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Une conception trop uniformisée des symptômes requis pour l’accès à de l’aide

Chapitre 5. Discussion

5.2 Éléments influents quant au maintien d’une problématique liée à l’image

5.2.1 Une conception trop uniformisée des symptômes requis pour l’accès à de l’aide

Certaines participantes, au moment de demander de l’aide à des professionnels de la santé, se sont heurtées à une incompréhension ou à une non reconnaissance de leur souffrance subjective. Rappelons que, dans la littérature, certaines recherches ont mis en relief les aprioris défavorables que certains professionnels ont à l’égard de personnes souffrant d’un trouble de la conduite alimentaire (Album et Westin, 2008; Boursnell, 2007; Currinet al., 2009; Evans et al., 2011). Concrètement, plusieurs participantes mentionnent avoir senti qu’elles ne pouvaient pas obtenir de services en milieu hospitalier (suivi psychiatrique ou hospitalisation), malgré que ceux-ci furent demandés par elles-mêmes ou leur médecin de famille, du fait qu’elles n’étaient « pas assez malade[s] (F10) », que « la maladie mentale n’était pas considérée dans les hôpitaux (F5) », qu’elles « devaient se prendre en main (F5) » ou qu’elles « n’étaient pas [leur poids] un danger pour elles-mêmes (F1) ». Ces participantes exprimaient une souffrance marquée et avaient recours à des comportements nuisibles pour leur santé (vomissements fréquents, accès hyperphagiques, utilisation de laxatifs, etc.), sans correspondre aux critères de l’anorexie. S’alignant aux constats de Rance et collaborateurs (2015), il semblerait que l’homogénéité des soins hospitaliers psychiatriques fasse en sorte que certaines participantes ne purent pas recevoir de soins puisque leurs symptômes, notamment leur poids, ne correspondaient pas à tous les critères diagnostics d’un trouble de la conduite alimentaire médicalement prioritaire. Bien que les participantes déplorent ces

critères, celles-ci n’ont pas mentionné avoir volontairement maintenu un faible poids pour accéder ou conserver un accès à services, comme les résultats des certaines études le soulignaient (Fox et Diab, 2016 ; Rance et al., 2016).

La dimension organisationnelle (Yuval-Davis, 2006) de notre modèle analytique lié au féminisme intersectionnel permet de faire sens des éléments à l’œuvre dans la production d’inégalités quant aux critères d’accès aux soins. D’abord, l’économie capitaliste dans laquelle nous évoluons motive les décideurs à induire des solutions misant sur l’efficience du réseau de la santé et des services sociaux (Lavoie, 2014). En ce sens, l’État occupe un rôle majeur quant à l’implantation de tels critères restrictifs, puisqu’il institue et inculque des formes de pensées communes, soutenant le caractère normalisateur de la structure organisationnelle des sociétés occidentales modernes (Godin, 2016). Or, par l’entremise de ces multiples changements au nom de la santé publique et de l’économie, les pratiques dans le domaine de la santé mentale sont actualisées selon les dernières données probantes, les nouvelles approches, les plus récents tests standardisés et la plus récente version du DSM (Lavoie, 2014). Ces outils actuels permettent de délimiter un seuil relatif, au-delà duquel l’individu est jugé dysfonctionnel ou malade mental, auquel on joindra un traitement prédéfini si cela est jugé nécessaire (Lavoie, 2014). En d’autres termes, ces outils, dont le DSM, offrent une catégorisation fixe qui permet de classer en taxonomie les travers de l’affect et ses manifestations comportementales, afin de juger qui nécessite des services ou non (Godin, 2016). En ce sens, on remarque donc une tendance à simplifier les approches, critères d’accès aux services, les cibles et les moyens thérapeutiques dans les pratiques en santé mentale, de sorte à diminuer la symptomatologie dans les plus brefs délais, par souci d’efficience et de rendement (Poirel et Corin, 2011). Ainsi, le domaine médical tend à classifier et réduire à l’objectivation, l’ensemble des problématiques et souffrances exprimées (Blais, 2006). Tel que le souligne Larose-Hébert (2016, p.2), « l’approche biomédicale [...], privilégie ce qui est mesurable, faisant en sorte que la subjectivité de celui sur qui l’attention experte se livre, difficilement quantifiable, est instrumentalisée afin d’être associée à une analyse symptomatologique fortement idéologisée ». Comme en témoigne le discours des participantes s’étant fait refuser l’accès aux soins, cette approche au traitement

peut difficilement rendre compte de la complexité des souffrances en santé mentale et semble peu s’allier aux besoins particuliers des usagers (Lavoie 2014; Poirel et Colin, 2011). Cette priorisation du savoir psychiatrique, au détriment du savoir expérientiel, rend invisible le vécu et la perception propres aux personnes souffrantes (Blais, 2006; Poirel et Corin, 2011).

En lien avec ce qui précède, selon la dimension expérientielle de notre modèle d’analyse, soit la dimension qui renvoie aux rapports de pouvoir qui prennent forme par l’entremise d’interactions interpersonnelles dans un contexte informel ou dans le cadre de démarches auprès d’organisations ou d’institutions (Flynn, 2014), les interactions interpersonnelles dont ont fait l’expérience les participantes de l’étude témoignent d’inégalités (Yuval-Davis, 2006). L’interprétation des résultats permet de déceler une certaine hiérarchisation des souffrances (Album et Westin, 2008); faisant de certaines d’entre elles, des souffrances légitimes nécessitant l’attention des professionnels et des soins spécialisés, alors que d’autres se voient reléguer au plan de la responsabilité individuelle à laquelle on semble octroyer une importance moindre : « l’anorexique, elle se rend à un stade tellement dangereux pour elle-même qu’il faut qu’elle soit sur soluté... mais l’obèse morbide ne sera pas hospitalisé, il a juste à se prendre en main (F10) », ce qui s’aligne aux résultats d’études (Crisp, 2005; Crisp et al., 2000; Roehrig et McLean, 2009; Stewart et al., 2008; Stewart et al, 2006).

En somme, l’imbrication de la souffrance en soi et la non-reconnaissance de celle-ci, occasionnent une importante invalidation quant à leur vécu. Or, compte tenu de la divulgation du savoir médical hors des institutions par le biais de multiples agents externes, certaines participantes semblent avoir intégré au fil du temps, parfois même inconsciemment, des limites et conceptions fortement suggérées et façonnées par la sphère médicale et ses agents externes (Larose-Hébert, 2016). En effet, la non reconnaissance de leur souffrance les força à faire sens de leur vécu avec ceux qui les entourent. Se butant à un contexte social favorisant la performance et érigeant la santé comme un idéal à atteindre (Lavoie, 2014), certaines participantes mentionnèrent qu’il allait peut-être de soi de vouloir éviter l’obésité et de vouloir perdre du poids, et ce, malgré la souffrance qui en découle. Notamment, en ne cadrant

pas dans les critères d’un trouble alimentaire, certaines participantes se sont résignées, à un certain moment, à croire qu’il peut être « normal » de s’adonner à de tels comportements (exercice physique, quête de minceur, jeûne, etc.). En tant que femmes, oscillant ainsi entre le désir de se conformer, la souffrance ressentie en le faisant et la non reconnaissance sur le plan médical, certaines participantes évitèrent de consulter à nouveau, maintenant et consolidant leur PICA.

5.2.2 Accessibilité à des services adaptés : présence d’inégalités