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Conclusion générale

Ce travail avait pour premier but de quantifier et modéliser les fractionnements isotopiques du bore induits par son adsorption à la surface d’acides humiques et d’oxydes de fer et de manganèse à partir de la caractérisation de la structure et stabilité des complexes qu’il forme avec les groupes fonctionnels aqueux et surfaciques caractéristiques des interfaces étudiées. Son second but était d’examiner l’influence des interactions entre le bore et les sols sur la composition isotopique du bore dans les eaux continentales.

L’étude de la réactivité du bore avec les molécules organiques de petites tailles a montré que le bore est facilement complexé par les composés organiques. Lors de cette complexation, il passe en conformation tétraédrique, même dans les solutions de pH acide et neutre où le bore libre est majoritairement sous forme d’acide borique trigonal. La caractérisation de la spéciation du bore en fonction du pH montre que si sa complexation est contrôlée par les fonctions carboxyliques à faible pH, les fonctions alcooliques et surtout phénoliques le mobilisent bien plus fortement dès que le pH est assez élevé pour permettre la dissociation de leur liaison O-H. L’extrapolation des résultats obtenus à la matière organique naturelle a montré que les concentrations d’acides humiques et fulviques dans les eaux de surface sont certainement trop faibles pour exercer un contrôle significatif sur la spéciation du bore. Par contre, les acides humiques des sols sont susceptibles de complexer une proportion très importante du bore (jusqu’à 80%). Le probable passage du bore en conformation tétraédrique lors de cette complexation suggère que l’interaction du bore avec la matière organique naturelle doit fortement modifier sa composition isotopique.

Nous avons pu vérifier l’existence de ces fractionnements isotopiques en réalisant des expériences d’adsorption du bore en fonction du pH sur un acide humique commercial (Aldrich). Le coefficient de partage entre bore adsorbé et bore dissous (Kd=(mBadsorbé/mhumique)/(mBdissous/msolution)) augmente de pH=4 jusqu’à pH=9,5-10 avec une

valeur de 40, puis ensuite diminue pour s’annuler au-delà de pH=12. L’allure en « cloche » de la courbe de sorption du bore en fonction du pH est tout à fait représentative du comportement des oxyanions. L’étude par spectroscopie RMN a montré que le bore est adsorbé sous forme de plusieurs complexes tétraédriques liés à des fonctions phénoliques et carboxyliques. Nous avons pu modéliser l’adsorption du bore dans le cadre d’un modèle discret de sites déprotonables à la surface de l’acide humique. La mise en œuvre du logiciel FITEQL 3.2 nous a permis de calculer les constantes de stabilité des complexes formés par le bore sur chacun

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de ces sites. Les complexes majoritaires sont comme on s’y attendait les complexes formés sur les fonctions phénoliques.

L’adsorption du bore sur l’acide humique entraîne de pH=5 à pH=9 un fractionnement isotopique de -25‰, avec un enrichissement en 10B du bore adsorbé par rapport au bore dissous. Au delà de pH=9, le fractionnement isotopique diminue très rapidement et devient quasiment nul à partir de pH=10. Ces fractionnements isotopiques ne sont pas explicables uniquement par le fractionnement isotopique qui s’opère entre l’acide borique et l’ion borate. Nous avons donc fait l’hypothèse que chaque complexe surfacique du bore en équilibre avec la solution présentait un fractionnement isotopique propre par rapport à l’acide borique dissous. A partir de la spéciation surfacique du bore en fonction du pH, nous avons pu calculer par une méthode des moindres carrés les facteurs de fractionnement isotopique de chaque complexe qui permettent de reproduire au mieux les données expérimentales. Non seulement cette approche permet de bien décrire les fractionnements isotopiques du bore en fonction du pH, mais surtout elle apporte des renseignements précieux sur ses mécanismes de fractionnement isotopique. Les facteurs de fractionnement les plus importants (-45‰) sont obtenus pour les complexes géométriquement les plus distordus, alors que les complexes soumis à une faible contrainte stérique présentent une composition isotopique en bore proche de celle de l’ion borate. Cette étude montre également que les interactions du bore avec la matière organique des sols peuvent modifier fortement sa composition isotopique et ainsi augmenter d’au moins 15‰ la composition isotopique du bore des eaux continentales.

La même approche a été utilisée pour étudier l’adsorption du bore sur la goethite et la birnessite et ses conséquences isotopiques. Les courbes d’adsorption montrent ici aussi des profils en forme de cloche, avec des maximums d’adsorption à pH=8-9 et des valeurs correspondantes du coefficient de partition Kd respectivement égales à 40 et 35 pour la goethite et la birnessite. Les analyses par spectroscopie infrarouge (DRIFT) ont permis de mettre en évidence la formation de complexes surfaciques trigonaux du bore, uniquement de sphère interne à la surface de la goethite, mais à la fois de sphère interne et externe à la surface de la birnessite. La formation de complexes tétraédriques n’a pu être distinctement observée, certainement à cause de la présence de bandes d’absorption très intenses des oxydes correspondant aux vibrations Me-OH. La modélisation de l’adsorption dans le cadres des modèles à capacitance constante, à couche diffuse et à triple couche a été réalisée avec succès

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à l’aide du logiciel FITEQL et a montré la nécessité d’introduire des complexes tétraédriques de sphère interne du bore pour décrire l’adsorption sur l’ensemble de la gamme de pH.

Les courbes de fractionnements isotopiques obtenues en fonction du pH lors de la sorption du bore sur la goethite et la birnessite ont une allure similaire, mais avec un fort décalage des valeurs du facteur de fractionnement. L’adsorption du bore à la surface de la goethite entraîne un très fort fractionnement isotopique de -40‰ entre pH=5 et pH=7, qui diminue entre pH=7,5 et pH=10,5 et devient quasiment nul au-delà de pH=11. Le fractionnement du bore à la surface de la birnessite montre le même profil en fonction du pH, mais la valeur du fractionnement isotopique, de seulement -15‰ en milieu acide, atteint +23‰ en solution alcaline. La modélisation des facteurs de fractionnement isotopique démontre que le décalage entre les deux courbes peut s’expliquer par la formation à la surface de la birnessite d’un complexe trigonal de sphère externe de composition isotopique quasi- identique à celle de l’acide borique et qui est responsable à la fois des faibles et forts fractionnements observés respectivement aux pH acides et alcalins. La modélisation montre aussi que les complexes trigonaux de sphère interne sont très fortement enrichis en 10B par rapport à l’acide borique. Ce résultat surprenant peut s’expliquer par la formation de complexes bidendates binucléaires très distordus sur les sommets des octaèdres Me06. Ici

aussi, les contraintes stériques exercées sur le bore complexé sont le facteur déterminant des fractionnements isotopiques produits lors des processus d’adsorption.

L’ensemble de ces résultats montre qu’à la fois l’ampleur et le signe des fractionnements isotopiques du bore lors de son adsorption sur les solides dépendent non seulement de la nature des groupes fonctionnels présents à la surface mais aussi, pour les mêmes groupes fonctionnels, de la géométrie de leur arrangement. Ceci est particulièrement remarquable lors de la sorption du bore à la surface de la goethite et de la birnessite où la formation de complexes du bore trigonaux de sphère interne bidendates (goethite) et externe monodendates (birnessite) induit un décalage important de la composition isotopique en fonction du pH du bore adsorbé à la surface de ces deux minéraux. Cette différence de compositions isotopiques entre des cristaux coexistant de goethite et birnessite pourrait faciliter la reconstruction de paléoenvironnements, notamment le pH des océans. Il faut cependant noter que les applications prometteuses, aux grands problèmes géochimiques, des fractionnements isotopiques du bore associés à son adsorption/coprécipitation sont actuellement limitées par notre méconnaissance des facteurs de fractionnement isotopique associés à chaque type de complexes surfacique et, en tout premier lieu, de celui associé à

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l’hydrolyse de l’acide borique en ion borate. L’application des méthodes de la mécanique quantique aux calculs ab initio des facteurs de fractionnement isotopiques est certainement une des pistes les plus séduisantes pour avancer dans cette direction.

Malgré les limitations actuelles nous avons tenté une première modélisation de l’impact des phénomènes d’adsorption dans les sols sur la composition isotopique du bore dans les eaux superficielles continentales. Nos calculs indiquent que la composition isotopique des eaux de surface pourrait être enrichie d’environ 30 ‰ en 11B suite aux phénomènes d’adsorption et que ce sont les réactions du bore avec les oxydes métalliques qui auraient le plus fort impact sur sa composition isotopique. Ces conclusions devront être confirmées par des études de terrain sur des sols de composition variées.

Enfin, il faut souligner, bien que les mécanismes d’incorporation du bore dans la végétation et les fractionnements isotopiques qui en découlent soient encore très mal connus, que l’impact de la végétation sur le bilan isotopique du bore dans les enveloppes superficielles de notre planète ne peut pas être ignoré. On peut espérer que les travaux réalisés dans ce travail sur les interactions du bore avec des molécules organiques simples et les acides humiques pourront fournir d’utiles pistes pour des travaux futurs.

Références bibliographiques

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