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Concepts « famille » et « ménage » : quelle mesure pour la taille ?

Chapitre 1 : Revue de littérature sur la relation taille de la famille/scolarisation des enfants

1.2. Problèmes contextuels et méthodologiques que soulève l’analyse de la relation taille de

1.2.2. Concepts « famille » et « ménage » : quelle mesure pour la taille ?

Les études sur le lien entre taille de la famille et scolarisation des enfants dans le contexte africain font face à une difficulté majeure liée à la mesure de la taille de la famille. Dans la plupart des études utilisant des données d’enquêtes-ménages, le concept de ménage (ou celui de famille) est rarement défini10, la définition semblant aller de soi (Kobiané 2006; Pilon 2004). Comme le soulignent Randall et al. (2011), il y a une absence presque totale d’attention des chercheurs par rapport aux critères de définition de ces concepts primaires et de leurs implications sur la véracité des informations recueillies ainsi que les interprétations et les utilisations des outcomes à des fins de planification pour le développement: « the literature mapping identified 2,367 articles referring to household data. Of these, 97 per cent used household data with no further explanation or justification of what they meant by the term. Just 61 articles (2.5 per cent) gave a brief explanation of what they meant by household, and the following two examples are typical of these explanations…In only four articles was there a detailed discussion of what was understood by the term household and of the implications of this definition for the results and for whom it might include and exclude » (Randall et al. 2011 :225). Pourtant, il existe diverses influences culturelles sur le concept de « ménage », chacune d’elles opérant à différents stades dans le processus de collecte, d'analyse et

10 Voir Pilon (2004 :308-310) pour les différentes définitions des concepts ménage et famille dans le contexte des

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d’utilisation des données. Ce faisant, le vocabulaire utilisé pour collecter les données est susceptible d’engendrer des écarts importants par rapport aux réalités locales et, partant, des données erronées ou trompeuses11.

Une des implications directes de la définition du concept de « ménage » (ou celui de famille) est la détermination de sa taille. En effet, la taille de la famille est un concept dont le contenu va de soi pour des familles nucléaires. Toutefois, elle est ambiguë dans des contextes où les familles sont étendues et la polygamie courante (Lloyd & Gage-Brandon 1994) comme c’est le cas pour la plupart des pays d’Afrique subsaharienne. Dans les contextes de familles étendues, l’ampleur de la dilution des ressources du ménage allouées à la scolarisation est affectée par la circulation des enfants, et les coûts consacrés aux propres enfants (biologiques) du ménage sont susceptibles de différer de ceux consacrés aux enfants confiés dans le ménage. Par exemple, l'importance du nombre d'enfants résidant dans un ménage est susceptible d'être surestimé dans le cas où les enfants confiés sont accueillis comme appoint en main-d’œuvre et dans le cas où ils vont à l'école avec le soutien financier de leur famille d'origine. A l'inverse, la dilution des ressources du ménage risque d'être sous-estimée dans le cas où les enfants du chef de ménage vivant ailleurs ne sont pas inclus dans le budget scolaire du ménage, puisque ces derniers peuvent toujours continuer à recevoir un appui financier ou autres formes de soutien (vivres, fournitures scolaires, uniformes...) de leurs parents biologiques. Il y a aussi le cas des enfants décédés, qui, d’une manière ou d’une autre, ont rivalisé à un moment donné avec les enfants survivants au moment de l’enquête sur les ressources familiales12.

Avec une telle configuration de la dilution des ressources familiales dans le contexte africain, il n'est pas surprenant que les études antérieures aient trouvé des relations mitigées ou ambiguës entre le nombre d'enfants vivant dans le ménage et leur niveau de scolarité. Cela est d’autant vraisemblable car les sources de données classiques (recensements et enquêtes transversales telles que l’Enquête démographique et de santé) dont l’unité d’observation est le ménage ignorent généralement les enfants du chef de ménage vivant ailleurs, tout comme les raisons de la présence d’autres personnes dans le ménage. Ces sources d’informations que la plupart des études existantes ont utilisées pour évaluer la relation entre la fécondité et la

11Voir Randall et al. (2011) pour une illustration parfaite de ces questions à travers un exemple sur la Tanzanie,

pays dont les réalités en la matière s’apparentent aux autres pays africains.

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scolarisation en Afrique subsaharienne occultent ainsi les stratégies ou ajustements que les parents adoptent souvent pour répondre aux contraintes budgétaires et à la composition de leur ménage, ce qui constitue un biais méthodologique important.

La polygamie complique également la mesure de la contrainte budgétaire du ménage, de sa composition et des décisions de scolarisation des enfants. En effet, si en milieu rural africain, la polygamie avec co-résidence des coépouses est toujours la forme la plus dominante, dans les villes africaines par contre, c’est la polygamie sans co-résidence (chaque femme ayant une habitation séparée) qui est assez fréquente (Lardoux 2010; Locoh & Mouvagha-Sow 2005; Thiriat 1999). Cela signifie que, dans les décisions relatives aux ressources des ménages, les enfants et les gains des coépouses résidant ailleurs sont souvent négligées par les études. En outre, les relations sociales entre les coépouses, qui prennent souvent en compte l'accès au pouvoir et aux ressources, sont des facteurs qui influent également sur les décisions de fécondité (Lardoux 2010). Il convient de souligner cependant que la polygamie semble être en forte baisse dans les villes africaines en raison des difficultés à soutenir deux ou plusieurs familles en ville et de l’augmentation des aspirations des épouses à l'égard de l'éducation et de la santé des enfants (Locoh & Mouvagha-Sow 2005). A Ouagadougou, par exemple, le taux de polygamie pour les femmes est passé de 26,4% à 15,6% entre 1993 et 2010, et il a été estimé à 6,3% seulement pour les hommes en 2010 (INSD & Macro International Inc 1994, 2012).