B. ETUDES DE SURVEILLANCE BIOLOGIQUE DES EXPOSITIONS PROFESSIONNELLES AU
VII. CONCLUSION GENERALE
Ces travaux ont permis de proposer une approche statistique innovante adaptée à des
caractéristiques courantes des mesures de biométrologie obtenues dans le cadre d’exposition
professionnelle : la présence de censure due aux limites de détection/quantification des mesures
biologiques et atmosphériques, et la variabilité inter-individuelle. Cette approche s’inscrit dans
le prolongement des approches de modélisation de l’exposition proposées dans la littérature en
hygiène industrielle depuis les années 80 (35) jusqu’à aujourd’hui (38, 39).
L’utilisation de l’approche bayésienne, avec tous les avantages qu’elle procure (sa flexibilité,
l’utilisation de l’information a priori) a ainsi permis de développer un cadre d’analyse (modèle
« de base ») pour modéliser la relation entre les données biologiques et atmosphériques, tout en
intégrant la variabilité inter-individuelle, et la censure sur les mesures biologiques et
atmosphériques. Ce modèle a été comparé à une approche alternative
Toutefois, ce modèle « de base » (ou modèle initial) repose sur certaines hypothèses qu’il est
essentiel d’évaluer avant d’envisager son application à un jeu de données d’exposition
professionnelle. Principalement, les hypothèses de ce modèle de base sont :
la linéarité (sur une échelle logarithmique) entre les variables biologiques et
atmosphériques, même pour dans les faibles valeurs,
la demi-vie de la substance considérée, courte, afin de s’assurer que les mesures
biologiques sont bien le reflet de l’exposition atmosphérique du même jour,
le profil d’exposition atmosphérique similaire des sujets (il n’y a qu’un seul GES).
Lors de l’application de notre méthodologie à deux cas concrets de jeu d’exposition
professionnelle, les caractéristiques des jeux de données et des substances considérées ont
amené à évaluer et reconsidérer certaines hypothèses, et à en définir d’autres. Le modèle initial
a ainsi dû être adapté aux différentes situations d’exposition professionnelle.
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Pour l’application de notre modélisation au jeu de données d’exposition professionnelle au
béryllium, la demi-vie d’excrétion urinaire du béryllium étant constatée comme longue, nous en
avons déduit que les mesures des concentrations de béryllium des différentes urines recueillies
pour chaque personne (une excrétion « moyenne » de chaque sujet) étaient majoritairement le
reflet de leur exposition chronique (« moyenne » des expositions atmosphériques mesurées au
cours de la semaine), sans que l’exposition du jour n’ait un impact. Egalement, nous avons fait
l’hypothèse que l’exposition atmosphérique mesurée était représentative de l’exposition
chronique des sujets et qu’elle était dépendante du GES.
Finalement, en l’absence d’information précise quant aux caractéristiques physico-chimiques de
l’exposition atmosphérique, nous avons fait l’hypothèse que la relation entre l’imprégnation
biologique et l’exposition atmosphérique était identique entre les GES.
L’application de ce modèle adapté au jeu de données d’exposition professionnelle a montré une
relation significative entre l’excrétion moyenne de béryllium urinaire des sujets et leur
exposition chronique, et a permis de proposer une VLB à 0,06 µg/g créatinine (IC 95% [0,03 ;
0,13]), sur la base de la VLEP-8h du béryllium de 2 µg/m
3.
Pour l’application de notre modélisation au jeu de données d’exposition professionnelle au
chrome, dans deux contextes d’exposition professionnelle différents (exposition aux peintures
de chromate, et exposition dans le secteur de l’industrie du chromage électrolytique), la
première demi-vie du chrome urinaire étant de quelques heures, nous avons fait l’hypothèse que
les recueils de chrome urinaire de fin de poste étaient le reflet de l’exposition du jour même.
Egalement, comme pour le béryllium, nous avons fait l’hypothèse que l’exposition
atmosphérique était dépendante des GES, et que la relation entre l’imprégnation biologique et
l’exposition atmosphérique était identique entre les GES, et que l’on avait une constance de la
variabilité d’exposition à travers les GES.
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L’exposition atmosphérique était cette fois différenciée selon la spéciation du chrome (CrVI
soluble, CrVI insoluble, Cr non VI).
L’application de ce modèle à deux jeux de données d’exposition professionnelle (exposition aux
peintures de chromate, et exposition dans le secteur de l’industrie du chromage électrolytique )
a permis de montrer que la chromurie dépendrait essentiellement du CrVI, et n’a pas permis de
montrer de relation entre la solubilité du CrVI et la chromurie. Egalement, nous avons montré
que la relation entre l’imprégnation biologique et l’exposition atmosphérique était différente
selon le secteur d’activité. Finalement, cette modélisation a permis de proposer une VLB à 1,85
µg/g créatinine dans l’industrie du chromage électrolytique (IC 95 % [1,42 ; 2,34]) et une VLB à
0,41 µg/g créatinine chez les peintres (IC 95 % [0,33 ; 1,95]), sur la base de la VLEP-8h du CrVI
de 1 µg/m
3. L’ensemble de ces résultats sont cependant basés sur des modèles qui ne sont pas
totalement satisfaisants ; en particulier, l’hypothèse impliquant la constance des composants de
la variabilité de l’exposition externe à travers les GES est forte, et très simplificatrice. Ces
modèles présentés sont perfectibles, d’autres hypothèses restent ainsi à tester ; le travail mérite
ainsi d’être poursuivi au-delà de la thèse.
L’application et l’adaptation de la méthodologie développée dans un cadre bayésien a donc
permis de répondre à des problématiques concrètes rencontrées dans les études de
biométrologie. La souplesse de l’approche bayésienne proposée rendra envisageable d’autres
adaptations du modèle initial à différentes configurations ou caractéristiques d’exposition
professionnelles à travers de nouvelles hypothèses. En particulier, l’exposition à des substances
organiques métabolisables ou encore la co-exposition à plusieurs métaux et son impact sur
l’élimination d’indicateurs biologiques d’exposition et d’effet précoces, pourraient être les
prochains challenges d’application et d’adaptation de notre méthodologie. De manière plus
générale, l’approche bayésienne et sa mise en œuvre de plus en plus accessible et répandue,
représente un outil puissant qui permettra d’apporter de nouvelles solutions là où le cadre
fréquentiste pose ses limites.
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Finalement, je ne souhaitais pas conclure sans aborder le rôle du statisticien appliqué au sein de
tout projet de recherche. Les travaux exposés dans cette thèse se sont concentrés sur des
problématiques rencontrées dans le domaine de la biométrologie. Dans le département de
Toxicologie et Biométrologie au sein duquel je réalise mon activité de statisticienne appliquée, il
existe au moins autant de problématiques qu’il y a de domaines de recherche (biométrologie,
cancérogénèse, mutagénèse, allergies, pénétration cutanée, ototoxicité….), de projets de
recherche (études), de chercheurs (responsables d’étude, avec autant de points de vue
différents), de méthodologies, de questions scientifiques (calcul de taille d’échantillons, relations
effet/dose, estimation de la répétabilité/reproductibilité, plans d’expérience, comparaison de
populations….).
Le travail du statisticien appliqué ne consiste pas à appliquer des méthodes toutes faites à
l’ensemble des problèmes mais à aider le scientifique à formuler sa problématique, à poser ses
hypothèses, à adapter le recueil de données pour avoir une puissance statistique suffisante, et à
proposer des analyses statistiques adaptées, traduisant les hypothèses et répondant à la
problématique. Il est ainsi indispensable pour le statisticien de s’imprégner du contexte
expérimental et de la manière dont ont été collectées les données, le cas échéant. Le dialogue et
la collaboration entre le statisticien et le chercheur sont ainsi essentiels bien qu’ils puissent
parfois se révéler complexes notamment lorsqu’il faut trouver des éléments de langage commun.
Mais c’est là que se trouvent le challenge et la richesse de ce métier. Et les travaux menés dans le
cadre de cette thèse en sont une illustration.
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Dans le document
Analyse de données de biométrologie : aspects méthodologiques et applications
(Page 149-153)