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Le concept de sélectivité fonctionnelle ou de signalisation biaisée "ligand-biased

4.1. Définitions

Depuis ces dernières années, les études portant sur le biais signalétique des RCPG se font de plus en plus nombreuses. C'est un domaine qui connait un véritable essor, d'autant plus que ces récepteurs constituent 40% des cibles des médicaments d'ordonnance (Lagerström and Schiöth, 2008). Avant de décrire ce concept de sélectivité fonctionnelle, il convient d'introduire le phénomène d'activation d'un RCPG. Classiquement, la communauté scientifique a longtemps considéré le RCPG comme existant sous deux états ou conformations bien distinctes. Le récepteur serait en équilibre entre un état actif ou "on" durant lequel toutes les voies de signalisation seraient activées, et un état "off" (De Lean et al., 1980; Gether and Kobilka, 1998; Kenakin, 2002). Des stimuli extracellulaires, comme des hormones, des peptides, des neurotransmetteurs ou de simples acides aminés, seraient responsables du passage du RCPG d'une conformation à l'autre. Dans ce modèle classique, les ligands ont été classés comme des agonistes, antagonistes ou agonistes inverses du fait de leurs capacités à stabiliser l'état "on" ou "off" mais également à diminuer le couplage basal du récepteur aux protéines G (ou activité constitutive) (Barker et al., 1994; Chidiac et al., 1994). En d'autres termes, une molécule agoniste va activer toutes les voies de signalisation du RCPG conduisant à l'effet physiologique associé au récepteur. À l'inverse un composé antagoniste n'activera aucune voie de signalisation et de fait il y aura une absence d'effet physiologique. Un antagoniste compétitif interagira au niveau du site de liaison du ligand endogène (site orthostérique) et un non-compétitif à un site distant (site allostérique).

De nombreux travaux ont au fur et à mesure mis en évidence que ce modèle classique était trop simpliste. En effet, un RCPG peut adopter un grand nombre de conformations différentes (Yao et al., 2006). Un ligand va pouvoir stabiliser une conformation du récepteur dans laquelle une voie de signalisation sera activée au détriment d'autres voies. Ce phénomène est appelé la sélectivité fonctionnelle ou encore signalisation biaisée ("ligand-biased signaling"), la molécule en question sera alors qualifiée d'agoniste biaisé (Kenakin, 1995; Jarpe et al., 1998; Rajagopal et al., 2010). La figure 19 illustre différents

cas de sélectivité fonctionnelle en comparant deux voies, une dépendante des G-protéines et l'autre dépendante des β-arrestines. Dans le cas d'un ligand "normal", il y aura activation indifféremment des protéines G et de la β-arrestine. Le biais signalétique peut provenir du ligand ou du récepteur, favorisant ainsi les voies dépendantes des protéines G ou des β- arrestines. Soulignons que l'absence de recrutement de cette dernière va, dans la majorité des cas, mener à une non-désensibilisation et internalisation du RCPG.

Figure 19. Schéma explicatif d'une signalisation balancée, biaisée par le ligand ou par le récepteur. Dans le cas d'un signal équilibré, l'agoniste active la signalisation dépendante des protéines G et des β-arrestines indifféremment. La liaison d'un agoniste biaisé provoque l'activation préférentielle des voies protéines G ou β-arrestines. Le troisième cas est celui d'un ligand qui n'est pas biaisé, mais qui se lie à un RCPG biaisant l'une ou l'autre voie de signalisation (Rajagopal et al., 2010).

4.2. Intérêts thérapeutiques de la sélectivité fonctionnelle

La phénomène de sélectivité fonctionnelle fait l'objet d'une attention grandissante et apparaît comme un nouveau paradigme prometteur pour la découverte de médicaments (Whalen et al., 2011; Kenakin and Christopoulos, 2013; Rominger et al., 2014). Les effets physiologiques bénéfiques recherchés d'un RCPG sont souvent associés à l'activation de voies de signalisation bien distinctes de celles des effets secondaires néfastes. Dans cette optique, une molécule capable d'activer sélectivement les effecteurs signalétiques voulus permettrait de diminuer, voir d'annuler, les effets indésirables. Dû à la nouveauté du concept, les études décrivant la découverte d'agonistes biaisés restent encore plutôt rares.

Le meilleur exemple est celui de la petite molécule non peptidique et "drug-like" TRV130. Cette dernière agit sur le récepteur μ-opioïde et induit une diminution de formation d'AMPc via un mécanisme dépendant de Gαi/o mais provoque très peu de recrutement de la β- arrestine2 et conduit à une faible internalisation du récepteur. TRV130, qui est aussi puissant que la morphine sur la voie AMPc mais qui ne recrute pas la β-arrestine2, présente un effet analgésique chez le rat et la souris supérieur à celui de la morphine. En revanche, les effets secondaires de dépression respiratoire et de troubles gastro-intestinaux présents avec la morphine apparaissent considérablement réduits lors du traitement par TRV130 (DeWire et al., 2013). Ce même groupe s'est intéressé par ailleurs au récepteur AT1 et a ainsi découvert le TRV120027 qui antagonise l'accumulation d'inositol monophosphate (IP1) dépendante de Gαq stimulée par l'angiotensine II mais provoque l'activation des protéines kinases ERK1/2 et Src via un recrutement des β-arrestines. Le losartan et le telmisartan ont été décrits comme des antagonistes d'AT1, plus spécifiquement ils n'activent ni les protéines Gαq ni la β-arrestine2. Contrairement à ces deux composés antagonistes non-biaisés, le TRV120027 semble augmenter les performances cardiaques chez le rat et le chien tout en bloquant les effets vasoconstricteurs et hypertenseurs délétères liés au système rénine-angiotensine médié par AT1 (Violin et al., 2010; Boerrigter et al., 2012). Enfin, il est important de mentionner que les deux composés TRV décrits plus haut interagissent au niveau des sites orthostériques, ils sont donc de type compétitif.

La possibilité de diriger la signalisation d'un RCPG par le ligand représente une avenue extrêmement prometteuse pour le développement d'une nouvelle classe de médicaments permettant d'avoir un meilleur contrôle sur les effets physiologiques secondaires nocifs.