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Ces observations, qui portent sur les modes de déplacement et de relations à autrui, ont été menées au cours de l’hiver 2000-2001 et reposent sur une série d’enregistrements vidéo réalisés, dans un objectif de comparaison, de jour et de nuit.

PROTOCOLE D’OBSERVATION VIDEO

Sur chaque terrain, deux protocoles de prises de vues41

et deux échelles d’observation ont ainsi été mis en œuvre :

1) à l’échelle globale de chaque espace, l’enregistrement en continu et en plan large, pendant la journée et jusqu’en fin de soirée, réalisé au moyen d’une caméra installée en étage d’un immeuble surplombant la place, nous a permis de mettre en évidence les différents régimes d’occupation spatiale et temporelle des terrains étudiés : catégorisation des passants, repérage des zones de passage ou de séjour, cartographie des trajets les plus empruntés, variation temporelle des activités au cours des différentes périodes de la journée et de la soirée.

A ce stade, l’analyse de ces bandes vidéo confirme des différences d’usages entre les deux places. Lieu de passage et de liaison, la place Schuman est globalement peu fréquentée, par une population active qui se succède par vagues discontinues ; le long des trois trajets les plus suivis, les trajectoires apparaissent très linéaires et les allures rapides, de jour comme de nuit ; peu nombreux, les séjours sont brefs ; terrain de glisse urbaine en début de soirée, la place se vide rapidement après 18h30. Lieu de passage et de séjour, les Terreaux présentent une population et des types d’usages plus diversifiés. Ainsi les pourtours (escaliers, fontaine…) sont utilisés comme lieux de séjour et, de jour comme de nuit, quatre trajets sont principalement empruntés. A ce titre, si les trajectoires et les allures de déplacement y varient au cours de la journée, notamment en fonction des obstacles (jets d’eau au centre de la place, vélos…), elles ne semblent pas affectées par l’allumage de l’éclairage public ; dans la soirée, la place devient aussi lieu de déambulation et de rendez-vous.

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Prises de vues effectuées à l’aide d’un camescope HI8.

Figure 3 : prise de vue en plan large et en plongée, place Schuman, jour et nuit

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2) le long des trajets-types, l’enregistrement vidéo du cheminement individuel ou en petit groupe des passants, filmé en zoom plus ou moins serré par une caméra installée en retrait de l’espace et hors de portée directe du regard des passants filmés, nous permettait cette fois de focaliser l’observation sur des détails comportementaux tels que les variations fines de trajectoires, les allures de déplacement et la gestuelle. Ces enregistrements ont eux aussi été effectués en période diurne (midi ou après-midi) et nocturne (tombée de la nuit, début et milieu de soirée). Le système d’éclairage général de la place Schuman étant dynamique (séquences “aléatoires” de quelques secondes à quelques minutes), nous avons fait procéder à son “blocage” afin d’observer et comparer deux situations différentes mais chacune fixe du point de vue des intensités lumineuses : lors de deux premières soirées, les conduites ont ainsi été filmées alors que les projecteurs étaient maintenus en régime d’intensité lumineuse minimale ; les deux soirs suivants, à l’inverse, ces projecteurs étaient bloqués en régime d’intensité lumineuse maximale.

Ajoutons qu’afin d’évaluer l’impact éventuel des variations saison- nières sur les conduites des usages, de nouvelles prises de vues complémentaires ont été réalisées place des Terreaux aux premiers jours du printemps 2001, par un temps particulièrement doux et ensoleillé.

ANALYSE TYPOLOGIQUE DES CONDUITES

Pour les deux places, l’analyse des séquences filmées à été réalisée en croisant la typologie des différents trajets les plus empruntés, à chaque fois dans les deux sens, avec celle des situations de pratique de l’espace : personnes seules, couples, groupes, enfants ; déplacement piéton simple, à vélo ou en rollers. Il nous paraissait en effet impor- tant de prendre en compte de la variété des situations rencontrées dans la mesure où elles peuvent mobiliser des modes d’attention et d’ex- pression, en même temps que des rapports à autrui, différents.

Pour chacune de ces situations, la caractérisation des conduites en public s’appuie plus précisément sur une série d’indices compor- tementaux. Ceux-ci n’offrent pas une description pour elle-même des attitudes et pratiques ordinaires adoptées en public ; ils constituent une première grille de lecture de la relation que le passant entretient, au cours d’une séquence de parcours, avec le milieu ambiant. Ces indices sont classés en deux sous-groupes :

- la description des modes de cheminement a pour but de carac- tériser finement les différentes démarches et postures du passant. Il s’agit là de préciser sa trajectoire, sa vitesse de déplacement et sa gestuelle. Concernant cette dernière, nous nous intéressons plus parti- culièrement aux mouvements des membres inférieurs (pieds, jambes) et du haut du corps (bras, buste) ;

- le repérage des modes d’orientation perceptive permet quant à lui de qualifier le type d’attention suscitée par la fréquentation du site. Compte tenu du mode d’observation que nous avons privilégié, deux variables nous sont accessibles. La première est relative à l’orientation visuelle du passant, telle qu’elle se manifeste à travers les mouvements de sa tête, de son visage, de ses yeux. La seconde porte sur son

Figure 4 : des trajectoires individuelles filmées en zoom et en panoramique, de jour…

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orientation kinesthésique, permettant de préciser les mouvements du corps relatifs à un contact corporel, quel qu’il soit.

Les deux chapitres suivants sont alors organisés de manière monographique. Pour chacun des espaces publics étudiés, le compte- rendu de cette ethnographie sensible prend la forme d'une description détaillée des contextes (sensibles, spatiaux et sociaux) et des conduites observées in situ. Après un historique analytique du projet d’aména- gement et la description générale de l’architecture, de l’éclairage et des usages, les descriptions s'organisent en fonction des trajets-types re- marqués sur site. A chaque fois, nos comptes-rendus, illustrés par des photographies et des vidéogrammes extraits des enregistrements, s'ef- forcent de décrire précisément : l'aménagement physique et sensible du site tel que vu au cours du cheminement et interprétable par les mesures photométriques ; les variations de comportement du passant dans la dynamique du parcours et de ses rencontres ; leur évolution dans le temps. Pour chaque trajet, la description se termine par un tableau qui, reprenant la liste des différents indices comportementaux observés, récapitule de manière synthétique la typologie des conduites observées.

Figure 5b : des trajectoires individuelles filmées en zoom et en panoramique, de nuit – place Schuman

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LACE

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Introduction

Située au milieu de la Presqu’île de Lyon, la place des Terreaux occupe une position stratégique dans le fonctionnement du centre ville. Logée à mi-distance entre le cours du Rhône et de la Saône, cette place, malgré ses dimensions relativement réduites (120 x 60m), constitue à la fois un repère et une articulation entre les parties est et ouest de la cité. Calée au pied de la colline de la Croix-Rousse, elle marque également le commencement de la Presqu’île offrant une transition rapide entre les ruelles étroites du réseau de traboules de la colline et un urbanisme hérité des différentes phases de transformation d’un espace urbain ponctué par une série d’édifices majeurs.

La colline de la Croix-Rousse, la confluence du Rhône et de la Saône ont conféré à l’espace de la Presqu’île des qualités avantageuses d’un point de vue commercial et défensif. Dans l’histoire de la ville, la place des Terreaux s’est inscrite dans ce site en participant à la constitution de son identité politique, sociale et économique. La présence de l’hôtel de ville édifié en 1646 vient concrétiser la dimension politique du lieu associée à l’exercice du pouvoir local. Les nombreuses manifestations publiques organisées tout au long de l’histoire et en particulier au cours du XVIIIè

siècle témoignent de la dimension récréative d’un espace central souvent associé aux grands projets de réjouissances publiques qui ont marqué le siècle des Lumiè- res. On peut citer à titre d’exemple le projet conçu par l’ingénieur Jean-François Lallier à l’occasion de la paix signée en 1762 où l’auteur proposait de réaliser un temple de la paix situé au milieu d’un gigantesque amphithéâtre occupant provisoirement la place des Terreaux. Plus de deux cent ans séparent ce projet du festival organisé désormais chaque année le 8 décembre à l’occasion de la fête de la lumière. La place des Terreaux devient alors pendant quelques jours l’épicentre de cette nouvelle manifestation événementielle irradiant progressivement, à partir de ce lieu central, vers l’ensemble de l’agglo- mération lyonnaise.

Les fonctions politiques et symboliques ont également fait preuve d’une grande stabilité à travers l’histoire, même si cette place fut provisoirement frappée d’une certaine forme d’abandon, momen- tanément écartée de l’activité fébrile du centre ville dans les années 1980. Le projet de réaménagement dont elle a fait l’objet s’illustre comme la proposition choisie par le pouvoir politique pour résoudre rapidement cette situation de crise d’identité. Porté par la réflexion de Daniel Buren, cette intervention répond à une volonté de revalorisation et de recentrement de la Presqu’île autour de la position symbolique de la place des Terreaux.

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