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Conclusion Mais plutôt que de présenter au fil des décennies du 21 e siècle l’évolu-

Dans le document Nature des villes, nature des champs (Page 37-42)

tion de l’appropriation du développement durable et l’effectivité de l’idée de « nature » sur les natures « urbaines » et « rurales » réelles, je choisis, pour conclure, aujourd’hui où la prospective semble bouchée par de vaines controverses politiques et scientifiques, de laisser la place à un avenir ouvert en dessinant la projection des figures de l’utopie elle-même

« Viser plus, demander plus … [attendre] plus que de l’effectuable » (Ricœur, 19671) telle est la définition de l’utopie que je retiens. Pour ce qui est de celle du développement durable elle se décline par l’espoir de subsumer les contradictions majeures du 21e siècle : viser l’équité sociale autant que faire face (s’adapter) aux crises environnementales ; ambi- tionner de concilier humanisme et naturalisme et de construire une éthique de la relation humains/natures où les qualités des uns et des autres se conjuguent.

Cette utopie politique implique une nouvelle conception de la nature où la nature idéelle tend à ne pas se distinguer des natures réelles qui caractérisent l’anthropocène. La nature est autonome, inattendue, com- plexe et systémique, ses temporalités nous échappent comme ses interac- tions avec nos propres activités. Mais même s’il faut prendre la mesure 1 Cf. Birnbaum, J., Ricœur, prophète utopique, Le Monde, 2 septembre 2016, p ; 11 : « Viser plus, demander plus ? C’est cela l’espoir (l’utopie) : attendre plus que de l’effectuable. »

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de sa globalité (le changement global, menace pour l’espèce humaine), la

nature est locale ou plus précisément elle est présente dans sa diversité et sa singularité en tous les lieux. La penser globale et interagir localement. S’il reste un lien entre nature et territoire c’est par le mot de « terre » que ce dernier contient et dont on doit « ménager » les « ressources ». C’est la fin de la pensée et de l’agir « hors sol ».

Aussi, dans cette définition, la nature — et son intersection avec la pré- sence et l’activité humaine — est un facteur puissant de distinction entre les lieux et en conséquence entre les milieux urbains et ruraux. C’est une question de combinaison entre le physique et le social (ilots de chaleur, circulation des vents et des eaux, biodiversité spécifique, quantité de déchets etc. en milieu urbain ; qualité des sols et des eaux souterraines, biodiversité spécifique, diversité des climats etc. en milieu rural) ; mais aussi une question de localisation face au changement climatique et autres aléas (deltas, trait de côte et zones au-dessous du niveau de la mer, hau- teur, densité, matériaux et orientation des bâtiments etc.). Connaissance précise de ces interactions hommes/milieux en tous lieux et progression des compétences en matière d’anticipation des « évènements extrêmes » deviennent des enjeux corolaires de l’utopie elle-même.

Dès lors que reste-t-il de la distinction entre le citadin (le rat des villes) et le rural (le rat des champs). Distinction purement idéelle (culturelle ou identitaire) qui a peu de place dans cette utopie matérialiste et réaliste. Car tout individu doit avoir conscience que sa pratique des lieux est ubiquiste, que, mobile et polytopique, il fait « usage » et habite tous les lieux dont il sait reconnaître la naturalité spécifique et mouvante qu’ils soient ruraux, urbains ou autre. Certes les temps et les activités sont différents selon qu’il s’agisse de « travailler », de « résider », de « circuler » ou d’« être ensemble » (Mathieu, 2014) mais chacun, en développant une « culture de la nature » éco-consciente en parallèle avec le respect de l’autre et un solidarisme local vise ce « plus » qui se nomme « éthique de la relation homme/nature » ou « éthique de la relation sociétés/natures en tous lieux ».

L’utopie met d’abord en mouvement la société civile pionnière de cette éthique qui conjugue ménagement de la nature et solidarité sociale. « Cultiver son jardin », « Faire de tous les lieux une maison » (Mathieu, 2008), « Pour une juste mesure » (Denis, 2015) … ce sont les expressions qui fondent la pratique morale. Tandis que la sphère politique a du mal à penser cette transversalité et à trouver un système d’action ne faisant pas de hiérarchie entre villes et campagnes, entre physique et social. Là encore les solutions innovantes sont locales. Mais un certain espoir se manifeste dans la sphère scientifique qui rejetant et la séparation entre sciences naturelles et sciences de la société et celle entre études rurales et études urbaines, dénonce les termes d’« urbanisation généralisée » voire

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d’« hybridation » pour qualifier la relation villes-campagnes lui préférant, sans hiérarchie de valeur, celui d’interaction entre des lieux et des milieux distincts. Ce colloque est en ce sens pionnier mettant en son cœur ce qui fait relation entre géographes ruraux et urbains à savoir une géographie de la relation hommes/natures.

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