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Chapitre V : Discussion générale, conclusions et perspectives

III- Conclusion et proposition de gestion de la bande côtière du golfe du Lion

Une fois achevé, ce travail de thèse suscite encore de nombreuses interrogations. Cependant, nous avons mis en évidence le rôle de nourricerie des enrochements côtiers artificiels de la côte catalane française, mais aussi la connectivité qu’il pouvait exister entre les sous-populations de cette zone, tant pour la phase benthique que pour la phase pélagique du cycle de vie des poissons. Nous avons pu donner une estimation de ces échanges en ce qui concerne

la phase adulte tout en déterminant la période de ces échanges (automne et printemps). Nos résultats permettent ainsi d’étoffer les connaissances générales sur l’écologie d’une espèce majeure de l’ichtyofaune méditerranéenne, notamment sur les capacités de déplacement de ce poisson, jusqu’à 35 km parcourus en 13 jours. D’Anna et al. (2004) ont observé des déplacements ne dépassant pas 17 km. Pour une autre sous-espèce (D. sargus cadenati), Santos et al. (2006) ont enregistré des déplacements de 120 km, le comportement de cette sous-espèce est peut être différent de ce que nous observons chez D. sargus sargus en mer Méditerranée. Néanmoins ces deux études ont été réalisées avec des sars d’aquaculture dont le comportement est probablement modifié du fait de leur période de captivité. Notre étude est donc la première mettant en évidence de tels déplacements chez des sars communs sauvages. Des suivis de pêche à la ligne réalisés en parallèle de ce travail de thèse montrent aussi que le sar commun peut avoir une activité nocturne bien qu’il soit décrit comme une espèce diurne (Fisher et al., 1987).

Ces résultats nous incitent à émettre des propositions de gestion pouvant être retenues dans des plans de gestion intégrée des zones côtières, à l’échelle de la côte catalane mais aussi à l’échelle de tout le golfe du Lion.

- Etant donné le rôle de nourricerie que peuvent avoir les aménagements côtiers de la côte sableuse, il convient de protéger les plus productifs en termes d’adultes exportés. Pour cela il est nécessaire de caractériser les habitats de la plupart des aménagements côtiers de la côte du golfe du Lion et d’effectuer des comptages afin d’appréhender les abondances de juvéniles qui y sont associés. Cela a été initié sur la côte catalane et doit être maintenu pour suivre d’année en année l’évolution du nombre de juvéniles. Il sera ensuite nécessaire de préserver les habitats en veillant notamment à la qualité de l’eau. En effet, ces aménagements littoraux sont souvent disposés dans ou à proximité de zones portuaires, plutôt sujettes à des rejets en mer de divers polluants. Comme suggéré précédemment, nous conseillons d’installer des enrochements côtiers artificiels plutôt que de pratiquer du réensablement des plages dans la lutte contre l’érosion de celles-ci. Ce point de vue est celui d’une équipe d’écologues marins, ces installations doivent donc être réalisées au regard des connaissances actuelles de l’écologie marine et de la dynamique des populations de poissons. L’aspect géodynamique du cordon littoral n’est pas pris en compte puisqu’il n’est pas de notre ressort. Cela montre qu’avant de décider d’actions visant à limiter l’érosion des plages, il est impératif de tenir compte des aspects biotiques. Or toutes les installations mises en place jusqu’à maintenant n’ont pas tenu compte de ces aspects si primordiaux dans la gestion de la biodiversité. De

plus, et même si nous avons pu constater que ces enrochements artificiels pouvaient être très bénéfiques pour les populations de poissons et la pêche, nous n’en préconisons pas la généralisation. Il en existe déjà énormément, près de 40 km sur la seule côte catalane, qui est relativement épargnée par l’enrochement massif selon Samat (2007) en comparaison à d’autres sites du golfe du Lion comme la petite Camargue ou le secteur de Valras. Les enrochements existants doivent être préservés et protégés au même titre que d’autres nourriceries (estuaires, lagunes, marais, herbiers de posidonies). Cela permettra aussi de limiter les nouvelles immersions. Si l’installation de nouveaux aménagements est nécessaire, elle devra se faire en concertation avec des biologistes et des géologues afin d’évaluer les effets positifs ou négatifs qu’ils pourraient engendrer d’un point de vue biotique et aussi abiotique. Il ne faut pas perdre de vue que ces aménagements sont avant tout destinés à protéger les plages et donc la population humaine. Il semble important de pouvoir coupler cela à une protection de la faune et de la flore marine.

- La fragmentation de l’habitat induit par la présence de ces enrochements côtiers implique une excellente connectivité afin de permettre le maintien des populations de poissons. La connectivité est assurée en grande partie lors de la phase pélagique. Ainsi le nombre d’œufs pondus doit être le plus important possible et les conditions de survie des larves doivent être maximales. Pour cela, il est indispensable que les géniteurs soient nombreux et puissent effectuer leur reproduction dans des conditions optimales. Il est donc primordial de protéger les aires de reproduction lorsqu’elles sont connues comme cela est fortement conseillé par l’IUCN (International Union for Conservation of Nature) pour les espèces de mérous tropicaux réalisant leur ponte sur des sites d’agrégation spécifiques (Rhodes et Sadovy 2002 ; Sadovy et Domeier, 2005). Si les zones de pontes sont inconnues, il faut amplifier les efforts de localisation. Dans cette optique l’utilisation du marquage acoustique couplée à des pêches expérimentales durant la période de reproduction peut être une solution. Au niveau de la côte catalane, les efforts doivent être portés sur le site du cap Leucate, qui semble être un lieu privilégié pour la reproduction de certaines espèces de poissons.

Nos résultats ont aussi permis de mettre en évidence que les sars communs étaient plus mobiles dans les habitats fragmentés que dans les habitats continus et qu’ils se déplaçaient préférentiellement au printemps et en automne. Pour comprendre, ces échanges de façon plus approfondie, notamment à l’échelle du golfe du Lion, il serait envisageable de créer une banque de signatures élémentaires d’otolithes de juvéniles afin de caractériser les différentes

zones de nourricerie de la côte. Ensuite par des microanalyses chimiques des otolithes d’adultes, nous pourrions déterminer leur nourricerie d’origine. Ce genre de manipulations peut être couplé à des campagnes de marquages directs et de marquages acoustiques. Dans un souci de gestion de la pêche, mais aussi des espèces marines, il apparaît désormais indispensable de mettre en place un plan de gestion des aménagements littoraux de la côte sableuse afin de préserver les poissons qui, a un moment donné, iront intégrer les populations de la côte rocheuse. Interdire la pêche sur certains brise-lames pourrait être nécessaire, ou du moins faire respecter les interdictions qui existent déjà. Nous savons aussi que les déplacements ont lieu préférentiellement au printemps et en automne, périodes où les poissons sont les plus vulnérables à la pêche. La limitation de la pêche ciblant ces espèces pendant ces périodes pourrait être envisagée à la manière des réglementations mises en place au niveau des cours d’eau intérieurs. En revanche nous ne pouvons qu’encourager l’implantation de récifs artificiels sur des zones plus profondes (10 à 20 m) dans l’environ immédiat des aménagements côtiers artificiels. Les juvéniles ayant grandi sur ces enrochements côtiers se déplaceraient vers les récifs artificiels une fois adultes. Ces récifs artificiels pourraient être accessibles à la pêche selon une réglementation toujours dans le but de préserver cette ressource indispensable de tout abus entraîné par l’attrait économique.

Les enrochements côtiers, même s’ils sont créés de toute pièce par l’Homme, pourraient être classés comme sites Natura 2000 au même titre que les herbiers de posidonie ou les lagunes par exemple. Bien que peu importantes dans le fonctionnement des populations de poissons comme le sars communs, les lagunes ne demeurent pas moins primordiales dans leur rôle de nourricerie pour d’autres espèces cibles de la pêche comme le loup et la dorade (Lasserre, 1976 ; Hervé et Bruslé, 1980 ; Chauvet et al., 1992).