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5.4 Discussion

5.4.5 Confrontation avec quelques idées théoriques

5.4.5.1 Origine de l’appariement

Un article récent (Chubukov 2006) prédit une renormalisation de l’énergie de la

réponse B1g par rapport à la valeur 2∆ du gap mesuré en ARPES, dans le cas où

l’appariement des quasiparticules est le fait de fluctuations de spin (et contrairement au cas où celui-ci est médié par des phonons.). Les auteurs concluent par la positive en

se basant sur l’ensemble des données obtenues en symétrie B1g sur Bi-2212 avec celles

d’ARPES et de tunnel. La différence observée à faible dopage (p < 0.11) semble réelle, mais ne tient pas compte du fait que les données disponibles sont extrêmement peu intenses et larges, donc, à mon sens, peu fiables. A la précision de notre expérience près, et moyennant une renormalisation des énergies mesurées sur nos échantillons et sur les Bi-2212 (ces derniers étant les seuls échantillons pour lesquels des données d’ARPES

et de tunnel existent réellement) par la Tmax

c des échantillons optimalement dopés, il

ne nous est pas possible de mesurer une claire différence entre les données de Raman et celles d’ARPES.

5.4.5.2 RVB

Une des grosse faiblesses de l’approche RVB dans sa forme la plus simple ("Plain Vanilla", cf Anderson (2004)) aussi bien que dans sa formulation de champ moyen "U(1)" incluant les fluctuations gaussiennes de jauge (voir Lee (2006) pour une revue), concerne la dépendance avec le dopage du coefficient linéaire en température (le "β" dont il est question plus haut) de la densité superfluide (Lee 1997). Ce terme devrait être une fonction quadratique du dopage, alors qu’il est mesuré indépendant de celui ci. L’expression très similaire à celle du coefficient linéaire en température dérivée pour la pente de la réponse Raman révèle donc également une incompatibilité des données expérimentales avec ces théories (que l’on considère les résultats obtenus avec ou sans la règle de somme 5.3).

5.4.5.3 Pseudogap : précurseur ou concurrent de la supraconductivité ?

Nous avons vu dans le chapitre introductif à la physique des cuprates qu’il existait deux types de modèles théoriques visant à décrire la phase pseudogap. D’une part ceux qui, à l’instar des théories de type RVB, voient dans cette phase les prémices de la

supraconductivité (par exemple : formation de paire singulets sans condensation, ou fluctuations des paires de Cooper qui se forment et se brisent sur une échelle de temps insuffisante pour que la cohérence du condensat s’établisse), et ceux qui d’autre part attribuent les propriétés singulières de la phase pseudogap à l’apparition d’un para-

mètre d’ordre en compétition avec la supraconductivité au-dessus de Tc (comme par

exemple une onde de densité de charge de symétrie d, cf Cappelluti (1999) ou Cha- kravarty (2001)). La forme du gap des excitations électroniques que j’ai proposée à la section 5.4.4 où l’une des échelle d’énergie, auxquelles ne sont sensibles que les quasipar- ticules localisées près des antinoeuds, est associée au pseudogap (plus précisement à sa

signature dans l’état supraconducteur), et l’autre, qui suit Tc, au gap supraconducteur.

Le gap supraconducteur s’ouvre a priori sur l’ensemble de la surface de Fermi, mais aux antinoeuds il est masqué par le pseudogap dont l’ouverture n’est en revanche que partielle sur la surface de Fermi. Les récentes mesures de Kanigel et al. (Kanigel 2006) tendent cependant à montrer que la destruction de la surface de Fermi par l’ouverture du pseudogap dans l’état normal se poursuit dans l’état supraconducteur jusqu’à l’ob- tention d’un liquide de Fermi nodal lorsque la température tend vers 0. Cette vision semble difficilement compatible avec nos données. Elle impliquerait en effet que les quasiparticules nodales soient sensibles au pseudogap, du moins aux plus basses tem- pératures. Nous avons vu qu’il n’en était rien : l’échelle d’énergie que nous associons au

gap supraconducteur fait son apparition dès Tcet se développe, lorsque la température

diminue, indépendamment de l’échelle d’énergie associée aux anti-noeuds. Pour être indétectable dans les régions nodales, l’ouverture du pseudogap se doit donc de n’être, même dans l’état supraconducteur, que partielle sur la surface de Fermi. Ceci exclu la possibilité que le pseudogap soit considéré comme la signature de l’apparition de paires préformées, ou qu’il soit de quelque façon un précurseur de la supraconductivité : les deux échelles d’énergie observées dans l’état supraconducteur par diffusion Raman sont définitivement indépendantes.

Il paraît ainsi plus naturel de privilégier les modèles théoriques faisant intervenir l’hypothèse d’un ordre en compétition avec l’ordre supraconducteur : le diagramme re- présentant les 2 échelles d’énergie dans l’état supraconducteur que nous avons obtenu expérimentalement (figure 5.20) n’est en effet pas sans rappeler celui que nous avons représenté sur la figure 1.32 dans le cas de l’onde de densité de charge de symétrie d, et qui se généraliserait aisément à n’importe quel ordre en compétition avec la supra- conductivité. Pour rendre ce type de diagramme tout à fait cohérent avec nos données expérimentales, il faut imposer à cet ordre en compétition avec la supraconductivité une localisation aux seules régions antinodales de l’espace réciproque, même si nos me- sures ne permettent pas de préciser la nature exacte de cet ordre. La question de savoir si le fait de n’observer aucune signature du pseudogap dans l’état normal par diffusion Raman est lié à la nature intrinsèque de cet éventuel ordre (par exemple un ordre de charge de type "checkerboard") ou bien plus simplement à la perte de cohérence des

quasiparticules qu’il induit au dessus de Tc, est encore une fois posée. Un travail théo-

rique reste à fournir pour vérifier la compatibilité de chacune des hypothèses avec nos données d’une part, et les autres données expérimentales, en particulier les observa- tions du pseudogap réalisées par les spectroscopies magnétiques que sont la diffusion

inélastique de neutrons, ou la RMN, d’autre part.

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