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Conditions du développement de systèmes de production basés sur les services

3. L’analyse, la modélisation et la conception intégrées des systèmes socio-écologiques et des

3.4. Voies de modernisation écologiques de l’agriculture et conception de transitions

3.4.1. Conditions du développement de systèmes de production basés sur les services

A l’échelle de l’exploitation, nous nous sommes attachés à clarifier (i) le statut du concept de services écosystémiques en agriculture, (ii) les leviers d’action et stratégies pour le développement des SE rendus à l’agriculteur (SE intrants) et (iii) les outils existants et à développer pour accompagner le développement des systèmes diversifiés basés sur les SE (CF. Duru and Therond 2015 ; Duru, Therond

et al. 2015a). Je présente rapidement les trois composantes de ce travail ci-dessous. 3.4.1.1. Les SE intrants

Dans ce travail, dans la continuité des travaux de Zhang et al. (2007), Swinton et al. (2007) et Le Roux et al. (2008), je me suis plus particulièrement impliqué dans le transfert des concepts de SE à l’agriculture. En m’appuyant sur la conceptualisation de Fisher et al. (2009), reprenant la conceptualisation de Daily (1997), j’ai proposé de considérer que les SE soient conceptualisés comme les éléments de la structure ou les processus de l’écosystème dont l’agriculteur ou la société dérivent des avantages (benefits). Cette conceptualisation, en rupture avec celle du Millenium Ecosystem

Assessment (MEA 2005, voir section 4.1) a permis de bien clarifier le fait que la production de biens

agricoles (goods) est issue des interactions entre les SE et les intrants exogènes. Elle permet aussi d’articuler de manière cohérente la conceptualisation des SE et celles, agronomique, des facteurs limitants et réducteurs de la production agricole proposés par Ittersum and Rabbinge (1997) : les SE rendus aux agriculteurs et les intrants exogènes, correspondent à deux types différents de facteurs de production qui permettent de réduire les facteurs limitants abiotiques et les facteurs réducteurs biotiques de la production agricole. L’objectif majeur des systèmes de production diversifiés est de développer les SE afin de réduire fortement les intrants industriels présentant la même fonction. La Figure 3.4.1.1., qui a fait l’objet d’un gros travail collectif, présente l’articulation de ces différents concepts. Ces SE intrants correspondent aux services de stockage et restitution d’eau, fourniture de nutriments, structuration du sol, contrôle des bioagresseurs (par conservation), pollinisation et régulation du microclimat de production. J’ai repris et précisée cette conceptualisation dans le cadre de mon travail dans l’étude INRA « EFESE-Écosystèmes agricoles » présentée dans la section 4.1. Il est maintenant reconnu que le niveau de ces SE dépend du niveau de biodiversité à l’échelle de la parcelle, de son environnement direct et du paysage élargi (ex. quelques centaines de mètres à quelques kilomètres). Trois types de biodiversités sous-tendent ces SE : la biodiversité planifiée (domestique intégrée par l’agriculture dans l’écosystème), associée (d’origine naturel et circulant dans la parcelle et l’hétérogénéité du paysage en termes de composition et configuration. Suivant les SE et les organismes vivant à l’origine de ces SE, l’agriculteur doit développer des modalités de gestion adaptée de l’échelle de la parcelle à celle de l’exploitation voire via une organisation collective à celle du paysage.

Figure 3.4.1.1 : Représentation du fonctionnement de deux formes archétypales d’agroécosystèmes présentant, pour des raisons illustratives, le même niveau de production. La première est basée sur une faible biodiversité planifiée et sur une forte utilisation d’intrants anthropiques et d’eau d’irrigation (type d’agroécosystème « basé sur les intrants anthropiques»). La deuxième a développé un agroécosystème basé sur une biodiversité planifiée et associée qui fournit un haut niveau de SE (régulations des nutriments et biologiques) ce qui lui permet de fortement réduire son utilisation d’intrants industriels et d’eau d’irrigation. Le niveau de « production sans (processus de) protection des cultures » est celui qui est atteint quand aucune protection naturelle (régulation biologique) et anthropique intervient. Afin de simplifier la représentation, le niveau de production sans (processus de) protection des cultures des deux types d’agroécosystème est le même. Dans l’agroécosystème basé sur les intrants anthropiques les facteurs limitants et réducteurs sont compensés par des apports d’intrants anthropiques. Dans l’agroécosystème basé sur la biodiversité ils sont principalement compensés par les services écosyst émiques de régulation (adapté de Duru et al. 2015, voir aussi Bommarco et al. 2013) (Extrait de Therond et al. 2017b).

3.4.1.2. La gestion des SE intrants

Une fois cette conceptualisation établie nous nous sommes attachés à spécifier les leviers d’action pour développer les SE intrants. Pour cela, nous nous sommes basés sur le très important travail réalisés par Biggs et al. (2012) de revue de littérature et des connaissances expertes sur les propriétés des écosystèmes qui permette le développement et la résilience des SE. Les résultats de cette analyse ont été très structurant pour nos travaux, aussi bien à l’échelle de l’exploitation qu’à celle du territoire. Ces auteurs identifient trois propriétés clefs des écosystèmes qui déterminent le niveau et la résilience des SE : (i) la diversité et la redondance fonctionnelle, (ii) la connectivité et (iii) l’état des variables à dynamiques lentes (ex. taux de matière organique des sols, état des réseaux trophiques, matrice paysagère). Ces derniers, moins classiquement identifiés dans la littérature agro-écologique, déterminent le régime des processus « rapides » dans l’écosystème tels que les flux de nutriments, la variabilité de la structure des sols, les régulations biologiques.

Nous avons alors identifié, trois grands types de leviers qui permettent d’agir sur ces propriétés : - augmenter la diversité planifiée dans le temps et l’espace et la couverture des sols pour développer les SE relatifs à la fertilité des sols et les régulations biologiques,

- minimiser les perturbations mécaniques et chimiques des réseaux trophiques supports des SE, - gérer la structure de la matrice paysagère pour développer les régulations biologiques (y c. pollinisation).

Les effets potentiels de ces leviers sont détaillés dans Duru et al. (2015).

les SE nécessite de :

(i) mettre en œuvre des actions contextualisées/situées (c.-à-d. que les relations entre pratiques et SE dépendent du contexte biotechnique de court et moyen/long terme), (ii) gérer les incertitudes liées au caractère chaotique des processus écologiques (c.-à-d. le

niveau des SE peut dépendre d’une petite variation des variables d’état), sur les relations entre pratiques et SE et liée à la difficulté voire l’impossibilité de mesurer et suivre les effets des pratiques sur les réseaux trophiques à l’origine des SE,

(iii) gérer la variabilité potentiellement importante, surtout dans une période de transition, des processus écologiques sous tendant les SE,

(iv) gérer les ambiguïtés dans les variations observées des états et des processus qui peuvent présenter des tendances non désirées avant de présenter des tendances attendues ou inversement, et ce sur des périodes de l’ordre de plusieurs années (ex. 5 à 15 ans), (v) prendre en compte des temps d’expression des effets de certaines pratiques sur une

période pluriannuelle,

(vi) structurer un processus de capitalisation des observations et d’apprentissage sur les effets des pratiques au fil du temps.

Aussi, pour concevoir et mettre en œuvre des pratiques situées considérant les incertitudes à prendre en compte, les agriculteurs doivent mettre en œuvre une gestion adaptative. Cette dernière correspond à un processus structuré d'apprentissage progressif basé sur l’analyse des observations des effets des actions passées. Autrement dit elle correspond à un processus d’essais-erreur structuré pour favoriser l’apprentissage dynamique des relations pratiques entre propriétés de l’écosystème agricole et SE. Le challenge pour la recherche est alors de proposer des connaissances génériques actionnables en situation particulière et des procédures de conception-évaluation adaptatives de systèmes de culture.

En écho à mes travaux conduit sur l’IAM des systèmes socio-écologiques, nous avons clarifiés que l’enjeu du développement d’outils d’apprentissage utilisés par les agriculteurs pour la mise en œuvre d’une gestion adaptative est de développer des instruments (sensu lato) permettant de structurer (i) l’élicitation et la structuration des connaissances des agriculteurs sur l’état voire le fonctionnement de l’écosystème, et (ii) l’intégration de cette connaissance avec les connaissances génériques issues de la recherche pour générer une stratégie d’action située (ex. choix d’une distribution spatiotemporelle d’espèces et de périodes et conditions de semis).

3.4.1.3. Outils existants et à développer pour accompagner le développement des systèmes basés sur les SE

Dans un troisième temps, nous avons cherché à identifier les connaissances actionnables par les agriculteurs disponibles et à développer pour soutenir le développement de systèmes de production agricole basés sur les SE intrants. Considérant l’importante incomplétude des connaissances sur les relations entre pratiques agricoles – propriétés et structure des écosystèmes – processus écologiques – SE, nous avons identifiés trois grands domaines de recherche clefs pour réduire cette incertitude. D’un point de vue fondamental, l’écologie fonctionnelle et l’écologie du paysage sont deux domaines de recherche clefs pour analyser ces relations et produire des connaissances actionnables sur respectivement les relations entre (i) pratiques agricoles x contexte biophysique – biodiversité fonctionnelle – traits d’effet – SE et (ii) composition et configuration du paysage – biodiversité fonctionnelle (et donc, via l’entrée précédente, SE).

D’un point de vue plus opérationnel, nous avons identifié quatre grands types de connaissances formelles présentant un bon potentiel d’utilisation par les agriculteurs ou le conseil agricole pour accompagner la conception et la gestion de systèmes de production basé sur les SE :

espèces végétales individuellement ou en mélange développées par la recherche mais qui permettent d’intégrer les connaissances expérientielles des utilisateurs (ex. bases sur les espèces utilisables en couvert intermédiaire, Damour et al. 2014 ; Ozier-Lafontaine et al. 2011)

- outils de conception de stratégie de gestion basés sur l’intégration a priori des connaissances scientifiques et des connaissances expertes comme par exemple IPSIM l’outil de conception de stratégie de protection intégrée (Aubertot et al. 2013),

- méthodologies de conception participative basée sur l’utilisation de modèles qui permettraient d’instruire les relations entre pratiques – biodiversité – SE. Il faut cependant noter qu’une des grandes limites actuelles des modèles utilisables dans ce type de procédures est de ne pas ou peu prendre en compte les effets des pratiques sur la biodiversité associée (facteurs biotiques) et de celle-ci sur les SE. - méthodes (indicateurs de terrain) d’analyse de l’état de l’écosystème et du paysage utilisable par les agriculteurs et permettant d’inférer des informations sur le fonctionnement de l’écosystème (ex. méthodes d’analyse de la fertilité physique, chimique et biologique des sols, indicateurs de biodiversité basés sur la composition et configuration du paysage).

Enfin, à nouveau comme pour l’IAM des systèmes socio-écologiques, nous avons pointé que, plus généralement le développement de connaissances scientifiques utilisables pour développer des systèmes de production agricole basés sur les SE intrants requière une posture de recherche du type « integration and implementation sciences » (Bammer 2005 ; section 3.3.2).

3.4.2. Accompagnement à la conception d’une transition agroécologique