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C. Ressentis en réception : des critiques aux pistes d’amélioration

III. Vers une « dépublicitarisation » du pré-roll ?

1. Concepts originaux

Comprendre comment la publicité est perçue en réception semble indispensable pour les acteurs de la publicité. En effet, cela leur permet d’ajuster constamment ce qui est donné à voir dans l’écosystème médiatique afin de favoriser notamment l’acceptation de la publicité par le public. Que ce soit les médias ou les annonceurs, ils auraient ainsi tout intérêt à adopter des stratégies de communication respectueuses des individus et notamment de leurs habitudes de consommation des supports hébergeant de la publicité. Ainsi, cela permettrait à un média de fidéliser et de grossir son audience et à une marque, de fidéliser et d’acquérir potentiellement de nouveaux clients. De plus, l’efficacité d’une campagne publicitaire tient également à la capacité de l’annonceur d’offrir à la publicité un environnement éditorial de qualité. Il existe ainsi une réelle nécessité d’un travail en collaboration entre la marque et le support d’accueil de la publicité.

Ainsi, dans un espace médiatique saturé par les communications publicitaires, on observe la multiplication des tentatives des annonceurs de sortir du cadre publicitaire et

« proposer des formes de communication dans lesquelles l’objectif d’incitation à l’achat n’est pas exposé, voire n’apparaît plus du tout.116». Conscientes que la publicité ne

bénéficie pas toujours d’un accueil favorable, les marques tendent ainsi à se « déguiser » en média afin de gommer leurs motivations marchandes. Les annonceurs tentent donc d’utiliser d’autres formes sémiotiques afin de se démarquer des figures publicitaires traditionnelles. Ainsi, ils empruntent à la culture, au divertissement ou à l‘information afin de proposer des « expériences » qui se veulent enrichissantes. Au-delà du seul achat d’espace publicitaire, la marque se positionne alors dans une logique imitative qui consiste bel et bien à produire ses propres dispositifs médiatiques et à créer « des modes de présence originaux ou du moins inhabituels et surtout idéalement inévitables.117». En

effet, nous l’avons vu, les consommateurs multiplient les stratégies d’évitement de la publicité ; l’enjeu pour les marques est de promouvoir leurs produits et services en faisant preuve d’inventivité. Il leur faut ainsi trouver un juste milieu entre la visibilité et la discrétion, afin de réduire notamment le caractère intrusif des publicités qui est largement critiqué par les individus et éviter d’être rejetés par ceux-ci.

Cette volonté de réduction de la rupture sémiotique entre le message publicitaire et le support médiatique a été conceptualisée par plusieurs chercheuses. C’est ainsi que Valérie Patrin-Leclère, Caroline de Montety et Karine Berthelot-Guiet ont défini plusieurs notions ayant trait à ce phénomène, afin d’en tracer les contours.

Le premier concept est celui de la « publicitarisation ». Elle est définie comme « l’adaptation de la forme des médias, de leurs contenus, et des pratiques professionnelles dont ils procèdent, à la nécessité d’accueillir la publicité. Cette adaptation consiste en un aménagement destiné à réduire la rupture sémiotique entre contenu éditorial et contenu publicitaire».

Le deuxième est la « dépublicitarisation ». Elle est ainsi représentée par « la tactique des annonceurs qui vise à se démarquer des formes les plus reconnaissables de la publicité pour lui substituer des formes de communication censées être plus discrètes, dégagées des marqueurs de la publicité ». Ce concept ne s’oppose en aucun cas au

116 PATRIN-LECLERE V., 2013, « Un média est-il une marque », Communication (N°32), p. 1 à 22.

117 BERTHELOT-GUIET K., MARTI DE MONTETY C., PATRIN-LECLERE V., 2013, « Entre dépublicitarisation

premier ; bien au contraire puisque lorsqu’un support médiatique se « publicitarise », cela signifie qu’une marque se « dépublicitarise » par la même occasion . De plus, la « dépublicitarisation » aboutirait même à notre troisième concept.

L’ « hyperpublicitarisation » consiste, elle, « en une hypertrophie de la communication publicitaire. » Elle est le résultat des formes « publicitarisées » et « dépublicitarisées » qui amènent à une saturation de l’espace publicitaire dans une « surenchère de la performance » et une recherche de « maximisation de la présence publicitaire ». On assisterait ainsi à « une opération de requalification de tout espace en support et de tout support en média ». La volonté de dissimuler la publicité aboutirait donc à sa suractivation et son omniprésence.

Ces trois concepts ne sont pas à dissocier les uns des autres et sont en mouvance constante. En effet, ils interfèrent entre eux en permanence, amenant ainsi à redéfinir constamment les formes de communication employées par les marques et la façon dont les supports médiatiques tentent de fondre la publicité en leur sein. C’est ce que veulent signifier les chercheuses lorsqu’elles affirment que « ces phénomènes ne nous appartiennent pas et ne sont pas clos », laissant ainsi le champ d’exploration ouvert.

On assiste ainsi à bon nombre de campagnes publicitaires qui cherchent à se « dépublicitariser » pour gagner en crédibilité et en efficacité en évitant le rejet des consommateurs. Les supports médiatiques, quant à eux, tentent d’offrir un « écrin publicitaire » aux annonceurs, afin d’accueillir au mieux la publicité. C’est en tous les cas ce que cherchent à mettre en avant bon nombre de médias lors de leurs discours aux marques, insistant alors sur leur capacité à fondre le discours marchand au sein du support. La « publicitarisation » des médias se traduit de nombreuses manières. Comme le précisent Valérie Patrin-Leclère, Caroline de Montety et Karine Berthelot-Guiet, ce sont « toutes les hybridations qui croisent production éditoriale et production publicitaire : publi-rédactionnel, publi-information, publi-reportage, articles sponsorisés… ». La « dépublicitarisation », quant à elle, se traduit notamment par la création de contenu de marque ou brand content, qui peut prendre diverses formes comme des vidéos, des conseils, des articles pratiques, des forums, des reportages… Il ne promeut pas directement les produits ou services d’un annonceur, mais permet une valeur ajoutée

pour le consommateur, souvent informative ou culturelle. La marque est rattachée à ce contenu mais, par une communication « déviée », accroit sa notoriété et renforce son image. Ce contenu de marque peut être notamment réalisé conjointement avec un support médiatique spécifique lors de la mise en œuvre d’ « opérations spéciales », terme utilisé quotidiennement par les régies publicitaires, qui désigne les services personnalisés permettant de mieux rentabiliser la qualité spécifique de leurs environnements éditoriaux. Elles ont pour objectif de marquer une rupture avec les formats publicitaires classiques et ont une durée bien définie. Elles sont généralement orchestrées main dans la main avec l’annonceur. Hormis la production de contenu de marque, les « opérations spéciales » peuvent aussi donner lieu à des formats publicitaires spécifiques, hébergés au sein du support médiatique. Pour les marques, ces techniques tendent à rendre leurs discours « médiagéniques ». La « médiagénie » est un concept de Philippe Marion, professeur et spécialiste de la narratologie médiatique à l’université catholique de Louvain. Elle consiste ainsi « à évaluer l’adéquation entre un récit et un média »118. Cette

« médiagénie » serait le résultat d’une co-construction entre les éléments narratifs du message publicitaire et les caractéristiques éditoriales du média. Pour Frédéric Aubrun et Thomas Bihay, plus un récit de marque est « médiagénique », plus il s’inscrirait dans un processus de « dépublicitarisation » ; ce ne serait non plus un discours publicitaire, mais un récit médiatique à part entière119.

Au vu de ces apports généraux relatifs à la tentative de certains annonceurs de camoufler leur discours marchand pour mieux se faire accepter des consommateurs, mais également aux médias de dissimuler leur nécessité de bénéficier des revenus publicitaires, nous pouvons ainsi nous demander comment, sur le numérique, et plus spécifiquement au regard du format pré-roll, il est possible d’appliquer ces concepts ?

118 AUBRUN F., 2017, « Publicité et médiagénie au sein du Huffington Post », Ação Midiática, Programa de

Pós-Graduação em Comunicação da Universidade Federal do Paraná, p. 75 à 92.

119 AUBRUN F., BIHAY T., 2015, « Publicité en série : lorsque la marque se raconte sur le web »,