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Alfred Charpentier face au gouvernement du Québec, 1935-1946

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(1)

1?

3-i

IJL

IH 5

e55X

FACULTE DES LETTRES

T H E S E PRESENTEE

À L ’ECOLE DES GRADUES DE L ’UNIVERSITE LAVAL

POUR OBTENIR

LA MAITRISE ES ARTS (HISTOIRE) PAR DENYS CHOUINARD ALFRED_CHARPENTIER_FACE AU GOUVERNERENTJDU «¿UEBEC , 1915-1£4 6 FEVRIER 1975 /

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(3)

TABLE DES MATIERES

Table des m a t i è r e s ... ii

Bibliographie ... iv

INTRODUCTION ... 1

Chapitre I: Premiers contacts, 1935-1936 ... 15

1. Demandes d'Alfred Charpentier au Gouvernement du Q u é b e c ... 16

2. Personnalité d ’Alfred Charpentier ... 19

3. Perceptions du Gouvernement ...

26

4. Pensée syndicale et sociale d ’Alfred Charpentier . 30 5. L ’idéologie clérico-nationaliste ... 40

6. Conjoncture économique, syndicale et politique . . 4

6

Chapitre II: Le conflit, 193Ö-1939 ... 53

1. Demandes d ’Alfred Charpentier au Gouvernement du Q u é b e c ... 55

2. Activités syndicales d ’Alfred Charpentier . . . . 75

3. Perceptions du Gouvernement ... 79

4. Perceptions de la C.T.C.C... 90

5. Pensée syndicale et sociale d ’Alfred Charpentier . 93 6. Conjoncture politique et économique du Québec . . 101

Chapitre III: La collaboration, 1939-1946 ... 113

1. Demandes d ’Alfred Charpentier au Gouvernement du Q u é b e c ... 116

2. Activités syndicales et vie privée du president de la C.T.C.C... 142

3. Perceptions du G o u v e r n e m e n t ... « . . . . 151

4. Perceptions de la C.T.C.C...159

5. Pensée syndicale et sociale d ’Alfred Charpentier . 163 o. Contexte idéologique... <> . . < > . . « 172

(4)

CONCLU S I O N ... » . o . . . ... . 187

APPENDICE A ...193

I N D E X ... 232 iii

(5)

BIBLIOGRAPHIE

I . Instruments de travail

Durocher, René et Paul-André Linteau. Histoire du Québec. Bibliographie sélective (1867-1970). Edition préliminai re. Trois-Rivières, Editions Boréal Express, 1970.

139p.

Leblanc, André-E. et James D. Thwaites. Le monde ouvrier au Québec. Bibliographie rétrospective. Montréal, Presses de l'Université du Québec, 1973• 2§3p. (Coll. "Histoire des travailleurs québécois").

Hamelin, Jean et André Beaulieu. Les .journaux du Québec de 17o4 à

1964

. Québec, Presses de l ’Université Laval, 1965. 329p. (Coll. "Cahiers de l ’Institut d'Histoire” , no.6).

II. Sources (1)

A. Manuscrites

Fonds Alfred Charpentier. Université Laval, Service des Ar­ chives. Le fonds compte six pieds d ’archives composées essentiellement d ’une autobiographie syndicale (envi­ rons de 1900 à I960) dans laquelle Charpentier relate les étapes de sa carrière et rapporte une foule de fait divers qui n ’apparaissent pas dans les Mémoires ; s ’a­ joutent une partie de sa correspondance, une liste com­ plète de ses articles et oeuvres que nous avons repro­ duite en appendice, des conférences ou articles qui n ’ont pas été publiés, des découpures de journaux, des dossiers (partiels) concernant la grève du textile et celle de la métallurgie à Sorel en 1937, l ’arrêt de

1. On trouvera dans l ’Appendice A, la liste des articles d ’Alfred Charpentier.

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travail à Asbestos en 1949 et celui de Murdochville en 1957. Ces dossiers sont décevants vu leur faible am­ pleur. Le fonds comprend également quelques documents relatifs à la crise syndicale de la C.T.C.C. survenue entre 1931 et 1934 a Québec, des messages syndicaux du président de la C.T.C.C., son cours sur l ’Histoire du mouvement ouvrier depuis 1627, son Histoire de la C.T. C.C. et des textes épiscopaux. Divers autres documents de moindre importance complètent le tout.

B. Orales

Charpentier, Alfred. Relations avec le gouvernement québé­ cois , 1935-1946. Entrevue enregistrée que nous a accor­ dée Alfred Charpentier, à son domicile de Montréal, le 7 mars 1974* 2 heures.

C. Imprimées

Charpentier, Alfred. Cinquante ans d ’action ouvrière. Les Mémoires d ’Alfred Charpentier. Présentées par Gérara Dion. Québec, Presses de l ’Université Laval, 1971. 540p

Ma conversion au syndicalisme catholi­ que . Montréal, Fides, 1946. 240p.

Mémoire adressé à l ’Episcopat de Québec autour de la confessionnalité dans la C.T.C.C..

In Charpentier, Alfred. Les Mémoires d ’Alfred Charpen­ tier . Québec, Presses de l ’Université Laval, 1971. Annexe C, p.493-501.

Montée triomphante de la C.T.C.C.. Historique de la Confédération des Travailleurs Catho­ liques du Canada, Inc, de 1921 à 1951. Montréal, (s.é.) 1951. 120p.

L ’Organisation du travail de demain. Allocution prononcée par M.Alfred Charpentier, prési­ dent de la C.T.C.C. à la Conférence annuelle de la

Canadian Construction Association au Château Frontenac, à Québec, le 21 janvier 1944. Tract no.4 de la C.T.C.C. 15p.

La restauration sociale et la classe ouvrière. In Semaines Sociales du Canada, XXIè session, Ottawa, 1944. La Restauration Sociale. Montréal, Ecole Sociale Populaire, 1944. p.114-128.

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vi

Rapports du président général. In C.T. C.G.. Procès-verbal de la G.T.G.C., 1935-1946.

Desrosiers, J.-B.. Choisissons : La doctrine sociale de l ’Egli­ se ou la ruine. Montréal, Editions de l ’Ecole Sociale Populaire, 1936. 308p.

Editions Bonne Presse. Les Encycliques Sociales, (s.l.), Editions Bonne Presse, (cl9ô2). 447p. (Coll. "Qu’en pense l ’Eglise?").

III. Etudes

Bélanger, André-J.. L ’Apolitisme des idéologies québécoises. Le grand tournant de 1934-1936. Québec, Presses de

l ’Université Laval, 1974* 392p. (Coll. "Histoire et so­ ciologie de la culture", no.7)*

Bilodeau, Rosario, et alii. Histoire des Canadas. Montréal, Editions Hurtubise HMH, 1970. 676p.

Comeau, Robert, et alii. Economie Québécoise. Les Cahiers de l ’Université du Québec, ÿ 1 et 2. Montréal, Les Pres­ ses de l ’Université du Québec, 1969* 495p*

Les articles d ’Alfred Dubuc, de Mario Dumais et de Louis Maheu ont retenu notre attention.

Després, Jean-Pierre. Le mouvement ouvrier canadien.

Montréal, Fides, 1946. 205p. (Coll. "Bibliothèque éco­ nomique et sociale", no.3).

Dumont, Fernand, et alii. Idéologies au Canada français, 1900-1929. Québec, Presses de l ’Université Laval, 1974. 377p. (Coll. "Histoire et sociologie de la culture", no.5 ) •

L ’article de Fernand Dumont et celui de Jean Hamelin et Jean-Paul Montminy ont retenu notre attention.

Gagné, Jean-H. et Gérard Trudel. La législation du travail dans la province de Québec, 1900-1953. Annexe no.b de la Commission royale d ’enquête sur les problèmes cons­ titutionnels,

1955-Hamelin, Jean. La Crise. 7p. Manuscrit.

Hardy, Louis-Laurent. Brève histoire du syndicalisme ouvrier au Canada. Montréal, Les Editions de l ’Hexagone, (cl95&). 155p. (Coll. "Les Voix").

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vii

Laberge, Philippe. La Confédération des travailleurs catho­ liques du Canada. Origines-formation-évolution. Thèse de doctorat, Ph.D. (philosophie). Rome, Université pon­ tificale grégorienne, 1954.

350

p.

Lefranc, Georges. Le Syndicalisme dans le monde. Septième édition mise à jour. Paris, Presses universitaires de France, 1969. 128p. (Coll. "Que sais-je?, no.356). Lipton, C.. The Trade Union Movement of Canada, 1827-1959.

Montréal, Canadian Social Publications, 1967. 366p. Maheu, Louis. "Problème social et naissance du syndicalisme

catholique". In Sociologie et Sociétés, Presses de l'U­ niversité de Montréal, vol.l, no.l, Mai 1969, p.69-88. Nish, Cameron. Québec in the Duplessis era, 1935-1959: Dic­

tatorship or Democracy? Toronto, Copp Clark Publishing Company, (cl970). I64p•

Parenteau, L.-René. L'Evolution du nationalisme à la C.T.C.C.- C .S .K .. Université Laval, thèse de maîtrise, M.A. (Rela­ tions industrielles). Mai 1970. 307p.

Roback, Léo. Les formes historiques de politisation du syn­ dicalisme au Québec. In Dion, Gérard, et alii. La po­ litisation des relations du travail. Québec, Presses de l'Université Laval, 1973* p.15-43*

Rumilly, Robert. Maurice Duplessis et son temps. Tome I (1890-1944). Montréal, Fides, (cl973). 722p.

Sexton, Jean. La C .T. C . C .-C .S .I\i. : du corporatisme à la réfor­ me de l'entreprise. Université Laval, thèse de maîtrise, M.A. (Relations industrielles). Septembre 1969* 178p. Tremblay, Louis-Marie. "L'action politique syndicale" in

Relations industrielles, Québec, Presses de l'Univer­ sité Laval, vol.XXI, no.l, janvier 1966, p.44-56.

Le syndicalisme québécois. Idéologies de la C.S.N. et de la F . T w . . 1940-1970. Montréal, Pres­ ses de l'Université de Montréal, 1972. 286p.

Voisine, Nive, et alii. Histoire de l'Eglise au juébec (1608-1970). Montréal, Fides, (cl971). 112p.

Wade, Mason. Les Canadiens français de 1760 à nos jours. Tome II (1911-1963). (traduit par Adrien Venne). 2è édition mise à jour, (s.l.), Cercle du Livre de France, (cl963). 5§4p.

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INTRODUCTION

Les années récentes, en particulier 1971j ont ap­ porté leur lot d'affrontements entre les trois grandes cen­ trales syndicales québécoises (1) et le gouvernement québé­ cois actuel. L ’arrêt de travail systématiquement organisé des deux cent mille employés du secteur public, au printemps de 1971, et les luttes fréquentes de ces organisations avec l ’appareil gouvernemental depuis ce jour n'ont cessé de sus­ citer des réactions dans la population. Plusieurs se sont de­ mandé d'où venait ce qui leur paraissait être une audace sou­ daine, une aigreur manifestée avec beaucoup d'agressivité. Pour ne pas connaître le passé du syndicalisme catholique, on ne comprend pas comment il a pu en venir à s'opposer aussi manifestement au gouvernement.

Pour qui voudrait s'expliquer la stratégie actuel­ le des chefs syndicaux vis-à-vis le pouvoir politique, il lui faudrait connaître, entre autres choses, leurs expériences passées avec les autorités publiques et leurs perceptions des luttes de leurs prédécesseurs. Marcel Pépin est certainement marqué par les gestes des anciens présidents de la C.T.C.C.,

1. La Confédération des Syndicats Nationaux (C.S.N.), la Fédération des Travailleurs du Québec (F.T.Q.) et la Centrale des Enseignants du Québec (C.E.Q.).

(10)

2

tels Jean Marchand, Gérard Picard et Alfred Charpentier. Plus ou moins consciemment, il leur succède en s ’inspirant de ce q u ’ils ont fait. Bien sûr, il agit d ’abord à la lumière du présent, mais également du passé. Grâce à l ’accumulation de connaissances sur Alfred Charpentier, d ’autres chercheurs pourraient ultérieurement mettre en parallèle le syndicalisme des années 1935 à 1946 et celui d ’aujourd’hui, ce qui donne­ rait aux événements actuels leur vraie dimension et enlève­ rait cet aspect "révolutionnaire" que certains perçoivent dans les gestes des leaders syndicaux. Il convenait d ’autant plus de faire l ’histoire du président de la C.T.C.C. durant les années trente et quarante, qu ’elle était réalisable. Le dépôt de ses archives personnelles a l ’Université Laval et la récente publication de ses mémoires offrent un matériel esti­ mable. Aucun autre chef ouvrier, à notre connaissance, n ’a encore mis une telle documentation à la disposition des cher­ cheurs .

Entre 1935 et 1946, la C.T.C.C. s ’adressait déjà couramment au Gouvernement du Québec. Il arrivait souvent que son président se déplaçait pour rappeler aux autorités des demandes laissées sur les tablettes. Quelles étaient-elles

ces requêtes, tant dans leur contenu que dans leur présenta­ tion? Elles répondaient certainement à des besoins et à des aspirations de toutes sortes. Elles relevaient peut-être du simple pragmatisme, mais également d ’une bonne dose d ’idéa­ lisme ou d ’une structure idéologique qui concevait le monde et les hommes d ’une façon toute particulière. La présentation

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elle-même des revendications peut avoir été le résultat d'une humeur passagère, il n'y a pas de doute. Cependant, 1*école de pensée à laquelle Charpentier se rattachait n'y est pas é- trangère non plus. Ce sont les explications de son comporte­ ment que nous entendons dégager ici (2).

Pour ce faire, nous avons en premier lieu relevé systématiquement toutes les réclamations de Charpentier (3) au Gouvernement du Québec, les moyens de pression utilisés pour les présenter, le moment, l'endroit, le but visé et le ton sur lequel elles furent formulées. En second lieu, nous avons cherché, dans l'histoire de Charpentier, les grandes é- tapes de sa vie de syndicaliste et de travailleur, ses per­ ceptions du gouvernement et de la C.T.C.C., sa pensée sociale et syndicale. Pour obtenir des réponses plus globales, nous avons poussé notre investigation jusque dans l'idéologie de la C.T.C.C. et de l'élite québécoise, ainsi que dans les grands moments politiques, économiques et syndicaux de la conjoncture du temps.

2. Il est évident que l'historien familier avec la psycho­ logie pourrait réaliser un très bon travail avec ce su­ jet. Quant à nous, la psychologie ne nous étant pas fa­ milière, nous n'avons rien voulu entreprendre de ce cô- té-là.

3. Il est des circonstances, par exemple la rencontre an­ nuelle des dirigeants de la C.T.C.C. avec le premier mi­ nistre, où Charpentier s'est joint à d'autres personnes pour revendiquer. Nous n'avons pas retenu ces requêtes

car elles auraient allongé démesurément notre liste et il aurait été impossible de les comprendre seulement a l'aide de la pensée ou de la biographie de Charpentier. C ’est alors une histoire de la Confédération des Tra­ vailleurs catholiques du Canada qu’il aurait fallu écrire

(12)

4

Une fois cette documentation ramassée, seule une classification méthodique la rendait utilisable. La théorie de "l’action politique syndicale" du sociologue Louis-Marie Tremblay fut d ’un grand secours dès le départ. Tremblay a é- tabli une typologie des objectifs poursuivis par les syndica­ listes dans leurs revendications aux gouvernements et les deux types de moyens de pression qui s ’y rattachent. Les ob­ jectifs affichent un caractère professionnel, paraprofession- nel ou non-professionnel. C ’est-à-dire que les syndicalistes, par leurs demandes, visent soit la protection et la promotion des intérêts strictement professionnels de leurs membres,

soit la participation au pouvoir politique à titre de groupe d ’intérêt ou corps intermédiaire, soit la mise en oeuvre d ’u­ ne conception idéologique de la société, de type socialiste ou communiste (4)«

Les moyens de pression, quant à eux, sont catalo­ gués partisans ou non-partisans "selon qu’un parti politique sert ou non de véhicule aux comportements politiques des syn­ dicats (5)” • S ’ils sont non-partisans, on les reclassera sous les rubriques suivantes: méthode bureaucratique, éducative et de pression. Dans le premier cas, il s ’agit de représentants syndicaux qui participent officiellement aux travaux des com­ missions ou des corps consultatifs, administratifs ou

quasi-4. Louis-Marie Tremblay, "L’action politique syndicale" in Relations Industrielles, vol.21, no.l, janvier 1966, p. 47.

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législatifs du gouvernement (6). Dans le second, "les organi­ sations syndicales s ’efforcent, d ’une part, d ’améliorer la capacité de leurs membres d ’user rationnellement de leur

droit de vote, et d ’autre part, d ’éveiller l ’opinion publique sur des options ou des décisions politiques qui s ’imposent en exposant le bien fondé du point de vue syndical (7)” . Et dans le dernier cas, on appuie des candidats favorables au syndi­ calisme, des syndiqués se lancent dans les luttes électorales sans engager leurs syndicats, on présente des mémoires aux au torités gouvernementales, ou l ’on fait connaître publiquement ses positions suite aux attitudes et politiques de l ’Etat (8)

Quant aux éléments biographiques, nous les avons simplement regroupé dans des divisions commodes: famille, loisirs, études, travail et syndicalisme. Au niveau de la pensée syndicale et sociale de Charpentier, ainsi que du con­ texte idéologique, la cueillette des données s ’avérait diffi­ cile et les écrits du sociologue Tremblay furent à nouveau u- tiles. Il tient lui-même sa méthode d ’analyse des idéologies de Fernant Dumont (9)* Pour ne pas se lancer dans le complexe processus de l ’analyse de la définition de soi, des autres et du rapport de soi avec les autres, tel qu’établi par Dumont

6. Ibid♦, p.51.

7. Ibid., p.51.

8. Ibid., p.51.

9- Fernand Dumont, "Structure d ’une idéologie religieuse", in Recherches sociographiQues, vol.IV, no.2, avril-juin I960, p.161-189.

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(10), il était plus simple de ne retenir des textes abordés que l ’adversaire à combattre, l'objectif à promouvoir et

l ’instrument pour y parvenir. Grâce à cette sélection de thè­ mes, on pouvait comprendre la nature des réclamations de

Charpentier par les objectifs qu'il promouvait, et la façon de les présenter par la connaissance de ses adversaires et de ses instruments. Par exemple, si pour Charpentier le gouver­ nement était un instrument de second ordre, pas étonnant qu'il ait limité ses revendications ou qu'il les ait formu­ lées sur un ton indifférent. Enfin, pour avoir un aperçu de la conjoncture québécoise et canadienne, nous avons groupé les événements majeurs de l'histoire du Québec de 1935 à 1946 sous les titres communs, à savoir politique, économie et syn­ dicalisme .

Le plan de notre texte étonnera peut-être. Il est bon de prendre quelques lignes pour s ’expliquer à ce sujet et donner les motifs de notre choix. On aura facilement remarqué que chaque chapitre se développe du particulier (requêtes d ’Alfred Charpentier) au général (conjoncture politique, éco­ nomique ...), et non à l ’inverse comme bien d ’autres travaux en Histoire nous y ont habitués depuis longtemps. Si nous a- vions voulu mettre l ’accent sur la description d ’une situa­ tion, la méthode traditionnelle aurait convenu parfaitement. Mais tel n ’était pas tout à fait le cas.

10. Louis-Marie Tremblay, Idéologies de la C.S.N. et de la F .T .Q . , 1940-1970. Le Syndicalisme québécois, Montréal, Les Presses de l ’Université de Montreal, 1972, p.15.

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Il faut avouer que la progression du particulier au général est peu usitée. Cependant, elle n'est pas mauvaise en soi et convient à cette thèse qui se veut une tentative d'ex­ plication du comportement d'un chef syndical. Pour chaque

chapitre, la logique du travail est donc la suivante. D'abord nous soumettons le problème à l'étude, c'est-à-dire les ré­ clamations de Charpentier au Gouvernement du Québec, avant de présenter tous les éléments susceptibles de révéler le pour­ quoi de ces demandes. Ces éléments s 'additionnent et s'emboî­ tent les uns dans les autres. Par exemple, certains groupes de réclamations de Charpentier s ’expliquent par sa pensée

syndicale qui à son tour se comprend mieux par un aperçu de l'idéologie dominante et ensuite par la conjoncture politique économique et syndicale d'alors. Au fur et à mesure que l'on avance, la compréhension se fait donc plus pénétrante.

Il est probable qu'opter pour le général au parti­ culier aurait permis d'atteindre des résultats sensiblement identiques. Nous reconnaissons que notre choix est quelque peu arbitraire tout en espérant que le lecteur y trouvera tout de même son profit.

Les sources imprimées mises à contribution pour ce travail ont leurs avantages et leurs inconvénients. Il faut dire d'abord que certaines sont directes, d'autres indirectes Les premières comprennent généralement des articles de jour­ naux écrits par Charpentier au fil des jours entre 1935 et 1946 et rapportent les revendications ou la pensée de leur

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auteur. Le reproche qu’on peut leur adresser tient au fait qu’elles ne contiennent probablement pas toutes les réclama­ tions du président de la C.T.C.C. au Gouvernement du Québec. Cependant, elles en renferment une proportion respectable. Le principal avantage de ces sources directes, rapport moral du président de la C.T.C.C. au congrès annuel et articles dans La Vie Syndicale, est de faire savoir exclusivement ce que Charpentier désirait. Ecrits chez lui ou au travail, ils sont le reflet fidèle de sa pensée, ce qui facilite beaucoup la recherche en la délimitant.

Les sources indirectes sont des écrits ultérieurs a la période étudiée. Il s ’agit par exemple des Mémoires, de 1 ’Autobiographie ou de souvenirs de ses années de présidence. Ces résumés d ’opinions ou d ’impressions de Charpentier ont été utilisés avec prudence car ils ne peuvent être l ’exacte réplique de ce qu’il a fait, dit ou pensé vingt ou trente ans plus tôt. Malgré notre volonté d ’utiliser uniquement des sour­ ces directes, le recours aux Mémoires, qui contiennent une mine de renseignements introuvables ailleurs, fut obligatoire.

Il est probable q u ’on nous reprochera de s ’être li­ mité aux oeuvres de Charpentier pour explorer le comportement de l ’ancien président de la C.T.C.C.. Nous en convenons très bien, le risque est grand de mal percevoir le personnage lors­ que ce dernier conserve continuellement la parole. Le chercheur est menacé de s ’enfermer dans la logique de son individu et de manquer par conséquent de sens critique. Par contre, il

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aurait été hors de proportion avec les visées de cet exercice qu'est la thèse de maîtrise d'entreprendre en plus une enquê­ te sur les perceptions qu'eurent de Charpentier les syndica­ listes qui le côtoyèrent entre 1935 et 1946.

Autre point litigieux, les dimensions chronologi­ ques du chapitre I qui, bien que couvrant officiellement les années 1935 et 1936, s'étendront plus avant dans le passé, jusqu'au début du siècle. La raison en est fort simple. Celui qui dirige les destinées de la C.T.C.C., à partir de 1935, apporte avec lui un bagage important d'idées et de percep­ tions qu'il a mises sur papier avant cette date. Une fois en poste, il n'a pas ressenti le besoin de rédiger à nouveau ses positions idéologiques. Un sérieux problème se posait alors,

comment écrire ce chapitre sans connaissance sur sa pensée syndicale et sociale? Force nous fut de recourir aux textes fondamentaux de 1934, 1929 ou 1920 qui, jusqu'à preuve du contraire, valent pour le milieu de la décennie 1930* En ef­ fet, quinze années plus tôt, l'essentiel de l'idéologie d'Al­ fred Charpentier était d'ores et déjà fixé.

Parce que l'attitude de Charpentier semblait si dé­ pendante des hommes publics auxquels il était confronté, cha­

cun des trois chapitres de ce travail correspond, sauf le dernier, aux équipes politiques qui se sont succédées au pou­ voir de 1935 à 1946. Le premier retrace donc les échanges a- vec le Parti Libéral de février 1935 au 17 août 1936, le se­

cond avec l'Union nationale jusqu'en novembre 1939 et le der­ 9

(18)

nier avec les Libéraux d ’Adélard Godbout (1939-1944) et l ’U­ nion nationale de Maurice Duplessis (1944-1946).

10

Un bref survol de la vie d ’Alfred Charpentier

-avant 193 5- familiarisera le lecteur avec notre protagonis­ te. On passera sommairement en revue les années 1888 à 1934 de son existence grâce aux Mémoires (11) desquelles ont été tirés tous ces renseignements biographiques réunis dans qua­ tre rubriques: la famille, les études, le travail et le syn­ dicalisme .

Fils aîné d ’une famille ouvrière de treize enfants établie à Montréal et marquée par le chômage et la maladie

(12), Charpentier fit très tôt l ’expérience de la misère et du renoncement. Jusqu’en 1924, il resta avec les siens, con­ tribuant régulièrement à faire vivre ses frères et ses soeurs avant de prendre son père à sa charge, peu après son mariage. Les trente-cinq premières années de sa vie furent difficiles et pénibles; sa vie matérielle, très frugale. Liés par leurs problèmes, les Charpentier conservèrent des relations très é- troites, propres à soutenir le courage, mais peu propices à la compréhension du monde extérieur.

L ’aîné ressentit longtemps ce manque de contacts

a-11. Alfred Charpentier, Cinquante ans d ’action ouvrière. Les Mémoires d ’Alfred Charpentier, Québec, Presses de l ’Université Laval, 1971.

12. Charpentier dit qu’entre 1908 et 1912, sa mère et quel­ ques enfants souffraient de diverses maladies. In Ibid.,

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p.9-vec les multiples aspects de son environnement. Tant bien que mal, il tâcha d'y remédier par des études primaires complé­ tées le soir et, de 1922 à 1925, par des cours en sciences sociales à l'Université de Montréal. A force de volonté, cet autodidacte, par ses lectures et ses nombreuses recherches en histoire ouvrière, parvint à cumuler certaines connaissances.

Au travail, il fut d'abord apprenti-briqueteur et puis briqueteur (homme de métier) en 1907* L'avenir s'annon­ çait bien lorsque survinrent de longues et fréquentes pério­ des de chômage entre 1908 et 1912. Incapable de trouver du travail et alarmé par la situation familiale, il accepta à contrecoeur en 1915 l'occupation de pompier au service de la municipalité de Montréal. Bien que fort consciencieux à la tâche, frustrations et insatisfactions le harcelèrent encore; en mars 1923, on le déplaça de sa caserne vers une autre

moins stratégique en raison de ses capacités physiques limi­ tées.

Le dernier volet de cette courte biographie, le syndicalisme, est à notre point de vue le plus important. A- près des heures de travail pénibles, il y a consacré le reste de son temps. S'il n'aimait pas l'occupation de pompier, il est certain qu'il adorait parler et penser vie syndicale. Il avait surtout le désir de la faire, de la diriger, de l'o­ rienter. De 1907 à 1915, il connut sa période de syndicalisme international, celui qui était relié a la grande centrale ou­ vrière américaine, l'American Fédération of Labour. C'est a­

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vec l'Union des Briqueteurs de Montréal qu’il apprit son se­ cond métier, aux postes de secretaire du local ÿ 1 en 1908 et de président du même local en 1911. Après quoi, son ardeur pour la promotion de ce syndicalisme tomba, ne gardant plus que des liens très officiels avec lui, à titre de membre de l ’Union des Briqueteurs en 1918 et de l ’Union internationale des pompiers en 1919.

C ’est q u ’entre-temps, de 1916 à 191Ô, il était pas­ sé idéologiquement à une nouvelle organisation, le syndica­ lisme catholique. Il y retrouvait des gens qui, comme lui, recherchaient la promotion des valeurs morales, religieuses et linguistiques propres aux Canadiens français. Enthousias­ te, il s ’y dépensa largement, d ’abord à la réunion de la Vil­ la Saint-Martin du 25 avril 1918 (13), et par la suite aux délibérations du Cercle Léon XIII à partir du 13 juin 1918

(14). Malgré ses lourdes occupations de pompier et de soutien de famille, il fut secrétaire de ce cercle, participa aux

conventions préparatoires à la fondation de la C.T.C.C., exé­ cuta une tournée de propagande au Saguenay en décembre 1920 et se retrouva à Hull aux jours de la fondation de la C.T.- C . C . .

12

13. Réunion de syndicalistes et d ’ecclesiastiques présidee par 1 ’évêque de Montréal, Mgr Georges Gauthier dans le but de jeter les bases du syndicalisme catholique au Québec selon les principes des encycliques "Rerum Nova- rum" et "Singulari Quadam” , respectivement des papes Léon XIII (1891) et Pie X (1912).

14. Cercle de syndicalistes, sous la direction d ’ecclesias­ tiques, réunis dans le but de se préparer intellectuel­ lement et moralement à leur "mission" de chefs ouvriers catholiques.

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Convaincu de la nécessité de propager les idéaux au syndicalisme catholique, il organisa des retraites pour les pompiers, fit ce qu'il appelle de 1 1"apostolat" chez ses con­ frères de travail entre 1923 et 1931 et se rendit avec d'au­ tres syndicalistes à Rome au printemps de 1931 lors d'un pè­ lerinage international syndical. Il gravit progressivement les échelons de la hiérarchie syndicale en devenant trésorier de la C.T.C.C. en 1922, membre du Conseil supérieur des syn­ dicats catholiques de Montréal en décembre 1928, président du Conseil central des syndicats catholiques de Montréal en août

1 9 3 1

, un organisateur ouvrier actif dans la région de la mé­ tropole avant d'atteindre à la présidence de la C.T.C.C., en février

1 9 3 5

*

Mentionnons, pour mieux voir l'essentiel de ses préoccupations tout au long de cette période, les grands dé­ bats auxquels il participa. En 1919 d'abord, il discuta avec vigueur la question de l'étiquette confessionnelle de la fu­ ture centrale catholique; pour la promotion du syndicalisme catholique dans la métropole, il croyait à l'idee d'omettre temporairement le mot catholique afin a'attirer les nombreux non-catholiques de Montréal. Le second sujet fut l'action partisane syndicale. A maintes reprises avant 1935, il s'op­ posa à toute idée de participation des chefs ouvriers aux luttes électorales; selon lui, tout parti politique combattu par le syndicalisme catholique et qui, éventuellement, serait porté au pouvoir, deviendrait intraitable avec la C.T.C.C.. Enfin, lors ci'une controverse qui causa une crise syndicale à

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Québec entre 1932 et 1934, Charpentier se prononça sur la place de l ’aumônier dans le syndicalisme. Il se refusait à toute intervention du prêtre dans des questions autres que purement morales, le reste devant relever des ouvriers eux- mêmes.

Cette vie familiale peu épanouissante, ce travail de pompier accaparant et peu gratifiant, ces études diffici­ lement menées et qui complètent une formation livresque et spirituelle en large partie, tout cela, ajouté à des activi­ tés syndicales tournées généralement vers l ’apostolat et les discussions sur la nature de la C.T.C.C. plutôt que vers les négociations âpres et rudes demandant de la tactique, de la ruse, du marchandage et des pressions, nous fait croire qu'il était mal préparé à affronter les vieux routiers libéraux installés au pouvoir depuis fort longtemps.

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CHAPITRE I

Premiers contacts, 1935-1936

Le but ultime de ce chapitre (1), tel qu'annonce en introduction, est d'expliquer au mieux le comportement d'Al­ fred Charpentier devant les gouvernements Taschereau et God- bout (2). Contre toute attente, on ne doit pas espérer re­ trouver une mesure exacte du poids de chacun des faits qui motivèrent notre protagoniste; nous en sommes incapable. On tâchera plutôt de mettre à profit notre modeste tentative de faire ressortir la dimension du malaise vécu par cet homme face à l'industrialisation et à l'urbanisation, sa faible a- nalyse de la situation et l'abstraction de sa solution.

1. Vu les limites de ce travail, nous n'avons qu*effleuré les années clé de la réflexion syndicale de Charpentier. Il serait intéressant que d'autres retracent les causes profondes de son passage au syndicalisme catholique en­ tre 1915 et 1920.

2. Alexandre Taschereau, premier ministre du Québec, 1920- 11 juin 193Ô* Adélard Godbout, premier ministre du Qué­ bec, 11 juin-17 août 193o.

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16

1. Demandes d'Alfred Charpentier au Gouvernement du Québec.

Au cours des 19 premiers mois de son mandat, Alfred Charpentier présenta quatorze demandes (3) aux autorités gou­ vernementales. Ce faible nombre, comparativement aux chiffres élevés des deux périodes subséquentes, est symptomatique d'un malaise ou d ’une indifférence. Quoiqu’il en soit, ces requê­ tes méritent notre attention, car elles sont le reflet de la conception que se faisait Charpentier du rôle du gouvernement dans les relations de travail.

En bref, ces réclamations se regroupent à l ’inté­ rieur de deux grandes divisions: lois sociales et lois ou­ vrières. Au chapitre de la législation sociale, Charpentier revendiqua l ’établissement au Québec, du plan fédéral d ’as- surance-vieillesse. En matière de lois ouvrières il formula, dans un premier temps, des suggestions -solutions à court terme- pour le mieux-être immédiat des travailleurs; en l ’oc­ currence, il s ’agissait des lois sur la durée minimum du tra­ vail (4), le salaire minimum, les conventions collectives du travail (5), 1 ’assurance-chômage, l ’uniformisation des lois

3. Seul le journal La Vie Syndicale nous en a livrées. Ni les Mémoires. ni 1 ’Autobiographie ne nous laissent soup­ çonner q u ’il y en ait eu d ’autres.

4. Loi devant assurer aux travailleurs un temps de travail hebdomadaire suffisant pour gagner un salaire adéquat. 5. Contrat concernant salaire et conditions de travail pas­

sé entre un patron et ses employés, ces derniers étant représentés par un syndicat.

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ouvrières (6), et une convention collective pour le syndicat des mineurs d'amiante. Dans un second temps, il proposa des solutions à long terme, propres à modifier l'organisation des relations du travail; en d'autres mots, il fut question de législation corporatiste, soit l'établissement d'un Conseil supérieur du Travail(7) et le perfectionnement de la Loi de l'extension juridique de la convention collective (8). Par perfectionnement, Charpentier entendait la reconnaissance ex­ clusive des associations incorporées (9) et la généralisation de la carte de compétence (10). C'est la création même du corporatisme québécois qu'il ambitionnait, avec le désir évi­ dent d'en fixer lui-même la nature.

17

Quant au nombre de revendications, il est plutôt faible: sept en mars

1 9 3 5

, trois en septembre, trois en octo­ bre et une seule en 1936, au cours de fevrier. Si l'on ajoute à cela la rencontre annuelle des représentants officiels de la C.T.C.C. auprès du premier ministre, il nous faut conclure à une rareté des relations Charpentier-Gouvernement. Du côté des moyens de pression utilisés, on est étonné. Le chef

ou-6. Lois rendant les législations ouvrières provinciales i- dentiques sur nombre de points afin d'éviter les écarts régionaux de salaires, néfastes aux employeurs.

7. Organisme-conseiller du gouvernement en législation ou­ vrière .

8. Loi par laquelle une convention collective est générali­ sée à toutes les industries semblables d'une région ou de la province.

9. Celles qui possèdent la personnalité juridique, c'est- à-dire qui ont le droit d'ester en justice.

10. Carte authentifiant la compétence d'un travailleur et servant à assurer par le syndicat, les services de gens qualifiés aux employeurs.

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vrier, à une seule exception près, fit constamment usage de l ’organe officiel du Conseil central des Syndicats catholi­ ques de Montréal, le journal La Vie Syndicale. Selon les ca­ tégories de Louis-Marie Tremblay, il s ’agit d ’un moyen non- partisan de pression qui, tout compte fait, s ’avère être de faible portée. Sans connaître le tirage exact du journal à l'époque, nous croyons q u ’il ne dépassait pas les quelques milliers d ’exemplaires.

Le journal possédait en lui-même une caractéristi­ que qui limitait considérablement sa force de frappe. Il n ’é­ tait publié q u ’une fois par mois, ce qui l ’empêchait d ’inter­ venir au bon moment dans la plupart des débats. Il fut alors facile pour les autorités publiques d ’ignorer ou de négliger les opinions de ce journal. Toujours selon les catégories é- tablies par le sociologue Tremblay, on remarque que ces di­ verses requêtes ne remplissaient que des objectifs stricte­ ment professionnels et que par elles, Charpentier ne voulait nullement participer au pouvoir, encore moins l ’accaparer. Les problèmes des travailleurs étaient envisages pour eux- mêmes sans chercher de relations de cause à effet en dehors du monde ouvrier. On proposait des solutions internes qui i- gnoraient les complexes jeux politiques, idéologiques et so­ ciaux qui maintenaient les ouvriers dans leur misère. Le ton de ces demandes confirme l ’allure peu engagée du président de la C.T.C.C.. Ses démarches étaient empreintes d ’un calme, une absence d ’esprit agressif et d ’emportement, une patience et une confiance en l ’avenir qui voisinent fort bien avec les

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moyens de pression de faible portée ou les objectifs limités présentés plus haut.

Le bilan de tout ceci, qui sera la "matière premiè­ re" de ce chapitre, montre que les requêtes tendaient, entre autres buts, à faire progresser l Tidée du corporatisme, o u ’ elles étaient limitées en nombre, peu développées en soi, que leur portée était particulièrement faible et que leur taux d ’efficacité ne risquait pas d ’être élevé. On note également q u ’elles étaient présentées comme des solutions à des problè­ mes locaux, purement ouvriers et q u ’enfin, il est clair que l ’agressivité ne fut jamais de mise, ces relations étant me­ nées avec confiance, peut-être avec une certaine indifféren­ ce. Comment expliquer tout cela?

2. Personnalité d ’Alfred Charpentier.

Par l ’esquisse des grandes lignes du tempérament d ’Alfred Charpentier, telles que retracées par l ’intermédiai­ re précieux que sont les Mémoires, on peut connaître le gen­ re de solutions vers lesquelles il penchait naturellement et le type d ’action qu’il préconisait pour y atteindre.

Nul doute q u ’au niveau du comportement intellec­ tuel, il jouissait d ’un esprit clair, rigoureux et schémati­ que. Quiconque veut s ’en convaincre n ’a qu ’à parcourir

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20

me (11) où l ’on trouvera un développement logique et cohérent. Mais ces qualités, Charpentier les mit au service de son goût prononcé pour les solutions morales. A tout moment, il fut en quête de principes moraux ou de vérités absolues qu’il déga­ gea d'abstractions et de réflexions portant sur la qualité morale de la vie. Un relevé rapide de ses lectures effectuées entre 1906 et 1923, est révélateur à ce sujet; on y remarque la place privilégiée faite aux sujets spirituels ou aux ou­ vrages de direction morale (12),

L'ensemble de ces lectures, fort importantes puis­ que survenues au moment de son passage de l'unionisme inter­ national au syndicalisme catholique, montre jusqu'à quel

11. Alfred Charpentier, De l'internationalisme au nationa­ lisme , Montréal, Ecole Sociale Populaire, 1920, 40p.,

(Coll. "Les Publications de l'Ecole Sociale Populaire", nos.88-89)•

Alfred Charpentier, Ma Conversion au syndicalisme catho­ lique , Montréal, Fides, 1946, 240p.

12. Alfred Charpentier, Ma Conversion ... . Titres relevés tout au long de l'ouvrage. 1906: Gariguet, La Question sociale et les Ecoles sociales. 1908 à 1913: Histoire ouvrière. Economie sociale. Histoire politique. Critique littéraire. Revue hebdomadaire (recension d ’ouvrages de philosophie et de politique sociale). Traité de philoso­ phie. Imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Vies de saints. Saint-François de Sales, Introduction à la vie dévote. Gabriel Hanotoux, Vie de Jeanne d ’Arc. Ferdinand Brunetière, Discours de Combats. Louis Veuillot, Libres Penseurs♦ Alfred Tanguay, Ordre naturel et Dieu. 191b: Périodique mensuel de la Fédération américaine du tra­ vail. The Worker and his Country. The American Federa- tionist. 1918: Samuel Gompers, Labor in Europe. M. Prado, Le Protectionnisme ouvrier. Henri Bourassa, Hier,

Au-jourd’hui, Demain. Georges Goyau, Le Pane, les Catholi­ ques et la Question sociale. Tracts de l ’Ecole Sociale Populaire. 1922 à 1923: Dom Chautard, Ame de tout apos­ tolat . Joergensen, Saint-François d ’Assise, sa vie et ses oeuvres.

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point il était avide de trouver une solution aux problèmes ouvriers. Mais tout indique ici qu'il sautait une étape capi­ tale de la réflexion, c'est-à-dire qu'il négligeait l'analyse serrée de la situation économique, politique et sociale. Mal­ gré les quelques titres de volumes qui vont en ce sens, les ouvrages sur la philosophie, la doctrine sociale et la vie dévote semblent avoir retenu particulièrement son attention. Peut-être que, dans la mesure où il s ’avérait difficile pour lui de démonter les mécanismes de l'évolution qui se dérou­ lait sous ses yeux, il se retranchait vers de grands princi­ pes généreux, tels que justice et charité.

C'est que nous sommes en présence d'un homme qui aimait intérioriser et se recueillir, à la recherche des at­ titudes d'esprit susceptibles de conduire à la perfection. Nous avons déjà laissé entendre plus haut que Charpentier vé­ cut sobrement, dans l ’absence quasi totale de loisirs. Les heures d'oisiveté que lui procura son métier de pompier fu­ rent largement occupées à la lecture ou à la rédaction dans une atmosphère d ’idéalisme (

1 3

)* Améliorer l ’homme ou s'amé­ liorer lui-même par la voie du syndicalisme, il l'a voulu ar­ demment toute sa vie. La bibliographie complète de ses oeu­ vres présentée en appendice à ce travail en fait foi. De nom­ breux titres parlent, autant en 1920 q u ’en 1935 ou au terme

21

13. Idéalisme: "Attitude d'esprit ou forme de caractère qui pousse à faire une large place à l ’idéal, au sentiment, pour améliorer l ’homme." In Paul Robert, Üictionr:^ire alphabétique et analogique de la langue française.

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de sa présidence à la tête de la C.T.C.C., de perfectionne­ ment moral, religieux ou de conduite convenant à un syndica­ liste.

Sans craindre de se tromper, il est plausible de croire q u ’à ce moment de sa vie, Charpentier consacra la très grande partie de ses énergies intellectuelles au perfection­ nement moral et spirituel de son instrument d ’action, le syn­ dicalisme. Mais que ces propos ne trompent personne sur l ’al­ lure du président de la C.T.C.C.. Bien qu'il fut fondamenta­ lement attaché à la réforme des dispositions d'âme et d'es­ prit, il adopta à l'occasion le style du chef syndical, tel qu'on le connaît aujourd'hui avec cet art consommé de la né­ gociation ou de l'organisation de grèves. Ce qu’il faut si­ gnaler et bien retenir ici, c ’est la predilection qu’il eut à mener des réflexions abstraites, débouchant davantage sur des réformes individuelles que sur des changements collectifs ou structuraux.

A ce point faible s ’en ajoutent d ’autres. Il est indéniable que ce fondateur du syndicalisme catholique au Québec possédait de notables atouts. Sa persévérance, sa for­

ce de travail, son courage, sa soif d ’apprendre et sa fierté ne sont que quelques aspects de sa personnalité. Veut-on des exemples? Ils sont nombreux, mais il suffira de rappeler ces études poursuivies durant trois ans à l ’Université de Mon­ tréal, le soir après de longues journées de travail; son en­ têtement à orienter sa centrale syndicale clans la "bonne

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voie" -l'action politique non-partisane- malgré les opposi­ tions qui surgirent épisodiquement en 1936,

1939

et 1943; sa courageuse fidélité à remplir le mieux possible sa tâche de pompier; et enfin son obstination à améliorer ses connaissan­ ces par des lectures de toutes sortes réalisées dans des cir­ constances difficiles. Il s'est battu contre l'âpreté d'une existence qui ne semblait pas vouloir lui offrir une place de choix et malgré tout, il s'est impose.

Cependant il en a paye le tribut. Entendons par là que son combat incessant a laissé des marques profondes que nous identifions par les termes sentiments d'infériorité et de culpabilité. Ceux-ci originaient peut-être de deux expé­ riences vécues consécutivement chez les briqueteurs et les pompiers. Dans le premier cas, suite à de mauvais calculs dans une soumission en 1907, il ruina l'entreprise en brique­ tage de son père. Dans le second, au lendemain de sa mutation d'une caserne à une autre en 1923, il comprit que ses capaci­ tés physiques étaient moyennes et convenaient tout juste à la tâche. Qu'il en ait développé un certain sentiment d'infério­ rité, faut-il s'en étonner? Et il semble que ce malaise se soit généralisé et maintenu jusqu'au moment de ses rencontres avec les autorités gouvernementales. C'est du moins ce qu'il nous a lui-même confié lors d'une entrevue en mars 1974.

A cela s'ajoutait un sentiment de culpabilité qui faisait surface fréquemment chez le président de la C.T.C.C.. Il parlait de fautes à expier, de punition méritée: nCes ré­

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formes, accomplies à la gloire du Créateur, adouciront peut- être ses châtiments sur notre peuple (14)•" Toute sa vie, il a cru que Dieu le condamnait pour des erreurs commises à un moment indéterminé. Il ne mentionna jamais de quelles fautes

il s ’agissait; le savait-il? Cependant il était convaincu qu’ il fallait payer d ’une façon ou d'une autre. Ces sentiments de culpabilité et d'infériorité renfermaient Charpentier en lui-même, à la recherche de la solution conduisant au perfec­ tionnement moral. Ils ne poussaient pas vers une analyse lu­

cide des problèmes syndicaux en relation avec l'économie, la religion ou la politique.

D ’autres qualités ont fait de Charpentier le chef de la C.T.C.C. en février 1935. Entêté dans la défense de ses idées, il était cependant assez souple pour se soumettre aux autorités ecclésiastiques; par exemple, en 1919, suite à l ’opposition de l ’aumônier du Cercle Léon XIII, il retira sa position sur la façon d ’organiser le syndicalisme catholique à Montréal. Très tôt, il fut remarqué pour son honnêteté, son dévouement et ses talents de conciliateur. Souvent impartial et patient, il savait s ’affirmer à l ’occasion. Ses phrases claires et ses analyses plus poussées que celles de bien des syndicalistes en faisaient un meneur d ’hommes que l ’on recon­ nut également pour son sens des responsabilités. Mais dans son comportement social, il y avait aussi "l’homme de la

rnis-14. Alfred Charpentier, Le Programme de restauration sociale expliqué et commenté, Montréal, Ecole Sociale Populaire, 1934, p.37.

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sion". Celui qui cherchait sans relâche à atteindre une cer­ taine sainteté personnelle était sobre, empreint de l'esprit de sacrifice, tourné vers la piété et le mysticisme (15). De vant autrui, il pratiquait le missionnariat et même le prosé lytisme (16), malgré qu'il n'eut guère de temps pour ce fai­ re. Enfin il était un solitaire car, bien que président d'un tel organisme, il ne se comportait pas en homme sociable. Il accomplissait sa tâche minutieusement et se retirait lors­ qu'il le pouvait, préférant livres et plume aux discussions diverses.

En guise de conclusion à cette brève partie, une définition de 1'introversif fera le point. Sans aucune pré­ tention à jouer avec la psychologie, nous retenons cette dé­ finition parce qu'elle permet de bien cerner la personnalité de Charpentier avec ses possibilités et ses limites.

L'introversif est un "individu qui a tendance à rapporter son expérience à quelque chose d'intime, qui interprète et prend en main ses situations vi­ tales, réagit à ses incitations intérieures et trouve son plaisir et sa satisfaction dans ses pen­ sées et son imagination. Il pense plutôt qu'il n'a­ git (17)."

15. Mystique: "Qui a une foi religieuse intense et intuiti­ ve." In Paul Robert, op.cit.. Au travail et en maintes occasions, il se recueillait pour pratiquer divers exer cices religieux.

16. "Zèle déployé pour répandre la foi." In Ibid.. Il tenta au cours des années 1920, d'inciter ses confrères pom­ piers à la pratique de la retraite annuelle. Il parvint même à les réunir sous la bannière d'une association nommée le Groupe Jeanne d'Arc des Retraitants pompiers. In Alfred Charpentier, Mémoires ..., p.72.

17. Henri Piéron, Vocabulaire de la Psychologie, Paris, Presses universitaires de France, 1973, p.229.

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Charpentier n'était pas un extraverti car il s'attachait plu tôt à une vie intérieure orientée vers le perfectionnement d soi et la recherche de son Idéal. Il ne s'efforçait pas d'ê­ tre conformiste ni sociable, l'approbation sociale ne lui é- tant pas indispensable. Il préférait se retrancher fréquem­ ment derrière ses réflexions, en quête des principes de la conduite parfaite. Pour trouver satisfaction aux besoins des travailleurs qu'il représentait ainsi qu'à ses propres be­ soins, on peut se demander dès maintenant vers laquelle des deux grandes institutions québécoises, l'Eglise ou l'Etat, Charpentier était susceptible de se tourner. A l'appui d'un syndicalisme qu'il sentait encore trop jeune et trop faible il allait avoir plutôt recours à la puissance de l'Eglise qu'à celle de l'Etat. La première, avec tout son bagage doc­ trinal, offrait mieux que la seconde des solutions qui cor­ respondaient bien à sa personnalité.

3. Perceptions du Gouvernement.

Le relevé systématique des perceptions du pouvoir public, incarné par le ministre du Travail ou encore le pre­ mier ministre, par Charpentier est un moyen utile pour con­ naître l'importance que ce dernier accorda à l'intervention gouvernementale dans les affaires du monde ouvrier. Que pen­ sait-il du Gouvernement du Québec? Comment le jugeait-il? Quelle place lui accordait-il par rapport à Ottawa? Un mois à peine après sa prise en charge de la présidence de la C.T.

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C.C., il fit le bilan (18) de ce qu'Ottawa et Québec avaient exécuté de bon et de moins bon en matière de législation ou­ vrière et sociale. A ce moment, mars 1935, sa préoccupation majeure touchait l ’uniformisation généralisée au Canada de

certaines lois québécoises du travail, hautement appréciées par le mouvement syndical catholique. Il se désolait du fait que les nombreuses tentatives d ’Ottawa d ’établir des pactes fédéral-provinciaux en législation ouvrière aient été des é- checs continuels (19)- Il y avait certainement mieux à faire au Canada que de se contenter de mesures superficielles à un moment où la déplorable situation de l ’économie appelait des réformes en profondeur: "Dans les rencontres qu’il y a eu une seule question a toujours dominé: les secours directs ou les travaux de chômage (20)."

Cependant, au niveau des régions, un déblocage sem­ blait vouloir s ’amorcer en faveur de cette idée d ’uniformisa­ tion. Les ministres du Travail de l ’Ontario et du Québec ne s'étaient-ils pas rencontrés à deux reprises avant ce jour: "Bel exemple de volonté évidente de part et d'autre pour fai­ re accorder certains points de la législation industrielle de ces deux provinces (21)." On pouvait donc espérer que les bé­ néfiques lois ouvrières du gouvernement Taschereau, la Loi

18. Alfred Charpentier, "Uniformisation des lois ouvrières ayant une portée nationale ou internationale" in La Vie Syndicale, vol.XIX, mars 1935, p.1,11.

19. Ibid., p.l. 20. Ibid.. p.l. 21. Ibid., p.l.

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des compensations ouvrières et cette autre de l ’extension ju ridique, franchissent les frontières du Québec. Il croyait qu ’ainsi d ’autres coins du pays deviendraient propices à l ’émergence de syndicats catholiques.

Au Québec même, l ’unionisme catholique se félici­ tait depuis quelque temps des bons gestes posés par les mi­ nistériels du Parti Libéral au pouvoir. Charpentier se fai­ sait le porte-parole de la C.T.C.C. pour manifester la re­ connaissance des syndiqués à l ’endroit d ’un gouvernement qui avait nommé une commission pour solutionner le problème des salaires chez les 12,000 bûcherons québécois (22), et adopté une Loi du salaire minimum des femmes, une Loi des établis­ sements industriels et commerciaux, et surtout une Loi de l ’extension juridique des conventions collectives de travail A propos de cette dernière, il disait aux représentants syn­ dicaux de la C.T.C.C. réunis en congrès à Hull, en septembre 1935'* "Louons hautement les bienfaits de cette législation

(23)." En reprenant l ’essentiel de son discours aux congres­ sistes dans le journal La Vie Syndicale, il manifesta une sa tisfaction identique, ajoutant même, pour un amendement ap­ porté à la Loi d ’extension juridique: "l’excellence d ’un ré­ cent amendement qui restreint aux associations ouvrières "bo

22. Alfred Charpentier, "La situation actuelle de nos tra­ vailleurs n ’est pas ce q u ’elle devrait être" in La Vie Syndics l e , vol.XIX, août 1935, p.2.

23- Alfred Charpentier, Rapport moral du président de la C.T.C.C. in Procès-verbal, quatorzième session du Con­ grès de la C.T.C.C., Hull, 1935, Québec, Imprimeurs al­ liés, 1935, p.16.

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29

na fide" la faculté de négocier des ententes collectives (24)." Tout n'était évidemment pas parfait en provenance de la capitale provinciale (2$), mais en général Charpentier se montrait très satisfait.

Le Gouvernement du Québec avait jusqu’alors répondu convenablement aux appels de la C.T.C.C. et ses démarches au­ près de celui de l ’Ontario pour établir des ententes en lé­ gislation ouvrière entre les deux provinces étaient la preuve q u ’il était bien intentionné. Tout cela peut expliquer le faible nombre de demandes, ainsi que le ton paisible et les moyens modérés qui les accompagnent. Si l ’on pense en plus que Charpentier était partagé entre deux paliers de gouverne­ ment, la responsabilité de certaines inactions pouvait deve­ nir alors davantage la faute d ’Ottawa et des autres provinces anglophones que celle de Québec. Enfin, l ’on comprend q u ’il ne lui était pas paru nécessaire d ’insister auprès de l ’in­ terlocuteur, ce dernier s ’étant bien comporté dans le passé

24. Alfred Charpentier, "Echos du Congrès de la C.T.C.C. à Hull", in La Vie Syndicale, vol.XX, septembre 1935,

p.4-25. La législation professionnelle demandait quelques re­ touches: "Il ne serait pas hors de propos non plus de dire ce que doit être l ’attitude franche de l ’Etat,

dans sa législation professionnelle, vis-à-vis des corps incorporés et de ceux qui ne le sont pas. J ’entends l ’E­ tat fédéral autant que provincial." in Alfred Charpen­ tier, Lettre à Archambault, in Fonds Charpentier, 212/ 1/1, 23 octobre

1 9 3 5

«

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(26). Il croyait que tout allait progresser normalement vers l ’établissement du corporatisme et qu'en faisant connaître régulièrement ses réclamations, tous les espoirs restaient permis. Inutile alors de multiplier encore les démarches ou de se montrer très impatient.

30

4. Pensée syndicale et sociale d'Alfred Charpentier.

Avec la pensée syndicale et sociale d'Alfred Char­ pentier, on dépassera maintenant le premier niveau de compré­ hension de ses requêtes auquel ont conduit les grands traits de sa personnalité et ses perceptions du Gouvernement du Qué­ bec. Cette première approche a fait pressentir l'importance secondaire des autorités publiques dans sa solution aux dif­ ficultés des travailleurs. En étudiant sa pensée, un deuxième palier de compréhension, plus complet et plus sûr (27), de­ vrait être atteint.

26. 1931: Création du Ministère du Travail du Québec.

1933: Loi relative à la limitation des heures de tra­ vail. 1934: Loi relative à l'extension juridique des conventions collectives de travail. La nomination du syndicaliste catholique montréalais Gérard Tremblay, au poste de sous-ministre du Travail au début des années trente, réjouit également Charpentier.

27. Les textes suivants sont les plus représentatifs de la pensée de Charpentier avant 193$:

Alfred Charpentier, L'Aube d'une ère ouvrière nouvelle, Montréal, Ecole Sociale Populaire, 1922, 32p., "Les Pu­ blications de l'Ecole Sociale Populaire", no.104.

Alfred Charpentier, Le programme de restauration sociale expliqué et commenté, Montréal, Ecole Sociale Populaire, 1934, &0p., "Les Publications de l'Ecole Sociale Popu­ laire", nos.239-240.

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Dans la pensée d TAlfred Charpentier venaient en tê­ te de la liste des systèmes économiques ou organisations po­ litiques à combattre, le socialisme et le communisme. Le pre­ mier était l'ennemi juré, suivi de près du communisme qu'il décrivait ainsi:

Régime économique et social "sans industriels, sans commerçants, sans banquiers, sans religieux, sans prêtres non plus, puisque, selon eux, tous les intermédiaires ainsi que le clergé n'exercent pas, dans le domaine de la production un travail

socialement utile. Pour eux tous les hommes, moins gouvernants et bureaucrates, devraient accomplir leur part de production matérielle sous le regard de l'Etat gendarme (28)."

A ces deux systèmes avec lesquels il s'était familiarisé uni­ quement par des lectures et des entretiens, s'ajoutaient le libéralisme et le protestantisme, aussi détestés, qui n'é­ taient pas définis quoiqu'il les subissait quotidiennement. Il connaissait donc autant les adversaires extra-muros que ceux avec lesquels il vivait. Mais une distinction importante s'impose à propos des ennemis. Il faut faire la part entre les adversaires à combattre que l'on vient tout juste de nom­ mer, et ceux à rejeter eu égard à leur manque d'aptitudes à vaincre le mal premier. C'est le cas du syndicalisme interna­ tional, représenté par l'American Fédération of Labor, et du syndicalisme national neutre, via le Congrès des Métiers et du Travail du Canada, qui s'avéraient tous deux incapables de repousser l ’ennemi fondamental incarné dans la personne de Karl Marx et de ses idées "révolutionnaires".

31

28. Alfred Charpentier, "Le Communisme" in Le Devoir, vol.XIX, 7 mai 1928, p.

4

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32

"Ainsi on ne peut le t_soc.ialisme\ combattre effec­ tivement, sans 1 Tattaquer de trois côtés à la fois, en fonçant sur son étatisme, son matéria­ lisme et son athéisme. Alors est-il possible de borner nos moyens d ’attaque et de défense à la neutralité politique et religieuse propre au syn­ dicalisme international et au syndicalisme natio­ nal neutre (29)?"

Deux observations viennent à l'esprit. La première touche à la superficialité de l ’analyse de l ’adversaire "in- tra muros"; Charpentier donne l'impression de bien connaître -à sa façon- le socialisme et le communisme, et de les crain­ dre bien plus que le libéralisme et le protestantisme. C'est donc qu'il se sentait infiniment plus menacé par ce qui s 1an­ nonçait que par ce qui était déjà en place. La seconde obser­ vation concerne le degré d'hostilité portée aux différents ennemis. A l'endroit du syndicalisme international, contrai­ rement à son attitude haineuse vis-à-vis le communisme, il n'affichait aucune agressivité. Il ne faisait que regretter que ce syndicalisme ne soit pas à la hauteur de la tâche pour vaincre les dangers les plus menaçants. Nous en tirerons d'in­ téressantes conclusions plus loin.

Mais dans cette liste d'opposants, quelle est la place du gouvernement? Bien qu'au premier coup d'oeil l'ins­ titution gouvernementale ne semble pas s'y trouver, elle y occupe tout de même une place. C'est dans une lettre de Char­ pentier au journal Le Devoir en 1917, que l'on apprend sa

29. Alfred Charpentier, Ma Conversion au syndicalisme ..., p .

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sa perception du gouvernement (30). Alors qu'il donne son o- pinion sur la récente fondation d'un parti politique ouvrier au Canada, voici ses propos concernant les formations politi­ ques en général:

"Un parti politique ouvrier empêche le développe­ ment et diminue l'efficacité économique de l'u- nionisme, comme tout autre parti politique, il tend, sitôt qu'il a pris un peu de consistance, à gouverner, à devenir autocratique (

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)."

Il n'y a donc pas d'équivoque possible. Si le gouvernement n'est pas un antagoniste, et nous doutons qu'il en soit un, il fait au moins partie de ces organisations qui ne sont pas les instruments les plus adéquats à la défense de la cause ouvrière.

Les "objectifs à promouvoir" dans la pensée de Charpentier étaient à la fois moraux, religieux et national listes. Le coeur de sa solution se trouvait là, à coup d'hu­ manisation dans l'industrie, d'avancement moral du pays ou par la reconnaissance d'une âme au travailleur. C'est avec de telles idées qu'il se sentait le plus à l'aise, avec ces su­ jets auxquels il avait longuement réfléchi. On mesure ici l'importance réelle qu'il accordait aux revendications maté­ rielles du syndicalisme. Il dit lui-même en 1917 que les in­ térêts matériels et économiques des ouvriers envisagés sans

30. Alfred Charpentier, "Sur le Parti ouvrier" in Le Devoir, vol.VIII, 3 novembre 1917, p.2. Rien n'indique qu'il a- vait changé d ’avis à ce sujet en

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l'esprit de la morale chrétienne sont à rejeter (32). L ’unio- nisme, ajoute-t-il plus loin, ne vise pas que les intérêts é- conomiques des travailleurs, mais également leurs besoins so­ ciaux (33). Et comme le syndicalisme est affaire d ’action so­ ciale, il doit véhiculer des principes moraux directeurs, of­ frir une formation morale adéquate (34). Enfin il termine en avouant que 1 ’unionisme catholique est le seul instrument, à la disposition des ouvriers, capable de leur offrir l'ensei­ gnement moral et social propre à les guider dans la conduite de leurs revendications économiques (35)*

Aux objectifs moraux s 'additionnent les aspects re­ ligieux ou catholiques du syndicalisme que Charpentier vou­ lait promouvoir. Il est très clair à ce sujet dans le résumé de sa "conversion" au syndicalisme catholique: "Notre rôle de catholique est d'éclairer. Ne s ’arrêterait-il qu’à cela, ce serait encore l ’essentiel (36)." Le syndicalisme catholique n ’est pas partie de l ’Eglise de Rome, mais il a, entre autres missions, celle de la défendre et de propager ses idées au­ tant que faire se peut. Le rôle prescrit par le syndicalisme catholique à ses adhérents ne s'arrête pas là. Si le syndica­ liste est apôtre de la foi à la défense de l'Eglise, il est aussi chargé de promouvoir la langue française, ce signe

dis-32. Alfred Charpentier, "Sur un livre récent" in Le Devoir, 6 octobre 1917, vol.VIII, no.235, p.2.

33• Ibid., p .2. 34. Ibid., p.2. 35• Ibid., p.2.

36. Alfred Charpentier, Ma Conversion au syndicalisme catho­ lique , Montréal, Fides, 1946, p.122.

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tinctif de la nation canadienne-française. En 1916, Charpen­ tier lançait déjà un vibrant appel au nom de 1 1 indépendance du Canada chère à Henri Bourassa, pour aider la cause natio­ naliste, rejeter les moeurs américaines et faire développer l ’amour de la patrie (37). Son syndicalisme était autant si­ non plus voué à la défense de l ’Eglise catholique romaine et du nationalisme canadien-français (langue et foi) qu’il pou­ vait être destiné à l ’amélioration de la situation matérielle des travailleurs.

Enfin, par quel instrument toutes ces ambitions al- laient-elles se concrétiser? Le syndicalisme national catho­ lique fut le moyen tout choisi. Forme d'action qui n ’avait rien d ’intrépide ni de téméraire en 1926. Au mois de janvier de cette année-là, Charpentier le présenta (3$). Les objec­ tifs de tous les travailleurs catholiques devaient être la sanctification du travail, la conservation et la revivifica­ tion de la foi catholique et l ’entretien du sens patriotique individuel et collectif (39)* Sa mission serait la conversion et la conquête des âmes par l ’action éclairée d ’une élite ou­ vrière (40). Et enfin la conduite de tout bon syndicaliste catholique passerait nécessairement par les comportements suivants: éviter le péché, absence de paresse à l ’étude,

pra-37. Alfred Charpentier, "Les Unions ouvrières et le nationa­ lisme", in Le Devoir. 1$ juillet 1916, p.2.

38. Alfred Charpentier, "Quel sera l ’avenir de la C.T.C.C.?" in La Vie Syndicale, vol.II, janvier 1926, p.2-4.

39. Ibid., p.2-3. 40. Ibid., p.3»

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