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Afin d’appréhender l’intimité du phénomène, il nous a semblé judicieux de profiter des connaissances acquises concernant la SBSL, tant du point de vue expérimental que théorique, et ainsi, en quelque sorte, suivre le même cheminement que les études

destinées à expliquer la SL. En effet, pour s’intéresser au phénomène de MBSL, il a été « opéré » une descente en échelle : on est passé du nuage de bulles à une bulle unique. Or, lors des expérimentations de cristallisation, on observe un nuage de bulle, pré- sentant le phénomène de MBSL. Ainsi, nous effectuerons la même descente d’échelle, c’est pour cela que la cavitation a été présentée de la sorte dans ce chapitre.

Outre le moyen expérimental destiné à isoler une bulle unique, que nous présente- rons plus tard, nous avons mis en avant certaines caractéristiques dynamiques de la bulle, présentant des accélérations suffisantes pour obtenir un effet de ségrégation, et capable d’osciller plusieurs heures durant avec la régularité d’une horloge suisse. Ce chapitre a également mis en avant des caractéristiques qui devront être répercutées sur le dimensionnement de notre expérimentation :

• Spatiales : la bulle, au maximum de son diamètre, approche les 100 µm, et en fin d’effondrement est en dessous du micron. Visualiser le phénomène par le biais de l’imagerie imposera de grandes contraintes en terme de résolution, concernant à la fois l’objectif et la caméra. Nous n’échapperons pas à la limitation rencontrée par tous : l’impossibilité de capturer la fin de l’effondrement.

• Temporelles : afin de décomposer le cycle complet d’une bulle, les contraintes temporelles liées aux dynamiques rapides se répercuterons en premier lieu sur le choix d’une caméra.

• Physiques : la stabilité de la bulle passe par l’obtention d’un taux de gaz dis- sous dans l’eau précis. Un système prévu à cet effet devra donc être dimensionné. Afin d’assurer une stabilité et une reproductibilité accrue, le liquide devra être maintenu en l’état tout au long de l’expérimentation. La cellule de lévitation usuellement utilisée pour les expérimentations précitées sera donc entièrement revue du point de vue de sa géométrie, afin d’être adaptée à notre expérimen- tation.

Chapitre 3

Diffusion de pression / ségrégation

d’espèces / cristallisation homogène.

Dans les expérimentations de cristallisation, le liquide est un mélange de différents composés chimiques : le solvant, et les espèces dissoutes. Celles-ci peuvent présenter de grandes disparités en termes, par exemple, de taille ou de masse, allant de la molécule au polymère, ou du précurseur cristallin à la nanoparticule. Toutes ces espèces sont suffisamment petites pour être soumises au mouvement Brownien, avec l’implication macroscopique suivante : toute apparition d’un gradient de concentration est contrée par la diffusion massique, tendant à rétablir l’équilibre. Sauf dans le cas d’espèces volatiles ou tensioactives, créant ainsi un déséquilibre à l’interface, un mélange de deux espèces autour d’une bulle n’a à priori aucune raison de se voir ségrégé.

L’affirmation précédente est vraie si on néglige les processus de diffusion secondaires comme la diffusion de pression qui est un processus de diffusion de masse forcée par gradient de pression, qui tend à amener les espèces les plus légères vers les zones de faible pression [Bird et al.,1960]. Si celui-ci est généralement négligé, c’est parce qu’il

nécessite soit d’énormes gradients de pression, soit de grandes échelles temporelles pour influer notablement sur le système considéré. Cependant, cette diffusion de pression est à l’origine de la ségrégation lente de gaz en atmosphère calme, et communément utilisée en ultracentrifugation pour la séparation de molécules ou nanoparticules en suspension dans un liquide. En fait, ce processus intervient dans tout écoulement présentant de forts gradients de pression, donc de grandes accélérations.

C’est un effet purement mécanique, qui peut aisément être illustré : considérons pour cela un écoulement fluide, ensemencé de particules sphériques, plus lourdes que le fluide. Si le fluide se déplace à vitesse constante, les particules vont rapidement acquérir une vitesse relative nulle, à cause des forces visqueuses. Supposons maintenant que le fluide ralentisse à un taux constant, ce qui revient à y faire apparaître un gradient de pression, alors les particules les plus lourdes garderont leur vitesse initiale par inertie, acquérant ainsi une vitesse relativement au fluide : un flux relatif apparaît alors. Pour le cas de particules plus légères que le fluide, la force d’Archimède généralisée (« force de Chen » en hydrodynamique) impose l’effet inverse. Le flux de diffusion de pression résulte donc de la compétition entre l’inertie et la force d’Archimède généralisée, et est donc proportionnel à la différence de densité des espèces en présence.

R ( γ (m.s − 2 ) pR (P a ) t/T t/T t/T

Fig. 3.1: Simulation d’une bulle de cavitation inertielle. En haut, sa dynamique d’oscillation radiale, avec en ordonnée son rayon en µm. Au centre, la pression en Pa à l’interface de la bulle. En bas, les accélérations de l’interface de bulle. A noter les fortes valeurs atteintes : jusqu’à 1012g ! En abscisses, sur les trois graphiques, une période acoustique adimensionnalisée.

Les oscillations radiales d’une bulle de cavitation inertielle sont suffisamment vio- lentes pour que l’on puisse raisonnablement penser que la diffusion de pression y pro- duise des effets notables. La figure3.1est issue de la simulation d’une bulle de cavitation inertielle : le graphique du haut y présente la dynamique de bulle, celui du centre la pression à l’interface, et enfin, celui du bas, les accélérations de l’interface. L’accéléra- tion peut atteindre des valeurs supérieures à 1012g, comme mentionné par [

Barber

et al., 1997]. L’influence de telles accélérations, induisant un phénomène de diffusion de pression, a déjà été prise en compte afin d’étudier la ségrégation des gaz à l’intérieur de la bulle [Storey & Szeri, 1999].

Nous présenterons ici les effets de la diffusion de pression menant à la ségrégation d’un mélange binaire autour d’une bulle de cavitation inertielle en oscillations radiales. Ce problème de transport a été résolu analytiquement [Louisnard et al., 2006], et

nous n’en présenterons ici que les bases. Nous nous attacherons ensuite à relier cet effet au processus de cristallisation sous ultrasons par le biais d’un mécanisme simple, qualitatif, à l’échelle de la bulle.

3.1

Théorie de la ségrégation.

3.1.1

Un problème de transport couplant convection et diffu-

sion.

On considère ici une bulle, en oscillations radiales au sein d’un mélange binaire. Les deux espèces sont considérées non-volatiles et non-tensioactives : il n’y donc pas de gradients de concentration induits de par leurs propriétés physico-chimiques. L’équation de transport, afférente à l’évolution d’une espèce notée « A » autour de la bulle, prenant en compte les effets de diffusion classique, de convection et de diffusion de pression, s’écrit : ∂CA ∂t = −v.∇CA+ DA∇. h ∇CA+ ˜βCA∇p i (3.1) Avec :

CA Champ de concentration de l’espèce A [ mol.m−3 ]

v Champ de vitesse [ m.s−1 ]

p Champ de pression [ Pa ]

DA Coefficient de diffusion de l’espèce A [ m2.s−1 ]

˜

β Paramètre de ségrégation [ Pa−1 ]

On reconnaît, dans le membre de droite de l’équation, en partant de la gauche, le terme de flux convectif, puis la classique loi de diffusion de Fick, et enfin le flux de diffusion de pression. Comme l’interface de la bulle est considérée imperméable à l’espèce A, le terme entre crochets doit s’y annuler. Par ailleurs, à t = 0, le mélange est homogène, et, infiniment loin de la bulle, n’est pas perturbé. De cette manière on a CA(∞, t) = CA(r, 0) = CA0, avec r la distance au centre de la bulle.

Le paramètre de ségrégation ˜β est défini par :

˜ β = MA RT CA  ¯ VA MA −1 ρ  (3.2)

Avec :

MA Masse molaire de l’espèce A [ kg.mol−1 ]

ρ Masse volumique moyenne du mélange [ kg.m−3 ] ¯

VA Volume molal spécifique de l’espèce A [ m3.mol−1 ]

3.1.2

Solution analytique du problème.

Ce jeu d’équations a été résolu analytiquement par une méthode de perturbations [Louisnard et al., 2006], dont nous rappelons ici les principaux résultats. Le champ

de concentration résultant est la somme de deux contributions : l’une dite « moyenne », et l’autre « oscillatoire ». A l’interface de bulle, le ratio de ségrégation CA(0, t) = CA0

s’exprime comme suit :

CA(0, τ )

CA0

= ¯c + ∆c(τ ) (3.3)

Où :

¯

c = eβI, ∆c(τ ) = −βeβI  D R2 0ω 1/2 G(τ ) (3.4)

et où le paramètre de ségrégation est adimensionnalisé comme suit :

β = 1 2ρR 2 0ω 2β˜ (3.5) Avec :

ω Fréquence angulaire du champ de pression [ rad.s−1 ]

τ Temps adimensionnel τ = ωt [ 1 ]

Dans l’équation (3.4), le terme I est une intégrale dépendante de la dynamique de bulle : I = Z ∞ 0 * 4 9 ˙ V2 3σ + V + dσ h(3σ + V )4/3i (3.6)

Où la notation h.i désigne une moyenne sur un cycle d’oscillation, V est le volume de bulle adimensionnalisé par son rayon ambiant, et ˙V sa dérivée par rapport à τ .

La fonction G(τ ) peut être exprimée selon :

G(τ ) = Z θ(τ ) 0 ¨ R(θ0) R20) dθ0 √ θ − θ0 (3.7) Avec : θ(τ ) = Z τ 0 R4(s)ds (3.8)

Les deux quantités I (3.6) et G (3.7) peuvent aisément être évaluées une fois la dynamique de bulle R(τ ) connue, et dépendent de l’amplitude et de la fréquence du champ acoustique imposé à la bulle. Les résultats numériques donnés ici ont été calculés à l’aide de modèles de bulles affinés [Toegel et al., 2000; Storey & Szeri, 2001].

L’intégrale I est reliée au gradient de pression au niveau de l’interface de bulle, moyenné sur un cycle acoustique, et G est le produit de convolution prenant en compte les accélérations de l’interface de bulle. A la fin de l’implosion de la bulle, ¨R atteint de très grandes valeurs positives durant des temps très courts (typiquement 12 ordres de grandeurs par rapport à la gravité durant quelques nanosecondes, comme on peut le voir sur la figure 3.1) et en conséquence G présentera les mêmes caractéristiques (très proches d’une fonction de Dirac à l’échelle d’un cycle). La figure 3.2 met en avant ce comportement autour du point d’accélération maximal de la bulle, dans le cas d’une bulle d’argon de 4 µm de rayon ambiant, dans un champ acoustique de 26 kHz à une amplitude de 1,3 bar.

Fig. 3.2: En haut, la variation temporelle de l’accélération de l’interface de la bulle. En bas, la variation de G(τ ) telle que définie par l’équation (3.7). En abscisse, l’axe du temps, qui est un zoom autour du point de compression maximale de la bulle, en fin d’implosion.