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Corps, société et souffrances : regards subjectifs

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Academic year: 2021

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Corps, société et souffrances: regards subjectifs

Mémoire

Joannie Lebrun

Maîtrise en service social - avec mémoire

Maître en service social (M. Serv. soc.)

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Corps, société et souffrances : regards subjectifs

Mémoire

Joannie Lebrun

Sous la direction de :

Geneviève Lessard, directrice de recherche Katharine Larose-Hébert, codirectrice de recherche

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Résumé

Ce mémoire porte sur les problématiques liées à l’alimentation et à l’image corporelle. Bien que la littérature à l’intention de ces problématiques soit riche et diversifiée, il semble que peu de recherches se soient intéressées au regard subjectif de personne qui en ont souffert; quel sens accordent-elles à ces souffrances, comment celles-ci sont apparues, comment elles sont parvenues à un mieux-être à la suite de ces souffrances et comment elles décrivent ce mieux-être? Ainsi, cette recherche qualitative exploratoire accorde une importance à ces questionnements. Pour ce faire, dix femmes ayant souffert d’une problématique en lien avec l’image corporelle et l’alimentation ont participé à un entretien individuel semi-dirigé. En ce qui concerne l’apparition des premières souffrances liées à l’image corporelle et l’alimentation chez les participantes, l’analyse des résultats permit la révélation d’un thème central dans le discours des participantes : le malaise ressenti face à leur corps. Celui-ci est d’ailleurs à la source des premiers efforts pour perdre du poids chez les participantes. Ce faisant, la plupart d’entre elles expliquent que la dénonciation des structures sociales qui sont à la source d’une vision négative de leur corps, pourrait permettre des luttes collectives et des changements sociaux qui favoriseraient l’inclusion des différents types de corps; et par le fait même, la diminution des souffrances qui découlent de l’étroitesse des corps jugés acceptables.

Mots-clés : troubles de la conduite alimentaire, problématique en lien avec l’image corporelle, rétablissement, définition subjective du mieux-être, féminisme intersectionnel.

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Abstract

Despite the increasing body of research on eating disorders and body related issues, there has been surprisingly little focus on the meaning that individuals who suffer from these disorders make of their struggles. Thus, many questions such as how such difficulties arise; how various women manage to achieve a superior level of well-being subsequently and how they describe this well-being remain unaddressed. To address these shortcomings, this study used a qualitative methodology to investigate women’s subjective experience of body image related issues and eating disorders. Ten women who have suffered from an eating disorder or body related issues underwent a semi-structured individual interview. The qualitative analysis of the interviews revealed that discomfort towards one’s body was a central theme that emerged from participants discourse. In many cases, this discomfort led the women to make efforts to lose weight. Many women claim that denouncing the social structures that encourage negative body images could lead to collective and social changes which would promote the inclusion of various body types et thus decrease the level of suffering that stems from the narrow range of bodies that are judged acceptable.

Keywords: eating disorders, body related issues, recovery, subjective definition of wellness, intersectional feminism.

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Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iii

Liste des figures ... vii

Liste des tableaux ... vii

Liste des abréviations, sigles, acronymes ... viii

Remerciements ... x

Introduction ... 1

Chapitre 1. Problématique ... 3

1.1 Démarche de recherche bibliographique ... 4

1.2 Définition des concepts à l’étude ... 4

1.3 État des connaissances sur l’ampleur des troubles de la conduite alimentaire ... 7

1.3.1 Prévalence des troubles alimentaires. ... 8

1.3.2 Ampleur des conséquences. ... 8

1.3.3 Définition et classification des troubles mentaux : Le défi du diagnostic. ... 9

1.4 Éléments influents dans l’apparition des troubles de la conduite alimentaires ... 12

1.4.1 Facteurs prédisposants. ... 13

1.4.2 Facteurs précipitants et perpétuants. ... 13

1.4.3 Un problème de santé individuel ou un problème social d’intérêt multidisciplinaire?14 1.5 Éléments au cœur des troubles de la conduite alimentaire ... 15

1.5.1 Alimentation. ... 15

1.5.2 Rapport aux corps. ... 17

1.6 Approches au traitement. ... 24

1.6.1 Approche de traitement traditionnel : survol des connaissances. ... 24

1.6.2 Limites des approches traditionnelles au traitement. ... 25

1.6.3 Approches alternatives ou complémentaires. ... 27

1.7 Conclusion ... 28

1.7.1 Forces et limites des recherches recensées. ... 29

1.7.2 Pertinence du présent projet (objet d’étude et objectifs). ... 30

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2.1 Contexte d’émergence et auteures-clés ... 34

2.2 Postulats et modèle d’analyse ... 35

2.2.1 Entrecroisement des systèmes d’oppression. ... 36

2.2.2 Importance de l’agentivité des actrices. ... 36

2.2.3 Modèle d’analyse retenu. ... 37

2.3 Concepts (dimensions) ... 38

2.3.1 Dimension organisationnelle ... 38

2.3.2 Dimension expérientielle. ... 38

2.3.3 Dimension représentationnelle. ... 39

2.3.4 Dimension intersubjective. ... 39

2.3.5 Tableau d’opérationnalisation des concepts. ... 40

Chapitre 3. Méthodologie ... 43

3.1 Approche et type d’étude ... 43

3.2 Population cible, stratégie d’échantillonnage et échantillon. ... 43

3.2.1 Recrutement des participantes. ... 44

3.2.2 Profil des participantes. ... 45

3.3 Méthodes de collecte des données. ... 45

3.3.1 Déroulement des entretiens. ... 47

3.3.2 Schéma d’entretien. ... 48

3.4 Méthodes d’analyse des données ... 51

Chapitre 4. Résultats ... 53

4.1 Sens des souffrances ... 53

4.1.1 Malaise initial face à son corps. ... 53

4.1.2 Premières modifications alimentaires. ... 55

4.1.3 Gains secondaires versus première forme de souffrance. ... 56

4.1.4 Problématique en lien avec l’image corporelle et l’alimentation. ... 59

Figure 1 ... 61

4.2 Éléments influents ... 61

4.3 Mieux-être ... 68

4.4 Recommandations des participantes ... 70

4.4.1 Prévention. ... 70

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4.5 Conclusion ... 73

Chapitre 5. Discussion ... 74

5.1 Résumé des résultats quant à l’apparition d’une problématique liée à l’image corporelle et l’alimentation : convergence avec les écrits scientifiques ... 74

5.2 Éléments influents quant au maintien d’une problématique liée à l’image corporelle et l’alimentation : analyse selon notre cadre théorique ... 76

5.2.1 Une conception trop uniformisée des symptômes requis pour l’accès à de l’aide spécialisée ? ... 76

5.2.2 Accessibilité à des services adaptés : présence d’inégalités organisationnelles ? ... 79

5.3 Comment déconstruire les stéréotypes à la source de la conception des gains secondaires selon les participantes ? ... 81

5.3.1 Vision intersectionnelle des gains secondaires. ... 81

5.3.2 Déconstruire et dénoncer les oppressions ... 83

5.4 Viser le mieux-être par des stratégies de conscientisation? ... 84

5.4.1 Devrait-on remplacer le concept de rétablissement par celui du mieux-être ? ... 86

5.5 Forces et limites de la recherche ... 87

Conclusion ... 89

Références ... 93

Annexe A. Annonce de recrutement ... 103

Annexe B. Grille d’entrevue ... 104

Annexe C. Formulaire de consentement ... 109

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Liste des figures

Figure 1. Processus menant à une problématique liée à l’image corporelle et l’alimentation selon les participantes ...61

Liste des tableaux

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Liste des abréviations, sigles, acronymes

APA : American Psychiatric Association

CÉRUL : Comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval DSM : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux IMC : Indice de masse corporelle

OMS : Organisation mondiale de la santé

PICA : Problématiques en lien avec l’image corporelle et l’alimentation PITCA : Programme d’intervention des troubles de la conduite alimentaire PTA : Programme des troubles de l’alimentation

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Je sais que tu serais extrêmement fière Je t’adore, mon trésor, en or

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Remerciements

Maman (Marlyne-mom Lebrun), toi qui me disais que « les gens sont comme ils sont pour une raison », est à la source de la personne que je suis et de mon choix de carrière. Tu m’as appris à voir les gens avec un regard empathique et compréhensif. Tu m’as toujours soutenu dans tous mes projets (même ceux un peu fous) et ces simples lignes sont évidemment insuffisantes pour t’exprimer ma gratitude. Merci aussi à Rock pour ta fierté qui me fait toujours chaud au cœur. Mamie (Hélène Turbis), tu es également toujours derrière moi dans mes projets. Je suis un peu gênée d’admettre que la rédaction de ce mémoire aurait probablement été impossible sans ton support grammatical (lire ici : la correction de plusieurs paragraphes). Et toi, ti-babe (James Beaulieu), s’il y a une personne qui a vécu ce projet à mes côtés, c’est bien toi. Beaucoup de sacrifices mutuels m’ont permis de réaliser ce projet et je t’en serai reconnaissante pour toujours. Tes encouragements, ton support moral (ô combien nécessaire) et surtout ton amour, m’ont encouragée à persister. Je remercie aussi tous mes proches qui ont entendu trop de fois « désolée, je ne peux pas, je dois travailler sur mon mémoire ». Quelques lignes également pour toi Shlaine (Ghislaine Turbis) qui n’a pu être témoin de cette réalisation. Tout ce que je faisais te paraissait exceptionnel, probablement que ce projet n’aurait pas fait exception.

Je tiens à remercier les femmes qui ont participé à ce projet. Elles se sont généreusement prêtées à l’exercice, sans quoi, ce projet n’aurait pas eu lieu.

Je tiens à remercier deux professeures avec qui j’ai eu la chance de travailler. D’abord, merci Katharine Larose-Hébert d’avoir cru en mon projet et de m’avoir amenée à découvrir ma teinte d’étudiante-chercheure. Enfin, merci à Geneviève Lessard d’avoir également cru en mon projet et de m’avoir permis de le conclure. Vos conseils et votre encadrement furent énormément appréciés! Peut-être aurai-je la chance de retravailler avec vous un jour !

Je remercie également le Fonds Micheline-Massé d’avoir facilité mon implication dans mes études.

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Introduction

L’idéalisation de la minceur et la tendance à la performance, induites notamment par l’apparition du capitalisme et des avancées médicales, sont désormais à la source des standards de la normativité contemporaine en matière de corps et d’alimentation (Godin, 2016). De fait, ces standards influencent l’évaluation subjective de différents types de corps (Vinette, 2001), à un point tel que les femmes dont le corps y correspond sont pourvues d’avantages considérables pour assurer leur ascension sociale (Askevis-Leherpeux et Schiaratura, 2009 ; Brewis, 2014 ; Shentow-Bewsh, Keating et Mills, 2016; Vinette, 2001). En ce sens, les efforts liés à la maximisation de la forme physique ne sont plus tant liés au souci de préserver une bonne santé, mais plutôt la manifestation d’un besoin de présenter à autrui un physique conforme aux standards valorisés (Vinette, 2001). Bien que ce phénomène soit répandu au sein de la population, il semble possible de croire qu’il l’est davantage chez les femmes (Godin, 2016 ; Vinette, 2001). Or, en tentant incessamment d’adhérer à ce modèle normatif de santé et de beauté, certaines femmes assujettissent leur définition du « soi » au gré des besoins et des désirs d’agents externes (Orbach, 1986, citée dans Godin, 2014). Par ailleurs, certaines d’entre elles, se voyant incapables d'atteindre lesdits standards élevés, peuvent développer des symptômes physiques, mentaux ou comportementaux (Lavoie, 2014). Notamment, certaines femmes peuvent tenter d’amoindrir la souffrance engendrée par leur vision négative d’elles-mêmes, par l’entremise de multiples conduites potentiellement dangereuses pour leur santé (Godin, 2014; Riley, Burns, Frith, Wiggins et Markula, 2008 ; Vinette, 2001). Les principales problématiques s’y rattachant, qui représentent en fait le thème de la présente recherche, sont les troubles de la conduite alimentaire : l’anorexie mentale, la boulimie, l’hyperphagie boulimique et les autres troubles de la conduite alimentaire.

La documentation à l’égard de ces troubles est riche et diversifiée. Ce faisant, plusieurs hypothèses explicatives furent énoncées desquelles ont découlé des stratégies d’intervention multiples et fort différenciées (Onnis, 2013). Mais peu de consensus existe à ce jour quant aux meilleures pratiques à adopter. Or, la croissance et la gravité de ces

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problématiques, plus particulièrement chez les femmes, témoignent d’importantes lacunes au sein des modes d’intervention et de prévention actuels (McVey, 2012). Ainsi, les particularités de l’environnement social qui influencent la venue et le maintien de ces troubles, ainsi que la manière d’intervenir auprès des populations affligées par ces souffrances, sont à la source du questionnement ayant mené à la réalisation de cette recherche.

En fait, puisqu’il est possible de croire que des comportements alimentaires jugés sains et acceptables influencent l’organisation d’une société et les êtres qui la composent au point d’engendrer, pour certaines, des souffrances considérables (Godin, 2016), soit les troubles de la conduite alimentaire, l’objectif de la recherche est de mieux comprendre cette « réalité » dite actuelle par l’entremise du regard subjectif de femmes en ayant souffert (Muchielli, 2005). Ainsi, il sera question de recueillir leur conception de ces souffrances; les éléments ayant influencé leur apparition et leur maintien, mais aussi ce qui leur a permis d’aller au-delà de celles-ci. En cohérence avec la posture et les objectifs de cette étude, le texte sera écrit davantage au féminin et les études recensées porteront également sur des phonèmes et thèmes qui touchent la gent féminine.

Ce mémoire comprend cinq chapitres. D’abord, l’état des connaissances ainsi que la problématique ayant mené à l’identification de la question de recherche seront exposés. À la suite de cela, le cadre épistémologique et conceptuel privilégié dans cette recherche sera présenté, au regard des objectifs de la présente étude. Par la suite, la méthodologie sera présentée, suivie de la présentation des résultats. Enfin, la discussion des résultats sera présentée.

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Chapitre 1. Problématique

Les recherches sur les troubles de la conduite alimentaire sont nombreuses. Devant leur abondance et leur disparité au sein des différentes bases de données consultées il était impossible de présenter une recension exhaustive de ces écrits. Par ailleurs, dans la littérature, le problème que représentent les troubles de la conduite alimentaire est généralement abordé et présenté, par l’entremise de plusieurs points de vue ; soit des études explicatives, descriptives et compréhensives (Godin, 2016). Sommairement, les études explicatives sont généralement mises à profit pour des thèmes connus et documentés, pour lesquels on désire enrichir l’explication et tester les lois générales et les théories existantes. Dans ce type d’étude, il est aussi possible de cibler pourquoi une des explications ou théories déjà existantes semble la plus valable sur le plan scientifique, dans une visée de généralisation des résultats (Trudel, Simard et Vonarx, 2007). Les études descriptives, quant à elles, sont principalement utiles quand il est question de phénomènes connus, mais que l’on désire décrire plus en profondeur et de manière plus précise. C’est dans le cadre de ces recherches que les théories et données existantes tendent à être réfutées ou remises en question (Mayer et Ouellet, 2000). De leur côté, les études compréhensives renvoient à une saisie des évènements, des comportements et du sens des expériences, par l’entremise de la singularité et de la subjectivité (Guba et Lincoln, 1994). Or, la présentation de ce chapitre tend, dans une certaine mesure, à brosser un portrait de ces différents écrits tout en rendant compte de ces points de vue.

Plus spécifiquement, la problématique se divise en plusieurs sections et sous-sections. La démarche bibliographique est présentée au tout début. Par la suite sont présentés lesdits troubles de la conduite alimentaire. Pour ce faire, les principaux troubles de la conduite alimentaire seront définis, ainsi que l’ampleur de ceux-ci. Ensuite, les différents écrits portant sur les éléments influents dans l’apparition et le maintien d’un trouble de la conduite alimentaire (facteurs prédisposants, facteurs perpétuants et facteurs précipitants) seront présentés. La présente recension comprend aussi certains éléments spécifiques, au cœur des troubles de la conduite alimentaire : l’alimentation, le rapport au corps et les principaux

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traitements existants. Le chapitre se termine par une discussion des forces et des limites des études recensées et par la présentation de l’objet d’étude et de la question de recherche, en démontrant la pertinence scientifique et sociale de cette étude.

1.1 Démarche de recherche bibliographique

La démarche documentaire, réalisée en deux temps, consistait à trouver des articles de périodiques scientifiques en vertu des principaux concepts à l’étude, soit les troubles de la conduite alimentaires et leurs synonymes. Cette démarche de recherche structurée a permis d’obtenir plus d’une centaine de résultats dans les différentes bases de données principalement anglophones consultées, soit PsycINFO, PsycNET, ProQuest, Social Services Abstract, Social Work Abstract, Sociological Abstract, Érudit et Google Scholar. En se fiant aux résumés, mots-clés et titres, il fut possible de cibler une trentaine d’articles plus pertinents. Il semble important de mentionner que le regard subjectif et le savoir expérientiel sont considérés dans ce projet, mais qu’il y a très peu d’articles disponibles à ce sujet. En fait, en jumelant « subjectivity (subjectivité) » ou « experiential knowledge (savoir expérientiel) » aux concepts « eating disorders (troubles de la conduite alimentaire) » + « recovery (rétablissement) » aucun résultat n’était disponible. C’est donc dire que plusieurs articles furent repérés dans un second temps, découlant d’une recherche ardue et d’un tri méticuleux. Entre autres, certains articles furent repérés dans la liste de références des articles déjà consultés. Puisqu’il fut très difficile d’obtenir des résultats avec la technique traditionnelle de croisement de concepts, il était nécessaire d’en cibler un seul, tel que « subjectivité », « approches innovantes », « médicalisation du social ». Les articles obtenus furent à propos et étaient principalement liés au domaine de la sociologie. D’ailleurs, la lecture de ces articles a permis de dégager le modèle d’analyse utilisé pour ce projet.

1.2 Définition des concepts à l’étude

Les troubles de la conduite alimentaire sont considérés comme des troubles de santé mentale et sont donc répertoriés dans le manuel de l’American Psychiatric Association (APA,

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2013), soit le manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux 5 (DSM-5). Celui-ci est un outil majoritairement utilisé dans les réseaux médicaux et communautaires pour reconnaitre, définir et classifier les troubles mentaux (Petitpas, 2011), dont les troubles de la conduite alimentaire. Ainsi, il y est inscrit que :

les troubles des conduites alimentaires […] se caractérisent par des perturbations persistantes de l’alimentation ou du comportement alimentaire entraînant un mode de consommation pathologique ou une absorption de nourriture délétère pour la santé physique ou le fonctionnement social. (APA, 2013, p.387)

Parmi ces troubles, il y a l’anorexie mentale. Ce trouble tend à ébranler les esprits, car il est associé à un corps rachitique, dénutri, voire squelettique (Godin, 2016). Médicalement, il se caractérise par une « restriction des apports énergétiques par rapport aux besoins conduisant à un poids significativement bas compte tenu de l’âge, du sexe, du stade de développement et de la santé physique » (APA, 2013, p. 399). Pour qu’un diagnostic soit émis, l’individu doit également avoir une peur intense de devenir obèse ou de prendre du poids, alors que son poids est déjà très faible. De plus, pour que la personne soit déclarée comme souffrante d’anorexie mentale, il doit y avoir une « altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps ; [une] influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l’estime de soi, ou [un] manque de reconnaissance persistant de la gravité de la maigreur actuelle » (APA, 2013, p.399). Cela dit, toujours selon les écrits du DSM, il existe deux sous-types d’anorexie mentale, soit le sous-type restrictif et le type hyperphagique/purgatif (APA, 2013). Le sous-type restrictif correspond au fait que durant les trois derniers mois, la personne souffrant d’anorexie n’a pas présenté d’accès récurrents de gloutonnerie, ni de vomissement ou d’autres comportements compensatoires/purgatifs (APA, 2013). À l’inverse, le sous-type hyperphagique/purgatif correspond au fait que durant les trois derniers mois, la personne a présenté des accès de gloutonnerie récurrents ou a recouru à des vomissements provoqués ou autres moyens purgatifs (APA, 2013).

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Le temps venu d’émettre un diagnostic (ou impression diagnostique), ces distinctions sont utiles pour les spécialistes. Il en est ainsi, car selon l’APA (2013), même si certains comportements ou manifestations, soit physiques ou psychologiques sont similaires, les troubles (et les sous-types) diffèrent considérablement par leur évolution et leurs traitements associés.

Le prochain trouble de la conduite alimentaire présenté est la boulimie (bulimia nervosa). Ce trouble se caractérise par « la survenue récurrente d’accès hyperphagique » (crise de gloutonnerie) (APA, 2013, p.406). Concrètement, lors d’un accès hyperphagique, l’individu absorbe, en une courte période de temps, une quantité grandement supérieure à ce que la moyenne des gens ingèrerait dans un contexte de consommation alimentaire similaire (APA, 2013). À la suite de cela, l’individu ayant mangé une quantité importante de nourriture sera envahi par un grand sentiment de culpabilité, découlant de sa perception d’avoir perdu le contrôle sur son alimentation (APA, 2013). Pour pallier cet excès calorique, la personne dite boulimique utilisera des moyens compensatoires récurrents et inappropriés, tels que des vomissements provoqués, l’utilisation abusive de laxatifs, exercice physique extrême, jeûnes, etc. (APA, 2013). Comme l’anorexie mentale, l’estime de soi de la personne sera excessivement influencée par son poids et sa perception de celui-ci. Pour que le diagnostic soit émis, les accès hyperphagiques et les moyens compensatoires doivent survenir minimalement une fois par semaine sur une période de trois mois (APA, 2013). Tout comme l’anorexie mentale, il existe certaines distinctions et spécificités médicales pour qu’un spécialiste émette le diagnostic. Dans le cas de la boulimie, la sévérité doit être indiquée. Celle-ci est jugée légère, moyenne, grave et extrême, selon le nombre de comportements compensatoires inappropriés par semaine (APA, 2013).

Le prochain trouble de la conduite alimentaire présenté est l’accès hyperphagique (binge-esting disorder). De manière générale, celui-ci s’apparente à la boulimie. La principale distinction réside dans le fait qu’à la suite d’un épisode d’accès hyperphagique, l’individu n’utilisera aucun moyen compensateur pour pallier l’excès calorique qui en résulte (APA, 2013). Puisque la personne qui se livre à ces comportements aura l’impression d’avoir

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perdu le contrôle sur son alimentation, celle-ci vivra une grande détresse psychologique. Ces personnes tendent également à s’alimenter seules pour éviter le jugement d’autrui. N’étant pas en mesure de contrôler ses apports et ses choix alimentaires comme il est socialement attendu, elles seront dégoutées de leur personne et ressentent de la honte face à leur situation. Encore une fois, pour qu’il y ait un diagnostic, les accès hyperphagiques doivent survenir au minimum une fois par semaine, durant trois mois (APA, 2013).

Enfin, toujours selon le DSM-5, il existe les troubles de l’alimentation dits non spécifiés ou spécifiés. D’une part, la catégorie des troubles non spécifiés

[...] correspond à des tableaux cliniques caractéristiques d’un trouble de l’alimentation […], entraînant une détresse cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants, mais ne remplissant les critères d’aucun des troubles spécifiques décrits précédemment [...]. (APA, 2013, p.416)

D’autre part, les troubles de la catégorie spécifiée renvoient à des comportements alimentaires similaires à un des troubles spécifiques mentionnés ci-dessus, qui entraînent une régression cliniquement significative du fonctionnement social de l’individu, mais ne remplissent pas l’ensemble des critères diagnostiques desdits troubles spécifiques (APA, 2013). Selon le DSM-5, cette catégorie sera utilisée par les spécialistes de la santé mentale lorsqu’ils décident de préciser la raison pour laquelle les critères d’aucun trouble de l’alimentation ne sont remplis. En guise d’exemple, l’individu pourrait se voir attribuer la mention « autre trouble de l’alimentation » suivie de la raison « boulimie de faible fréquence ».

1.3 État des connaissances sur l’ampleur des troubles de la conduite alimentaire

Pour permettre d’exposer sommairement l’ampleur des problématiques à l’étude, des statistiques seront d’abord présentées. Toujours dans le but de présenter l’ampleur des troubles de la conduite alimentaires, les conséquences de ces troubles seront abordées. À la

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suite de cela, quelques recherches recensées permettront de contextualiser l’établissement d’un diagnostic de santé mentale et ainsi, introduire les limites de leur définition médicale.

1.3.1 Prévalence des troubles alimentaires

Il est difficile d’obtenir une mesure précise de la prévalence des troubles de la conduite alimentaire, car les données varient (Petitpas, 2011). En effet, les statistiques sur ces troubles varient en fonction des éléments inclus dans le calcul (Petitpas, 2011). En outre, le fait de considérer l’âge des personnes, la présence d’un diagnostic formel, le sexe ou le genre, peut modifier les statistiques (Petitpas, 2011). Malgré cela, certaines données permettent de quantifier sommairement l’ampleur du phénomène. Au Québec, le taux des troubles de la conduite alimentaire chez les femmes âgées de 13 à 30 ans serait d'environ 3 % (Institut universitaire en santé mentale Douglas, 2011). Les résultats de deux études recensées dans l’ouvrage de McVey (2012) suggèrent que 2 à 3 % de la population canadienne souffriraient d’anorexie mentale ou de boulimie, ce qui représente approximativement 600 000 à 990 000 individus, dont 90 % sont des femmes. De plus, toujours au Canada et selon ces mêmes études, 20 à 25 % de jeunes femmes ont recours à des méthodes de perte de poids dangereuses telles que la prise de laxatifs, les jeûnes, les diètes draconiennes, l’exercice physique excessif, etc., sans que celles-ci aient un diagnostic formel de trouble de la conduite alimentaire. Concrètement, ce pourcentage représente 675 000 à 850 000 jeunes femmes canadiennes âgées de 15 à 29 ans (McVey, 2012).

1.3.2 Ampleur des conséquences

Ces troubles engendrent maintes difficultés pour les individus qui en font l’expérience. Entre autres, la souffrance psychologique qui en découle se manifesterait par de l’anxiété, de l’impulsivité, de l’isolement social, une perturbation du sommeil, des changements émotionnels (humeur dépressive) et des problèmes de concentration pouvant même diminuer les capacités intellectuelles (Petitpas et Jean, 2011 ; Pomerleau, 2001). Les manifestations de ces enjeux, sur le plan physique, pour ne nommer que celles-ci, sont pour

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l’anorexie, la perte de cheveux, des changements hormonaux, de l’ostéoporose, de l’arythmie cardiaque, de l’anémie, etc. (Petitpas et Jean, 2011 ; Pomerleau, 2001); pour la boulimie, s’ajoutent à cela de l’érosion dentaire, des complications obstétriques plus marquées et des atteintes majeures au système digestif (Petitpas et Jean, 2011 ; Pomerleau, 2001). Il est à noter que ces conséquences ne sont pas exclusives aux troubles alimentaires médicalement reconnus, car ils peuvent apparaître à la suite de n’importe quels comportements alimentaires à risque, dépendamment de la durée de leur apparition (McVey, 2012). Le taux de rétablissement de troubles alimentaires est faible et préoccupant (Keel et Brown, 2010). Selon les études de Paludi (1998) et Poulton (1996), citées dans Vinette (2001), le taux de mortalité de ces troubles varie de 10 % à 15 %.

1.3.3 Définition et classification des troubles mentaux : le défi du diagnostic

Malgré l’exhaustivité des critères diagnostiques, «la science par le passé n’a pas été assez mature pour fournir des diagnostics parfaitement valides, c’est-à-dire des validateurs scientifiques consistants, solides et objectifs pour chaque trouble recensé par le DSM» (APA, 2013, p.4). Malgré ces constats, la quête de vérité menée sous l’égide du paradigme biomédical, impose néanmoins une lecture probabiliste et statistique du social pour objectiver les souffrances (Blais, 2006). Or, pour de multiples chercheurs, une telle vision d’un trouble de santé mentale serait normative et réductrice, puisqu’il serait illusoire ou incomplet de considérer l’aspect comportemental quantifiable de ces troubles, indépendamment de la souffrance subjective, des croyances et des contextes sociaux influents (Blais, 2006 ; Federiici et Kaplan, 2008 ; Fox et Diab, 2016 ; Godin, 2015 ; Larose-Hébert, 2016 ; Moreau et Vinit, 2007 ; Poirel et Corin, 2011 ; Rance, Moller et Clarke, 2015).

Par ailleurs, l’établissement d’un diagnostic, soit le statut de « malade mental », est moralement, socialement et historiquement situé. À ce propos, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS)(2005) reconnait que les individus « malades mentaux » sont la cible de dénigrement. Concrètement, les préjugés défavorables à leur égard, étant socialement diffus, peuvent dépeindre certains d’entre eux comme étant des personnes dangereuses,

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incompétentes et inaptes (Savidou, Bozikas, Hatzigeleki et Karavatos, 2003). Ces individus, cibles de propos dégradants, deviennent confinés à un amoindrissement des chances de se réaliser et d’exercer leur rôle de citoyen dans la dignité. Ainsi, ceux-ci sont socialement désavantagés et forment un groupe enclin à être la cible de propos dégradants, et ce, à même les services leur étant destinés (Boily, 2009; Boursnell, 2007; Crisp, Gelder, Rix, Meltzer et Rowlands, 2000) et les personnes aux prises avec un trouble de la conduite alimentaire n’y échappent guère (Crisp, 2005; Crisp, 2001; Mond, Robertson-Smith et Vetere, 2006; Roehrig et McLean, 2009; Stewart, Schiavo, Herzog et Franko, 2008; Stewart, Keel et Schiavo, 2006). D’ailleurs, quelques études recensées visaient expressément à mettre en lumière les attitudes et représentations des professionnels de la santé, à l'égard des personnes atteintes d'un trouble alimentaire (Album et Westin, 2008; Boursnell, 2007; Currin, Waller et Schmidt, 2009; Evans et al., 2011). Les résultats de ces recherches montrent que certains médecins ont des aprioris défavorables à l’égard du potentiel de guérison des personnes souffrant d’anorexie mentale. En effet, les médecins ayant participé aux recherches témoignent d’un pessimisme marqué quant au pronostic de l’anorexie, considérant cet état comme une maladie chronique, dont le rétablissement serait plutôt rare (Currin et al., 2009; Evans et al., 2011). Dans la même foulée, Currin et collaborateurs (2009) ont mené une étude (n= 82), ayant comme objectif de documenter les attitudes et les connaissances des médecins de première ligne (généralistes) au sujet des troubles alimentaires. Les résultats de la recherche, qui s’alignent à ceux obtenus par Escobar-Koch et collaborateurs (2010), suggèrent que les médecins de première ligne ignorent largement certaines particularités de ce que leur profession considère comme étant un trouble de la conduite alimentaire. Entre autres, les participants ont sous-estimé la prévalence de la boulimie au détriment d’une surestimation de la prévalence de l’anorexie. Ce faisant, les services qui leur auraient été offerts n’auraient pas été ajustés en fonction de leurs besoins, puisque seulement une personne sur dix ayant des comportements qui se rapprochent de la boulimie aurait été considérée et prise en charge adéquatement.

Toujours en lien avec la représentation des troubles de la conduite alimentaire, s’ajoutent les résultats de quelques recherches consacrées à documenter la manière dont les membres de la population générale perçoivent les personnes qui en souffrent (Crisp, 2005;

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Crisp et al., 2000; Mond, Robertson-Smith et Vetere, 2006; Rich, 2006; Stewart et al., 2008). Globalement, il en ressort qu’il serait difficile d’entrer en contact avec des personnes ayant un trouble de la conduite alimentaire. Or, les résultats de l’étude de Petitpas (2011), menée auprès de 1000 étudiants universitaires, tendent à nuancer ce constat. Selon les résultats de l’étude, les personnes souffrants d’anorexie, à condition de recevoir des traitements appropriés, peuvent être considérées positivement par les membres de leur communauté. Par ailleurs, diverses études visaient à comparer les perceptions qu’a la population générale à l’égard des troubles alimentaires, comparativement à d’autres formes de troubles mentaux (Crisp, 2005; Crisp, 2001, Crisp et al., 2000; Roehrig et McLean, 2009; Stewart et al., 2008; Stewart et al, 2006). Les résultats de ces études, menées auprès de populations variées, montrent que les personnes souffrant d’un trouble de la conduite alimentaire seraient perçues comme n’étant pas dangereuses, mais elles seraient perçues comme étant partiellement responsables de leurs difficultés et ainsi plus enclines à devoir se prendre en main (Crisp, 2005; Crisp et al., 2000; Roehrig et McLean, 2009; Petitpas, 2011; Stewart et al., 2008; Stewart et al, 2006). Or, sans comparer l’anorexie à d’autres troubles mentaux, les résultats de l’étude de Petitpas (2011) abondent dans le même sens. En effet, environ le tiers des 1000 répondants tendent à croire que les personnes souffrant d’anorexie seraient à blâmer pour leur condition, en plus d’avoir peu de considération quant à l’impact de leur maladie sur leurs proches. Selon Crisp et collaborateurs (2000), la divulgation de perceptions négatives à leur égard suscite une diminution de l’empathie à leur endroit, et favorise leur isolement. Dans un tel contexte, certaines femmes souffrant d’un trouble de la conduite alimentaire peuvent ainsi accumuler un important sentiment de culpabilité, qui s’ajoute au fardeau émotionnel qui pèse déjà sur elles (Godin, 2016). En effet, ces attitudes défavorables truffées d’incompréhension engendrent des sentiments de honte et de culpabilité chez les individus souffrant d’un trouble de la conduite alimentaire (Crisp, 2005 ; Stewart et al., 2006). D’ailleurs, de tels sentiments découlant d’attitudes défavorables à leur égard, tendraient à démotiver ces femmes à demander du soutien formel/professionnel (Cachelin et Striegel-Moore, 2006).

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1.4 Éléments influents dans l’apparition des troubles de la conduite alimentaires

Comme déjà mentionné, les recherches témoignent de lacunes et de limites quant aux origines des troubles de la conduite alimentaire (Godin, 2014 ; Fedeci et Kaplan, 2008 ; Fox et Diab, 2016 ; Lavoie, 2014 ; McVey, 2012 ; Petitpas, 2011). Or, l’absence de consensus au sujet des hypothèses explicatives issues de nombreuses recherches de professions variées, fait en sorte que les chercheurs et les professionnels ont qualifié l’origine de ces troubles comme étant multifactorielle. Certains éléments se recoupent au sein de recherches permettant de discerner des explications relatives aux facteurs de risque. Selon ces chercheurs et professionnels, ces facteurs (prédisposants, précipitants et perpétuants) interviennent et influencent à maints égards la survenue et le maintien dans le temps d’un trouble alimentaire (McVey, 2012 ; Onnis, 2013 ; Pépin, 2004 ; Petitpas et Jean, 2011 ; Pomerleau, 2001). En fait, les facteurs prédisposants représenteraient une prédisposition qui tendrait à rendre la personne plus vulnérable, mais ne garantirait aucunement le développement d’un trouble de la conduite alimentaire (Petitpas, 2011). Ceux-ci comprennent les éléments liés à l’histoire de vie de la personne (environnement familial et social par exemple) et comprennent également tous les facteurs individuels (désordre psychiatrique, personnalité, etc.). Les facteurs précipitants sont compris comme des éléments déclencheur, un point de rupture, ou des situations de crise, pouvant ainsi, en quelque sorte, venir « activer » un trouble de la conduite alimentaire. Les facteurs perpétuants, quant à eux, sont les éléments qui font en sorte que le trouble de la conduite alimentaire se maintient dans le temps. Concrètement, ils sous-tendent les raisons pour lesquelles les comportements liés aux troubles de la conduite alimentaire persistent, malgré le fait qu’ils soient dérangeants, souffrants et incapacitants (McVey, 2012 ; Petitpas et Jean, 2011). Ces facteurs sont exemplifiés davantage dans les paragraphes qui suivent.

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1.4.1 Facteurs prédisposants

D’une part, certains troubles de santé mentale, tels que les troubles anxieux, le trouble obsessionnel compulsif, le trouble de personnalité limite et le trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité, compteraient parmi les facteurs prédisposants (Aimé, 2002 ; Bertrand, Bélanger et O’Connor, 2011). De plus, les antécédents médicaux familiaux ainsi que les problèmes héréditaires de surpoids pourraient également favoriser l’apparition d’un trouble alimentaire (Aimé, 2002; Pomerleau, 2001). D’autre part, en lien avec les éléments d’ordre psychologique, les potentiels éléments prédisposants renverraient, entres autres, à une faible estime de soi, un constant sentiment d’échec, un fort besoin de contrôle et de plaire, l’isolement, la colère, la peur de la maturité et le perfectionnisme (Aimé, 2002 ; Arthur-Cameselle, Sossin et Quatromoni, 2016 ; Bertrand et al., 2011 ; Pomerleau et al., 2001). Par ailleurs, les individus au profil anorexique pourraient être en quête de leur identité, dépendants à certains égards de l’opinion d’autrui et désireux de représenter ce qui est socialement perçu comme étant bon et acceptable (Riley et al., 2008).

1.4.2 Facteurs précipitants et perpétuants

À condition de répondre à l’un ou à plusieurs des facteurs prédisposants mentionnés précédemment, un évènement pourrait activer le trouble et agir comme élément déclencheur (facteur précipitant), tel qu’une rupture amoureuse, des exigences élevées d’un sport de compétition (Arthur-Cameselle et al., 2016), le décès d’un proche ou des commentaires négatifs sur le physique ou une agression à caractère sexuel (Bélanger, 2007 ; Petitpas, 2011 ; Pomerleau, 2001). Pour que le trouble perdure dans le temps, il doit y avoir présence de facteurs perpétuants (Petitpas, 2011). Ceux-ci peuvent être, entre autres, la réception de commentaires positifs sur la récente perte de poids de la personne affectée par le trouble, l’accès à de nouvelles fréquentations, un sentiment de réussite personnelle, une valorisation ou intérêt de la part de ses pairs, etc. (Aimé, 2002 ; Bélanger, 2007 ; Chenel-Beaulieu, 2012 ; Pépin, 2004 ; Petitpas, 2011 ; Pomerleau, 2001).

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1.4.3 Un problème de santé individuel ou un problème social d’intérêt multidisciplinaire?

Selon Pomerleau (2001), il est primordial de tenir compte de l’interaction entre l’ensemble de ces facteurs, pour éventuellement mieux comprendre le rôle de chacun dans l’apparition d’un trouble de la conduite alimentaire, car l’influence et l’importance de ceux-ci varient pour chaque personne.

Par ailleurs, malgré l’imposante documentation à leur égard, comme déjà mentionné, peu de consensus existe à ce jour quant aux origines de ces troubles. Or, la croissance et la présence marquée de ces problèmes, plus particulièrement chez les femmes, témoignent d’importantes lacunes au sein des modes d’intervention et de prévention (McVey, 2012). Ces constats ont poussé diverses professions à accentuer leurs efforts pour identifier les causes sous-jacentes à leur développement. Conséquemment, l’appréhension de ces thématiques semble devoir s’effectuer par le biais de différents angles d’analyse, issus de diverses professions. Ainsi, les troubles de la conduite alimentaire et les souffrances connexes s’y rattachant s’avèrent un phénomène de grand intérêt, non seulement pour les professions affiliées au domaine médical, mais également pour celles associées aux sciences sociales (Godin, 2016).

Afin d’y dégager une lecture sociologique complémentaire, de récentes recherches avaient comme objectif de décrire le contexte social dans lequel lesdits facteurs de risque se manifestent et conduisent à l’émergence d’un trouble de la conduite alimentaire. Sans remettre en question le savoir antérieur, celles-ci prônent davantage une lecture critique du contexte social dans lequel ils s’inscrivent, pour offrir une perception désindividualisante quant aux dimensions susceptibles d’influencer leur apparition (Darmon, 2003; Godin, 2016; Riley et al., 2008). Ces recherches issues des sciences sociales, dont les travaux sont présentés dans la prochaine section, axent leurs intérêts vers le dévoilement de comportements appris, dont le sens est socialement construit.

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1.5 Éléments au cœur des troubles de la conduite alimentaire

Cette section vise à présenter les études où l’origine des troubles de conduite alimentaire serait davantage culturelle. Au sein de ces études descriptives/compréhensives, l’apparition de ces troubles est comprise comme un processus dynamique, issu des interactions entre de multiples dimensions d’ordre social. Concrètement, l’apparition d’une souffrance en lien avec son corps, soit les troubles de la conduite alimentaire, serait intrinsèquement liée aux normes et à la culture en matière d’alimentation et de corporéité. Brièvement, la corporéité renvoie à tout ce qui est de l’ordre du physique et de la composition corporelle. La différence entre le terme « corps » et le concept de corporéité, réside dans le dépassement de la définition classique du terme, permettant ainsi d’accéder et d’inclure les rapports entre les corps, Soi et autrui ; et de les considérer comme des phénomènes sociaux et culturels (Le Breton, 2000).

1.5.1 Alimentation.

Aspects biologique, psychologique et culturel

Antérieurement, l’alimentation était régie principalement par son aspect biologique. Effectivement, le comportement alimentaire était presque uniquement dicté et réalisé en fonction de pulsions biologiques permettant de combler les besoins énergiques du corps humain (Lavoie, 2014). De fait, le manque d’apport nutritionnel et énergétique se présente sous forme de sensation physique, soit la faim. Chez les êtres vivants, cette sensation physiologique est à la source d’une motivation de recherche d’aliments dans le but d’enrayer la faim, soit d'atteindre la satiété, l’état d’inhibition de la faim (Pinel, 2007). En fait, le corps est doté d’un système de régulation homéostatique, qui lui permet de demeurer dans un poids jugé naturel sur le plan biologique (Gravel 2013). Sommairement, deux groupes de neurones logés dans le noyau arqué de l’hypothalamus régissent l’apparition de la faim et l’atteinte de la satiété. Ceux-ci initient le désir de manger et permettent de choisir les portions ingérées en fonction des besoins énergétiques (Gravel, 2013; Lavoie, 2014). Ceci étant dit, l’alimentation comporte aussi un aspect psychologique fortement associé au plaisir. Or, cet aspect semble

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être désormais considéré comme une composante nécessaire à des comportements alimentaires perçus comme étant satisfaisants (Lanouguère-Bruneau, 2006, dans Lavoie, 2014). En fait, avant même de s’alimenter, les aliments génèrent des stimuli sensoriels, qui sollicitent différents sens, comme les sens de la vue, de l’odorat et du toucher (Gravel, 2013). Ce faisant, certains aliments, de par les sens qu’ils sollicitent, peuvent stimuler et activer des zones du cerveau associées au plaisir et à la récompense (Godin, 2010). De plus, certains aliments, de par les ingrédients qu’ils contiennent, intensifient cette stimulation (Lavoie, 2014; Gravel, 2013). Or, le plaisir associé aux choix des aliments consommés évolue et se modifie au gré des règles et des limites imposées par des dimensions économiques et culturelles au sein desquelles évoluent les individus (Lavoie, 2014). En effet, les individus reçoivent des messages de leurs pairs et de diverses institutions, appelés stimuli normatifs, qui influencent, parfois même inconsciemment, la manière de s’alimenter, le moment pour le faire et les aliments à ingérer (Godin, 2010; Gravel, 2013; Lavoie, 2014).

Bien que l’alimentation fût autrefois perçue comme un acte banal, dont l’étude paraissait inintéressante aux sciences sociales, force est de constater que son étude est désormais pertinente dans ce domaine des sciences et va au-delà de sa conception principalement biologique (Godin, 2010). Tout bien considéré, l’acte alimentaire comprend des aspects biologiques, psychologiques et culturels (Godin, 2010; Gravel, 2013; Lavoie, 2014; LeBreton, 2000).

Alimentation contemporaine et individualité

Le rapport entre les acteurs sociaux et leur alimentation est en perpétuel changement. Concrètement, ce rapport se module au gré des interactions et des fluctuations sociales, empreintes de normes et de culture (Godin, 2010). En effet, les informations disponibles dans la société façonnent les perceptions et les comportements alimentaires (Gravel, 2013).

Cela dit, toutes les pratiques alimentaires spécifiques semblent témoigner d’un effort pour tenter d’affirmer son individualité (Lavoie, 2014). D’ailleurs, les pratiques alimentaires

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distinctives, soit le fait de choisir et de s’identifier à une forme de diète spécifique, sont en émergence. De fait, les diètes et les spécificités alimentaires sont considérées comme des choix personnels, basés notamment sur nos connaissances, nos perceptions, nos envies et nos valeurs, permettant ainsi de se doter d’un discours porteur de sens pour nos actions (Gravel, 2013; Lavoie, 2014). En effet, en lien avec le contexte social au sein duquel il évolue, l’individu se doit non seulement de faire des choix qui le définiront aux yeux des autres, mais doit faire sens de ses gestes pour se définir par lui-même et donner une justification à ses actions (Godin, 2010). Or, l’ensemble des sphères présentes dans la société et la manière d’agir sur «soi» par l’alimentation sont étroitement liées, voire en perpétuelle discorde (Godin 2015). Ce faisant, bien que l’individu cherche à poser un acte et à faire valoir un choix individuel lorsqu’il s’alimente, celui-ci est plutôt soumis à des narratifs sociaux, qui influencent, voire dictent les aliments à consommer (Godin, 2010). Pour ces raisons, l’étude des conduites alimentaires, ou dans ce cas-ci, des troubles de la conduite alimentaire, permettrait d’accéder à l’intersection de multiples éléments découlant de la sphère sociale de l’individu (Godin, 2010), désindividualisant ainsi l’adoption de comportements alimentaires jugés non-sains. Puisque l’alimentation et les corps, ou plutôt la composition corporelle, sont difficilement dissociables, la symbolique étant accordée aux corps par les acteurs sociaux et les liens entre alimentation et corporéité, semblent devoir être considérés. La prochaine sous-section y est consacrée.

1.5.2 Rapport aux corps

Les recherches présentées dans cette sous-section, s’alliant principalement à une posture constructiviste/critique, s’intéressent à la manière dont les personnes au physique jugé inadéquat ou les personnes souffrant d’un trouble de la conduite alimentaire, dérogent des normes sociales, s’y accommodent ou les mettent en cause (Godin, 2016). Entre autres, ces recherches permettent une réflexion sur les différentes structures qui sous-tendent les normes en matière de corporéité et comment celles-ci permettent ou empêchent l’ascension sociale de certains individus.

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Médicalisation de la manière d’agir sur « soi » par l’alimentation

« Avec l’industrialisation et la démocratisation de l’alimentation ont émergé de nouvelles perceptions des corps et de la santé » (Lavoie, 2014, p.11). Concrètement, ces changements ont engendré la modification des représentations de l'alimentation. Désormais, les aliments tendent à être reconnus et considérés pour l’influence qu’ils peuvent engendrer sur l’état de santé et sur le tissu adipeux (Urdapilleta, Mirabel-Sarron, Meunier et Richard, 2005, dans Lavoie, 2014). En ce sens, des études tendent à s’arrimer pour mettre en relation morbidité et alimentation, afin d’identifier certains aliments comme étant susceptibles de favoriser des maux physiques et d’autres problèmes de santé variés (Lavoie, 2014). Tel que vu précédemment, la psychiatrie s’est également munie d’un outil de classification pour identifier les pratiques alimentaires considérées médicalement dysfonctionnelles. Ainsi, l’individu se voit confronté au fait de devoir respecter les différents discours nutritionnels qui l’informent des aliments pouvant être néfastes pour la santé, sans toutefois tendre vers une rigidité comportementale ou l’excès (Godin, 2010).

De là découle le phénomène de médicalisation du social; un processus par lequel une représentation, une pratique ou un état social tendent à entrer dans le champ de la médecine (Moreau et Vinit, 2007 ; Nader, 2012 ; Poirel et Corin, 2011). Pour ainsi dire, les professions à caractère plus médical qui adhèrent au modèle biomédical participent activement à la définition d’une norme des comportements alimentaires, du poids et de l’ensemble des composantes de l’existence (Otero, 2003). Ce processus est très diffus puisqu’une diversité d’agents externes au domaine médical influence l’acceptation idéologique des valeurs sous-tendues par ce processus de médicalisation (Collin et Suissa, 2007 ; Otero, 2003). De là, il en résulte un accroissement de la confusion et de l’inconfort au sein de la population, ainsi qu’une diminution notable de la tolérance à l’égard de qui est considéré comme étant dysfonctionnel ou jugé non sain (Askevis-Leherpeux et Schiaratura, 2009 ; Brewis, 2014 ; Godin, 2016 ; Lavoie, 2014, Moreau et Vinit, 2007 ; Nader, 2012 ; Otero, 2003 ; Shentow-Bewsh et al., 2016). En ce sens, dans l’expérience quotidienne des individus, la définition de la santé n’est plus la même, passant de l’absence de maladie physique ou mentale, à un idéal

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de bien-être général, pour finalement devenir une norme à laquelle il importe de correspondre (Lavoie, 2014).

Par ailleurs, les campagnes de santé et entreprises à but lucratif, notamment, renchérissent ce phénomène de médicalisation et la notion de responsabilité individuelle qu’il sous-tend, en réduisant l’apparition de maladies telle que l’obésité, quasi-uniquement aux habitudes de vie, et plus particulièrement aux habitudes alimentaires (Brewis, 2014 ; Shentow-Bewsh et al., 2016). Bien que complexe et multifactorielle, l’obésité tend à être uniquement perçue comme un excès de poids, résultant d’un déséquilibre où l’apport calorique excède la dépense, soit le fait de manger plus que ses besoins physiologiques (Gravel, 2013). En ce sens, l’OMS définit le surpoids et l’obésité comme « une accumulation anormale ou excessive de graisse corporelle qui représente un risque pour la santé » (Organisation mondiale de la santé, 2019).

Régulation corporelle et responsabilité individuelle

Cette corrélation entre les habitudes alimentaires et le surplus de poids (et l’obésité) renforce la notion de régulation du corps physique par l’alimentation. Comme mentionné précédemment, dans ce contexte social, au sein duquel des tentations jugées potentiellement nuisibles à la santé sont offertes, l’individu se doit de faire des choix qui permettront de le définir aux yeux des autres (Godin, 2010; Lavoie, 2014; Vinette, 2001). En effet, considérant l’abondance des mesures préventives véhiculées de part et d’autre, notamment par de multiples campagnes de santé publique, il est collectivement considéré que tous les individus possèdent les connaissances et les moyens pour atteindre et préserver une bonne santé physique (Lavoie, 2014). De ce fait, l’obésité tend à être socialement perçue comme un échec moral, puisque l’individu ne semble pas parvenir à contrôler sa consommation et ses choix alimentaires, de sorte à atteindre ladite norme de santé (Godin, 2016; Lavoie, 2014; Vinette 2001). Or, les aliments jugés sains tendent à être économiquement inaccessibles pour une grande partie de la population, et ce, au point de permettre d’y constater une incohérence et une forme d’injustice. En ce sens, il fut montré que les situations économiques influencent la

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manière de s’alimenter (Grignon et Grignon, 1980; Lavoie, 2014). Concrètement, les familles à faible revenu pourraient avoir tendance à privilégier des produits de remplacement et transformés moins couteux, contenant par ailleurs plus de matières grasses, de calories et de sucre raffiné, au détriment de produits frais comme de la viande de qualité, des fruits et des légumes (Grignon et Grignon, 1980; Lavoie, 2014). Ce faisant, cette partie de la population est souvent discriminée par les discours nutritionnels et médicaux, puisque ceux-ci proposent une importante modification de leurs habitudes alimentaires, qui est économiquement inaccessible pour eux (Lavoie, 2014). C’est donc dire que même en ayant la plus grande volonté pour aspirer à ladite norme de santé et de nombreuses connaissances nutritionnelles, certains ne pourront s’offrir une alimentation dite saine et s’exposent, bien malgré eux, à des jugements défavorables.

Stigmatisation en vertu du poids

La sociologie, discipline connexe au travail social, fut fort utile pour établir les liens entre le développement de problèmes de santé publique et des phénomènes sociaux multiples (Poulain, 2013). Plus spécifiquement, cette discipline fut mise à profit pour dévoiler les dynamiques de violence dont sont victimes les individus au physique socialement jugé hors norme, soit la stigmatisation en vertu du poids (Poulain, 2013).

Cette forme de stigmatisation est un phénomène relativement récent et multifactoriel. Or, la première conceptualisation moderne du terme stigmatisation provient du sociologue Erving Goffman. Celui-ci, dans Stigma: Notes on the Management of Spoiled Identity, il qualifie le stigmate comme étant un « attribut qui jette un discrédit profond » (Goffman, 1963, p.13). Le stigmate serait un construit social, car il découle d’interactions multiples, qui se modulent au fil du temps, dépendamment du contexte socioculturel dans lequel il s’inscrit (Goffman, 1963). La stigmatisation en vertu du poids s’aligne à cette définition du stigmate, puisqu’elle est caractérisée par la discréditation et le jugement d’un individu en vertu de son poids (Gravel, 2013, Petitpas, 2011). Concrètement, de multiples caractéristiques, préjugés et attributs personnels lui seront donnés, sans fondement autre que son poids et son apparence

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physique, due au contexte social actuel qui crée et incite cet acte (Gravel, 2013; Petitpas, 2011).

Corps : injustices et privilèges

Comme le témoignent plusieurs recherches, la stigmatisation en vertu du poids engendre de nombreuses contraintes pour les individus vers qui elle est dirigée (Askevis-Leherpeux et Schiaratura, 2009 ; Brewis, 2014 ; Petitpas, 2011; Shentow-Bewsh et al., 2016; Vinette, 2001). Celle-ci amoindrit le développement et la réalisation de ces personnes. À titre illustratif, la corrélation entre une faible estime de soi et la stigmatisation en vertu du poids fut récemment documentée (Askevis-Leherpeux et Schiaratura, 2009 ; Brewis, 2014 ; Puhl et Heuer, 2010 ; Shentow-Bewsh et al., 2016) et cette situation diminuerait la réussite scolaire. Or, l’absence de réussite est un des éléments les plus influents quant au décrochage scolaire. Toujours en lien à la scolarisation, l’étude de Crandall et Moriarty (1995) a exposé que les parents de jeunes filles souffrant d’obésité auraient tendance à contribuer moindrement sur le plan monétaire, relativement à l’éducation universitaire, contrairement à ceux dont leur fille a un poids ou un physique jugé comme étant dans la moyenne. Étant exposés à une sous-scolarisation, ces individus pourront possiblement avoir de la difficulté à obtenir un emploi décemment rémunéré. Par ailleurs, les personnes jugées trop maigres (Mond et al., 2006) ou trop grasses (Brewis, 2014; Shentow-Bewsh et al., 2016) seraient perçues comme étant peu productives sur le plan économique, faisant en sorte que les employeurs seraient réticents à les engager.

Outre la scolarisation et l’employabilité, ces personnes sont davantage enclines à subir des inégalités en lien avec leur état de santé. En effet, celles-ci sont plus exposées à souffrir de maladies graves ou chroniques, car les personnes dites obèses (Brewis, 2014 ; Puhl et Heuer, 2010) et les personnes anorexiques (Currin et al., 2009; Evans et al., 2011) auraient tendance à éviter de consulter des professionnels de la santé, par peur, notamment, d’être soumises à des discours répressifs et moralisateurs.

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D’autres études font état des conséquences de la pression sociale reliée à l’atteinte de la minceur. Par exemple, cette croisade pour l’uniformisation des corps fait en sorte qu’en bas âge, les individus sont témoins de préjugés défavorables aux corps en surpoids (Askevis-Leherpeux et Schiaratura, 2009 ; Brewis, 2014 ; Cruwys, Leverington et Sheldon, 2016 ; Shentow-Bewsh et al., 2016). En grandissant, ces mêmes individus véhiculeraient à leur tour certains propos dégradants à l’égard des personnes en surpoids. Ces messages témoignent généralement d’une phobie et une haine du gain de poids. En amont, les innombrables mesures publiques destinées à lutter contre l’obésité ne font qu’accentuer des messages cautionnant cette intolérance à l’égard du gain de poids (Lavoie, 2014). Les effets délétères de ces messages à l’égard du surpoids se font ressentir plus intensément sur les individus ayant des difficultés avec leur image corporelle. En effet, ceux-ci ont de multiples conséquences sur le comportement alimentaire et le bien-être psychologique des individus, et peuvent même mener à l’apparition d’un trouble de la conduite alimentaire (Brewis, 2014; Cruwys et al., 2016; Godin, 2016; Major, Hunger, Bunyan et Miller, 2014; Petitpas, 2011; Shentow-Bewsh et al. 2016; Vinette, 2001). Plus spécifiquement, Shentow-Bewsh et collaborateurs (2016) ont démontré, par le biais de leur étude effectuée à l’Université de York auprès d’étudiantes en psychologie (n=120), que ces messages encouragent les personnes en surpoids à diminuer leur consommation alimentaire. Ces messages ont également des effets considérables sur l’estime personnelle de ces femmes, mais aussi sur l’estime et l’image corporelle de femmes de poids jugé dans la norme (Cruwys et al., 2016; Major et al., 2014). Effectivement, Major et collaborateurs (2013) ont effectué une recherche au Public Western University auprès de jeunes femmes âgées de 18 à 32 ans (n= 92) qui a permis d’observer sensiblement les mêmes résultats que l’étude de Shentow-Bewsh et collaborateurs (2016), mais ajoutent que les femmes jugeant leur poids « normal » préalablement à l’étude, ont diminué leur consommation alimentaire et démontraient une estime personnelle moindre après avoir été exposé à des propos dévalorisants sur l’obésité.

Ceci dit, à l’inverse du « corps gras » des personnes souffrant d’obésité, le corps mince est perçu comme un symbole de santé, de contrôle et de réussite (Godin, 2016, Gravel, 2013; Lavoie, 2014; Vinette, 2001). En effet, devant l’abondance des diktats de la norme en

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matière d’alimentation et de corporéité, l’individu qui parvient à moduler ses envies et ses choix alimentaires de sorte à éviter un gain de poids se voit pourvu d’un statut distinctif, et ce, à un point tel que les troubles de la conduite alimentaires suscitent parfois l’envie (Petitpas, 2011). Notamment, l’étude de Roehrig et Mc Lean (2009), effectuée auprès d’étudiants universitaires en psychologie, a comparé les attitudes à l’égard des personnes atteintes d’un trouble alimentaire et celles à l’égard de ceux souffrant de dépression (n=118). Les résultats de cette étude illustrent que la majorité des répondants enviaient certaines caractéristiques des troubles de la conduite alimentaire, tels que la minceur, le contrôle des apports caloriques et l’exercice effectué quotidiennement (Arthur-Camenselle et al., 2016 ; Gitimu et al., 2016 ; Petitpas, 2011, Roehrig et Mc Lean, 2009).

Tout bien considéré, la stigmatisation en vertu du poids limite l’accès à des domaines importants de la vie, car certains attributs physiques favorisent ou empêchent l’ascension sociale de certains (Askevis-Leherpeux et Schiaratura ; 2009 ; Brewis, 2014 ; Petitpas 201l; Shentow-Bewsh et al., 2016; Vinette, 2001). Par ailleurs, ce contexte normatif des conduites alimentaires et de régulation des corps, qui fait de la minceur un symbole de santé, de beauté, de succès, de performance, de discipline, de contrôle, voire de privilège, peut engendrer une souffrance liée à l’image corporelle et même favoriser l’apparition d’un trouble de la conduite alimentaire (Cruwys et al., 2016 ; Godin, 2014; Gravel, 2013; Major et al., 2013 ; Riley et al., 2008 ; Shentow-Bewsh et al. 2016 ; Vinette, 2001). En effet, à l’ère de la quête de succès et de la primauté d’agir sur «soi», certains individus utiliseront des conduites alimentaires dangereuses dans l’espoir de cadrer dans les standards corporels tant convoités (Darmon, 2003).

Tel qu’en témoignent les sections et sous-sections présentées précédemment, l’origine des troubles de la conduite alimentaire est complexe et multifactorielle. Devant cette complexité et l’ampleur de la prévalence de ces troubles, les approches au traitement et les modes de prévention sont en émergence au sein de plusieurs professions. La prochaine section y est consacrée.

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1.6 Approches au traitement

Par le passé, les connaissances à l’égard des modes d’intervention destinés aux troubles de la conduite alimentaires étaient davantage de type quantitatif post-positiviste. En d’autres termes, l’idée qu’il existe une réalité objective et objectivable était mise de l’avant pour définir les interventions à mettre en place. Certaines études se sont penchés sur ces traitements ; leurs approches et leurs limites. À l’instar de ce qui précède, cette section vise d’abord à présenter sommairement les connaissances issues principalement du domaine médical. Ensuite, quelques modes d’intervention alternatifs et/ou complémentaires, issus de récentes recherches qualitatives, seront abordés.

1.6.1 Approche de traitement traditionnel : survol des connaissances

Il existe très peu de consensus entre les professionnels sur la prise en charge des individus souffrant d’un trouble de la conduite alimentaire. Au sein du domaine médical, quelques études recensées, ainsi que des programmes de soins spécialisés offerts au Québec, montrent qu’il existe néanmoins certaines lignes directrices quant aux traitements préconisés. En outre, le traitement d’un trouble de la conduite alimentaire diagnostiqué repose sur une approche interdisciplinaire. En ce sens, plusieurs professionnels participent au traitement, en fonction de leur rôle respectif. Cette pratique favorise une meilleure prise en compte des différentes dimensions de la vie de l’individu dans le traitement (Brunt, 2008). La manière dont les services sont dispensés peut varier. Notamment, au Québec, le programme des troubles de l’alimentation (PTA) à Montréal (Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Ouest-de-Montréal (CIUSSS-Ouestmtl), 2019), ainsi que le programme d’intervention des troubles de la conduite alimentaire (PITCA) à Québec (Centre intégré de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale (CIUSSS-CN), 2019), offrent des modalités de services spécialisés similaires. Notons que pour y avoir accès, une référence formelle doit être effectuée par un médecin. Ceci dit, ces programmes offrent la possibilité de recevoir des services par le biais de leur clinique externe. Les services peuvent être dispensés, notamment, dans le cadre d’un suivi individuel, familial ou de groupe. Les services

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peuvent aussi être offerts dans le cadre de l’Hôpital de jour. Ce programme vise les personnes vivant avec un trouble de la conduite alimentaire jugé médicalement sévère, qui sont en mesure de fonctionner de manière autonome. En ce sens, ces personnes présentent des manifestations importantes de leur trouble, mais l’hospitalisation et la surveillance accrue qu’elle sous-tend n’est pas considérée nécessaire. Les traitements offerts au sein de ce programme sont néanmoins intensifs. Ils sont offerts par le biais d’interventions de groupe durant la semaine. Pour les personnes dont l’état de santé est à risque de complications médicales et psychologiques sévères, une hospitalisation au sein d’une unité de soins spécialisés peut être offerte, voire imposée. La durée de l’hospitalisation peut varier, entres autres, en fonction de la complexité de la situation, la présence de comorbidités, l’indice de masse corporelle (IMC), ainsi que l’intensité des manifestations du trouble de la conduite alimentaire. Durant l’hospitalisation, le but du traitement est de stabiliser l’état de santé physique de la personne. En ce sens, un rétablissement pondéral est généralement entrepris progressivement, où le poids de la personne devra augmenter. Les principales approches préconisées lors de ces traitements sont la thérapie cognitivo-comportmentale, motivationnelle et psychoéducative (Fox et Diab, 2016 ; Vandereycken, 2003).

1.6.2 Limites des approches traditionnelles au traitement

Ceci dit, depuis une quinzaine d’années, de multiples chercheurs (Carter et al., 2009; Fox et Diab, 2016; Nordbo, Espeset, Gulliksen, Skarderud, Geller et Holt, 2012; Vandereycken, 2003) ont mené des études qualitatives afin d’identifier les raisons pouvant expliquer l’échec des approches de traitement traditionnel. En outre, Vandereycken (2003) mit de l’avant une réflexion critique concernant les critères d’une hospitalisation, les conséquences découlant d’une hospitalisation, le rétablissement pondéral, l’influence des méthodes employées pour permettre un gain de poids et les aspects d’un traitement traditionnel qui génèrent les changements. Selon ce chercheur, la majorité des personnes hospitalisées pour un trouble de la conduite alimentaire reçoivent un traitement prédéfini, incluant des interventions médicales, sociales et psychologiques. Selon le même auteur, le fait de participer à ce traitement diffère d’une approche inclusive où la personne pourrait

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