1.4.6.3 Tentatives d’optimisation des DEGs dans le cadre de cette thèse
Comme on vient de le présenter dans les deux sous-paragraphes précédents, deux voies
principales et complémentaires apparaissent pour réussir le développement et l’extension
des générateurs à base d’élastomères diélectriques souples :
1. La première voie consiste à se concentrer sur l’élastomère diélectrique. A ce niveau de
préoccupation, les améliorations sur lesquelles nous nous sommes penchées peuvent
se décliner selon deux axes. Le premier axe a consisté à approfondir et étendre les
caractérisations mécaniques et électriques (propriétés diélectriques et rigidité
di-électrique) sur les deux élastomères parmi les plus utilisés pour ces applications (un
élastomère silicone et un polyacrylate). Pour cela, des caractérisations ont été
me-nées sur de larges plages de fréquence et de température pour lesquelles des résultats
parcellaires étaient donnés dans la littérature. Un point particulièrement important
aura consisté à mener l’ensemble de ces caractérisations suivant différentes
élonga-tions du matériau ce qui aura permis de clarifier les résultats dispersés observés dans
la littérature. Ces travaux feront l’objet du chapitre 2 et les résultats obtenus
per-mettront de compléter les modèles thermodynamiques existants soulignant ainsi de
nouvelles limites de fonctionnement des DEGs que nous décrivons dans le chapitre
3 et qui font l’objet du second axe.
2. La seconde voie concerne la question de la dépendance de l’élastomère à une source
externe de polarisation haute-tension et par voie de conséquence le souci de
l’encom-brement de la structure. Ces contraintes constituent une des premières limitations
au développement et à l’intégration de DEGs. Le chapitre 4 aborde en détail les
cir-cuits de puissance et l’électronique de gestion associés au fonctionnement des DEGs
et nous proposons une solution hybride innovante pour remplacer le générateur
haute-tension.
1.5 Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons présenté les différentes classes de polymères électroactifs.
Un intérêt particulier a été porté aux élastomères diélectriques. Un état de l’art complet
a souligné le fort développement d’applications utilisant les élastomères diélectriques en
mode générateur et fonctionnant aux fréquences ambiantes (f <100Hz).
Ces systèmes sont bien adaptés pour des applications en interaction avec l’homme ou
impliquant des fluides. La structure optimale devant être légère, souple et modulable, les
élastomères diélectriques sont un choix naturel pour développer des générateurs
embar-qués sur le corps humain ou immergés dans l’océan. Ces matériaux prometteurs ont attiré
l’attention de plusieurs équipes mais aussi d’industriels dans le monde entier.
L’engoue-ment ne cesse de croître ces dernières années et le nombre de publications sur le sujet est
là pour en témoigner. Toutefois, cette recherche étant encore jeune et datant de moins
de quinze ans, de nombreux verrous scientifiques et technologies sont à dépasser avant
que les DEGs n’envahissent notre quotidien. Rappelons les trois principaux verrous : la
nécessité de grande déformation, la nécessité d’une source de polarisation haute tension
et l’utilisation de matériaux non conventionnels ou mal caractérisés.
Dans le but de lever ces verrous, l’appui d’une modélisation des performances des DEGs à
partir d’un modèle thermodynamique s’impose. Afin de disposer d’un modèle précis et le
plus complet possible, nous avons mis l’accent sur le manque de données expérimentales
concernant la dérive des propriétés mécaniques et diélectriques du comportement des
élastomères. Nous avons aussi montré que l’électronique de puissance et de commande
environnant l’élastomère diélectrique constituait un frein au développement de ces
géné-rateurs souples. Tous ces aspects sont considérés dans la suite de ce travail et les résultats
des chapitres à suivre s’inscrivent dans ce souci d’optimisation du fonctionnement des
DEGs et de leur déploiement pour améliorer notre quotidien.
Points clés
Positionnement
o Plusieurs prototypes de DEG dans la littérature.
o Besoins de modélisations plus précises des DEGs.
o Nécessité d’approfondir les caractérisations mécaniques et diélectriques des
élasto-mères diélectriques.
Chapitre 2
Propriétés mécaniques et diélectriques
des élastomères diélectriques
Le commencement de toutes les
sciences, c’est l’étonnement de
ce que les choses sont ce qu’elles
sont....
(Aristote)
Les performances des DEGs dépendent directement des propriétés mécaniques et
élec-triques des élastomères diélecélec-triques utilisés : silicones, thermodurcissables souples ou
thermoplastiques.
Le but de ce chapitre est de mettre en évidence les propriétés mécaniques et diélectriques
de deux élastomères diélectriques largement utilisés dans des applications de récupération
d’énergie : le VHB 4910 de 3M et le Polypower de Danfoss. Ces propriétés sont étudiées et
analysées en profondeur afin de proposer des explications physiques valables des
phéno-mènes constatés mais aussi des lois de comportement fiables décrivant ces élastomères. Ces
lois de comportements physiques seront alors insérées dans un modèle thermodynamique
des DEGs pour obtenir une prédiction fiable des performances de ces derniers.
2.1 Matériaux étudiés
2.1.1 Élastomères diélectriques
Parmi tous les matériaux diélectriques utilisables pour créer des transducteurs [Carpi 08b,
Jean-Mistral 08a], l’acrylate et le silicone semblent des candidats très intéressants de par
leurs performances spécifiques : grandes déformations, haute densité d’énergie (tableau
2.1.1).
TAB. 2.1.1: Performances des silicones et acrylates [Carpi 08b, Jean-Mistral 08a].
Paramètres Acrylates Silicones Remarques
Déformation relative
maximale (%) 380 120
Densité d’énergie
spécifique maximale
(J.g−1)
3,4 0,75 Densité d’énergie la plus élevée de tous les
matériaux actifs
Fréquence
d’utilisation
maximale (Hz)
>50000 >50000
Mesures réalisées sous faibles déformations.
La fréquence d’utilisation est dépendante de
la déformation et de la taille du système. La
réponse fréquentielle des acrylates est
beaucoup plus faible à cause de la viscosité
(100Hz).
Champ électrique
maximal (M V.m−1) 440 350
Mesures réalisées sur des films uniformes. La
valeur maximale a été obtenue avec un film
en état précontrainte.
Constante
diélectrique relative
(à 1kHz)
4,5−4,8 2,5−3,5 Constante diélectrique chute aux hautes
fréquences.
Facteur de pertes
diélectrique (à 1kHz) 0,005 <0,005
Module de Young
(M P a) 0,1−2 0,1−3
Mesures réalisées à faible déformation. Ces
élastomères développent un comportement
hyperélastique.
Facteur de pertes
mécanique 0,18 0,05
Facteur de pertes de l’acrylate varie
beaucoup en fonction de la déformation et
des paramètres extérieurs.
Rendement global
maximal (%) >80 >80 Rendement de conversion électromécanique.
Température de
fonctionnement (°C) −10 à 90 −100 à 260 A court terme seulement.
Durabilité (cycles) >106 >106
Durabilité dépend de la géométrie de la
structure, de la déformation et de la tension
imposée de fonctionnement.
Déterminer quel élastomère « standard » est le meilleur candidat pour réaliser des
struc-tures de récupération d’énergie, constitue une tâche difficile voire impossible sauf si un
matériau sur mesure est réalisé. En effet, pour une application en mode générateur,
l’éner-gie récupérable dépend de la variation de la capacité et la tension imposée. Or, cette
va-riation de capacité est fonction de la sollicitation imposée (% de déformation) mais aussi
du matériau utilisé (constante diélectrique, facteur de pertes diélectrique et mécanique).
Par exemple, les acrylates possèdent une constante diélectrique, une rigidité diélectrique,
une déformation maximale plus importantes que les silicones, pourtant les silicones
déve-loppent des pertes mécaniques et diélectriques plus faibles. Soulignons que un des intérêts
2.1 Matériaux étudiés
des silicones par rapport aux acrylates est la possibilité de modifier leur matrice, afin
d’obtenir un composite avec le comportement désiré. Le matériau idéal est un
compro-mis entre les différentes valeurs des paramètres du matériau et les pertes tolérées. Bien
maîtriser les propriétés mécaniques et diélectriques des élastomères permet de proposer
des lois fiables, de calculer les énergies théoriques maximales récupérables mais aussi de
donner des pistes pour réaliser de nouveaux composites aux propriétés améliorées.
A travers tous les élastomères diélectriques commerciaux disponibles sur le marché, nous
avons choisi deux matériaux à caractériser en profondeur dans cette thèse :
1. Polyacrylate VHB 4910 de 3M (USA)
2. Silicone PDMS Polypower de Danfoss (Danemark)
Ces matériaux sont disponibles en grandes quantités, à faible coût et possèdent des
pro-priétés intéressantes telles qu’une constante diélectrique et une rigidité diélectrique
re-lativement haute. Ils sont de plus transparents et largement utilisés par la communauté
scientifique depuis les premiers travaux de Pelrine dans les années 2000 [Pelrine 00b]. Le
VHB est disponible sous forme de ruban adhésif double faces de différentes largeurs et
épaisseurs. Le Polypower est disponible sous la forme d’un film mince : épaisseur de l’ordre
de 40µm pour le film sans électrode et 80µm pour le film avec. La surface du film est
on-dulée (serpentins de taille nanométrique) afin d’assurer la déformation de l’électrode en
métal utilisée.
Le tableau 2.1.2 répertorie les élastomères diélectriques étudiés dans cette thèse.
TAB. 2.1.2: Élastomères diélectriques étudiés.
Nom commercial Matrice de base Épaisseur (µm) Notation
Danfoss Polypower Silicone PDMS
(RT 625 - Wacker)
Avec électrode 80 Polypower_M
Sans électrode 40 Polypower
3M VHB 4910 Acrylate 1000 VHB
Pour appuyer nos hypothèses dans les mesures diélectriques, un second silicone est
uti-lisé comme référence : le Sylgard 186 (Dow Corning), bien commenté dans la littérature
scientifique. Ce silicone a été réalisé par spin-coating au laboratoire.
Les propriétés mécaniques et diélectriques combinées à l’effet de la température seront
mises en évidence et nous permettront d’établir des modélisations fines de nos DEGs.
2.1.2 Électrodes utilisées
Les élastomères diélectriques fonctionnent généralement sous de grandes déformations
(>10% voire 100%) alors que les autres polymères électroactifs de type piézoélectriques
fonctionnent sous de faibles déformations (quelques %). A ce titre, les électrodes utilisées
pour réaliser des DEGs doivent être les plus souples possibles afin de suivre correctement
les mouvements du matériau diélectrique sans le contraindre ou réduire son potentiel de
déformation. De plus, les électrodes doivent pouvoir supporter de grandes déformations
tout en gardant une conductivité élevée dans la gamme de fonctionnement. Ces contraintes
assurent le bon fonctionnement du générateur tout en minimisant les pertes d’origine
électrique [Pelrine 98].
Différentes techniques peuvent être mises en place pour réaliser des électrodes souples
[Rosset 12]. Les poudres en graphites ou noir de carbone, les graisses conductrices aux
particules d’argent ou de carbone, ou bien les composites silicone/poudre de carbone
[Huang 02, Lotz 11, O’Brien 07] sont une première catégorie d’électrodes utilisées, et ceci
en raison de leur faible rigidité mécanique et leur capacité à suivre de grandes déformations
sans perdre drastiquement leur conductivité (figure 2.1.1).
FIG. 2.1.1: Électrodes souples réalisées en poudre de carbone (a) , graisse de carbone (b) et
matrice d’élastomère mélangée avec de la poudre de carbone (c) [O’Brien 07].
Une seconde catégorie regroupe les électrodes métalliques qui sont souvent limitées par leur
rigidité beaucoup plus importante que celle du silicone. En effet, les électrodes en métal ne
supportent pas de grandes déformations sans craquer, se fissurer. Malgré cette limitation,
certains groupes de recherche ont proposé et testé l’utilisation de films minces métalliques
comme électrodes souples. Ces méthodes, présentées dans la figure 2.1.2, comprennent
entre autres l’utilisation d’électrodes métalliques à motifs (figure 2.1.2.a), l’utilisation
d’électrodes hors plan déposées lors de la phase étirée du film élastomère (figure 2.1.2.b),
ou l’utilisation de membranes ondulées sur lesquelles un métal est simplement évaporé
(figure 2.1.3.c). Toutes ces méthodes sont basées sur le changement de forme des électrodes
lorsque l’élastomère se déforme.
2.1 Matériaux étudiés
FIG. 2.1.2: Différentes méthodes pour réaliser des électrodes métalliques déformables
[Rosset 12].
En plus des deux catégories d’électrodes souples présentées ci-dessus, certains groupes
de recherche ont continué à développer de nouveaux types d’électrodes déformables pour
les applications EAPs [Niklaus 09]. Ces dernières sont réalisées par implémentation de
nanoparticules métalliques. Les nanoparticules sont créées, accélérées et implémentées
dans les élastomères diélectriques sous l’effet de champ électrique (figure 2.1.3) [Rosset 09].
La structure avec les électrodes réalisées par implémentation de nanoparticules assure une
déformation relative de 100% sans perte de conductivité.
FIG. 2.1.3: Processus d’implémentation de nanoparticules métalliques (a) Composite
si-liconé et particules d’or (b) [Niklaus 09].
Citons aussi l’apparition, pour des applications spécifiques, d’électrodes souples de type
photo-structurables [Urdaneta 07] sensibles à la lumière, ou de type auto-réparatrices
survivant à un certain niveau de claquage électrique local [Michel 12, Yuan 13] ou encore
transparentes [Shian 12] . Toutes ces électrodes ouvrent une nouvelle gamme
d’applica-tions potentielles, telles que les écrans souples avec retour haptique ou l’optique
adapta-tive.
Chacune des électrodes présentées possède des avantages mais également des
inconvé-nients. Dans le cadre de cette thèse, nous ne développons pas de techniques de réalisation
d’électrodes déformables. Nous choisissons des électrodes assurant de très grandes
défor-mations (100%) sans perte importante de conductivité. Pour cela, nous avons choisi des
électrodes en graisses conductrices :
1. Graisse d’argent : CW7100 de CircuitWorks.
2. Graisse de carbone : MG Chemical 846 de MG Chemicals ou Nyogel 756 de Nye
Lubricants.
3. Graisse de carbone préparée au laboratoire : mélange de noir de carbone dans une
matrice de base acrylate.
Ces électrodes nous assurent une faible résistance de surface, et sont très faciles à déposer
par sérigraphie manuelle.
Un autre type d’électrode est également considéré : les électrodes métalliques déposées
par processus PVD (dépôt physique en phase vapeur). Des électrodes en or sont ainsi
déposées sur les matériaux afin d’obtenir les caractéristiques de référence des élastomères
testés. De plus, un des matériaux choisi (le Polypower de Danfoss) possède une version
avec des électrodes en argent (Polypower_M) déjà déposées sur le silicone (RT 625 de
Wacker)
La table 2.1.3 résume les différentes électrodes utilisées dans cette thèse.
TAB. 2.1.3: Électrodes utilisées.
Électrode Matrice
de base
Particules
conductrices
/Métallique Dépôt Fournisseur Notation
Graisse silicone
argent sérigraphie CircuitWorks CW7100
carbone sérigraphie MG Chemicals
/Nye Lubricants MG Chemical
acrylate carbone sérigraphie préparé au laboratoire Carbone_acrylique
Métal - or vaporisation préparé au laboratoire Or
argent vaporisation Danfoss Polypower lettre « _M »
Dans le document
Contribution à la conception de générateurs électroactifs souples
(Page 54-61)