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La conception pour les personnes en situation de handicap : une approche centrée-utilisateur

Chapitre II. État de l’Art scientifique

III. Le handicap en tant que domaine de conception de produits

1. La conception pour les personnes en situation de handicap : une approche centrée-utilisateur

a. Définitions

L’histoire du développement des techniques oppose souvent deux grandes approches :

- l’approche dite « techno-centrée » pour laquelle le processus de conception est dirigé plus ou moins par la technologie et se focalise sur l’architecture produit, les composants, etc.

- l’approche dite « centrée-utilisateur » dont l’objectif est d’améliorer l’utilisabilité du produit comme facteur de qualité concurrentiel.

Sous cette appellation, existent différentes démarches et méthodes de conception (e.g. user-centered design [120] , human-centred design [121] , user-oriented design [122] , etc.) où l’utilisateur est plus ou moins intégré par ses expériences, ses besoins, son implication.

La conception centrée-utilisateur (CCU) est une démarche de conception itérative basée sur quatre grands principes [80, 121, 123]:

- Une répartition appropriée des fonctions entre l’utilisateur et le système en fonction des capacités de l’utilisateur et des exigences de la tâche,

- Une participation active des utilisateurs afin d’améliorer le nouveau système et son acceptation,

- Des itérations sur les solutions grâce aux feedbacks des utilisateurs sur des représentations intermédiaires du produit (e.g. rough, maquette, etc.),

- La mise en place d’une équipe pluridisciplinaire (e.g. ergonome, designer, ingénieur, responsable marketing, utilisateur final, technicien, etc.) et d’un processus de travail collaboratif qui permet à chaque acteur de participer de façon active en échangeant des points de vue et des expertises.

Figure 60. Schéma de la démarche de conception centrée-utilisateur Les avantages d’une telle approche sont [124]:

- L’engagement de l’utilisateur dans le processus de conception, celui-ci peut communiquer et négocier avec le concepteur ;

- Une démarche de conception itérative et évolutive où le travail de satisfaction de l’utilisateur est au centre des considérations ;

Les démarches « centrées utilisateurs » ne font pour autant pas systématiquement intervenir l’utilisateur comme un acteur à part entière du cycle de conception : la plupart d’entre-elles s’appuient sur des représentations de l’utilisateur, établies sur la base de modèles (e.g. analyse de l’activité, questionnaires, tests, etc.). L’utilisateur se retrouve alors plus souvent testeur lors de la phase d’évaluation du système, que participant à la rédaction des spécifications. Cependant dans de nombreuses situations, « l’éloignement organisationnel de l’utilisateur ainsi que l’absence fréquente d’une situation de référence, sont des freins réels à la mise en œuvre d’une véritable conception participative ». C’est alors souvent à l’ergonome, que revient la responsabilité de rendre compte des besoins des utilisateurs [125]. La conception participative est pourtant reconnue comme un moyen d’obtenir « une meilleure expression des besoins dès l’amont du processus de conception, en affinant les analyses fonctionnelles et en précisant le cahier des charges du point de vue de l’usage » [125].

Cependant certaines contraintes associées à la CCU ont longtemps été mises en avant dans la littérature [126]:

- la question du choix et de la représentativité de l’utilisateur (limité par son expérience, ses connaissances, ses attentes, son engagement, etc.). Les utilisateurs « courants » peuvent parfois être peu innovants car ils se réfèrent à ce qui existe déjà ou ce qu’ils connaissent. Ils manquent souvent de connaissances techniques, etc. Si les utilisateurs choisis sont des « lead users », motivés à innover, comment les trouver puisqu’ils ne représentent que 0,4 à 2,5% de l’ensemble des utilisateurs,

- le degré d’intégration de l’utilisateur au sein de l’équipe de conception et l’organisation que cela nécessite,

- le rapport avantages/coûts engendrés qui n’est pas toujours justifié.

Face à ces contraintes, de nombreux auteurs, dans le domaine du développement des produits nouveaux, préfèrent se recentrer sur l’interface entre l’utilisateur et le produit avec une approche dite « centrée-usage» ou diminuer l’implication de l’utilisateur dans le processus avec une approche dite « orientée-utilisateur », où celui-ci n’est pas acteur dans le processus mais dont les expériences servent de données d’entrée pour la conception [122].

b. Quel rôle et quelle place pour l’utilisateur en situation de handicap ?

L’implication des utilisateurs dans les activités de conception a souvent été abordée en se demandant si celle-ci était vectrice d’innovation. L’utilisateur plutôt considéré comme passif intervenant en fin de chaîne, devient « co-créateur de valeur » et « co-développeur » par son implication peut permettre « d’accroître les chances de succès dans le développement de nouveaux produits » [126, 127]. Cependant cette implication reste délicate à mettre en œuvre (e.g. les utilisateurs peu innovants qui se réfèrent qu’à ce qu’ils connaissent) et n’apparaît pas toujours si nécessaire pour le concepteur (e.g. si les attentes sont clairement identifiées et stables).

La littérature identifie néanmoins 4 grandes situations (non exhaustives) pour lesquelles l’implication de l’utilisateur peut être un facteur gagnant [126-128]:

- dans le cadre d’un marché étroit ou d’un marché de niche (e.g. le luxe), où le client est exigeant et les produits doivent répondre à une forte demande de personnalisation ou d’adaptation,

- dans le cas d’un problème d’usage complexe d’un produit existant, pour lequel les utilisateurs ont mis en place des stratégies d’adaptation, de contournement ou le développement de compétences spécifiques. Cette information nécessaire à la

conception est alors seulement détenue par les utilisateurs et leur intervention est le seul moyen pour les concepteurs de pouvoir capter ces savoirs tacites et de mieux comprendre la valeur d’usage perçue par les utilisateurs,

- pour l’acceptation d’une nouvelle technologie, l’implication des utilisateurs dès la conception (même s’ils ne sont pas compétents techniquement), lors de la phase de génération d’idées, peut apporter un point de vue sur l’usage perçu du futur produit,

- Enfin dans le cas d’un produit nouveau pour lequel les utilisateurs potentiels peuvent contribuer à faire émerger le concept directeur.

Qu’en est-il des personnes en situation de handicap (PSH) ? Leur implication dans le processus de conception apparaît-elle plus pertinente que pour des utilisateurs lambda ?

Si l’on se réfère aux situations précédentes, on remarque que la première condition est remplie puisque le marché du handicap est typiquement un marché étroit et très segmenté où l’utilisateur, par ses besoins spécifiques, crée une demande d’adaptation plus ou moins forte.

De plus, dans le cas des Technologies pour l’Autonomie, la complexité d’usage (liée aux dimensions d’interaction sociale souvent oubliées en conception) entraîne des abandons ou la non-utilisation de ces dispositifs, comme nous l’avons souligné précédemment. Nous pouvons ajouter également l’existence de nombreuses inventions ou adaptations conçues par les familles, afin de répondre aux besoins de leurs enfants handicapés (dont certains ont fait l’objet de brevets comme la Joëlette41).

Enfin la télécommande est un exemple d’innovation issue des besoins d’utilisateurs ayant des déficiences motrices, qui aujourd’hui est utilisée par tout le monde ou encore l’exemple de la reconnaissance vocale initialement développée pour les personnes aveugles.

Au vu de ces constats, nous pouvons donc penser qu’il serait pertinent d’impliquer les utilisateurs en situation de handicap dans le processus de conception. L’implication des utilisateurs en situation de handicap dans l’équipe de conception permet aux autres membres de comprendre et d’observer cette situation. La PSH apporte donc non seulement une compétence particulière liée à son expérience, son vécu, mais elle permet surtout aux autres membres de l’équipe d’objectiver la représentation mentale qu’ils ont du handicap. C’est pourquoi, il nous semble nécessaire de faire participer les PSH à la conception au même titre que des représentants ou porte-parole (e.g. associations, cliniciens, etc.) car seule une PSH sait vraiment ce qu’est son handicap.

Au-delà d’une approche centrée-utilisateur, nous insistons sur l’importance de l’intégration des personnes en situation de handicap au sein de l’équipe de conception. Les courants de conception dans le domaine du handicap qu’ils soient universalistes ou spécialisés intègrent cette démarche mais comment se différencient-ils du point de vue des méthodes de conception?

41 La Joëlette est un véhicule (ressemblant un peu à une chaise à porteurs) qui permet de transporter

une personne à mobilité réduite sur des chemins plus ou moins accessibles. Elle a été inventée par Joël Claudel pour son neveu atteint de myopathie et a fait l’objet d’un dépôt de brevet par Handicap International. Elle appartient aujourd’hui à un industriel du nom de Ferriol-Matrat. http://www.ferriol- matrat.com/fr/sport-et-loisir-adapte-produits/randonnee-joelette/index.html

2. Les principaux courants de conception dans le domaine des