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Une partie des travaux actuellement menés sur la MA utilise des modèles animaux qui intègrent des facteurs de risque de la pathologie ; ces modèles devraient contribuer au développement d’approches préventives visant à retarder voire réduire l’évolution de la maladie. Dans ce contexte, mon travail de thèse avait pour objectif de préciser les effets d’une hypothyroïdie sur l’apparition de certaines lésions observées dans la pathologie, ainsi que sur les troubles mnésiques. L’ensemble des données obtenues, montre que l’hypothyroïdie génère dans l’hippocampe une augmentation du taux de peptides Aβ-42, une hyperphosphorylation de Tau et une forte libération de molécules proinflammatoires. Ces altérations s’accompagnent d’une réduction du volume cérébral et de déficits mnésiques. L’hypothyroïdie cellulaire observée au niveau de l’hippocampe est normalisée par une administration de T3. La restauration de la plupart des modifications cellulaires et fonctionnelles observée après l’injection de T3 renforce l’hypothèse d’un lien potentiel entre l’hypothyroïdie et les lésions de la MA ; ces résultats supposent par ailleurs qu’une hypothyroïdie ainsi induite s’accompagne de lésions cellulaires et fonctionnelles probablement très précoces, qui peuvent encore être, pour la plupart restaurées.

L’approche pluridisciplinaire utilisée dans ce travail a permis une bonne description de notre modèle avec des indicateurs permettant des analyses allant du gène au comportement. Ce travail montre, pour la première fois, plusieurs modifications de la MA sur un même modèle expérimental d’hypothyroïdie ce qui renforce considérablement l’idée selon laquelle l’hypothyroïdie cellulaire semble être un autre facteur de risque ; en revanche, cette étude ne permet pas aujourd’hui de comprendre comment et par quels mécanismes ce dysfonctionnement hormonal influence l’apparition de chacune des lésions.

Le contrôle de l’expression de RC3 par les HT est largement décrit dans la littérature. Quelques données font également état d’une altération de l’expression de RC3 dans la MA : en 1997, Chang et ses collaborateurs ont révélé une altération de la translocation des ARNm de RC3 chez des patients Alzheimer. Une diminution de l’expression de RC3 a été rapportée dans les cerveaux de patients atteints de la MA à des stades précoces ou tardifs (Reddy et coll., 2005) ainsi que dans l’hippocampe de souris transgéniques modèles de la MA (Georges et coll., 2010). Une diminution de l’expression de CaMKII a également été identifiée dans l’hippocampe de patients atteints de MA, diminution qui semble proportionnelle aux scores

d’évaluation cognitive (Reese et coll., 2011). Enfin, Thorsell et ses collaborateurs (2010) ont montré, chez des patients Alzheimer, une augmentation du taux de RC3 associée à une hyperphosphorylation de Tau dans le liquide céphalo-rachidien (LCR). Ces auteurs considèrent le taux de RC3 comme un marqueur de dégénérescence synaptique associé à la MA. Nos résultats laissent supposer que la diminution de l’expression de RC3 décrite dans le cerveau de patients Alzheimer pourrait être associée à un ensemble de modifications cellulaires de la MA incluant l’augmentation du peptide Aβ-42, une hyperphosphorylation de Tau et une forte libération de molécules proinflammatoires. Le taux de RC3 dans le LCR pourrait alors être considéré comme un biomarqueur beaucoup plus large que celui décrit dans les travaux de Thorsell et coll (2010). Un autre biomarqueur de dysfonctionnement thyroïdien cellulaire décrit dans la littérature est le taux de TR dans les cellules mononuclées du sang : une hypoexpression de TRα et TRβ a été observée dans les cellules mononuclées de patients hypothyroïdiens (Féart et coll., 2005). La pertinence du choix de ces deux biomarqueurs d’hypothyroïdie pourrait être démontrée par un dosage de ces derniers chez les rats de notre modèle expérimental. Ces données de la littérature montrent l’intérêt de poursuivre les investigations dans ce domaine de recherche sur cette pathologie.

Par ailleurs, un ensemble de travaux met en évidence des liens entre des dysfonctionnements thyroïdiens et certains facteurs de risque avérés de la MA comme l’obésité ou le diabète. Un régime cafétéria, pouvant induire une obésité, s’accompagne d’une hypoexpression de RC3 (Buaud et coll., 2010). Il existerait également un lien entre l’axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien et la dérégulation de la voie de la leptine observée chez des patients obèses (Decherf et coll., 2010 ; Hildreth et coll., 2012). L’hypothyroïdie semble également être à l’origine d’une insulino-résistance entraînant des altérations du métabolisme glucidique et lipidique (Dimitriadis et coll., 1997 ; revue dans Wang, 2013). Un dysfonctionnement thyroïdien a été identifié chez des patients diabétiques (Kadiyala et coll., 2010). Des altérations similaires ont été observées chez des patients Alzheimer présentant une insulino-résistance (revue dans De Felice et coll., 2014). Il apparait ici que l’effet de l’hypothyroïdie observé dans notre étude pourrait très bien être associé à une dérégulation de certaines voies métaboliques. Dans ce contexte, une étude (i) des marqueurs d’hypothyroïdie dans des modèles animaux intégrant un facteur de risque, tel que l’obésité ou le diabète, ou (ii) de marqueurs métaboliques chez les rats traités au PTU, pourrait permettre d’ouvrir un domaine d’investigation intéressant qui viserait à mieux comprendre les mécanismes d’actions des HT dans la MA et l’interaction entre les facteurs de risques. Sachant que la

prévalence de l’hypothyroïdie augmente avec l’âge, facteur de risque principal de la MA, la perspective de développer un modèle animal associant vieillissement et hypothyroïdie (modèle de vieillissement dans lequel on accentue l’hypoactivité de la T3) semble aujourd’hui être également une voie de recherche intéressante.

Pour poursuivre ce travail de thèse, nous pouvons envisager également d’approfondir l’exploration menée chez les rats hypothyroïdiens. Nos travaux se sont focalisés sur l’hippocampe. Lorsque l’on confronte nos résultats à ceux de la littérature, il paraît intéressant d’étendre notre étude à d’autres régions et notamment au cortex préfrontal connu pour jouer un rôle important dans la mémoire à long terme (Euston et coll., 2014), mais également dans les processus de flexibilité cognitive (Peters et coll., 2013). Par ailleurs, les travaux de Davis et coll. (2008) ont montré une diminution significative du taux de T3 dans le cortex préfrontal de patients Alzheimer. La MA se caractérise également par une mort neuronale et une perte synaptique importante (Scheff et coll., 2006). Nous pouvons envisager d’élargir nos analyses à des marqueurs de densité synaptiques comme la synaptophysine ou encore de mettre en œuvre des mesures de potentialisation à long terme. Afin de comprendre l’origine des cytokines proinflammatoires, des marqueurs d’activation microgliale ou astrocytaire comme IbA1 ou GFAP pourraient être quantifiés.

La MA se caractérise par la présence de deux lésions caractéristiques : les plaques amyloïdes et les dégénérescences neurofibrillaires. Ces deux types de lésions sont associés à une augmentation respectivement du taux de peptide β-amyloïde et du taux de protéine Tau hyperphosphorylée. Nos résultats ont permis de mettre en évidence une augmentation du taux de ces peptides. Un autre champ d’investigation serait d’étudier l’expression de TR et/ou RC3 chez les souris transgéniques modèles de la MA, développant plusieurs lésions spécifiques ou associées de la pathologie. Une étude menée sur des souris transgéniques exprimant le peptide Aβ humain mais ne développant pas de plaques semble également intéressante afin d’évaluer l’effet de l’hypothyroïdie sur l’agrégation d’Aβ et/ou la mise en place de DNF.

Toutes ces investigations permettraient une meilleure compréhension du lien entre l’hypothyroïdie et la MA. Comme nous l’avons évoqué dans la première partie de ce manuscrit, l’hypothyroïdie est actuellement considérée comme un facteur d’exclusion du diagnostic de la MA (McKhan et coll., 2011) : nos résultats laissent supposer la nécessité de reconsidérer ce diagnostic. Par ailleurs, il est clairement établi que la production, le

métabolisme et l’action des HT sont altérés au cours du vieillissement, et conduisent à une augmentation de la prévalence de l’hypothyroïdie subclinique chez les personnes âgées (Aggarwal et Razvi, 2013). Nos résultats suggèrent qu’une prévention axée sur une supplémentation en HT permettrait de prévenir l’apparition de certaines modifications cellulaires et fonctionnelles associés à la MA. Les résultats intéressants de Fu et coll., (2010) ont mis en évidence, chez des souris injectées par des agrégats d’Aβ dans l’hippocampe, un effet bénéfique d’un traitement par la T4 sur les performances spatiales ; ce traitement diminuerait dans ce modèle murin de la MA le processus d’apoptose. Par ailleurs, en 2014, Fu et coll. ont également montré un effet bénéfique d’un traitement par la T4 sur les performances spatiales de souris CD-1 âgées de 24 mois, suggérant qu’une supplémentation à de faibles doses de T4 au cours du vieillissement pourrait être une stratégie de prévention potentielle.