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Chapitre 1 : Revue de littérature sur la relation taille de la famille/scolarisation des enfants

1.3. Approches théoriques pour résoudre le problème d’endogénéité entre taille de la famille

1.3.2. Approche quasi-expérimentale

Les méthodes quasi-expérimentales, encore appelées expériences naturelles, empruntent largement le principe des méthodes expérimentales, la seule différence est qu’il faut trouver un bon instrument qui va jouer le rôle d’un traitement randomisé, c'est-à-dire la variable T dans la figure 1.2. C’est là que découlent les principales limites des études qui en ont eu recours pour estimer l’impact de la baisse de la fécondité sur la scolarisation des enfants. A défaut d’une expérimentation, l’utilisation d’un instrument dans le domaine de la fécondité est soutenue par l’idée qu’une expérience naturelle vécue par une femme est susceptible de générer une variation aléatoire du calendrier et/ou du niveau de sa fécondité ; une variation exogène pouvant être utilisée pour estimer un effet consistent de la fécondité sur un outcome donné (Cameron & Trivedi 2005; Stock & Watson 2007, 2011). Basé sur ce principe, plusieurs instruments ont été utilisés dans la littérature pour estimer un effet causal de la taille de la famille sur la scolarisation des enfants (les jumeaux, la composition par sexe, les fausses couches).

Les jumeaux: Un certain nombre de travaux récents aux Etats-Unis (Caceres 2004), en Israël (Angrist et al. 2005), en Norvège (Black et al. 2005) et en Chine (Li et al. 2008; Qian 2006; Rosenzweig & Zhang 2009), prenant avantage de données de recensements ou d’enquêtes transversales sur les naissances gémellaires, ont utilisé les jumeaux comme une « expérimentation naturelle » afin d’évaluer l’impact d’un accroissement non planifié et, donc, exogène de la taille de la famille sur la scolarisation des enfants. La principale limite de cette démarche est que toutes les variables associées à l’incidence des naissances gémellaires sont rarement prises en compte, notamment le faible poids à la naissance des jumeaux et, par conséquent, un mauvais état de santé plus tard dans la vie comparativement aux naissances uniques, sans oublier un possible effet compensateur de la fécondité des mères de jumeaux

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(Rosenzweig & Zhang 2009). Une autre limite de ces approches est que les naissances gémellaires sont un événement rare difficile à saisir dans les enquêtes classiques (Maralani 2008; Schultz 2007). Enfin, dans plusieurs sociétés africaines dont le Burkina Faso, les jumeaux ont un statut particulier, et il existe plusieurs représentations sociales et mystiques les concernant (Pageard 1969; Pison 1989; Schwartz 1974). En définitive, étant donné que les naissances gémellaires représentent plus qu’un accroissement non attendu de la taille de la famille et que leur présence pourrait influencer les comportements familiaux de diverses manières, les jumeaux ne sont donc pas une variable instrumentale valide pour l’étude de la relation entre la taille de la famille et la scolarisation des enfants dans le contexte africain.

La composition par sexe : Comme alternative aux jumeaux, certains chercheurs ont eu recours à la composition par sexe de la fratrie comme source de variation exogène du changement de la taille de la famille pouvant expliquer la scolarisation des enfants (États- Unis : Conley & Glauber 2006; Corée du sud: Lee 2004; Inde : Jensen 2005; Kumar & Kugler 2011; Colombie : Baez 2008). La composition par sexe de la fratrie peut représenter un traitement randomisé, mais ses effets sur la fécondité sont très probablement fonction des pratiques en matière de nuptialité et des inégalités de genre dans chaque société. Tout particulièrement, le pouvoir prédictif de ces variables sur la fécondité s’est révélé très important parmi les parents qui avaient une forte préférence pour un sexe donné (Schultz 2007). La composition par sexe aurait également un effet direct sur la scolarisation des enfants, sans oublier le fait que son usage entraine systématiquement l’exclusion des familles de petite taille (Åslund & Grönqvist 2010; Dayioglu et al. 2009; Schultz 2007). Par exemple, l’utilisation de la composition par sexe des deux premiers enfants exclut les enfants uniques, celle des trois premiers enfants exclut les familles avec deux enfants, etc.

Les fausses couches: Quelques rares études ont eu recours aux fausses couches déclarées par les femmes pour instrumenter des changements exogènes de fécondité qui soient indépendants des préférences en matière de fécondité des familles (États-Unis : Hotz et al. 1977, 2005; Indonésie : Maralani 2008). Bien que les informations sur les fausses couches soient disponibles dans la plupart des enquêtes démographiques dans les pays en développement, les déclarations sur les fausses couches sont parmi les variables le plus sujettes à l’effet de mémoire. Par ailleurs, l’exposition au risque de fausse couche croît avec le

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nombre d’enfants. Finalement, les femmes qui font l’expérience d’une fausse couche seraient aussi celles qui tentent de compenser cette perte de fécondité en s’attachant plus aux enfants qu’elles auront eus comparativement aux femmes qui n’auraient jamais connu de fausses couches.

Autres variables : D’autres études très récentes ont utilisé la relaxation de la politique de l’enfant unique en Chine (Qian 2009), l’interdiction de la contraception en milieu urbain aux Philippines (Dumas & Lefranc 2013) et la distance du ménage à un centre de planification familiale en milieu rural au Vietnam (Dang & Rogers 2013) pour instrumenter la taille de la famille. Mais, ces approches sont très contextualisées et ne peuvent pas être systématiquement répliquées d’un contexte à un autre.

Pour toutes ces raisons, dans cette recherche doctorale, nous utilisons un nouvel instrument, la sous-fécondité des femmes, pour estimer l’effet causal du nombre d’enfants sur leur scolarisation. La sous-fécondité a déjà été utilisée par Knodel et al. (1990) comme une variable de confusion dans une étude portant sur un sujet semblable. Un problème lié à l’utilisation de la sous-fécondité comme instrument est que cette sous-fécondité pourrait être liée au statut général de santé de la femme ou de son mari et, par conséquent, il faudra s’assurer que leur état de santé déclaré ne diffère pas de celui des autres conjoints ne connaissant pas d’infécondité. La justification du choix de la sous-fécondité pour instrumenter la taille de la famille est présentée en détails dans le chapitre 5 qui est consacré à l’évaluation de la relation causale entre le nombre d’enfants et leur niveau de scolarisation.

En somme, cet essai de synthèse de la littérature montre qu’au-delà des résultats mitigés que l’on peut observer, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement, l’analyse de la relation entre la taille de la famille et la scolarisation des enfants soulève deux grandes catégories de préoccupations scientifiques: l’une d’ordre contextuel liée à la spécificité de la réalité sociale de chaque région du monde, et l’autre méthodologique liée à la difficulté d’établir des liens de causalité entre décisions en matière de fécondité et de scolarisation des enfants.

CADRE THÉORIQUE GÉNÉRAL

ET SOURCES DE DONNÉES

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