La monoparentalité est aujourd’hui un objet largement commenté et étudié par la communauté des chercheurs au niveau international. Les mères seules sont en effet l’une des catégories de population les plus susceptibles de se retrouver dans une situation de pauvreté et de précarité, peu importe le pays considéré. Plus souvent inactives et au chômage, quand elles ont un emploi, elles sont aussi celles qui sont les plus susceptibles de rencontrer des difficultés sur le marché du travail surtout lorsqu’elles doivent gérer une problématique telle que la garde de leurs enfants. Notre objet de recherche, les mères seules travailleuses pauvres, a nécessité un lourd travail de définition et de cadrage, tout d’abord de la population étudiée mais aussi de la pauvreté, des différentes manières d’appréhender ce phénomène et des catégories d’analyse utilisées. La définition des critères retenus pour caractériser précisément la population des mères seules repose sur des choix statistiques. Mais nous pouvons retenir le fait que les mères seules ont un risque de pauvreté important, peu importe la définition de la pauvreté considérée et les seuils fixés conventionnellement. La pauvreté des mères seules, qu’elles travaillent ou non, s’explique tout d’abord parce que la résidence des enfants est dans la majorité des cas fixée chez la mère. La séparation conjugale étant la raison principale de la monoparentalité, avec la perte d’économies d’échelle liée à la vie en couple, la chute du niveau de vie qu’elles connaissent lorsqu’elles se séparent et le fait d’avoir des enfants dépendants à charge, les mères seules sont plus susceptibles que les hommes de connaître une situation de pauvreté à un moment donné, et, surtout dans les périodes qui suivent la séparation (Bonnet, Garbinti et Solaz, 2016). Elles ont alors besoin d’être soutenues par des revenus d’assistance, ce qui les rend vulnérables, comme les mères seules que nous avons interrogées en entretiens semi‐directifs qui font face à des difficultés de versements et des démarches administratives lourdes et coûteuses en temps.
Incitées au retour à l’emploi lorsqu’elles sont bénéficiaires des minima sociaux, les mères seules sont accompagnées vers l’emploi par des professionnels de l’insertion qui s’attèlent à la lourde tâche qu’est la levée de l’ensemble des freins auxquels font face ces femmes (freins psychologiques, démarches administratives et juridiques etc.). Malgré ces freins, reprendre le travail est bénéfique pour elles, elles sont fières de montrer à leurs enfants et à leur entourage qu’elles sont capables de s’en sortir seules. Plus que de percevoir un salaire, qui est bien entendu bienvenu, le retour à l’emploi leur permet de se (re)socialiser et de sortir parfois des situations d’isolement plus ou moins fortes dans lesquelles elles sont. Nous avons d’ailleurs dans ce mémoire abordé cette problématique de l’isolement, pour justifier l’emploi de la terminologie « mère seule » par rapport à celle de « mère isolée », et avons constaté qu’il existait diverses formes d’isolement que nous essaierons de définir plus précisément dans de futurs travaux.
Les mères seules représentent un travailleur pauvre sur cinq et 35 % des mères seules sont des travailleuses pauvres. En plus d’être défavorisées sur le marché du travail et de l’emploi comme les autres femmes56, les
mères seules sont surreprésentées dans certains emplois particulièrement précaires et rassemblant une majeure partie de travailleurs pauvres. Précaires ces emplois le sont de par les conditions de travail, et notamment un travail à temps partiel omniprésent (surtout pour les mères seules), mais aussi de par les conditions d’emploi avec une surreprésentation de travailleurs à bas salaire dans ces emplois. Les mères seules se retrouvent employées dans des secteurs d’activité fortement féminisés dont les métiers sont considérés comme non qualifiés tels que les métiers de l’aide à la personne (avec 15,6 % de mères seules travailleuses pauvres aides à domicile), du nettoyage, de la grande distribution / libre‐service (caissière de supermarchés), les métiers d’agentes de service ou encore les métiers de l’hôtellerie‐restauration. Les difficultés les plus importantes auxquelles font face les mères seules dans ces emplois sont liées à la temporalité du travail et à leur potentielle moins bonne disponibilité temporelle. Elles ont en effet plus de difficultés que n’importe quelle autre catégorie de population à concilier leur vie familiale avec leur vie professionnelle.
Dans de futurs travaux de recherche, après avoir défini et précisé les catégories d’analyse mobilisées grâce à ce mémoire, nous nous demanderons pourquoi les mères seules connaissent des situations de plus en plus fréquentes de pauvreté laborieuse et notre ambition sera de comprendre pourquoi elles sont surreprésentées dans ces emplois aux conditions de travail difficiles. Nous avons commencé à explorer cette problématique dans le cadre de ce mémoire et de notre enquête de terrain « exploratoire » avec notamment la question de l’orientation possible des mères seules vers ces emplois par les travailleurs sociaux, référents RSA et référents Pôle Emploi principalement. Nous n’avons bien sûr pas pu répondre précisément à cette question, qui nécessite un travail de terrain plus conséquent, mais nous avons par exemple l’envie d’interroger des référents Pôle Emploi et des mères seules diplômées du DEAES à propos de la curieuse orientation des mères seules vers le métier d’AMP.
Nous nous demanderons donc dans une future thèse pourquoi les mères seules sont surreprésentées dans ces emplois mais également comment elles vivent cette situation de pauvreté laborieuse. Notre objectif sera d’analyser les dispositifs de mise en emploi que sous‐tendent les politiques publiques qui subventionnent l’emploi non qualifié et le rapport au travail de ces mères dans ces emplois.
56 Et la rupture conjugale renforce les difficultés qu’elles rencontrent sur le marché du travail parce qu’elles se sont
Nous essaierons dans un premier temps de caractériser la situation spécifique des mères seules travailleuses pauvres. Nous aborderons notamment la pauvreté des mères seules à partir de budgets de référence et du concept de living wage présenté dans le chapitre 2 de ce mémoire. Nous ferons l’hypothèse que ni l’emploi ni le salaire ne permettent de sortir totalement ces femmes de la pauvreté, hypothèse qui a pu être consolidée grâce à ce mémoire et à la définition et au cadrage de la population des travailleurs pauvres. Ensuite, avant de nous intéresser à leur rapport au travail et aux emplois qu’elles occupent, nous ferons l’hypothèse, explorée également ici, que l’orientation des mères seules vers les emplois non qualifiés du secteur tertiaire n’est pas toujours un choix de leur part et qu’elles peuvent y être orientées par les intermédiaires du marché du travail (professionnels de l’insertion comme les référents Pôle Emploi et RSA, les associations et les missions locales) mais aussi à travers les critères de recrutement des employeurs.