Pour résumer nos travaux, nous pouvons conclure sur deux points : d’une part, l’homogénéité
est parfaite sur des échelles de plusieurs centaines de nanomètres. D’autre part, le phénomène
de retournement de spins joue un rôle prépondérant dans les bicouches Nb/CuNi. Une valeur
de Lsf de 3 à 3,5 nm permet de bien rendre compte des densités d’états que nous avons
mesu-rées. Le calcul, extrêmement sensible à la valeur de Lsf, permet d’obtenir une grande précision
sur la valeur de ce paramètre. En revanche, nous ne pouvons donner une valeur précise deξF
CuNi
Nb
CuNi
Nb
FIG. 4.18 –(Gauche) : configuration bicouche standard. (Droite) : Elément de cuivre-nickel arraché par
la pointe.
mais au plus une fourchette : 8 à 20 nm, et une valeur plus probable : 15 nm. Il apparaît très
clairement que le régimeπn’est pas mesurable avec notre instrument qui n’a pas une résolution
en amplitude suffisante pour cela. Les courbes mesurées à 5,1 et 6,3 nm, présentant un
maxi-mum de densité d’états au niveau de Fermi, sont dues à des configurations particulières dans une
géométrie autre que "bicouche".
Chapitre 5
Nanoagrégats magnétiques dans une
matrice supraconductrice
L’idée de base des travaux que nous présentons maintenant est d’enrober des nano-agrégats
magnétiques dans une matrice supraconductrice, de niobium en l’occurence. Nous nous
pro-posons ainsi d’étudier par microscopie à effet tunnel les effets de proximité induits par cette
jonction F-S originale auparavant jamais étudiée . Nous ne sommes en effet plus dans un cas
d’impuretés, les agrégats étant relativement gros (1300 atomes en moyenne), sans être pour
au-tant dans une limite bicouche comme c’était le cas avec les expériences présentées au chapitre
précédent. Dans ce système, le flux magnétique reste de l’ordre de 0,01 fois le quantum
élé-mentaire de flux. Le champ magnétique des agrégats n’a donc que peu d’effets et il n’induit pas
de vortex dans la matrice supraconductrice. Par ailleurs, à cause des agrégats, des états liés sont
possibles. Nous reviendrons plus loin sur ce point. La microscopie à effet tunnel s’impose à
nou-veau dans ce genre d’expériences, eu égard à la dimension du système étudié et à la dispersion
des agrégats en surface de l’échantillon.
5.1 Caractéristiques des agrégats
5.1.1 Obtention de nanoagrégats
La production contrôlée d’agrégats de diamètre largement inférieur au micron, ou
nanoa-grégats, a moins de 15 ans. Il existe divers procédés pour produire ceux-ci. L’une de ces
mé-thodes est la technique de dépôt d’un jet d’agrégats à basse énergie, ou LECBD [126] (Low
Energy Clusters Beam Deposition). Cette technique consiste à déposer des agrégats
électrique-ment neutres à basse énergie sur un substrat après condensation en phase gazeuse. A l’origine,
un faisceau laser très puissant (YAG pulsé ou Titane-Saphir - TiSa - avec un taux de répétition de
l’ordre de 10 Hz) est focalisé sur un barreau du matériau dont on veut obtenir des nanoagrégats
et qui sert de cible. Ceci permet l’ablation d’une certaine quantité de matière. En même temps,
un jet très bref d’hélium sous pression (2 à 5 bars) est injecté au niveau de la source afin
d’assu-rer la nucléation des agrégats. Ceux-ci sont alors figés et stabilisés par l’expansion supersonique
produite par la forte pression d’hélium. Tout ceci se fait dans une chambre sous vide secondaire.
La technologie actuelle est telle qu’il est possible de produire un faisceau relativement intense
d’agrégats à partir de presque tous les métaux, incluant des systèmes réfractaires, des oxydes ou
encore à partir de barreaux bimétalliques [127] ou magnétiques. En jouant sur des paramètres
comme la source laser, sa puissance, la durée de son pulse, la pression d’hélium etc., il est
possible de modifier la taille et le taux de dépôt des agrégats. Pour fixer un ordre de grandeur,
un agrégat typique est constitué de quelques milliers d’atomes.
5.1.2 Agrégats magnétiques purs ou mixtes
Dans les expériences que nous allons décrire, nous avons travaillé essentiellement avec des
agrégats purs de cobalt, caractérisés par le passé [128]. Ils se présentent sous une forme
quasi-sphérique, plus précisément sous la forme d’un octaèdre tronqué [126, 129, 130] qui est
thermo-dynamiquement plus favorable pour minimiser l’énergie de surface [131]. Cette minimisation
est maximale lorsque l’agrégat a un diamètre de 3,1 nm et contient 1289 atomes. Il s’agit en fait
d’un nombre magique correspondant au polyèdre parfait. En pratique, les agrégats possèdent
une distribution de taille assez large (de 2 à 6 nm) autour de cette valeur préférentielle. La Fig.
5.1 montre une image au microscope électronique à transmission (MET) d’un de ces agrégats,
ainsi qu’une reconstitution 3D de l’un d’eux.
FIG. 5.1 –(gauche) Image au microscope à transmission d’un nanoagrégat de cobalt. Sa taille
caracté-ristique est de 3 nm. (droite) Reconstitution 3D d’un agrégat en application du théorème de Wulf [132].
Compte tenu de leur distribution de taille, les agrégats peuvent avoir jusqu’à 50%de leurs
atomes sur la couche la plus extérieure, en surface. L’oxydation peut donc se révéler très
im-portante, même si elle ne pénètre pas sur plus d’une monocouche. Par ailleurs, lorsqu’ils sont
déposés sur du niobium, il a été relevé une certaine interdiffusion entre le niobium et le cobalt.
La taille magnétique réelle de l’agrégat est alors diminuée, le diamètre étant typiquement de
l’ordre de 2,7 nm.
Il y a également possibilité d’obtenir des agrégats mixtes cobalt – argent ou cobalt – platine.
Dans le cas du couple immiscible cobalt - argent, il semblerait qu’il y ait ségrégation entre le
cobalt et l’argent et que ce dernier se retrouve en surface. Ainsi, on obtiendrait un agrégat dont le
cœur de cobalt serait protégé par une couche d’argent [133]. Par contre, leur moment à saturation
est légèrement moins important que dans le cas du cobalt. Dans le cas du couple miscible cobalt
- platine, une seule phase d’alliage fcc désordonnée a été identifiée [133, 134]
Dans le document
Nanospectroscopie par microscopie à effet tunnel à très basse température de jonctions supraconductrices hybrides
(Page 125-130)