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Conclusion sur les milieux h´et´erog`enes

Nous avons vu dans cette Partie que lorsque l’on ajoute des particules `a une phase continue, les variations attendues de la viscosit´e avec la fraction volumique ne sont pas d´etectables car η/η0 ∝ φ et les variations de φ sont faibles. Lorsque l’on mesure la d´eflexion δ d’un pilier sous ´ecoulement de cette mˆeme suspension, la valeur moyenne de δ est ´egalement peu impact´ee par la pr´esence des particules. Le rh´eom`etre et le pilier sont en moyenne identiquement aveugles aux variations de fraction volumique et de taille de particule. Cependant, lorsque l’on s’int´eresse de plus pr`es au signal δ(t), on se rend compte que les particules sont `a l’origine de fluctuations qui font augmenter son ´ecart-type. Dans la limite o`u la suspension est suffisamment peu concentr´ee, les particules sont ind´ependantes et on retrouve que σδ varie comme √

104 CHAPITRE 4. FLUIDES COMPLEXES artificielle est capable de discriminer des suspensions de particules pour des fractions volumiques tr`es faible (< 1%) ou lorsque R0 varie.

D’un point de vue alimentaire, cela signifie que les particules modifient vraisemblablement l’entr´ee m´ecanique au niveau des papilles d’une fa¸con invisible pour le rh´eom`etre. Il est possible que ce type de modification participe `a la grande sensibilit´e dont l’Homme b´en´eficie pour discriminer en bouche des particules de taille et de fraction volumique diff´erente.

Nous avons aussi propos´e deux m´ecanismes qui tentent d’expliquer com-ment les particules modifient l’entr´ee m´ecanique d’un pilier, selon qu’il y ait ou pas contact entre une particule et un pilier. Nous avons montr´e ainsi que les collisions entre pilier et particules explique vraisemblablement la plupart du signal et que les interactions `a distance sont g´en´eralement n´egligeables. D’un point de vue comportemental, cela signifie que pour qu’une particule soit d´etect´ee par la langue, il faut qu’elle en soit `a proximit´e, et la langue est vraisemblablement aveugle aux particules qui sont plus loin qu’une longueur de papille.

Chapitre 5

Effets collectifs

Sommaire

1 Introduction . . . . 105 2 Exp´eriences . . . . 108 3 Mod´elisation th´eorique . . . . 111

1 Introduction

Nous avons consid´er´e jusqu’ici la d´eflexion d’un pilier isol´e dans un champ de vitesse non perturb´e par la pr´esence de piliers voisins. Que se passe-t-il pour un arrangement dense de piliers ? De mani`ere g´en´erale, lorsque qu’un objet (fixe ou mobile) est pr´esent dans un ´ecoulement, il perturbe le champ de vitesse autour de lui et produit un sillage. Lorsque deux objets sont suffisamment loins l’un de l’autre, la superposition de leurs sillages respectifs est n´egligeable et on peut consid´erer qu’ils n’inter-agissent pas hydrodynamiquement. Lorsque les objets se rapprochent, le recouvrement de leurs sillages alt`ere le champ de vitesse `a leur voisinage et la force de train´ee `a laquelle ils sont soumis est donc modifi´ee. Ce sont par exemple pr´ecis´ement ces interactions hydrodynamiques qui provoquent une diminution de la vitesse de s´edimentation de sph`eres contigu¨es dans une suspension non-collo¨ıdale [196].

Dans les syst`emes biologiques, ces interactions hydrodynamiques se mani-festent notamment lors de la nage d’assembl´ees denses de micro-organismes. Par exemple, les interactions hydrodynamiques entre bact´eries motiles confin´ees dans un milieu perturbent l’´ecoulement, ce qui en retour modifie l’organisation spatiale des micro-nageurs `a longue port´ee [197]. Ces effets ont ´et´e largement ´etudi´es th´eoriquement [198, 199]. Par exemple, il est bien connu qu’un nageur `a bas nombre de Reynolds qui effectue un mouvement r´eversible dans le temps (dit nageur r´eciproque) ne peut pas avancer [200], un r´esultat connu sous le nom de scallop theorem. Cependant, Lauga et Bartolo [201] ont montr´e analytiquement que lorsque les sillages de deux nageurs r´eciproques se recouvrent suffisamment, ils peuvent avancer.

106 CHAPITRE 5. EFFETS COLLECTIFS

Dans le cas plus particulier de piliers ancr´es `a une surface, il existe de nombreux exemples, dans le r`egne animal, o`u des r´eseaux de cils jouent un rˆole primordial pour la perception des ´ecoulement hydrodynamiques (localisation d’obstacle ou de proies, d´etection de courants...) avec d’une part des structures passives, comme les poils des pattes d’araign´ees et de criquets [134, 135] ou la ligne lat´erale du poisson [136]. Ces syst`emes de cils passifs sont aussi impliqu´es dans la perception auditive, qui repose sur la r´eponse de touffes ciliaires de l’oreille interne [202]. Enfin, ces assembl´ees de cils peuvent aussi ˆetre actives, c’est le cas notamment des flagelles de micro-organismes motiles [203, 204].

De nombreux syst`emes artificiels, passifs et actifs, directement inspir´es du mode de fonctionnement des cils, ont ´et´e d´evelopp´es afin de mieux caract´eriser et mod´eliser les interactions hydrodynamiques. D’un point de vue technologique, il s’agit ´egalement de mettre au point des capteurs d’´ecoulement, r´esolus spatialement, ou des dispositifs microfluidiques actifs facilitant le m´elange de liquides `a bas nombre de Reynolds [205]. Axtmann et al. [206] fabriquent des poutres de grand rapport d’aspect (longueur/largeur ∼ 10) qu’ils trainent dans du glyc´erol `a des nombres de Reynolds variant entre 1 et 60. Dans leur situation, l’´ecoulement n’est laminaire que dans la couche limite, et turbulent au-del`a. Apr`es avoir ca-ract´eris´e la d´eformation d’un pilier isol´e, ils regardent l’effet des interactions hydrodynamiques entre un tandem de piliers plac´es l’un derri`ere l’autre en faisant varier l’angle entre l’´ecoulement et l’alignement des deux piliers. Ils montrent ainsi que le pilier en amont, relativement `a l’´ecoulement, se d´eforme moins qu’un pilier isol´e. Leurs r´esultats montrent par ailleurs que selon l’alignement des piliers par rapport `a l’´ecoulement, il est possible d’amplifier la train´ee “ressentie”par celui plac´e derri`ere. Pour appuyer leurs r´esultats, ils r´esolvent num´eriquement l’´equation de Navier-Stokes autour du premier pilier et somment les contraintes visqueuses pour obtenir la train´ee sur le deuxi`eme pilier. Leurs pr´edictions num´eriques leur permettent d’expliquer correctement les effets d’un pilier sur l’autre : les interactions hydrodynamiques sont maximales, c’est-`a-dire que le pilier aval se d´efl´echit le moins, lorsque les piliers sont plac´es l’un derri`ere l’autre selon l’axe de l’´ecoulement.

Pour comprendre l’effet d’assemblage de piliers sur leur d´eformation, Alvarado et al. [207] ont utilis´e un syst`eme biomim´etique constitu´e d’un tapis de piliers flexibles implant´es avec un angle contrˆol´e sur la partie mobile d’une g´eom´etrie couette d’un rh´eom`etre. Ils mesurent la d´ependance du couple mesur´e par le rh´eom`etre avec la vitesse de rotation de l’outil. Ils montrent que la pr´esence de piliers inclin´es sur une surface rend l’´ecoulement anisotrope : lorsque le flux est orient´e dans le sens d’inclinaison des fibres, elles se d´efl´echissent et l’´ecoulement est facilit´e, et inversement lorsque

1. INTRODUCTION 107 l’on inverse le flux. Ils proposent alors l’utilisation de fibres pench´ees pour r´ealiser des diodes ou des pompes dans des puces micro-fluidiques, et ´emettent l’hypoth`ese que ces assemblages de piliers permettent de r´eduire la force de train´ee dans les syst`emes biologiques. Ils proposent par ailleurs un mod`ele pour obtenir le champ de vitesse moyenn´e en tout point en assimilant l’assemblage de fibres `a un milieu poreux dans lequel l’´equation de Brinkman [208] est valide. Cela leur permet de n´egliger la p´en´etration de l’´ecoulement dans l’assemblage de piliers.

Dans les syst`emes artificiels de cils actifs, les interactions hydrody-namiques sont ´egalement tr`es ´etudi´ees. Coq et al. [209] mod´elisent par exemple des cils actifs en fabriquant des bˆatonnets qui portent un moment magn´etique r´epartis selon un r´eseau carr´e sur le fond d’une piscine de taille typique de quelques centaines de µm. Sans imposer d’´ecoulement, ils font pr´ecesser les cils en imposant un champ magn´etique tournant d’angle constant. Ils observent que lorsque le champ magn´etique tourne suffisam-ment lentesuffisam-ment, les sommets des cils d´ecrivent des cercles, et lorsque la fr´equence d’excitation augmente, le mouvement des piliers devient de plus en plus dissym´etrique, les cercles d´ecrits s’allongeant progressivement en ellipses. Pour expliquer l’origine de ce ph´enom`ene, ils s’appuient sur un mod`ele d’interactions hydrodynamiques d´evelopp´e par Blake [210]. En effectuant une r´egression de leur loi sur leurs donn´ees, ils sont capables de montrer que la dissym´etrie est directement li´ee `a des effets g´eom´etriques de bord. Leur mod`ele montre une d´ependance avec la densit´e surfacique de bˆatonnets, mais qui n’est pas test´ee exp´erimentalement.

Dans la plupart des syst`emes d´ecrit ci-dessus, les interactions hydro-dynamiques ont un rˆole non n´egligeable dans l’´ecoulement `a proximit´e des structures allong´ees lorsque celles ci sont espac´ees d’environ 1 `a 10 fois leur longueur. Sur la langue, il n’existe pas d’´etudes biom´ecaniques visant `a ca-ract´eriser les couplages hydrodynamiques entre papilles filiformes. `A notre connaissance, les seules travaux rapport´es dans la litt´erature ont trait´e le lien entre la densit´e de papilles fongiformes et l’acuit´e tactile [66] ´evalu´ee dans le cadre d’exp´eriences comportementales. Essick et al. [66] ont montr´e en particulier qu’une plus grande densit´e de papilles fongiformes permet de discriminer des objets de taille millim´etrique.

Sur la langue, les papilles filiformes sont longues d’environ 250 µm et leur densit´e surfacique varie entre 50 et 500 papilles/cm2, ce qui revient `a dire que la distance inter-papille varie entre 200 µm et 2 mm. Comparativement avec la langue, les syst`emes d´etaill´es ci-dessus ont donc des densit´es surfa-ciques de cil tr`es sup´erieures (Tab. 5.1). Par ailleurs, la d´ependance pr´edite avec la densit´e surfacique n’est pas confront´ee aux donn´ees exp´erimentales. Nous allons voir dans la suite de ce Chapitre comment nous avons mod´elis´e th´eoriquement et exp´erimentalement cette situation.

108 CHAPITRE 5. EFFETS COLLECTIFS Insectes Touffes ciliaires Tapis de cils Papilles humaines Papilles artificielles [134, 135] [202] [207] Chapitre 2 Chapitre 3 nL2 100 100 5 - 50 0,1 - 1 0,02

Tableau 5.1 – Valeurs de nL2 pour quelques syst`emes biologiques ou bio-mim´etiques comportant des cils passifs, o`un est la densit´e surfacique de cils etL leur longueur.

2 Exp´eriences