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Le concours indispensable des instituteurs primaires à l’œuvre de la Société de Paris : des médiateurs de choix pour initier aux principes protecteurs

Partie I La Société Protectrice des Animaux, une œuvre de bienfaisance dirigée vers l'enfance (1845-1863)

Chapitre 3. Le devoir moral d'éduquer les enfants à la protection animale : les raisons de l'action et les moyens à déployer

3) Le concours indispensable des instituteurs primaires à l’œuvre de la Société de Paris : des médiateurs de choix pour initier aux principes protecteurs

L'un des meilleurs moyens de civiliser les populations agricoles est celui d'inculquer aux enfants qui fréquentent les écoles primaires rurales des sentiments de bonté envers les animaux domestiques. Dans le but de la seconder à sa tâche dans les campagnes, la SPA invoque dans ses premiers rapports « le concours [...] précieux […] (des) instituteurs primaires » à son œuvre174.

Médiateurs de choix auprès du jeune public comme en attestent les expériences anglaises, ils pourraient également se mobiliser pour diffuser les doctrines protectrices du Bulletin de la Société

Protectrice des Animaux (BSPA) parmi les « paysans qui ne lisent pas »175. Forte des soutiens de

l'empereur Napoléon III et du ministre de l'Agriculture et du Commerce, le patronage du ministre de l'Instruction publique apparaît donc essentiel sinon indispensable aux yeux des protecteurs parisiens afin qu'ils puissent mener à bien leur projet d'éducation populaire176. La protection animale ne

provoquant rien sinon l'indifférence générale, particulièrement dans les milieux populaires, la SPA n'a vraisemblablement pas d'autre choix que d'agir comme un groupe de pression. En effet, elle « a besoin des pouvoirs publics pour, d'une part, amplifier ses actions et, d'autre part, obtenir lois, circulaires, réglementations »177. En travaillant en étroite collaboration avec les autres SPA

173Éric BARATAY, « La promotion de l'animal sensible. Une révolution dans la Révolution », Revue historique, 2012 (n° 661), p. 131-153.

174Bibliothèque nationale de France : S-33456, Recueil des rapports et mémoires de la SPA de Paris, années 1845- 1847, p. 32.

175Voir : Bibliothèque nationale de France : MICROFILM M-8525, BSPA, année 1855, p. 39 ; Bibliothèque nationale de France : S-33456, Recueil des rapports et mémoires de la SPA de Paris, années 1845-1847, p. 36-38.

176Bibliothèque nationale de France : MICROFILM M-8525, BSPA, année 1855, p. 39.

177Éric PIERRE, « Réformer les relations entre les hommes et les animaux : fonction et usages de la loi Grammont en France (1850-1914) », Déviance et Société, 2007/1 (24.1), p. 217-236.

d'Europe, elle peut s'inspirer de leurs expériences pour convaincre et rallier le ministre à sa cause.

En 1852, Henry Blatin demande « la formation d'un comité de propagande, dont la mission aurait été d'agir sur l'esprit des enfants, soit en intéressant à notre cause les maîtres de pension et les institutrices (comme en Angleterre), soit en répandant nos doctrines dans les nombreux et utiles recueils destinés à l'amusement et à l'instruction du jeune âge »178. La société

bavaroise, pionnière en la matière, n'a point de bulletin à elle mais trouve un concours toujours empressé dans les journaux de son pays179. En France, la SPA peut compter sur le soutien de Victor

Meunier, rédacteur en chef de L'Ami des Sciences, qui publie La Presse des Enfants chaque jeudi depuis le 20 septembre 1855180. Il s'agit du premier journal pour enfants proprement dit soit une

« publication ayant pour but de tenir les jeunes lecteurs au courant des choses quotidiennes, de celles, bien entendu, qui sont à leur portée et peuvent devenir pour eux une source d'instruction et de plaisir »181.

Ce journal hebdomadaire, conçu pour stimuler l'intelligence des enfants et les préparer à la pratique de la vie, comble donc une lacune de la presse enfantine et utilise l'actualité comme occasion et prétexte d'enseignements et de causeries. Victor Meunier s'unit donc aux efforts de la SPA en diffusant des petits contes moraux inédits (comme ceux écrits par son épouse) et parfois même des historiettes allemandes lues lors des séances ordinaires de l'association parisienne mettant en scène les mauvais traitements subis par les animaux et insectes comme « La plainte d'un pinson aveugle » dénonçant les barbaries commises à l'encontre des oiseaux chanteurs ou encore « Le papillon » qui raconte l'agonie d'un papillon épinglé par un enfant. Il propose aussi à ses jeunes lecteurs des leçons de science, des prix à remporter et des énigmes soit un contenu plus pratique apprenant notamment aux enfants à faire la chasse aux insectes pour constituer leur collection. Ainsi, nous pouvons très aisément imaginer que cette publication ludique et pédagogique, en plus d'avoir pénétré le foyer domestique, a très probablement franchi le seuil des écoles et des pensionnats dont les maîtres ont pu s'inspirer pour construire leurs leçons. L'initiative de Victor Meunier a d'ailleurs inspiré d'autres éditeurs, comme A. Blot, qui diffuse de façon semblable par l'intermédiaire de sa publication

178Bibliothèque nationale de France : MICROFILM M-8525, BSPA, année 1855, p. 40. 179Bibliothèque nationale de France : MICROFILM M-8525, BSPA, année 1855, p. 93-95.

180Un journal hebdomadaire spécialisé dans les sciences, tout public, qui paraît chaque dimanche depuis le 7 janvier 1855. Voir : Bibliothèque nationale de France : MICROFILM M-8525, BSPA, année 1856, p. 75-79.

mensuelle à destination du jeune public, L'Ami de la Jeunesse, les doctrines protectrices véhiculées par la SPA à partir de 1868182.

Parmi les recueils à destination de l'enfance qui font grand bruit au sein des rangs de la SPA, il y a

Monsieur Lesage ou Entretiens d'un instituteur avec ses élèves sur les animaux utiles dont l'auteur

n'est autre que le secrétaire général de l'association, Louis-Auguste Bourguin183. Paru en 1862, ce

petit ouvrage raconte l'histoire de M. Lesage, un digne instituteur de campagne qui, chaque premier jeudi du mois, organise une promenade scolaire durant laquelle il éduque ses élèves aux doctrines protectrices. Les circonstances de ces promenades lui fournissent à chaque fois des sujets d'observations intéressantes et variées : description des mœurs des animaux, services rendus par ces derniers, les injustices dont ils sont les malheureuses victimes, etc. Toutes ses leçons, retranscrites sous la forme de dialogues, finissent par porter leurs fruits car lorsque les élèves quittent son école, tous sont devenus des hommes charitables imprégnés pour toujours des préceptes de leur ancien maître. Monsieur Lesage, qui célèbre et encourage les instituteurs primaires à incarner ce rôle de médiateur pour que se répandent les idées protectrices dont nous connaissons la portée globale, connaît une publicité encore plus grande grâce à l'intervention du ministre de l'Instruction publique et des Cultes, M. Rouland. En effet, ce dernier souscrit par arrêté du 2 août 1862 « à douze cents exemplaires de l'ouvrage […] destinés à être distribués dans les bibliothèques scolaires » ce qui constitue une première étape dans la saisie de cette question animale par le ministère184. Cette figure

littéraire de l'instituteur qui entretient ses élèves sur les bons traitements à accorder aux animaux connaît un certain succès et est ainsi remployée par d'autres auteurs à l'occasion de publications postérieures185.

Enfin, dans un rapport sur la SPA de Vienne présenté par H. Richelot en 1856 à la société parisienne, nous apprenons que son organe périodique mensuel qui paraît depuis 1852 comprend une annexe spéciale pour les enfants remplie d'anecdotes et de contes moraux. Ces leçons

182A. BLOT (éd.), L'Ami de la jeunesse, Évreux, A. Blot, 1868-1869.

183L.-A. BOURGUIN, Monsieur Lesage ou Entretiens d'un instituteur avec ses élèves sur les animaux utiles, Paris, Élie Gauguet, 1862.

184Notons également que cette même année, un premier instituteur est récompensé pour avoir dispensé des leçons sur la protection dans son école. Voir : Bibliothèque nationale de France : MICROFILM M-8525, BSPA, année 1862, p. 391.

185Pour exemples : Auguste HUMBERT, Jean-le-Dénicheur ou Misère et richesse, Paris, Hachette, 1874 ; Lilla PICHARD, Jean de Namur ou Entretiens d'un instituteur avec ses élèves, Coulommiers, A. Moussin, 1869 ; Amédée SIBIRE, Les veillées de l'instituteur, Paris, Éditeur inconnu, 1867.

à l'usage des générations naissantes se rattachent à une autre création qui recommande éminemment la société de Vienne, à savoir celles d'associations d'enfants organisées, sous ses auspices, dans les établissements d'instruction publique. Alors que la SPA de Paris ne décerne des médailles qu'aux adultes, celle de Vienne récompense tout autant les « enfants qui, après avoir reçu ses enseignements, prouvent par leur conduite envers les animaux qu'ils s'en sont profondément pénétrés ». L'auteur du rapport estime qu'il s'agit là d'un excellent moyen de propagande, d'une « voie féconde dans laquelle, après de trop longs retards, nous finirons peut-être par entrer un jour »186. En 1860, l'initiative viennoise est saluée au Congrès international des SPA qui s'est réuni à

Dresde et apparaît à bien des égards être l'un des « moyens les plus efficaces qui peuvent amener l'abolition du mauvais traitement des animaux »187.

Conclusion

La SPA voit le jour à Paris à l'aube du second XIXe siècle dans un contexte caractérisé par

l'héritage de la réflexion des Lumières relative au sort des animaux conduisant à un premier rendez- vous (manqué) avec l'établissement d'une législation protectrice à l'occasion du concours organisé par l'Institut en 1802. Au même moment en Europe, au sein des deux grandes puissances industrielles du continent que sont l'Angleterre (1824) et l'Allemagne (1841) se forment des associations militantes et sont débattues en assemblée des projets de lois protectrices des animaux. La France, métropole de civilisation, leur emboîte le pas difficilement, les protecteurs souffrant dans un premier temps de l'absence de soutien des élites gouvernantes mais finissent tout de même par obtenir la première loi historique de protection animale du pays, la loi dite Grammont du 2 juillet 1850. Pour autant, la SPA ne protège pas tous les animaux et encourage même la destruction de certains d'entre eux, appartenant à la catégorie des nuisibles. Cette différence de traitement relève de la doctrine éthique de l'utilitarisme qui discrimine les espèces en fonction de ce qu'elles apportent en bonheur aux hommes, autrement dit en prospérité à ceux qui les exploitent plus ou moins cruellement. La protection animale se présente donc d'abord comme une réponse à la défense des intérêts économiques d'un État dont la principale richesse est la terre. Cependant, elle se décline aussi en un investissement à caractère qualitatif, dans l'éducation, visant au progrès de la civilisation par l'amélioration globale des mœurs. Éduquer les hommes à la protection animale dès leur plus

186Bibliothèque nationale de France : MICROFILM M-8525, BSPA, année 1856, p. 99-100. 187Bibliothèque nationale de France : MICROFILM M-8525, BSPA, année 1860, p. 327.

jeune âge constitue alors un devoir moral, sinon une urgence, aux yeux des élites protectrices européennes qui déploient les grands moyens pour mener à bien leur croisade (propagande multiforme, concours du clergé et des instituteurs, etc.). Ainsi, la SPA est une œuvre de bienfaisance dirigée vers l'enfance car l'apprentissage de la bonté à l'égard des animaux est aussi une façon de protéger les hommes de leurs semblables. Le concours du ministère de l'Instruction publique apparaît obligatoire pour obtenir les meilleurs résultats.

Partie II - Les formes de l'action publique : la saisie de la

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