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CHAPITRE 2. METHODE D’EVALUATION MULTIDIMENSIONNELLE ET DE TRAVAIL COLLABORATIF

1. Conception d'un système de suivi et de soutien aux interventions à Domicile

1.1. Le suivi du risque de perte d’autonomie à domicile, un besoin non couvert

Les technologies ont démontré leur intérêt dans certaines maladies chroniques, mais très peu d’études portent sur les patients âgés fragiles à leur domicile et la prévention précoce du déclin fonctionnel [99,111]. Il apparaît clairement aujourd’hui un besoin non pourvu qui est celui de disposer d’outils permettant un suivi personnalisé de la fragilité. Cela permettrait d’une part l’élaboration d’un plan de soins adapté et personnalisé et d’autre part l’identification des situations à risque de manière proactive. Un suivi en continu d’indicateurs pertinents permettrait de mieux comprendre la physiologie des épisodes aigus qui surviennent en apparence de manière brutale. Cela est déjà le cas dans certaines maladies chroniques, par exemple, le suivi de la fréquence cardiaque permet de mieux anticiper les troubles du rythme et le suivi du diabète permet de prévenir les incidents [112]. Le LAAS a effectué un travail de synthèse sur l’état de l’art de la télésurveillance et des pratiques dans le « vêtement intelligent » [113]. Le développement technologique permet d’envisager des microsystèmes de mesures communicants « sans fil » et les possibilités offertes par les systèmes embarqués sont nombreuses mais encore émergentes et les résultats sont centrés principalement sur les performances techniques des mesures.

D’un point de vue interventionnel, on peut imaginer le bénéfice éventuel des TIC pour l’implémentation des interventions de santé. Dans le cadre qui nous intéresse (la prévention de la dépendance), une communication visiophonique par exemple peut être utile pour le coaching de l’exercice physique [114] et il semblerait même que la simple présentation de ses performances à l’utilisateur permette en soit de stimuler l’activité sans supplément d’activité par un coach dédié [115,33]. Pour encourager les personnes sédentaires à pratiquer la marche, l’utilisation d’un outil de suivi aussi simple qu’un podomètre peut être une source de motivation. Une revue systématique de 2246 articles scientifiques [33] montre que cet outil est efficace pour aider les personnes à changer leurs habitudes (feed-back motivationnel). De façon objective, le fait d’acquérir cet outil et se fixer des objectifs entraîne une augmentation de 26,9% des pas quotidiens.

50 Une technologie embarquée et non invasive pour le suivi des indicateurs de pré-dépendance (ou syndrome de fragilité) au domicile et pour le soutien à l’activité physique pourrait rendre la prévention de la dépendance plus efficiente par :

- le feed-back motivationnel pour le patient qu’il faut impliquer dans le soin pour obtenir son adhésion à la prise en charge,

- la mise à disposition des données clefs auprès du praticien pour le suivi de la prise en charge de son patient,

- la détection précoce d’une évolution défavorable des indicateurs (déterminés a priori) faisant craindre une perte d’autonomie imminente et permettant d’adapter les prises en charge standardisées aux individualités.

Effectivement, si les interventions de prévention de la dépendance ne sont pas implémentées dans la pratique quotidienne, cela est essentiellement dû à la difficulté d’ajouter de nouvelles tâches à l’emploi du temps déjà chargé des médecins et à l’implication insuffisante des patients. Une solution technologique centrée sur le patient, utilisant le feed-back motivationnel, mais qui permettrait dans le même temps de fournir au médecin, lors des visites habituelles (pas de modification du suivi existant), des informations pour évaluer l’adhésion aux recommandations, et en assurer le suivi (afin de détecter une éventuelle dégradation de l’état de santé infra-clinique et réagir de manière précoce) répondrait en partie à ces besoins non couverts. Le suivi des patients âgés à risque de dépendance se fait actuellement lors de consultations gériatriques hospitalières (lorsqu’elles existent) et donc hors du contexte de vie et de manière discontinue (tous les 3 mois ou 6 mois). On sait peu du patient entre ces consultations, et on ne dispose pas de données dynamiques. Se pose donc la question de l’intérêt d’un suivi continu sur le lieu de vie et plus centrée sur le patient et son médecin traitant, notamment en zones sous médicalisées où les soins spécialisés sont moins disponibles. Ce suivi pourrait permettre, par une prise en charge plus précoce en amont de la dépendance, de prévenir la perte d’autonomie, d’apporter une meilleure qualité de vie aux personnes âgées et à leurs aidants et contribuer ainsi à une meilleure maîtrise des dépenses globales de Santé.

De manière plus générale, il s’agit d’une réflexion globale sur l’organisation du système de santé : les personnes âgées (surtout celles polypathologiques) ont souvent une prise en charge hospitalo-centrée et passent d’une densité de soins extrême lors de l’hospitalisation, à un isolement relatif au domicile. L'enjeu est de décloisonner l’hôpital en développant les soins ambulatoires afin de mettre en place un continuum entre l’hôpital et le domicile. Cela pourrait associer une qualité des soins au moins équivalente à l’existant, des diagnostics plus écologiques, c’est-à-dire plus proches de la réalité, un meilleur confort pour la personne ainsi maintenue dans son environnement habituel, une limitation de la iatrogénie hospitalière et enfin une plus grande maîtrise des coûts de santé. Dans l’hypothèse où un outil technologique donnerait des résultats équivalents à la prise en charge actuelle, cela constituerait une ouverture pour le déploiement en zones sous médicalisées et permettrait de lutter contre l’inégalité d’accès au soin.

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1.2. Le suivi du risque de perte d’autonomie à domicile : une cible identifiée et des objectifs pertinents basés sur les besoins réels

Nous avons présenté de nombreuses études ayant démontré l’effet bénéfique des modifications de l’hygiène de vie sur les capacités fonctionnelles des adultes fragiles [116-121]. Gitlin et al. ont notamment montré que ce type d’intervention réalisée au domicile pouvait représenter un moyen peu coûteux pour retarder l’entrée dans la dépendance [122]. Rappelons également l’intérêt de cibler une population âgée en amont de la dépendance, donc celle des fragiles, pré-fragiles, voire robustes. Les sujets âgés fragiles représentent certainement la cible prioritaire. Une fois les sujets fragiles repérés, pourront leur être proposés, dans le cadre des soins courants, des interventions d’hygiène de vie et notamment d’activité physique. Un outil technologique permettant de stimuler l’adhérence aux recommandations (« coaching motivationnel »), suivre l’évolution des indicateurs clefs de la fragilité, voire dépister de manière précoce une détérioration de l’état de santé (objectif secondaire) pourrait permettre d’aller beaucoup plus loin en termes d’impact que les « soins courants » actuels. Les sujets âgés robustes constituent également une cible potentielle car beaucoup désirent améliorer leur hygiène de vie et maintenir leur qualité de vie le plus longtemps possible. Ce type d’outil pourrait aussi les accompagner dans cette démarche par le « coaching motivationnel ». Un tel outil pourrait avoir une plus-value comparativement à ce qui existe sur le marché (marché du « quantified self ») s’il est développé et validé pour un usage médical chez la personne âgée. Il s’agit d’un marché plus large, non restreint à la fragilité, qui relève de la promotion de l’hygiène de vie en population générale.

Pour prévenir la perte d’autonomie selon le profil du patient, les besoins médicaux peuvent être résumés comme suit :

- Sujet âgé fragile : outil d’amélioration de l’adhésion et du suivi des interventions. Outre la fonction de feed-back motivationnel, l’outil a pour but de mettre à la disposition du praticien des indicateurs de fragilité pour la détection précoce d’une perte d’autonomie (ou d’autres éléments péjoratifs).

- Sujet robuste : prévention de la perte d’autonomie grâce à un même outil de suivi de performances et de feed-back motivationnel pour le patient qui désire modifier ses facteurs de risque de dépendance.

L’objectif principal d’un tel projet serait donc de développer une solution technologique de « coaching » motivationnel et de suivi des indicateurs de fragilité de personnes âgées au domicile, et de la valider par une évaluation clinique en situation réelle.

Un objectif secondaire mais plus exploratoire car plus difficile à mettre en œuvre à court terme serait d’identifier des profils évolutifs prédictifs de perte d’autonomie. Les indicateurs de risque de perte d’autonomie mesurés au cours d’une journée à domicile et à l’extérieur

52 étant enregistrés, leur analyse permettrait de confronter l’évolution des indicateurs de fragilité aux évènements morbides recueillis via un suivi prospectif. La présence de données significatives, par exemple un déclin de la vitesse de marche au cours de la période qui précède une hospitalisation, permettrait potentiellement d’identifier des profils évolutifs prédictifs d’événements morbides et ainsi de prévenir ces situations en agissant en amont. Il s’agirait de détecter une variation de fond, une tendance, qui passerait inaperçue de par son caractère insidieux.

Une fois ce cadre posé, la question de la méthode d’évaluation et de développement se pose. Ce point reste un élément crucial qui sera discuté dans les chapitres suivants.

2. Le modèle du médicament est-il applicable aux technologies de santé ?