• Aucun résultat trouvé

L'articulation de plusieurs théories ou paradigmes pour mener la recherche dans le champ de la didactique des mathématiques est à l'ordre du jour, et les programmes des congrès en portent la trace évidente. Il est non moins clair que la complexité du sujet ne permet pas qu'il soit appréhendé dans le cadre d'une seule théorie fonctionnant de façon holistique et explicative de tous les phénomènes. Néanmoins, comme nous le disions dans l'introduction, la recherche en didactique doit se garder de ne faire appel qu'à un 'patchwork' de théories opportunistes, 'n'expliquant' que des faits remaniés à fin de se conformer aux observables que la théorie veut bien accepter.

De ce point de vue certaines théories de didactique des mathématiques ont pu être soupçonnées de ne pas s'éloigner de l'interprétation des phénomènes d'enseignement que voudrait bien accepter l'institution scolaire : c'est un reproche qui a pu être fait à la théorie anthropologique. Il n'est que de lire Bosch, Fonseca et Gascon (2004) pour s'apercevoir que les analyses que font ces auteurs, des organisations mathématiques dans l'enseignement secondaire, rejoignent les nôtres, mais d'une façon plus globale.

Autrement dit, le fait d'aborder l'étude de l'enseignement secondaire ou supérieur par la TSD permet de voir localement des phénomènes qui existent aussi plus globalement, et qu'une étude dans la TAD met d'autre façon en évidence. Au début de ce texte nous déclarions ne pas vouloir de recherche qui spécifierait la théorie convoquée avant même de savoir quels pourraient être les exigences du sujet et les questions relevées. La théorie des situations didactiques permet de produire et d'interpréter des réponses relativement aux questions des

milieux présents dans l'enseignement supérieur, leur disponibilité du côté du professeur et leur maniement par les élèves.

Le chapitre 4 montre comment nos travaux ont visé à affiner la méthodologie de construction de milieux et de situations ; dans ce chapitre, nous rappelons les principes de certaines situations, ces situations ayant été par ailleurs largement détaillées dans nos publications (cf. documents accompagnant ce texte).

CHAPITRE 4

QUELQUES PRINCIPES POUR PENSER ET DEVELOPPER

L'INGENIERIE : EXEMPLES DE SITUATIONS

PREAMBULE

Les éléments théoriques étudiés au chapitre I ont été mis en œuvre, expérimentés, testés dans la contingence ; cette mise en œuvre a comporté d'abord une réflexion sur la construction effective de situations relatives à un concept mathématique et concernant un niveau donné de l'enseignement.

La théorie des situations invite en effet à construire des situations a-didactiques à propos des concepts visés à un niveau donné de l’enseignement ; elle fournit des critères d’analyse a priori, et nous disposons d'outils didactiques et sémiotiques d'analyse du déroulement a posteriori, pour vérifier qu’un jeu donné contient bien, comme nécessaire, la connaissance visée (contrôle externe de (MiA).

Une question centrale de la TSD a été à l'origine d'une part non négligeable de nos travaux : comment construit-on une situation ad hoc pour un concept ? Existe-t-il des procédés efficaces pour effectuer cette construction ? Certes le savoir mathématique nous permet de dire qu'un concept a une fonctionnalité ; par exemple, si l'on veut construire une situation sur les fonctions de deux variables et leur différentielle, il est logique de s'intéresser à des lignes de niveaux (Sackur, 2002) ; une situation sur la fonction exponentielle conduira à proposer des accroissements proportionnels à la fonction (Schneider in Bloch et Schneider, 2004) ; une situation sur les vecteurs contient nécessairement des combinaisons linéaires et quelque part un travail sur des bases (Bloch 2002).

Cependant une articulation est souvent manquante : c'est celle qui permettra d'affirmer que l'élève va bien rencontrer ce savoir dans la situation. En effet il est parfaitement possible de mettre des éléments du savoir dans une tâche destinée aux élèves, et que ces élèves ne soient en mesure de le rencontrer que fortuitement par la tâche choisie. Nous en avions donné un exemple dans Bloch (2003) à propos de fonctions :

Les étudiants ont le graphique ci-contre, et la consigne est :

- "Ceci est la représentation graphique d'une fonction minorée"

ou, une consigne telle que :

- (une graduation étant éventuellement donnée) "montrez que cette fonction est minorée" (Dimathème, manuel classe de Seconde, 1998)

x y

O

a b

Dans le cas de la première consigne, celle-ci a le statut d'une définition; les élèves sont supposés comprendre et apprendre) ; la deuxième consigne a un statut de preuve graphique, mais sans qu'un travail ait été fait sur les possibilités de preuve dans ce registre (cf. Bloch, 2002).

L'analyse de la tâche met en évidence que celle-ci ne donne aucunement aux élèves la possibilité de savoir :

¾Ce qu'est une fonction (en général) minorée, ce que serait une fonction qui n'est pas minorée ; le "contraire" d'une fonction minorée est peut-être une fonction majorée ? ¾Quelles sont les fonctions qui ont des chances ou non, d'être minorées ;

¾Quel est l'intérêt, pour les mathématiques, d'identifier des fonctions minorées, majorées, de quels différents types ?

Dans cet exemple, manifestement le milieu – le graphique fourni, même si le milieu effectif ne se résume pas à cela – ne donnera aucune information sur ces questions et ne fournit pas d'occasions d'actions de l'élève ; or ce sont ces questions qui font, de la notion de majoration/minoration, un savoir mathématique ; en effet, en mathématiques les notions sont liées et insérées dans des théories ; de plus, elles ont un caractère de nécessité (Sackur, 2000) et non de "rencontre fortuite" contingente, comme dans l'exemple ci-dessus. De même, faire "rencontrer" à des élèves des combinaisons linéaires de vecteurs – comme cela se fait dans l'enseignement traditionnel – n'est pas suffisant pour qu'ils reconnaissent l'utilité des bases, et l'opérationnalité des vecteurs pour le travail dans l'espace affine par exemple ; leur "montrer" qu'avec des fonctions continues on peut fabriquer des intégrales de Riemann qui donnent l'aire sous la courbe, ne suffit pas à installer l'utilité des intégrales de Riemann en mathématiques : le savoir ainsi "appris" risque de rester anecdotique et non reconnu comme un maillon d'une théorie qui le justifie et le rend nécessaire à la bonne marche de l'ensemble41.

Donc, quels sont les facteurs qui, dans l’organisation d'une situation, rendent une connaissance nécessaire ? Comment les étapes successives de la situation installent-elles les différents niveaux de milieu afin que le concept visé se trouve bien enjeu de travail, objet de discussion et finalement savoir reconnu ?