaires, prit sa revanche sur le plan économique. Parce qu'il remplit le rôle d'un fournisseur majeur de munitions, d'avions et de navires, il s'ensuivit un enrichissement col­ lectif considérable. Les propriétaires d'entreprises prirent évidemment la part du lion de ces profits, mais la classe ou­

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vrière en bénéficia elle aussi. Le niveau de vie connut une hausse remarquable grâce aux bénéfices que les patrons répar­ tirent partiellement sous forme de bonis (1$). Le chômage ré­ gressa à un point tel que la fameuse crise économique ne fut plus que du passé (19). Mais la guerre n ’était pas que syno­ nyme de prospérité économique, elle signifiait également

transformation de l ’économie. Ce qu ’on appelle la seconde re­ volution industrielle brisa définitivement la traditionnelle répartition des travailleurs dans les trois secteurs économi­ ques. Le secteur secondaire demeura relativement stable, alors que le tertiaire gagna ce que perdit le primaire. En termes plus concrets, la vie à la campagne n ’avait plus sa raison d ’être que pour une fraction mineure de la masse ouvrière et l'on avait désormais besoin de "cols blancs" occupes aux ser­ vices que la collectivité était désormais en mesure de se payer. Au sein du secteur secondaire, l ’évolution ne se mesu­ rait pas en chiffres mais en relocalisation des forces. L'in­ dustrie légère faisait place maintenant à une autre plus spé­ cialisée, l ’industrie lourde:

"L’industrie légère est en déclin depuis 1935. La proportion, relativement à la production manu­ facturière totale, des industries suivantes a diminué depuis cette date: aliments et boissons, tabac, caoutchouc et cuir, textiles et vêtements. L ’inverse est vrai pour les industries suivantes qui font partie de l ’industrie lourde: fer, acier

18. A Noël, par exemple, plusieurs employeurs prirent l'ha­ bitude d ’accorder de leur plein gré un supplément.

19. Voici les taux de chômage oour le Québec entre 1939 et 1944: 1939: 9%;

1940

: 3-7%; 1941: 2.3%; 1944:

0

.

6

%.

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et équipement de transport, petrole, appareils é- lectriques, produits chimiques (

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)."

Pour ceux qui avaient connu l ’insécurité et l'insuffisance, le cauchemar était terminé.

Mais il ne suffisait pas de consommer les avantages de l ’essor économique, il fallait aussi s'adapter au renou­ veau structurel q u ’il impliquait. On sait combien l ’économie a des effets sur la vie sociale d ’une population. La syndica­ lisation des travailleurs épouse souvent ses expansions et ses récessions. Entre 1940 et 1946, les organisations ouvriè­ res profitèrent très largement du rythme effréné de l'indus­ trie qui rendait les ouvriers plus enclins à joindre les rangs des unions. Le Québec de 1939 comptait 105,000 syndiqués et passa subitement à 176,000 en 1944 (21). De l'avis de tous, les syndicalisables etaient nombreux. Depuis longtemps on ne s'était réjoui dans le mouvement syndical d'un climat aussi favorable au moment où la législation ouvrière ne venait rien gâter. La loi créant un Conseil supérieur du Travail en 1940 et cette autre des relations ouvrières de

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ainsi que l'a­ bolition par les libéraux d'Adélard Godbout des lois antisyn­ dicales de Duplessis (22) remplissait d'aise les dirigeants syndicaux, tout autant catholiques qu'internationaux. C'est

20. Mario Uumais, L'Evolution économique du Québec: 1940- 1965. in Robert Comeau, Economie Québécoise ..., p.220. 21. Rosario Bilodeau, op.cit.. p.568.

22. Modification à la Loi relative aux salaires des ouvriers de 1937; remplacement des bills 19 et 20 par une Loi de convention collective; Loi des salaires raisonnables ae 1937 remplacée par une nouvelle Loi du salaire minimum.

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q u ’ainsi le syndicalisme, dispensé désormais de se battre pour son droit à l ’existence, prenait définitivement sa place parmi les institutions reconnues. On se préoccupa davantage alors, comme on l'a déjà dit, des attaques entre syndicalis­ tes que de tout autre assaut.

Les données de l'existence politique, économique et syndicale furent donc bouleversées en ces années

1940

-

1946

. On avait cessé de vivre comme aux temps de la crise, appelé qu'on était désormais à surmonter des défis différents. Il en résulta forcément que les comportements ne furent plus les mêmes. A nouveau les Québécois ressentaient leur personnali­ té collective menacée par les trop fréquentes interventions d'Ottawa dans leurs affaires. Seul le gouvernement de Québec leur assurait des législations écrites dans l'esprit français et catholique qui répondait si bien à leurs attentes. Leur attachement aux autorités publiques locales s'en voyait con­ sidérablement accru. Et comme la situation économique s'était améliorée, on vécut dans une atmosphère de mieux-vivre, pre­ nant goût à cette assurance du minimum vital apportée par la guerre et les modifications de 1a. structure économique. Le

syndicalisme, quant à lui, prit satisfaction de sa collabo­ ration avec le pouvoir politique. A maints endroits, la san­ té matérielle et les nouveaux défis faisaient simultanément leur apparition. Certains hommes, par leur temperament et leurs capacités d'adaptation, allaient résister au passage, d'autres non.

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On ne peut guère parler d'échanges étroits entre Charpentier et le Gouvernement du Québec entre 1940 et 194o. Nous n'avons rien trouvé en effet qui nous laisse croire que le président de la C.T.C.C. ait rencontré en personne Adélara Godbout ou son ministre du Travail pour leur soumettre ses revendications. De cela, il ne manifesta jamais d'inquiétude, se montrant confiant que les voies habituelles de diffusion de ses réclamations conviendraient à la tâche. On se souvien­ dra qu'il ambitionnait sans relâche de voir la mise en appli­ cation du corporatisme au Québec et d'obtenir des lois ouvriè­ res et sociales. Les lois ouvrières, dans le but et de lais­ ser le droit de vie aux syndicats minoritaires qu'étaient à l'occasion ceux de la C.T.C.C. et d'établir la façon précise selon laquelle les relations du travail devraient être con­ duites partout dans la province entre un employeur et un syn­ dicat en règle. Les lois sociales, afin d'accorder à tous les travailleurs des avantages sociaux diversifiés et plus géné­ reux. Grosso modo, il était en quête des mêmes objectifs

qu'auparavant, sauf qu'il insistait davantage sur l'obtention des mesures dites de transition vers le corporatisme, les lé­ gislations ouvrières et sociales. Le tout fut porté à l'at­ tention des dirigeants avec des moyens et sur un ton paisi­ bles.

Que le corporatisme demeure infailliblement la so­ lution privilégiée et la plus convoitée, rien d'étonnant à cela. Alfred Charpentier lui accordait une place de choix dans sa pensée syndicale et sociale et on le retrouve dans l'idéo­

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logie de la C.T.C.C. ainsi que dans l'encyclique "Quadragesi- mo Anno". Chez les syndicats catholiques, on persistait à croire que l'atmosphère de paix et de fraternité entre em­ ployés et patrons était un objectif réalisable. Depuis 1931, on était convaincu que son établissement allait survenir. S'il fallait procéder par étapes, peu importe puisque le ré­ sultat serait le même de toute façon. Ainsi en insistant sans relâche pour l'adoption de lois ouvrières, Charpentier comp­ tait que l ’on s'approcherait en douce du corporatisme. Mais ce n ’était pas la seule raison qui le motivait a revendiquer des lois ouvrières. Nous avons vu que la lutte syndicats ca- tholiques-unions internationales le poussait à demander l ’ai­ de de la législature pour se protéger du péril de la démobi­ lisation des forces de sa centrale sous la pression des coups du syndicalisme américain. Quant aux mesures sociales qui fu­ rent aussi l ’objet de fréquentes réclamations, la raison de leur présence tient à la hausse du niveau de vie qui incita les chefs ouvriers à exiger pour la population l ’assurance d ’avantages permanents qui garantiraient à tous un certain bien-être, un non-retour aux conséquences physiques de la

crise économique.

Le ton et la manière pondérés de Charpentier à l ’en­ droit des hommes publics ne surprennent plus lorsque l ’on

connaît la satisfaction q u ’il éprouva a leur égard et plus globalement l ’importance q u ’il attacha à leur fonction de gardien de l ’autonomie provinciale. Le gouvernement de Québec prenait alors une signification qu'il n'avait pas eu aupara­

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vant. Il était désormais un symbole, une promesse de protec­ tion de l'identité nationale. Juste à ce titre, il fallait non pas le menager, mais le respecter et entretenir sa voca­ tion. Cette nouvelle perception de l'interlocuteur faussait tout le jeu des relations du travail. Charpentier ne se con­

centrait plus exclusivement sur les actes de Québec en rapport avec la situation que les patrons faisaient à leurs ouvriers,

il s'interrogeait maintenant sur l'à-propos des lois fédéra­ les, le degré d'empiétement d'Ottawa dans le champ de la lé­ gislation provinciale. Le président de la C.T.C.C. n'était plus le même. Il était moins présent d'esprit, revenu à son idéalisme du début des années trente et en mal de fraternité qu'il trouvait au Réarmement moral, et non pas à la C.T.C.C.. La centrale catholique rejetait lentement son chef, ce qu'il ressentait bien en choisissant lui-même de s'en écarter par la voie de toutes ses sorties officielles. Il ne fallait plus attendre de lui qu'il se batte ou suive de très près ce qui se déroulait à Québec. Alfred Charpentier avait déjà don­ né, avant 1940, le meilleur de lui-même.

CONCLUSION

Alfred Charpentier fut un syndicaliste de la pre­ mière école de l'unionisme catholique. Il se trouvait à Hull en 1921 aux jours de la fondation de la C.T.C.C., heureux d'en être l'un des responsables et décidé à marquer le mou­ vement de l'empreinte de son travail. L'esprit du fondateur, il le manifesta jusqu'en

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o par ses fréquents efforts pour garder la C.T.C.C. dans la voie que lui avaient tracée les pionniers. Mais la vieille époque étant révolue, il dut céder la place, en

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, date qui prouve qu'une certaine conception du syndicalisme avait eu la vie dure. Conception qui détermi­ na en partie le genre de relations que Charpentier entretint successivement avec Alexandre Taschereau, Maurice Duplessis, Adélard Godbout et leurs ministres du Travail respectifs. Au coeur de ses demandes, le corporatisme garda indéniablement la première place, suivi de requêtes en matière de legisla­ tion ouvrière et sociale. Si l'on excepte les plus durs mo­ ments de l'administration duplessiste en

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, on peut dire que Charpentier présenta ses revendications sur un ton et par des moyens de pression modérés.

Il existe une constante dans la pensee de Charpen­ tier qui pourrait rendre compte de son comportement si peu

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déterminé face à l'Etat. C'est que l'objectif ultime était le corporatisme que syndicats ouvriers et patronaux devaient concourir à mettre sur pied. Par esprit de bonne entente et de fraternité entre les groupes sociaux, pensait Charpentier, se formeraient spontanément des groupes conjoints employeurs- travailleurs qui oeuvreraient à l'amélioration des relations de travail selon les principes corporatistes. Le gouverne­ ment, on l'a déjà dit, a peu à faire dans l'établissement et le fonctionnement du corporatisme. C'est ce qui explique bien les années 1935-1936. Charpentier n'allait pas entreprendre une relation attentive et suivie avec Québec au moment même où il jugeait que tous les partis politiques, dans l'opposi­ tion ou au pouvoir, n'étaient pas le principal secours pour les travailleurs. On continuerait de dialoguer avec l'Etat en quête de la législation nécessaire pour protéger le syndica­ lisme catholique et la masse des travailleurs menacés par les épreuves quotidiennes. En tous points, il modelait sa relati­ ve indifférence vis-à-vis Québec sur les idées qui circu­ laient à la C.T.C.C. et dans l'élite nationaliste, largement composée de clercs délégués auprès des chefs ouvriers. L'i­ déologie clérico-nationaliste de la décennie

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demandait aux syndicalistes une oeuvre morale et spirituelle auprès des ouvriers. Alfred Charpentier se fit un devoir a'assumer ce rôle jusqu'en

1946

, considérant ainsi que les relations avec les gouvernements, quels qu'ils soient, passaient en second lieu.

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Réaliste et pragmatique à ses heures, Alfred Char­ pentier se présenta à l ’occasion, par lettres, journaux ou autrement, devant les hommes publics. Son ton poli et ses

moyens de pression tiennent à une bonne perception de l'inter­ locuteur autant en 1935-1936 que de 1940 à 1946. Il voyait dans les réponses des gouvernements Taschereau et Godbout de bons résultats et beaucoup de bonne volonté. Les promesses d'avenir étaient satisfaisantes, ce qui lui dictait oe se montrer complaisant envers Québec. Les bonnes dispositions du gouvernement Tascherau (1935), la protection acquise du gou­ vernement Godbout contre les "internationaux" (1943) et de celui de Duplessis (1944-1946) contre l'Etat fédéral trop centralisateur le comblaient d'aise. Du peu qu'il attendait de ces autorités, il avait suffisamment obtenu pour se dire relativement heureux. Il ne pouvait se montrer aussi cordial à l'égard de l'Union nationale de 1936 à 1939« On a toutefois remarqué qu'il avait fallu plusieurs mauvais coups de Duples­ sis pour que le président de la C.T.C.C. sorte de ses gonds. Et encore, rappelons-nous quelle conclusion il avait tirée de cette période creuse: la conduite inqualifiable du gouverne­ ment s'expliquait par le fait que les hommes au pouvoir n'é­ taient pas bien conseilles, ce qui revenait à les excuser. Par principe plus que pour toute autre raison, Alfred Char­ pentier avait le respect de l'Etat.

Sa personnalité et sa biographie confirment tout cela. Moyens modérés et nombre peu élevé de relations se com­ prennent aussi par les fréquents replis de Charpentier sur

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lui-même. Il n'était pas l'extraverti exhuberant et réaliste qui n ’a de cesse de vouloir entreprendre de nouvelles activi­ tés. On le retrouvait davantage dans des entreprises de réfor­ mes morales, de révolutions intérieures où, selon lui, la

multiplication des "convertis'' allait finir par faire bascu­ ler les groupes sociaux du côté de la fraternité humaine, bon idéalisme le conduisait naturellement vers la conversion des âmes.

A preuve, ses déplacements pour participer aux as­ semblées du "Moral Rearmement" et ses discussions philosophi­ ques ou morales avec divers ecclesiastiques. Ce sont ces oc­ casions de profonde réflexion sur lui-même qui lui procuraient ses plus grandes satisfactions, ses meilleurs moments de cal­ me intérieur q u ’il semble avoir recherché de plus en plus au cours des années 1940. Il n ’était pas du genre batailleur qui, indépendamment des moyens, cherche à donner tout le succès possible à sa cause. Sa façon de procéder passait par la bon­ ne entente et la compréhension mutuelle. Comment aurait-il pu en être autrement après toutes les difficultés et les de- mi-échecs q u ’il avait rencontrés? Lui, pompier et chef d ’une centrale syndicale qui voulait se donner des bases définiti­ ves au Québec, était un homme épuisé par le travail et con­ fiant que la solution aux problèmes ouvriers résidait dans la seule bonne volonté de toutes les parties en présence. Si l ’on se replace dans le contexte, à l ’époque où les syndicats ca­ tholiques n ’étaient pas le groupe de pression puissant qu'ils sont devenus aujourd'hui, on comprend mieux le type de solu-

tions pour lequel Charpentier opta. Ce qui ne se gagnait pas rapidement par la force du nombre pourrait peut-être s ’obte­ nir, moins vite évidemment, par la persuasion. Ayant l ’Eglise catholique a ses côtés, il est normal que Charpentier ait cru qu'ainsi secondé, tous les espoirs etaient permis.

Cette vie diversifiée q u ’il mena aurait dû, c ’est l ’impression que l ’on a aux premiers contacts avec cet homme, le garder très près des travailleurs et lui inspirer des

moyens d ’action plus marquants. Ce ne fut pas le cas. Alfred Charpentier a vécu des années trepidantes durant lesquelles les masses ouvrières ont très sincèrement espéré dans cette réforme matérielle et spirituelle proposée par l ’élite québé­ coise du temps. Fidèle à lui-même et à cette école de pensée réconciliatrice des groupes en opposition, il s ’est employé durant douze ans à faire de tous les syndicalistes, comme de lui-même, des acteurs dynamiques de ce renouveau social. L ’en­ jeu était noble et enthousiasmant, même si vu d ’aujourd’hui il apparaît avoir été rétrograde. Il engagea donc ses contem­ porains à des réformes individuelles qui, bien exécutées, de­ vaient engendrer immanquablement les changements globaux sou­ haités. Jusqu’en 1946, cette façon toute idéaliste d ’envisa­ ger le monde québécois ne changea pas chez Charpentier. Mais devant la lenteur de son processus de conversion des âmes, il

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